Moulins encore
Cathédrale de Moulins (Allier), dans une chapelle latérale, une belle déploration se résigne au départ vers l'inconnu du triptyque de la Vierge en gloire.
Rappelez-vous en 2015, nous présentions ici le triste sort d’un chef-d’œuvre absolu (cette expression n’a aucun sens, c’est entendu), ses pitoyables conditions de visite et de conservation, les risques de cambriolage avec effraction, et même sans effraction par une de ces opérations classiques de détournement de longue durée comme le pratiquent parfois certaines autorités culturelles. Il s’agissait du triptyque de Moulins, peint par Jean Hey vers 1500.
Rappelez-vous en 2020, l’actualité culturelle stagnait, rien ne bougeait à Moulins, pas même une tentative de vol d’un panneau du triptyque, sauf un frémissement du côté des instances culturelles. Le quotidien La Montagne avait évoqué en 2018 un projet très ancien de mise en valeur du tableau, et ce projet renaissait vaguement. On mit cela sur le compte du désœuvrement dû au confinement. Mais un œil soupçonneux pouvait s’alarmer à la lecture des expressions "mise en valeur, estimations, millions d’euros, bouleversement, geste moderne, vulgarisation du triptyque (sic)".
Eh bien ça y est, le compte à rebours infernal est déclenché. De 2022 à 2024 - extrapolation optimiste systématique sans quoi rien ne se conclurait - la Vierge en gloire de Moulins et son créateur Jean Hey vont connaitre une apothéose, leur Eurovision.
Fin octobre 2022, après une exposition dans la cathédrale et des adieux ecclésiastiques en fanfare, les agents de l’État emporteront ces trois planches, dont deux sont peintes recto verso, et qui deviendront alors l'objet de tous les aléas.
Tout le gratin de l’art officiel est dans le coup : la DRAC (direction régionale affaires culturelles), le C2MRF (Centre de restauration au Louvre - peut-être à Versailles), le Centre des Monuments Nationaux, les architectes des Monuments Historiques, un comité scientifique (comprenant notamment l’évêque et le recteur de la cathédrale !), le musée du Louvre (ça alors !) et le préfet de l’Allier (?).
Pour le triptyque, la solution choisie semble être le nettoyage grand luxe, toutes options, avec lustrage à la cire et peau de chamois. On parle de restauration fondamentale, alors que la couche de peinture parait en très bon état. En la matière on peut s’attendre à toutes les vanités, l'erreur la plus fréquente étant le décapage excessif des vernis avec disparition des glacis et des effets de volume (comme lors du ravalement des fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine à Rome dans les années 1980, ou le lessivage en public du portrait de jeune fille à la perle de Vermeer à La Haye en 1994).
Côté sacristie, on parle de rénovation, d’en faire un écrin sécurisé avec mise en accessibilité entrainant la restauration de certaines façades de la cathédrale. Tout cela fleure le désistement des aménagements et de l'exploitation du site au profit de sociétés privées, façon Culturespaces (c’est à dire GdF ou Engie), la calamité des gestionnaires de lieux et évènements artistiques.
Et comme on présage que la durée des travaux sur le bâtiment sera plus longue que le bichonnage du triptyque, et que ça serait bête de l’avoir sous la main tout ripoliné près du Louvre sans en profiter, on évoque justement une exposition-dossier dans le plus grand musée de l’Univers.
Et c’est à ce moment de l’histoire que le lectorat déprimé de Ce Glob réalise qu’il devra reporter de quelques années le plus sombre de ses projets, car le musée, s’il est rétif à toute générosité avec le bien public, sera tout de même obligé de promouvoir l’évènement en laissant échapper quelques belles reproductions du triptyque restauré, et de l'exposer enfin dans des conditions satisfaisantes.
Rendez-vous donc à Paris en 2024… Allez, disons 2025... Soyons réaliste, 2026 ou 2027.
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