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samedi 19 mars 2022

Fin d'un monde


Ce tableau de Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne, ne serait pas de Canaletto. Les catalogues de l’œuvre du peintre et le Chicago Art Institute, musée qui le détient (avec un pendant), l’attribuent à un suiveur anonyme, sans justifier cet avis, ou parfois l’ignorent. C’est toutefois une reprise, à la fois très fidèle pour certaines parties, et totalement réinventée pour d’autres, d’une gravure incontestée de Canaletto. Est-ce qu’un copiste aurait pris ces libertés ? Et on y retrouve le plus beau style du peintre, les nuances nacrées des coloris et ses touches cursives et liquides traçant les effets de la lumière sur les détails ensoleillés.


Du temps de Canaletto, Venise déclinait déjà. Ses tableaux, si détaillés, en témoignent ; les murs se fissurent, se couvrent de moisissures, l’humidité ronge. La cité n’est plus qu’un décor mélancolique encadré d’or dans les salons ou les souvenirs de riches touristes anglais.

Tout aura été tenté pour sauver Venise, jusqu’au projet titanesque, au 21ème siècle, de stopper les hautes eaux en fermant la lagune pour empêcher l’eau d’entrer, projet fourni avec les détournements, manigances politiques et malversations diverses qui siéent
Mais ces efforts sont inutiles. On ne peut rien contre l’eau, qui ne connait pas d’obstacle. C’est à cause de l’insouciance de la liaison des atomes d’hydrogène dans les molécules d’eau, dit la chimie, qui a réponse à tout.

Et puis le niveau global des mers monte irrémédiablement. Année après année les prévisions s’aggravent. 50 centimètres avant la fin du siècle. Le deuxième volet du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’affirme. Mais qui lit les rapports du GIEC ?
Au moins le secrétaire général des Nations-Unies, puisque l’organisme dépend de son administration. Et sa dernière lecture l’a bouleversé. Il n’a pu se retenir de l’annoncer dans une poignante déclaration de 99 secondes, le 28 février 2022.

Personne ne l’a écouté, ou si peu. C’est son problème, au secrétaire général de la planète Terre, tout le monde se fout de ses recommandations. Alors forcément ça le navre, quand ses centaines de climatologues lui annoncent qu’on a passé un point de non retour, et qu’on atteindra inévitablement un minimum de réchauffement de 1,5° en 2030, 2° en 2050 et 3° en 2100, escorté de toutes les catastrophes naturelles collatérales, et en tenant compte pourtant des promesses des États (qui ne seront jamais tenues).

Quand l’assiduité de ses riches clients anglais mollissait, Canaletto trompait parfois son ennui sur des gravures ou de petits tableaux d'architectures disparates, des caprices dont il avait découvert l’idée à Rome chez Codazzi et Panini. Il mêlait des vestiges de toute époque et de tout lieu, arches, temples romains, palais vénitiens, en un point imaginaire où seraient venues s’engloutir l’une après l’autre toutes les civilisations de la Terre.

Dans ses cauchemars Monsieur le secrétaire général de la Planète erre sans doute parmi ces ruines.


Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne (gravure)

dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)