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samedi 14 décembre 2024

Le Premier, en pire

Meissonnier, ruines des Tuileries, entre 1871 et 1883, 136cm
(Compiègne, musées du Second Empire) 

Cornegidouille ! nous n’aurons point tout démoli si nous ne démolissons même les ruines !
Alfred Jarry, Ubu enchaîné.

Pour le lectorat qui ne s’est jamais passionné pour la vie de nos maitres et leurs néfastes lubies, résumons : le Premier Empire c’était Napoléon premier, des millions de morts dans des guerres quasi mondiales et incessantes, un népotisme effréné, la suppression de la liberté de la presse, le rétablissement de l’esclavage, une centralisation bureaucratique abusive, et en matière d’art officiel l’impériale figure "à la romaine" de Jacques-Louis David, lèche-cul de tous les régimes. 
Le Second Empire, c’était Napoléon 3 (oui, ça commençait mal, et c’était un neveu de l’autre), le même régime que le premier en plus mesquin, une incompétence à gouverner quoi que ce soit, la colonisation débridée de l’Afrique et de l’Asie, et la remise au pays voisin des clés de tout un territoire, avec un ou deux millions de têtes de bétail humain.
En peinture c’était une cour de tâcherons serviles, Winterhalter, Meissonnier, Flandrin, Pils, Horace Vernet, Dubufe et quelques autres.

Décevant, en effet. Et le déclin va jusqu’au musée qui les héberge aujourd'hui. Les grandes tartines au bitume du Premier Empire s’étalent sur les hautes cimaises de l’aile Denon, au Louvre, quand les fades mondanités du second se perdent dans les salons négligés du château de Compiègne et de son musée du Second Empire.

On se dit qu’il doit bien y avoir malgré tout quelques tableaux attrayants dans ce musée. Le site du château nous en présente un catalogue de 650 peintures, avec des fonctions de recherche (choisir Outils puis Index), et des reproductions de qualité passable.
Hélas on n’y fera pas une pêche miraculeuse. Peu de choses originales. Le récent achat de la Cantharide esclave n’y est pas encore, la longue série de toiles de Coypel sur Don Quichotte est consternante, Natoire, plus talentueux, ne s’en sort pas mieux, tous les portraits sont navrants, sans parler des scènes de chasse.

Nous avons réuni ici les rares tableaux qui sortent un peu de l’ordinaire. Leur présence dans le catalogue, peu explicite sur le sujet, ne garantit pas qu’ils sont effectivement exposés dans le château ou le musée.
Allez le vérifier avant la fermeture définitive du château, ce qui ne saurait tarder à lire le rapport de contrôle consterné que la Cour des comptes vient de publier. La courte synthèse en introduction (pages 4 à 6) est un modèle de poésie ; on croit y lire la déploration d’un Byron ou d’un Lamartine sur la ruine des empires (voyez ce qu’en disait hier Étienne Dumont).

Allez-y même si vous n’en attendez pas grand chose, vous y flânerez dans un grand parc (négligé parait-il), un château luxueusement meublé (mal chauffé et où tombent régulièrement des pierres dit le rapport), et une vaste et passionnante remise de voitures hippomobiles. 
Et vous contribuerez ainsi modestement au maintien d’un patrimoine totalement abandonné depuis des années par les ministères de la Culture et les dotations de l’État, qui semblent n'attendre qu'un prétexte pour confier le tout à des capitaux privés.

À gauche, Jacob de Heusch - Chantier naval, fin 17e, 72cm
À droite, Salomon van Ruysdael - Réjouissances près de l'église d'Alkmaar, 1640, 42cm (les deux :  Compiègne, musées du 2d Empire).

À gauche, Friedrich Sustris, Adoration des bergers, 138cm
À droite, Protais PA., percement d'une route 1869, 100cm
Les deux :  Compiègne, musées du 2d Empire.

À gauche, Paul Huet, Château de Pierrefonds en ruine (vers 1860, 162cm)
À droite, Paul Huet, Après recréation par Viollet-le-Duc (vers 1860, 162cm)
Les deux :  Compiègne, musées du 2d Empire.

Potémont, Femmes au jardin, 1860 (Compiègne, musées du Second Empire) 

samedi 1 juin 2024

C’est le printemps, allons tous à Giverny

Monet, Matinée près de Giverny, 1888, 80 x 74cm, Cat.W1205, Vente Christie’s 2015, 4,5M$. Cette prairie au sud de la propriété de Monet dans la plaine des Essarts est le sujet d’une douzaine de tableaux de 1888 (Cat.W1194-1208). Elle ferait un beau terrain pour le parking géant d’un parc d’attraction Monet-Land.



Y a-t-il chose plus agréable que la perspective d’une suite de jours sans aller au travail, que de partir flâner dans des jardins parfumés par la venue du printemps, s’asseoir à l’ombre et se faire lire Le droit à la paresse de Paul Lafargue, ou l’Éloge de l’oisiveté de Bertrand Russell, et à la question de savoir s’il y aurait une quelconque noblesse dans le travail, s’assoupir ?

Pour cela le créateur de toutes choses nous a offert le mois de mai. Il l’a généreusement fleuri de jours fériés parfois agrémentés de ponts (japonais) et n’a pas manqué d’en avertir les poètes et les peintres, puis la presse et les médias, qui se sont empressés de monter tout cela en mayonnaise et de fabriquer chaque année pour l'occasion un nouvel évènement impressionniste.
Cette année c’était le 150ème anniversaire de l’exposition à Paris, chez le photographe Nadar, parmi 200 tableaux refusés au Salon officiel, du célèbre Impression, soleil levant de Monet, qui deviendra le fanion de l’école impressionniste.

Forcément les gens lisent les journaux, regardent la télévision, et se disent "Si nous allions voir ce jardin de Claude Monet ? Il l’aurait conçu pour avoir quelque chose à peindre sans se déplacer, entre deux apéros, le petit malin". Alors par curiosité ils prennent l’automobile et la route de Giverny.

C’est à Giverny, en effet, entre Paris et Rouen, que Monet a passé les deux tiers de sa vie de peintre, de 1883 à 1926, sur 1,7 hectare, et que l’Académie a soigneusement reconstitué, depuis les années 1980, la grande maison et le vaste jardin - on dit désormais "les jardins" - afin qu’ils ressemblent aux tableaux qui y furent peints. Pour mémoire la maison et les jardins de Monet, avec 70 hectares acquis alentour, appartiennent à l’une des 5 académies de l’Institut de France, celle des beaux-arts, constituée de personnalités importantes qu’on dit immortelles, quoique souvent un peu oubliées déjà de leur vivant. 

Hélas les voies du Créateur sont impénétrables, particulièrement l’autoroute A13 qui relie Rouen et Paris à l’occasion des weekends providentiels de mai.
Et ça n’a pas raté cette année encore, entre le 8 et le 12 mai. Présage évident, les réservations en ligne pour Giverny avaient été closes bien avant. 
On parle de 3000 visiteurs dès le premier jour, dont une partie n’aura vu de Monet que le nom sur la plaque de la rue où ils patientèrent, pour certains pendant 3 à 4 heures, pour acheter un billet, et parfois pour rien, la caisse fermant à 17h30.

Sans connaitre la jauge de visiteurs admis dans l’enceinte du musée, on n’essaiera même pas d’imaginer combien peuvent se tenir simultanément sur les quelques centaines de mètres des étroites allées qui sillonnent le jardin.

Le musée de la fondation Claude Monet en quelques chiffres

0 (zéro) : c’est le nombre de peintres ou même de dessinateurs que vous verrez dans les allées du jardin. Ils sont interdits. Comme les photographes dans un musée moderne, ce sont des grumeaux dans le flux de touristes.
500 : c’est le nombre d’habitants de la commune de Giverny (en réalité de moins en moins).
1000 : c’est le nombre de places des trois grands parkings actuels consacrés à Claude Monet dans Giverny.
1840 : c’est en mètres la longueur de la rue Claude Monet qui traverse le village et où se trouve l'entrée du musée, ce qui permet d’envisager sereinement des files d’attente d’un bon millier de visiteurs sans billet.
700 000 : c’est en mètres carrés la surface de terrain devenue propriété de l’Académie des beaux-arts dans le but de préserver l’environnement qui a fait le cadre de vie du peintre. En respectant les normes actuelles on pourrait y ranger 20 000 voitures et il resterait 20 hectares, 10 fois le jardin actuel, pour un parc d’attraction horticole qu’on appellerait Monet-Land.

*** Nécrologie *** 
Le directeur de la Maison et des jardins Claude Monet, académicien qui avait beaucoup fait pour la reconstitution et l’essor du musée, vient de mourir le 25 mai 2024.

dimanche 15 mars 2020

Le jour où la Terre s’arrêta (flash-info)


Pas d’affolement, ça n’est qu’une image, la Terre tourne encore, mais une grande part des activités humaines a soudainement cessé, comme dans le film, louable mais tellement mal réalisé, de Robert Wise en 1951.
Depuis le 13 ou le 14 mars 2020, tous les musées du monde sont fermés (1), sans date de réouverture, à cause d’un petit animal mesquin mangeur de fourmis et en voie d’extinction que l'homme transforme en bottes, en escalopes et en produits cosmétiques (2).

Raphaël Sanzio, peintre officiel des papes de la Renaissance, qu’on disait au 19ème siècle le plus grand de tous les temps et qu’on juge aujourd’hui bien mièvre, a été le premier artiste à faire les frais de cette vengeance du pangolin.
L’énorme rétrospective que Rome consacrait au cinq-centenaire de sa mort a été interrompue, sans doute définitivement, après trois jours seulement (3).

C’est le moment d’aller se promener dans l’immense parc et les jardins du château de Versailles. Vraisemblablement désertés, ils restent ouverts pendant l’épidémie, contrairement au château, et sont peut-être même gratuits tous les jours (4). La période de protection hivernale des marbres n’est pas terminée et les statues voilées y promènent sans doute encore leur silhouette fantomatique.

Et n’en parlez pas à vos voisins, histoire de ne pas créer une affluence virale exponentielle qui deviendrait rapidement coupable.

Mise à jour le 17.03.2020 à 7h30 : Mais le bonheur est éphémère. L'ensemble du domaine de Versailles vient d'être fermé, et le site internet rouvert. À Londres la National Gallery reste ouverte mais les expositions prévues pour attirer beaucoup de public sont reportées.
Mise à jour le 18.03.2020 à 8h30 : À Londres la National Gallery vient de fermer, comme le British Museum et les autres musées et spectacles.

***
(1) Sauf les musées anglais. La National Gallery de Londres, le 15 mars à 15 heures, est encore ouverte et l'affirme fièrement. 
(2) Après la chauve-souris ou le serpent, c’est maintenant le pangolin qui serait peut-être le vecteur du virus SARS‑CoV‑2 responsable de l’épidémie Covid-19. 
(3) Raphaël était mort à 37 ans à Rome, d’un organisme microscopique déjà, probablement le paludisme. 
(4) À vérifier sur place. L’entrée n’est gratuite en principe que les lundis, mercredis et jeudis, et le site internet du château est actuellement dans les choux.

mardi 3 octobre 2017

Un bozoglyphe pour François-Joseph

Depuis qu’il croit être muni d’une sorte de conscience et décider librement de ses actes, l’être humain, ce légume blanchâtre qui sort à peine de terre pour y retourner, ne se prend pas pour la moitié d’une asperge. Il s’est mis à imaginer que des « entités » dans les nuages, observent ses réalisations, qu’il pense grandioses et dignes de leur admiration.

Alors il a réalisé sur le sol d’immenses figures visibles uniquement du ciel. Les plus célèbres ont été tracées voici plus de 1500 ans en balayant les cailloux du désert de Nazca, au sud du Pérou.
De nos jours ces figures d’animaux sont un peu effacées, mais on distingue encore nettement les marques « © 2017 Google » qui constellent le sol rocailleux. La prescience des anciens nous étonnera toujours.

Plus près de nous, il y eut la vogue des agroglyphes ou crop circles, ces grandes figures géométriques qui fleurirent dans les champs et qui curieusement, devant les protestations des syndicats d’agriculteurs, ne durèrent que le temps de quelques moissons. On ne dira jamais assez les méfaits de la mondialisation, du culte de la productivité, et, osons le dire, du bouleversement des valeurs.

Il reste heureusement, pour celui qui ne trouve plus sa place dans le monde contemporain, un refuge où priment encore la paix, l’ordre et la symétrie, un havre d’où il peut encore présenter au ciel l’étendue de ses sentiments. C’est le jardin à la française, et ses fameux bozoglyphes.
Rappelez-vous Herrenchiemsee, le faciès attristé du roi d’opérette Louis 2 de Bavière, et Versailles, la mine ravie et un peu hystérique du nouveau président de la République.

Aujourd’hui c’est en Autriche, à Vienne, dans le dessin des jardins du château de Schönbrunn, qu’un point de vue aéronautique révèlera une sorte de squelette desséché à l'anatomie douteuse et aux bras étendus en croix.



Et c’est bien l'hommage le plus approprié qui pouvait être rendu à François-Joseph 1er, empereur d’Autriche, non parce que le souverain avait vécu dans ce château durant ses 68 années de règne pour enfin y mourir le 21 novembre 1916, mais parce qu’il avait enclenché le plus grand massacre qu’ait alors connu l’humanité, la Première Guerre mondiale, et ses quelques 20 millions de cadavres. 

dimanche 29 mai 2016

Souvenirs d'Arcueil (de J.B. Oudry)

Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, le grand escalier menant aux jardins en terrasses, dessin daté de 1744 (musée du domaine de Sceaux). Les personnages ont été ajoutés plus de 60 ans après par L.L. Boilly.


En ces temps-là, au domaine d'Arcueil, se donnaient des réjouissances et des promenades. On y hébergeait des célébrités, peintres officiels, écrivains dissidents. Voltaire y faisait de longs séjours, y écrivait des pièces de théâtre, y plaçait de l’argent.

L'aqueduc gallo-romain en ruine (à l'origine du nom d'Arcueil) qui croisait la Bièvre et avait été reconstruit dans les années 1630 conduisait une eau pure et abondante des sources vers Paris.
Entre 1720 et 1730 un prince de Guise avait composé là, en empruntant beaucoup d'argent, un domaine de 20 hectares dont 12 de jardins, comme un petit Versailles. La pente déclinait de 12 degrés et les jardins opulents se succédaient en cascades aux berges de la rivière et du canal latéral dans une suite de bosquets et de terrasses, d'escaliers, de bassins et de fontaines.

À la mort du prince, endetté, en 1739, le domaine commencera doucement à se décomposer mais restera quelques années encore fréquenté par les peintres, particulièrement Jean-Baptiste Oudry, jusqu’à son démembrement en 1752, sous la pression des créanciers.
Il disparaitra définitivement au milieu du 19ème siècle avec l’arrivée des manufactures.

Pas de plan détaillé, pas de ruine mémorable, il ne reste quasiment rien aujourd’hui du domaine d’Arcueil, que l’aqueduc, surélevé de façon imposante dans les années 1860, et une soixantaine de dessins, essentiellement de Jean-Baptiste Oudry.
Oudry était peintre ordinaire du roi, logé au Louvre, couvert d'honneurs et de responsabilités prestigieuses, spécialisé dans les scènes de chasse et les natures mortes de gibier.
Attiré par les jardins ombragés et délaissés du domaine d’Arcueil, il loua une maison voisine et les fréquenta longuement entre 1744 et 1747 au point d’en laisser une cinquantaine de dessins. Il y entrainait parfois d’autres peintres, Boucher, Natoire…  
 
Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, la terrasse de l'Orangerie vue depuis le sud, dessin daté de 1744 (Chicago Art Institute).


Ses dessins étaient faits à la pierre noire, craie et gouache blanche sur papier bleu. Avec le temps la teinte bleue s’est décolorée. Le papier a jauni.
Contrairement aux autres artistes Oudry représentait les jardins déserts, les allées vides de tout personnage et la végétation parasite commençant à envahir les treillages et la pierre. 
Puis étrangement, certains de ses paysages se sont peuplés de personnages, sans doute tracés par d’autres mains qui furent un temps en possession des dessins. On parle d’Hubert Robert, de Louis-Léopold Boilly dont on reconnait le style des figures et les habits qu’elles portaient à la mode du début du 19ème siècle, quand Oudry était mort depuis 50 ans.

C’est essentiellement à partir de cette série de dessins (pas toujours fidèles, Oudry modifiait parfois une perspective pour la rendre plus pittoresque) que le conservateur et archéologue du patrimoine de la ville d'Arcueil, Gérard Vergison-Rozier, à reconstitué la carte du domaine disparu et fourni la matière de l’exposition « À l'ombre des frondaisons d'Arcueil » actuellement au Louvre et pour 3 semaines encore.
On y retrouvera avec le plan des jardins l’emplacement précis et la direction du regard du peintre pour chacune des 68 œuvres exposées.

Oudry ne semble pas avoir conçu ces dessins comme des esquisses préparatoires pour des peintures à venir mais plutôt comme un moyen d’enregistrer beaucoup de points de vue d’un monde qui allait disparaitre et qu’il avait aimé.
Le beau catalogue de l’exposition qui reproduit, indexe et commente tous ces points de vue, en perpétuera un peu plus longtemps le souvenir.

Mise à jour le 5.05.2020 : Le Musée national de Stockholm vient d'acquérir en vente publique deux dessins des jardins d'Arcueil par Oudry et qui étaient absents de l'exposition du Louvre.

 
Jean-Baptiste Oudry, quelques détails des dessins exécutés dans le domaine d'Arcueil entre 1744 et 1747.

dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)

jeudi 21 janvier 2016

Histoire sans paroles (20)

Le Parc des sources est un vaste espace fait d’allées arborées qui relient les établissements de bains et de loisirs du site thermal de la ville de Vichy
C’est un parc au décor suranné, figé dans les années 1900. 
On peut y lire sur des panneaux « Vous êtes les bienvenus dans le Parc des Sources. Ce parc est un lieu privé dont nous vous autorisons l'accès. Cependant nous vous informons que sa fréquentation est placée sous votre entière responsabilité ». 
Car la concession du domaine thermal accordée par l’État à une société privée (aujourd’hui la Compagnie de Vichy, anciennement Compagnie fermière) comprend les sources, les hôtels, mais aussi le parc, son entretien et ses servitudes. 
Or le parc, avec ses essences communes, ses kiosques démodés, libre d’accès et gratuit, n’est pas rentable.

dimanche 25 octobre 2015

Mais pourquoi tant de haine ?

Mark Antokolski, Socrate mourant, 1875, parc municipal de Lugano, Suisse.


Mark Antokolski était un sculpteur lituanien de la fin du 19ème siècle, donc russe, et croyant aux idéaux du naturalisme ou du vérisme, bref du réalisme.

Ainsi quand il décida de représenter la mort de Socrate, sujet émouvant qui avait inspiré tant d’artistes avant lui, au lieu de l’imaginer traditionnellement buvant la cigüe dans une grande scène théâtrale où le philosophe entouré de ses amis en larmes désignerait le ciel d’un geste grandiloquent, il choisit de le représenter mort, avachi comme un ivrogne endormi, et seul.

Il exposa le résultat à Paris en 1878, en obtint un succès certain, une médaille d’or et quelques commandes. Le marbre original est au Musée russe de Saint-Pétersbourg, et une des répliques qu’il en fit repose aujourd’hui à l’ombre d’un bosquet dans le parc municipal de Lugano, offerte à la ville par la famille de l’acquéreur en 1917.

En 1881, Antokolski qui décidément aimait à déshonorer les plus grands philosophes représentait Baruch Spinoza comme une vieille femme impotente et transie.

samedi 19 septembre 2009

Quand les biches avaient des bois

Au début, quatre siècles avant notre ère, Artémis était fille de Zeus et sœur d'Apollon quand le sculpteur grec Léocharès la modela. Flanquée d'un petit cerf bondissant elle portait une jupe courte, un carquois, et une casquette de chef de gare. Quelques siècles plus tard, les romains la rebaptisaient Diane, pour faire moins vieillot, et la copiaient dans le marbre.

Et depuis que cette copie a été offerte par un pape à un roi français, vers 1550, il n'y a plus un jardin, un parc, ou un bosquet en France qui n'exhibe une réplique de la statue. Toutes sont fidèles et reproduisent sans ambigüité les cornes de l'animal, mais sont curieusement étiquetées «Artémis à la biche ou Diane à la biche». Ignorance de l'époque en matière de zoologie ou mutation accélérée ?

De nos jours les biches ne portent plus de cornes et seuls les cerfs voient tous les ans pousser sur leur crâne ces portemanteaux saugrenus. Cependant, certains cas très singuliers de mue périodique intriguent encore les naturalistes, comme ici dans le parc de Presles, lors de la fête printanière de «Lutte Ouvrière».

dimanche 17 mai 2009

Ces fesses ont 103 ans

Tout lecteur attentif se rappellera l'intérêt scientifique de Ce Glob Est Plat pour l'anatomie des statues dans les jardins publics et les musées. Mais depuis notre enquête sur le mystère de la face cachée d'Arsinoë, resté irrésolu, et malgré l'insistance discrète de certains lecteurs insatisfaits, nous avions, par légèreté, interrompu notre examen du sujet. Or pour quelque raison mystérieuse que la science débrouillera peut-être un jour, l'arrivée du printemps a soudain ravivé le besoin de perfectionner cette étude.








Ainsi, combinant une haute valeur artistique et une évidente utilité anatomique, la statue que nous présentons aujourd'hui est l'œuvre d'Henri Vernhes. Sculptée en 1906, intitulée «Du sommet à l'abîme, second versant de la vie» et déposée dans le parc de Saint Cloud en 2001 par le musée d'Orsay, elle se distingue, malgré un titre pessimiste, par des rotondités réalistes et généreuses.










Nous n'insisterons pas sur l'intérêt pédagogique de ces anatomies sur lesquelles des générations plus ou moins juvéniles ont fait et feront encore les brouillons de leurs baisers, comme le Corne d'aurochs de Georges Brassens. Mais notons pour le gestionnaire avisé qu'elles ont l'avantage, parce qu'elles ne s'affaissent pas, ni ne se flétrissent, d'être d'un entretien relativement aisé et de traverser les siècles sans trop de stigmates.

jeudi 8 janvier 2009

Privés de jardins publics

Inconscients et volages, les enfants des villes modernes ne savent pas le bonheur que les adultes responsables leur façonnent patiemment. Par exemple, depuis quelques années, tous les parcs et jardins publics sont systématiquement fermés (*) au premier flocon de neige un peu tenace. La chute d'une branche alourdie par la neige pourrait blesser quelqu'un.


La subversion objecte qu'on interdit ainsi aux enfants qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances de ski le spectacle magique qu'est un parc recouvert de cette féerie ouatée.

Rétorquons qu'il reste dans les villes bon nombre de lieux où les enfants peuvent exercer leur désir irrépressible de modeler des bonhommes de neige, de pratiquer des glissades effrénées ou d'engager des batailles de boules de neige : ce sont les kilomètres de trottoirs de la ville. Naturellement, comme tout le monde retrouve un esprit joueur dès que la neige revient, il n'est pas impossible qu'ils y croisent un automobiliste fantasque égaré en travers du trottoir ou éparpillé autour d'un lampadaire. Il conviendra d'être prudents.


(*) À Paris tous les parcs et jardins publics de la Ville sont fermés. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg qui appartiennent respectivement à l'Établissement Public du Louvre et au Sénat sont ouverts...

***
Pour les oreilles : The West Coast Sound (Vol. 1), un album rare de «West coast jazz» de 1953, rythmé, allant, inventif et mélodique, avec Art Pepper (saxo alto), Jimmy Giuffre (saxo baryton) et quelques autres sous la baguette de Shelly Manne. «Afrodesia» ou «You and the Night and the Music» sont des bijoux.

samedi 8 décembre 2007

Le tribut de la tribu

 (© Google Maps)

La nouvelle administration a décidé de rendre un hommage à la mesure du nouveau président qui l'avait installée ; un hommage visible de l'espace. Elle a choisi le parc du château de Versailles, symbole de la France monarchique. Et c'est une réussite technique.
Mais on se doutait que cette bureaucratie ne brillerait pas par sa culture classique, ce qui explique que la dédicace ressemble plutôt à Mickey la souris ou à Bozo le clown.

 (© Google Maps)

mercredi 31 janvier 2007

Une révision s'impose

Voilà déjà un mois, nous ouvrions une délicate enquête sur la face cachée d'Arsinoë, splendide statue antique exposée au Grand palais (et pour un mois encore). Devant l'indifférence générale soulevée par cette investigation et le piétinement corrélatif de l'enquête, la rédaction de Ce Glob Est Plat a décidé de sensibiliser le public à la question des faces cachées des statues en général, sous la forme d'une petite révision des principes.
Nous commencerons par le parc de Saint Cloud, véritable eldorado pour les écoliers fervents d'anatomies.

  Le charmant modèle des illustrations, très obligeant, dévoile sans ambiguïté l'objet de notre étude. On remarquera immédiatement que ce qui importe dans les faces cachées des statues, c'est leur rotondité.
Ne connaissant pas l'identité de cette jeune dame, nous lui donnerons le joli sobriquet de 48°50'13.63"N & 02°12'51.00"E, qui ne correspond pas à ses mensurations mais à ses coordonnées géographiques dans le parc.

  Souhaitons que cette révision aura suscité quelques réactions parmi les spectateurs de Ce Glog Est Plat, les incitant à nous aider dans le dévoilement du mystère d'Arsinoë. Dans le cas contraire, le parc de Saint Cloud regorge d'exemples intéressants que nous n'hésiterons pas à invoquer dans des leçons à venir.

samedi 30 décembre 2006

Dans le vieux parc...

Dès que je fouille dans mes photographies de Versailles et que je tombe sur ces deux statues muettes perdues aux confins du parc, je ne peux m'empêcher de penser à cet obsédant poème de Verlaine dans les Fêtes galantes : Colloque sentimental. Alors aujourd'hui je les ai associés. Peut-être qu'ils ne s'accordent pas vraiment bien, que c'est une idée fixe trop personnelle... On verra bien. Cliquez sur l'illustration pour lire le poème.