vendredi 28 février 2014

Tout s'emballe


Dès son plus jeune âge Christo Javacheff souffrait d'une obsession, une idée fixe qui le poussait à empaqueter tous les objets alentour. Certains croient que le choc émotionnel originel aurait été la présence des cadavres de partisans communistes gisant dans les rues, recouverts d'un drap, en Bulgarie en 1943, ou l'épuration sanglante de l'automne suivant quand les mêmes partisans (les survivants) prirent le pouvoir aidés par l'armée soviétique. Christo avait 9 ans.
Pour un enfant élevé dans un milieu artistique, cette réalité était certainement inacceptable. Il fallait la dissimuler sous des draps épais et la ficeler pour l'empêcher de ressortir.

Christo emballa d'abord des boites de conserve, des magasines, des mobylettes. Comme il était incapable ensuite de les déballer (à cause du traumatisme originel, évidemment) les paquets s'amoncelaient dans son petit appartement. Pour libérer de la place il les exposa donc dans des galeries d'art complaisantes où ils trouvèrent une profonde résonance dans les fantasmes des collectionneurs et du public.

Puis les choses s'emballèrent, démesure et mégalomanie. Christo demanda qu'on l'appelle désormais « Christo and Jeanne-Claude » et se mit à empaqueter des monuments de plus en plus monumentaux, deux kilomètres de côte australienne en 1969, le Pont-neuf de Paris en 1985, jusqu'au parlement allemand en 1995 (Wrapped Reichstag).
Ce fut un triomphe : 5 millions de visiteurs à Berlin en deux semaines ! Aucune exposition n'a jamais atteint le quart de cette fréquentation.

Cependant, même totalement financées par l'auteur, ces œuvres pharaoniques installées sur des édifices publics ne sont que temporaires, et il n'en restera jamais que du papier, des études chiffrées, des dessins préparatoires et des reportages photographiques.
Alors pour affronter l'éternité « Christo and Jeanne-Claude » conçut le Mastaba, un gigantesque hexaèdre creux en forme de prisme droit dont deux faces sont des trapèzes isocèles, et qui serait posé en plein désert, au sud d'Abu Dhabi. Il y resterait indéfiniment. Les faces seraient constituées de 400 000 bidons de pétrole diversement colorés, et le tout dépasserait de quelques centimètres la hauteur de la plus grande pyramide de Gizeh.

Voilà trente ans que l'artiste essaie de convaincre les émirs arabes unis d'accepter la construction de ce Taj Mahal du désert, devenu un mausolée en mémoire de la femme qui partagea toute sa vie et son œuvre, qui organisait la réalisation de tout ce qu'il concevait, Jeanne-Claude, morte depuis 2009, et sans qui il serait peut-être encore un emballeur de mobylettes.

Ceci dit, après ce long préambule sur l'art de l'emballage, quel est l'objet caché sous la toile de l'illustration ?

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Toutes les images en lien proviennent du magnifique site de Christo, « Christo and Jeanne-Claude ».

vendredi 21 février 2014

Tranche de vie napolitaine


C'est un restaurant situé sur une petite place touristique de Naples. Une Vierge dans une niche de bois est nimbée, le soir, d'une lumière bleu vif au néon.
Rien de tel, pour s'imprégner du charme du lieu, que de lire les jugements de la clientèle italienne sur l'établissement, et de demander à Gougueule d'en faire une traduction automatique, qui met si bien en valeur les nuances de la langue d'origine. En voici un florilège :

- Allumé, le sanctuaire de Notre-Dame est un animal de compagnie quand vous pouvez dîner à l'extérieur.

- La qualité de la nourriture a bon goût. 

- Même la pizza était très bon.

- Mais les cheveux sont dans les plats hors-d'œuvre que la mer y Génois sont inacceptables.

- Des plats en plastique, pizza avec les moules de ketchup, pas propre, salade de calmars puante, que du bon pain et de l'eau minérale.

- Dans ma pizza était un point d'agrafeuse indignés que nous avons payé et sommes partis.

- Si l'été puis le soir est susceptible de devenir inoubliable. Un théâtre.

- C'est le réveillon du livre nuit et nous nous sommes placés à l'extérieur avec les champignons. Apéritifs bon cru, le reste du riz, indescriptible morue cuit vin mousseux salée impropre à la consommation. Nous nous sommes levés sans fin, le projet de loi comme la morue.

- Je dis que j'ai pris ma femme est seulement à cause des prix excessifs salade de poulpe.

- Sans aucun doute le chemin de la salle de bain est un peu mal à l'aise.

- La pizza m'a laissé un peu de monde.

- La faille : la structure.

- Alors j'ai dit au revoir et s'en allèrent à jamais.

- Et retour à la maison, nous avons dû nous faire un sandwich !

dimanche 16 février 2014

Léger frisson dans le domaine public

Alors que de grands musées français qui se pensent modernes interdisent toujours au public de photographier les œuvres exposées, même celles qui appartiennent au domaine public, donc à tous, un très léger frémissement semble poindre des ministères, peut-être embarrassés par tant d'abus de pouvoir et de gouvernances féodales.
Ainsi le ministère de la Culture a récemment envoyé aux responsables de musées et monuments une timide « Charte des bonnes pratiques photographiques ». Calimaq en fait une analyse excellente dans SILex. Et ses conclusions sont assez désappointées, car le sujet du domaine public en est délibérément absent. Elle entérine plutôt les pratiques frauduleuses des musées et les rares points de progrès ne seront pas mis en pratique, pense-t-il.

Pendant ce temps, à Los Angeles aux États-unis, la famille Getty dont la fortune pétrolière est colossale et qui s'est entourée de dizaines de milliers d'œuvres d'art les expose dans deux musées librement ouverts au public.

Annonciation de Dieric Bouts, Crucifixion du Maitre de Dreux Budé, Femme préparant un goûter de Pieter De Hooch, Achille et les filles de Lycomède de Pietro Paolini.
Quelques détails de tableaux grappillés sur le site du musée Getty.

Disons, comme exemple de la qualité des collections, que le musée Getty possède le tableau le plus mythique de Van Gogh, Les iris (le grand tableau de 94 cm peint à l'asile de Saint-Rémy en 1889). Il avait été acheté en vente publique chez Sotheby's à New York le 11 novembre 1987, presque 54 millions de dollars (dont la moitié à crédit), par l'homme d'affaires (et escroc) australien Alan Bond. C'était alors le tableau le plus cher du monde. Mais Bond ne remboursant pas son emprunt, Sotheby's l'a revendu à la fondation Getty en 1990 pour un prix resté secret.

Et si la gratuité de la visite ne suffisait pas, la fondation présente, pour les amateurs d'art qui n'iront jamais à Los Angeles, l'intégralité de sa collection sur un site Internet où chaque œuvre, peinture, gravure, sculpture, dessin, photographie peut être téléchargée en très haute définition (les fichiers font de 15 à 50 mégaoctets).

Alors si vous n'avez jamais vu Les iris de Van Gogh en grandeur nature, n'attendez plus, c'est ici.
 

dimanche 9 février 2014

La saga de Ragnar, suite

Les voyages en Scandinavie étant fort couteux, nous ne reprocherons pas à notre illustrateur d'avoir trouvé ce rocher qui ressemble tout de même vaguement à un saumon, près des eaux froides de la Manche à Ploumanach.


Peut-être avez-vous manqué quelques épisodes de la triste saga de Ragnar, le saumon norvégien.
Nous l'avions laissé presque mort, rongé par les poux de mer, miné par le pesticide et fluorescent à force d'ingurgiter les composés chimiques les plus toxiques.
Son sort funèbre avait fait l'objet de scandales et de reportages vexants depuis 2010, d'une chronique ici-même, et de recommandations humiliantes des services publics français en juin 2013.
L'affaire était pliée. Ragnar et ses congénères allaient disparaitre.

Et puis, les fêtes de fin d'année étaient à peine digérées que vous avez vu émerger, dans les vitrines des supermarchés, des plats surgelés de grandes marques, fièrement intitulés « Nouveauté  - Saumon de Norvège » souvent cuisinés d'alléchante manière, à la bordelaise ou aux moules marinières.

C'est que la réhabilitation du saumon de Norvège vous avait probablement échappé.

Car il faut savoir que la chaine de télévision qui avait achevé le pauvre animal par ses reportages assassins (dont un récent en novembre), et qui était certainement en partie responsable de la baisse sensible des ventes de saumon, avait été invitée en Norvège par la filière productrice dans le cadre d'une vaste opération de « relations publiques ».

Et surprise, une semaine avant les agapes de Noël, dans le journal télévisé du 16 décembre à 20 heures, la même chaine qui nous avait abondamment alertés sur les risques de toxicité du saumon norvégien, affirmait que les traces de produits nocifs étaient finalement infimes et que même les femmes enceintes n'en mangeaient pas encore assez.

Ces allégations devant des millions de spectateurs et présentées par un journaliste intègre eurent certainement un effet libérateur dans l'ensemble de la filière et on devait s'attendre à cette renaissance majestueuse du saumon norvégien, dignité reconquise, désormais blanchi.