dimanche 29 mai 2016

Souvenirs d'Arcueil (de J.B. Oudry)

Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, le grand escalier menant aux jardins en terrasses, dessin daté de 1744 (musée du domaine de Sceaux). Les personnages ont été ajoutés plus de 60 ans après par L.L. Boilly.


En ces temps-là, au domaine d'Arcueil, se donnaient des réjouissances et des promenades. On y hébergeait des célébrités, peintres officiels, écrivains dissidents. Voltaire y faisait de longs séjours, y écrivait des pièces de théâtre, y plaçait de l’argent.

L'aqueduc gallo-romain en ruine (à l'origine du nom d'Arcueil) qui croisait la Bièvre et avait été reconstruit dans les années 1630 conduisait une eau pure et abondante des sources vers Paris.
Entre 1720 et 1730 un prince de Guise avait composé là, en empruntant beaucoup d'argent, un domaine de 20 hectares dont 12 de jardins, comme un petit Versailles. La pente déclinait de 12 degrés et les jardins opulents se succédaient en cascades aux berges de la rivière et du canal latéral dans une suite de bosquets et de terrasses, d'escaliers, de bassins et de fontaines.

À la mort du prince, endetté, en 1739, le domaine commencera doucement à se décomposer mais restera quelques années encore fréquenté par les peintres, particulièrement Jean-Baptiste Oudry, jusqu’à son démembrement en 1752, sous la pression des créanciers.
Il disparaitra définitivement au milieu du 19ème siècle avec l’arrivée des manufactures.

Pas de plan détaillé, pas de ruine mémorable, il ne reste quasiment rien aujourd’hui du domaine d’Arcueil, que l’aqueduc, surélevé de façon imposante dans les années 1860, et une soixantaine de dessins, essentiellement de Jean-Baptiste Oudry.
Oudry était peintre ordinaire du roi, logé au Louvre, couvert d'honneurs et de responsabilités prestigieuses, spécialisé dans les scènes de chasse et les natures mortes de gibier.
Attiré par les jardins ombragés et délaissés du domaine d’Arcueil, il loua une maison voisine et les fréquenta longuement entre 1744 et 1747 au point d’en laisser une cinquantaine de dessins. Il y entrainait parfois d’autres peintres, Boucher, Natoire…  
 
Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, la terrasse de l'Orangerie vue depuis le sud, dessin daté de 1744 (Chicago Art Institute).


Ses dessins étaient faits à la pierre noire, craie et gouache blanche sur papier bleu. Avec le temps la teinte bleue s’est décolorée. Le papier a jauni.
Contrairement aux autres artistes Oudry représentait les jardins déserts, les allées vides de tout personnage et la végétation parasite commençant à envahir les treillages et la pierre. 
Puis étrangement, certains de ses paysages se sont peuplés de personnages, sans doute tracés par d’autres mains qui furent un temps en possession des dessins. On parle d’Hubert Robert, de Louis-Léopold Boilly dont on reconnait le style des figures et les habits qu’elles portaient à la mode du début du 19ème siècle, quand Oudry était mort depuis 50 ans.

C’est essentiellement à partir de cette série de dessins (pas toujours fidèles, Oudry modifiait parfois une perspective pour la rendre plus pittoresque) que le conservateur et archéologue du patrimoine de la ville d'Arcueil, Gérard Vergison-Rozier, à reconstitué la carte du domaine disparu et fourni la matière de l’exposition « À l'ombre des frondaisons d'Arcueil » actuellement au Louvre et pour 3 semaines encore.
On y retrouvera avec le plan des jardins l’emplacement précis et la direction du regard du peintre pour chacune des 68 œuvres exposées.

Oudry ne semble pas avoir conçu ces dessins comme des esquisses préparatoires pour des peintures à venir mais plutôt comme un moyen d’enregistrer beaucoup de points de vue d’un monde qui allait disparaitre et qu’il avait aimé.
Le beau catalogue de l’exposition qui reproduit, indexe et commente tous ces points de vue, en perpétuera un peu plus longtemps le souvenir.

Mise à jour le 5.05.2020 : Le Musée national de Stockholm vient d'acquérir en vente publique deux dessins des jardins d'Arcueil par Oudry et qui étaient absents de l'exposition du Louvre.

 
Jean-Baptiste Oudry, quelques détails des dessins exécutés dans le domaine d'Arcueil entre 1744 et 1747.

dimanche 22 mai 2016

Potins de l'art

Jamais on ne louera assez le rôle des militaires dans l’histoire de l’art.
Hier encore, le président de la République d’Ukraine, flanqué de magnifiques et gras douaniers couverts de codes barres multicolores, aurait découvert dans un champ de luzerne, assisté de militaires en tenue de combat, 17 tableaux volés au musée de Vérone en Italie le 25 novembre 2015.

La découverte aurait eu lieu à Turunchuk, près de la frontière moldave, le 6 mai 2016. La mise en scène a été filmée et postée sur les réseaux sociaux habituels, et on dirait un épisode des aventures de Tintin.

On reverra donc bientôt à Vérone le singulier panneau peint par Caroto et figurant un jeune garçon montrant un dessin d’enfant. Il était parmi les œuvres volées et avait fait l’objet d’une chronique ici-même.


Pendant ce temps, le polyptyque de l’Agneau mystique, immense bande dessinée peinte par Van Eyck vers 1432 et qui fait se déplacer des millions de touristes vers la cathédrale Saint Bavon de Gand et constitue la fierté du peuple belge, avait besoin d’une bonne révision des 600 ans.

Le minutieux travail de restauration devait prendre 5 ans et finir en 2017. En fait ce sera fin 2019, et même 2020 ou 2021 disent certains. Et pour deux fois le budget estimé, voire trois fois. Aucune source n'est très claire. On parle de millions d’euros, trois, six, neuf peut-être.

C’est chose courante. Les pouvoirs publics et les institutions ne financeraient jamais ces projets pharaoniens si on leur annonçait un budget et des délais réalistes. Alors on divise les prévisions par trois. Une fois les travaux lancés, s’agissant d’opérations de prestige, il est souvent impossible de revenir en arrière. L’honneur de la nation serait en péril. On fait appel au mécénat d'entreprises, on aliène le bien public et on paiera tant bien que mal.

Dans l'atelier du musée des beaux arts de Gand le public peut suivre le cours de la restauration des panneaux de Van Eyck.

Enfin, alors que le musée du Louvre interdit dans ses expositions de photographier les œuvres qui sont pourtant dans le domaine public, qu’il en usurpe les droits de reproduction à son propre compte et ne publie en ligne que de médiocres miniatures, les musées qui lui ont prêté ces mêmes œuvres en partagent généreusement de splendides reproductions sur leur site internet.

C’est le cas de la collection de dessins et gravures de la bibliothèque Morgan de New York, une des plus riches au monde, et qui vient de prêter un dessin à la rétrospective Hubert Robert du Louvre, et un autre dessin, de Jean-Baptiste Oudry, à l’exposition sur l’ancien parc du domaine d’Arcueil, également au Louvre actuellement.

Et il y a bien d’autres merveilles dans cette fabuleuse collection en ligne, de Boilly, Danby, Daumier, Doré, Fragonard, Goya, Hogarth, Ingres, Thomas Jones, Ottavio Leoni, Mantegna, Maitre du manuscrit Herpin, Menzel, Merson, Piazzetta, Raffet, Robert, Roberts, Sargent, Schiele, Tenniel, Tiepolo G.D., Turner, Watteau, Zielke, Zingg, Zuccaro, et de tant d’autres.

Oudry Jean-Baptiste, Arcueil la première grande terrasse (détail), vers 1745 (Morgan library and museum, New York).

lundi 16 mai 2016

La vie des cimetières (69)

Léglise de Colamine sous Vodable en Auvergne et son cimetière. 
Le commentaire touristique sur téléphone mobile n'est pas surtaxé.


Isolée au milieu des prés et des champs l’église Saint-Mary de Colamine-sous-Vodable dans le Puy-de-Dôme aura bientôt mille ans.

Il ne s’y dit plus de messe depuis longtemps, ni d’oraison funèbre au cimetière qui l’entoure.
Parfois une animation culturelle agite un peu le silence, et les vaches rousses, somnolentes, tournent mollement la tête en suivant les passants de leurs yeux tristes.






dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)