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mardi 3 septembre 2024

La renaissance de la peinture française

Thomas Lévy-Lasne, À Auschwitz 2020, huile sur toile, 194cm 
(Reproduite avec l'autorisation du peintre) 

Bien avant de savoir écrire, et peut-être de pouvoir parler, les humains ont échangé leur vision du monde au moyen de formes et de couleurs. Les résultats variaient du plus réaliste, pour les imitateurs et les minutieux, au plus abstrait, pour les décorateurs et les visionnaires. On appela ça la peinture.


Et puis au vingtième siècle de l'ère actuelle, vers les années 70 ou 80, après des dizaines de millénaires de patouille jubilatoire et sans histoire avec la couleur, quelques intellectuels influents décrétèrent que l’histoire de l’art était une perpétuelle évolution et qu'elle progresserait désormais sans la peinture. Ça se passait en France. Dorénavant on n’enseignerait plus la peinture dans la plupart des écoles d’art, notamment aux Beaux-Arts. On tolérait encore un peu la peinture abstraite quand elle était mélangée à des matériaux grossiers, et ne ressemblait plus à de la peinture. On exposait encore les vieux peintres morts ou presque, dans de rares galeries, comme au zoo, pour attester qu’il y avait bien eu une histoire de la peinture et qu’on venait de l’enterrer. On l’aura compris, le cerveau de ces penseurs, dont les fusibles avaient sauté de ravissement quand Marcel Duchamp avait exposé son urinoir, s’était enrayé et n’avait jamais pu redémarrer.


Cette histoire de cerveaux qui se coincent aurait pu nous faire rigoler, si le virus n’avait été transmis aux décideurs politiques. Il y eut d’ailleurs à la même époque en France bien d’autres milieux touchés par la maladie, dont certains plus gravement encore, pour ne citer que la catastrophique méthode globale d’enseignement de la lecture, la confiscation de la création musicale par le maitre de l'IRCAM et son idéologie réactionnaire, les enregistrements "historiquement informés" de la musique ancienne dans les grincements des instruments d’époque, la mainmise de la psychanalyse sur la médecine et l’impact catastrophique de cette pseudo-science dans les traitements de l’autisme, par exemple…


Mais par chance, si la vérité ne triomphe jamais, ses adversaires finissent par mourir un jour, disait Max Planck, et la bonne nouvelle, au moins dans le domaine de la peinture, est que le bon sens serait revenu, depuis une dizaine d’années, et que les institutions en France auraient repris l’enseignement de la technique de la peinture et du métier de peintre. On se demande avec quels professeurs, mais peut-être n’étaient-ils pas tous morts, certains ont sans doute résisté dans la clandestinité.


Thomas Lévy-Lasne, qui est un de ces résistants, clame sur tous les réseaux que la peinture est renée en France. Il a appris à peindre dans les livres et sous les quolibets, pendant plus de 20 ans, et à force de persévérance, d’enthousiasme, d’éloquence et d’entregent, il n’est plus aujourd’hui clandestin et vit de sa peinture, dit-il.


En 2021 il organisait à Perpignan l’exposition "Les apparences", un succès local, de 50 peintres contemporains essentiellement figuratifs (ou réalistes) et jeunes (sauf Gilles Aillaud mort en 2005).

À la même époque il commençait à enregistrer des entretiens d’une heure en vidéo avec ces peintres vivants, qui parlent de leur métier et de leurs œuvres. On les trouve sur la chaine Youtube Les apparences, avec la vidéo d’une visite de l'exposition personnelle de Lévy-Lasne à la galerie "Les filles du calvaire" en 2020, commentée par le peintre, masqué et passionné.

On trouve ses projets et ses peintures sur son site personnel, sur internet, où il existe également des conférences et entretiens dont un récent de 54 minutes plein de verve et des plus réjouissants (on notera dans toutes ces vidéos que ses convictions et sa faconde font paraitre ses vis-à-vis un peu insignifiants).  


Alors, où voir cette renaissance de la peinture française ?


Dans une impressionnante exposition organisée par Lévy-Lasne, "Le jour des peintres", dans la nef du musée d’Orsay le 19 septembre 2024 uniquement, de 14h à 21h30, où seront présents 80 peintres de ce renouveau et 80 tableaux.

On y verra que la jeune peinture a peut-être encore à apprendre, puisqu’elle renait de rien, et qu’il ne nait pas un Rembrandt toutes les semaines, mais pour avoir une chance de le découvrir il faudra y aller. Peut-être s’appellera-t-il (ou elle), Cyril Duret, Miranda Webster, Guillaume Bresson, Henni Alftan, Bilal Hamdad ou Thomas Lévy-Lasne. 


Et puis Lévy-Lasne fait une exposition personnelle, "La fin du banal" au Centre d’art Les églises, à Chelles, en Seine-et-Marne, du 14 septembre au 17 novembre 2024. 

Ses peintures sont de plus en plus ironiques, voire cyniques, et minutieuses. Comme l’homme est volubile à l'écran, il l’est devant un chevalet, et comme il ne connait que le réel, il le montre exactement. Comme l'écrit Rosset dans Le démon de la tautologie, dit-il en entretien, "le meilleur moyen de raconter le monde c'est de dire que A égal A".


Il faut dire que Lévy-Lasne cite souvent Spinoza, et Clément Rosset qu’il a connu. Et quelqu’un qui a lu tout Rosset - trois fois dit-il - ne peut être que digne d’intérêt.


samedi 1 juin 2024

C’est le printemps, allons tous à Giverny

Monet, Matinée près de Giverny, 1888, 80 x 74cm, Cat.W1205, Vente Christie’s 2015, 4,5M$. Cette prairie au sud de la propriété de Monet dans la plaine des Essarts est le sujet d’une douzaine de tableaux de 1888 (Cat.W1194-1208). Elle ferait un beau terrain pour le parking géant d’un parc d’attraction Monet-Land.



Y a-t-il chose plus agréable que la perspective d’une suite de jours sans aller au travail, que de partir flâner dans des jardins parfumés par la venue du printemps, s’asseoir à l’ombre et se faire lire Le droit à la paresse de Paul Lafargue, ou l’Éloge de l’oisiveté de Bertrand Russell, et à la question de savoir s’il y aurait une quelconque noblesse dans le travail, s’assoupir ?

Pour cela le créateur de toutes choses nous a offert le mois de mai. Il l’a généreusement fleuri de jours fériés parfois agrémentés de ponts (japonais) et n’a pas manqué d’en avertir les poètes et les peintres, puis la presse et les médias, qui se sont empressés de monter tout cela en mayonnaise et de fabriquer chaque année pour l'occasion un nouvel évènement impressionniste.
Cette année c’était le 150ème anniversaire de l’exposition à Paris, chez le photographe Nadar, parmi 200 tableaux refusés au Salon officiel, du célèbre Impression, soleil levant de Monet, qui deviendra le fanion de l’école impressionniste.

Forcément les gens lisent les journaux, regardent la télévision, et se disent "Si nous allions voir ce jardin de Claude Monet ? Il l’aurait conçu pour avoir quelque chose à peindre sans se déplacer, entre deux apéros, le petit malin". Alors par curiosité ils prennent l’automobile et la route de Giverny.

C’est à Giverny, en effet, entre Paris et Rouen, que Monet a passé les deux tiers de sa vie de peintre, de 1883 à 1926, sur 1,7 hectare, et que l’Académie a soigneusement reconstitué, depuis les années 1980, la grande maison et le vaste jardin - on dit désormais "les jardins" - afin qu’ils ressemblent aux tableaux qui y furent peints. Pour mémoire la maison et les jardins de Monet, avec 70 hectares acquis alentour, appartiennent à l’une des 5 académies de l’Institut de France, celle des beaux-arts, constituée de personnalités importantes qu’on dit immortelles, quoique souvent un peu oubliées déjà de leur vivant. 

Hélas les voies du Créateur sont impénétrables, particulièrement l’autoroute A13 qui relie Rouen et Paris à l’occasion des weekends providentiels de mai.
Et ça n’a pas raté cette année encore, entre le 8 et le 12 mai. Présage évident, les réservations en ligne pour Giverny avaient été closes bien avant. 
On parle de 3000 visiteurs dès le premier jour, dont une partie n’aura vu de Monet que le nom sur la plaque de la rue où ils patientèrent, pour certains pendant 3 à 4 heures, pour acheter un billet, et parfois pour rien, la caisse fermant à 17h30.

Sans connaitre la jauge de visiteurs admis dans l’enceinte du musée, on n’essaiera même pas d’imaginer combien peuvent se tenir simultanément sur les quelques centaines de mètres des étroites allées qui sillonnent le jardin.

Le musée de la fondation Claude Monet en quelques chiffres

0 (zéro) : c’est le nombre de peintres ou même de dessinateurs que vous verrez dans les allées du jardin. Ils sont interdits. Comme les photographes dans un musée moderne, ce sont des grumeaux dans le flux de touristes.
500 : c’est le nombre d’habitants de la commune de Giverny (en réalité de moins en moins).
1000 : c’est le nombre de places des trois grands parkings actuels consacrés à Claude Monet dans Giverny.
1840 : c’est en mètres la longueur de la rue Claude Monet qui traverse le village et où se trouve l'entrée du musée, ce qui permet d’envisager sereinement des files d’attente d’un bon millier de visiteurs sans billet.
700 000 : c’est en mètres carrés la surface de terrain devenue propriété de l’Académie des beaux-arts dans le but de préserver l’environnement qui a fait le cadre de vie du peintre. En respectant les normes actuelles on pourrait y ranger 20 000 voitures et il resterait 20 hectares, 10 fois le jardin actuel, pour un parc d’attraction horticole qu’on appellerait Monet-Land.

*** Nécrologie *** 
Le directeur de la Maison et des jardins Claude Monet, académicien qui avait beaucoup fait pour la reconstitution et l’essor du musée, vient de mourir le 25 mai 2024.