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mercredi 30 octobre 2024

Un cartel hypocrite

Il y aurait à dire et à redire sur l’emplacement, le contenu, et l’existence même des cartels dans les musées, ces étiquettes qui nous indiquent ce qu’on doit penser des objets exposés. Le sujet a été évoqué plusieurs fois ici-même, pas toujours sérieusement.

Imaginons, déambulant dans l’aile nord du musée des Beaux-arts de Bordeaux consacrée aux peintres français des 19 et 20ème siècles, que vous soyez frappés par l’atmosphère dramatique de ce tableau en illustration, par la noirceur du ciel, de la falaise et des rochers, la pâleur du cadavre nu, le chien hurlant, les énormes vagues qui se précipitent sur ces petites silhouettes embrumées, le geste pathétique du personnage central intimant à son téméraire compagnon "non, n’y retourne pas, tu risques de te mouiller !", bref tous les signes d’un drame de la mer en bonne et due forme, sur près de 4 mètres carrés de peinture à l’huile. 

Impatients de découvrir les circonstances de cette tragédie, peut-être un évènement historique comme "Le corps sans vie de l’explorateur Benoit Esperandieu soustrait aux flots en furie lors du naufrage de la frégate l’Insubmersible sur les côtes septentrionales de l’Islande…", vous vous approchez pour lire le vieux cartouche à l’orthographe douteuse manuscrit sur le cadre doré du tableau : 

HUET Paul, NÉ A PARIS EN 1804_1869, VUE DES FALAISES DE HOULGATT, ENVOI ETAT 1863

Déçus, vous vous approchez du petit cartel de carton blanc collé près du cadre :

Paul Huet (Paris, 1803 - Paris, 1869), Vue des falaises de Houlgate (Sea Cliff at Houlgate, Normandy), 1863, Huile sur toile, Dépôt de l’Etat, bla, bla, bla…

Ainsi vous seriez devant une bête et touristique Vue des falaises de Houlgate par Paul Huet, comme on dirait une Vue du bassin aux nénufars de Giverny par Claude Monet, rien de plus. 

Qui a longé, sur la plage qui joint Houlgate à Villers-sur-mer, ces falaises dites "des Vaches noires" pour les gros rochers sombres qui paissent sur la plage, sait qu’elles ne ressemblent pas à la falaise de calcaire normande typique. Instables et (coupez le son avant de cliquer le lien suivant) déchiquetées, elles sont faites d’une marne sombre gorgée de fossiles antédiluviens, qui glisse et déboule parfois en bloc vers la mer. Huet les a représentées un jour de forte marée. Il en a seulement un peu forcé les dimensions et l'aplomb. La tempête qui approche n’est pas rare à ces hautes latitudes. Les petites silhouettes animées ne sont peut-être que des baigneurs exaltés par l'agitation des rouleaux, et la scène du premier plan une banale noyade, un fait divers courant qu’il n’a pas jugé utile de commémorer dans le titre.

Car "Paul Huet était né triste" disait Jules Michelet dans l’éloge funèbre du peintre en 1869.
 
Et c’est là sans doute l’explication de ce cartel impersonnel. D'une scène, d'une situation, d'un paysage, Huet ne percevait que le lugubre. Marqué par le romantisme dépressif de son temps et par des infortunes plus personnelles, grand ami du poète Lamartine et du peintre Delacroix, admiré par Victor Hugo, il était convaincu que la raison d'être de la nature et des éléments est d’écraser, de noyer, de ruiner les destinées humaines.
Voyez par exemple ce qu’il ressentait devant quelques rochers à Fontainebleau ou sous le crachin près de saint Cloud.

Les collections publiques en France, principalement le Louvre, possèdent nombre d’œuvres de Paul Huet, recensées dans la base de données Joconde. Essentiellement des paysages.

Généralement ténébreux, ils souffrent peut-être de la médiocrité des reproductions de la base Joconde ou de l'attente d'une restauration, mais surtout de la vision chroniquement ennuagée du peintre (et d'une technique souvent grossière et expéditive).

Dans ce recensement, parmi une quinzaine de dessins préparatoires au crayon et à l’aquarelle réalisés au pied des falaises des Vaches noires en 1860 (probablement à l’automne), et réunies dans un album conservé au Louvre, se distingue une feuille sur laquelle le peintre a déjà disposé les plus gros rochers au pied de la falaise et esquissé des personnages fantomatiques, dont le noyé et ses porteurs, première pensée du tableau de 1863 écrit le fils du peintre sur l'album. 


Enfin on remarquera, sur la fiche consacrée à ce tableau de 1863 aujourd'hui à Bordeaux, que la base Joconde ne s'est pas laissée impressionner par son titre laconique et vaguement hypocrite de Vue des falaises de Houlgate
On y lit scène, cadavre, noyade, secours et tempête dans les mots-clés du sujet représenté, et des précisions sur le sujet sont libellées ainsi :

À gauche, la mer soulevée par la tempête, à droite, sous un ciel sombre, des falaises à pic qui s'allongent jusqu'à l'horizon et se perdent dans la brume. Au premier plan, deux hommes emportent le corps d'un naufragé ; un chien pousse des hurlements ; un peu plus loin, à côté d'une charrette, quelques personnes paraissent attendre, tandis que d'autres s'élancent au milieu des lames pour arracher à la mer ceux qu'elle vient d'engloutir.

dimanche 14 avril 2024

Ce monde est disparu (12)

Francis Silva, Lever de soleil à Tappan Zee (Vente Sotheby's 3.12.2008, résultat : 2 570 000$

Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.


Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886. 

Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.

Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères). 


Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.

C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.

Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.


Cependant sa cote grimpe doucement, et atteint parfois des sommets - voir le commentaire de notre illustration d'entête - mais reste très disparate, comme le montrent les enchères récentes illustrées sans ordre ci-dessous, de gauche à droite et de haut en bas.

1. Octobre sur l'HudsonChristie's 22.05.2014, 941 000$
2. La plage de Long Branch - Christie's 18.01.2024, 78 000$
3. Octobre sur l'Hudson - Sotheby's 3.12.2008, Invendu
4. L'Hudson, au loin les Catskills - Sotheby's 19.04.2023, 254 000$
5. Sur la North River - Sotheby's 19.01.2024, Invendu
6. Cape Ann - Sotheby's 19.01.2024, Invendu

vendredi 5 avril 2024

Mais où était le peintre ? (6)

Dans le catalogue de l’exposition de peintures de la Royal Academy de 1833, page 23, sous le titre du tableau n°462, "Mouth of the Seine, Quille-Bœuf", l’auteur, William Turner, écrit :
"Cet estuaire est si dangereux à cause de ses sables mouvants, que tout navire qui touche les fonds est susceptible d'être échoué et submergé par la marée montante, qui s'y précipite en une seule vague. Cette vague est connue localement sous le nom de Mascaret ou Barre".


Dans la série "Où était le peintre" (qui n’était qu’un mot-clef et devient une série), examinons aujourd'hui l’opus 6, un des plus spectaculaires tableaux de William Turner, un paysage fluvial et dramatique exposé de nos jours à Lisbonne dans le musée de la collection Gulbenkian, l’embouchure de la Seine à Quillebeuf.


Jacques-Émile Blanche, dans ses fastidieux "Propos de peintre" affirmait que Turner au moment de mourir se serait exclamé  "Que n’aurais-je pas fait si j’avais eu cet instrument - le daguerréotype, le premier procédé photographique - à mon service !". Turner pensait peut-être, si l’anecdote est vraie, qu’il aurait ainsi économisé tout le temps passé dans ses voyages à travers l’Europe à remplir ses innombrables carnets de croquis et ses esquisses à l’aquarelle.

Mais la photographie à ses débuts, du vivant du peintre, de 1840 à 1850, exigeait un matériel lourd, lent, encombrant, impraticable sous les intempéries, et qui ne lui aurait pas permis tous ces points de vue rapportés de l’estuaire de la Seine à Quillebeuf, ses silhouettes dans les carnets et ses multiples aquarelles ou gouaches, autant d’impressions qui le conduisirent à cette grande toile de 1833.  

Impressionné et secoué par la marée montante pendant ses séances d’esquisses en bateau dans l'estuaire, le lyrique Turner en a fait une lutte mouvementée contre le courant et finalement un naufrage. Sur une bonne reproduction du tableau (celle de Google ArtsandCulture - notre illustration en taille réelle), ou en se rendant à Lisbonne, on distinguera dans les embruns à droite la hune de vigie d’un bateau qui sombre, et à gauche nombre de poissons, la pêche perdue, où se précipite le tourbillon des mouettes. 


Les âmes fétichistes et bourlingueuses qui souhaiteraient aller à Quillebeuf pour reproduire en photographie le point de vue du peintre - elles sont plus nombreuses qu’on le croit - seront désappointées, parce que la forme d'une ville change plus vite (hélas, s'exclamait Baudelaire) que le cœur d'un mortel, et que dans l'estuaire l’humain ne s’est pas gêné pour modifier le paysage plutôt que s’y adapter.


En 1829 Charles Motte graveur et éditeur parisien ouvrait une filiale à Londres et publiait, entre 1829 et 1831, Les rives de la Seine en 59 planches dessinées d’après nature par Deroy et lithographiées et éditées par Ch. Motte, magnifique édition dont une des 59 stations était QUILLEBŒUF.

Au même moment, entre 1829 et 1832, Turner (qui vivait à Londres) allait visiter les rives de la seine et y dessinait notamment sa suite sur Quillebeuf. Coïncidence ?


On constatera, comparant les vues de Deroy et Turner aux images modernes par satellite ou au sol, que le port n’est plus là. Le plan d’eau, zone de sables mouvants plus ou moins recouverte au gré des marées et limitée par le quai aux pieds du phare et de l’église, n’existe plus aujourd’hui. La berge fortifiée en pierres du modeste canal de Saint-Aubin était sans doute ce quai ensoleillé battu par le mascaret chez Turner, et toute la zone de champs et prairies qui se prolonge maintenant sur 4km vers le nord-ouest jusqu’au pont de Tancarville - donc dans le dos du spectateur - a été "conquise" depuis sur les marais et la Seine.

Mais le fleuve sommeille, et le secteur demeure inondable. 

Postscriptum : voir les informations sur le naufrage du Télémaque dans les commentaires en fin de chronique.


Reste le mystère du phare. Sur la gravure d’après Deroy, comme sur les vues de Turner, sa forme et ses dimensions ressemblent beaucoup au phare actuel, mais sa distance à l’église Notre-Dame-de-Bonport ne dépasse pas une cinquantaine de mètres (il s’élève à 12m.). Chez Turner il borne le quai de pierres d’origine (au centre de cette vue actuelle) alors qu’il se trouve aujourd'hui nettement plus loin, à 150 mètres de l’église.

Aurait-il été déplacé ? 

Le site des monuments historiques précise que l’ancien feu construit avant 1817 a été "remplacé" par le phare actuel achevé en 1862, donc pas déplacé. Et Wikipedia déclare que le phare existait en 1824 - avant le passage des artistes - et a été seulement amélioré en 1862. Licence topographique de Deroy et surtout de Turner, qui se seraient permis de rapprocher les éléments de la scène pour en accentuer l’effet dramatique ?


Remarque : dans la gravure de Motte la tour est dessinée par erreur sur le flanc sud de l'église alors qu'en réalité elle est dans le prolongement de la nef, le dessin original de Deroy étant sans doute ambigu.


En conclusion, on a parfois tort d’affirmer, après Shakespeare, que la réalité est plus riche que toutes les fictions, et on conseillera plutôt d’aller admirer la vision un peu théâtrale de Turner à Lisbonne plutôt que de risquer le voyage à Quillebeuf, car on a oublié de mentionner que quelques usines chimiques à fort risque, classées "Seveso seuil haut", dont l’énorme raffinerie Exxon-Mobil-Esso, ont trouvé les gravures de Deroy tellement romantiques qu’elles ont choisi de s’installer définitivement en face, sur l’autre rive, à Port-Jérôme-sur-Seine, à 500 mètres à peine du sujet de notre chronique.


samedi 20 janvier 2024

La vie des cimetières (111)

Varengeville-sur-Mer, le cimetière ancien et l'église Saint-Valery. Notez l'épitaphe "Il a su défendre le sol qui le recouvre" qui prend une teinte ironique quand on sait le sort imminent du cimetière.

Si l’effondrement prévu de la civilisation épargne quelques groupes d’êtres humains dans les environs de Varengeville-sur-Mer (en Normandie à 8km à l’ouest de Dieppe), les statistiques des géologues annoncent qu’ils assisteront dans 150 ans au plus tard à l'éboulement de la falaise calcaire qui emportera le cimetière dans les flots, suivi de peu par l’église Saint-Valery qu’il entoure.

Un écroulement exceptionnel plus précoce n’est pas exclu. La mairie surenchérit en précisant qu’à cet endroit de la falaise l’érosion est quatre fois plus rapide que cette estimation. L’église était dit-on à 1000 mètres de la mer lors de son édification il y aura bientôt 1000 ans. 70 mètres seulement la séparent désormais des bords du dernier affaissement majeur.
Évidemment le creusement de nouvelles tombes y est interdit, et il est conseillé de se retenir d'éternuer quand on vient visiter un défunt.

Le cimetière en lui-même n’est pas très intéressant, mais le site, maritime, si près de la falaise, a toujours été prisé par les futurs défunts. On le notera à la densité de personnalités dans la liste avec photos des inscriptions et épitaphes du cimetière.
Et si on croit les promoteurs des jardins remarquables de Rhododendrons et d’hydrangeas avoisinant les lieux, il n’est pas un artiste important, écrivain, peintre ou musicien qui n’ait marqué de sa présence l’air pur et iodé des alentours depuis le 19ème siècle, Corot, Degas, Miró, Picasso, Prévert, Proust, Ravel, Renoir, Satie, et même Turner et Virginia Woolf avec des dizaines d’autres (ajoutez vos artistes préférés à la liste, personne n’ira vérifier).  

Un grand artiste au moins a laissé quantité de traces irréfutables de son attirance pour le site et de ses séjours à Dieppe et Pourville, Claude Monet, qui a beaucoup peinturluré dans le coin, à deux reprises en 1882 [les n°722-743, 751-790 et 791-808 du catalogue Wildenstein], et à nouveau en 1896 [n°1421-1471], environ 130 tableaux dont au moins 7 vues de la silhouette ensoleillée de l’église fatidique au sommet de la falaise.

Une des 7 vues de l'église Saint-Valery peinte par Monet en 1882, vendue en 2014 chez Christie's contre 7,2 millions de dollars.

Vue du site du cimetière de Varengeville sur Google Earth en ligne. C'est à l'orée du bois en haut à gauche de l'image, que Monet s'installait en 1882 pour peindre 4 de ses vues de l'église Saint-Valery.

vendredi 17 novembre 2023

La vie des cimetières (109)



Il y a bien longtemps, venu à pied de la lointaine Afrique, l’humain était contraint de s’arrêter à la fin de la terre, qu’il appela donc le Finistère. Impossible d’aller plus loin avant d'inventer le bateau.

Et encore, au début, le bateau lui servait surtout à arpenter les alentours, cueillir la sardine et la rapporter à sa veuve - car il périssait souvent en mer - ou à sa fille de 10 ans, qui l'allongeait soigneusement noyée d'huile dans des boites de métal (on parle là de la sardine) et dans des conditions de travail et d’hygiène discutables, et qui périssait donc beaucoup, elle aussi, d'épuisement ou d’épidémies de choléra, de diphtérie et d’autres variétés de ces bactéries taquines qui aiment tant les voyages en bateau. 


Heureusement, un riche industriel qui vendait lesdites sardines aux humains qui n’avaient pas osé s’aventurer dans cette région inclémente, pris de remords devant une telle hécatombe, offrit à sa ville un terrain vacant de plus d’un hectare, à Tréboul, pour y établir un cimetière devant la baie de Douarnenez. Geste philanthrope qui l’assurait en même temps d’être un jour enterré face à la mer qui l’avait enrichi - ce qui sera fait 26 ans plus tard - et entretenu par la municipalité reconnaissante jusqu’à la fin des temps. 

C'était en 1849. Depuis les sardines ont disparu de la baie mais les restes du prévoyant industriel sont toujours régulièrement honorés.


Évidemment, à la demande du gardien du cimetière qui interdit de photographier les tombes, ou alors, après négociation, en effaçant les noms gravés - sans quoi la mairie serait submergée de procédures judiciaires actionnées par des familles voyant leur nom diffusé sur internet dans une position peu avantageuse - nous ne citerons aucun des noms des locataires des cimetières de Douarnenez, seraient-ils renommés.

Et de toute manière ils seront vite oubliés. Il n’y a déjà plus de sardines, on l'a constaté plus haut, il n’y aura bientôt plus de poisson du tout et la mer viendra, deux fois par jour au commencement, empêcher les accès au cimetière inondé, jusqu’à ce qu’il justifie pleinement son titre si envié de cimetière marin.


Vous avez bien lu "les cimetières de Douarnenez", parce qu’il y en a au moins quatre. En 1945 la ville absorbait les communes de Ploaré (et un cimetière de 2 hectares), Tréboul (1,2 ha), Kerlouarnec (0,5 ha) et Pouldavid (0,4 ha), qui devenaient de modestes quartiers.


Nous évoquons aujourd’hui le plus pittoresque des cimetières, celui de Tréboul. C’est certainement, plus encore que celui de Talmont-sur-Gironde, le lieu où on aimerait que reposent tous les êtres qu’on a aimés, pour son ciel si capricieux, et pour la planéité presque parfaite de son horizon, propriété utile aux photographes qui évitent ainsi ces clichés penchés qui n'inspirent que des haut-le-cœur. 


Le voici en 1905 et vers 1920, plus pastoral que marin, puis surveillé par Gougueule en 2016 et en 2019. Entre ces deux photos trois vieux cyprès de Lambert en bord de mer devenus dangereux ont été sciés au ras, et le destin du géant centenaire survivant qui domine la petite plage en contrebas (à gauche) et perd au fil des tempêtes des branches de plus en plus lourdes, est maintenant incertain.


On ne compte plus dit-on les films et les séries mélodramatiques qui ont choisi ce cimetière pour décor. Il ne recèle pourtant pas de curiosités funéraires particulières et on doit s’y sentir à l’étroit, dans moins de 5 mètres carrés par emplacement, mais il offre, de chacune des tombes installées sur sa pente, orientée précisément vers le nord, un panorama photogénique et parfaitement exposé sur la baie de la sardine. 


Et pour rester dans le domaine des poissons, parmi ses 2000 tombes est parait-il enterré un curieux poète hydropathe mort à Tréboul et lauréat du premier prix Goncourt, en 1903, pour un roman frénétique et sombre dont on retiendra surtout que certains des personnages souffraient de merlancolie.


À suivre… dans La vie des cimetières (110)


lundi 30 octobre 2023

Histoire sans paroles (47)

Encore un drame de la mer, dans la plus parfaite indifférence.

samedi 20 mai 2023

Ce monde est disparu (2)


C’était une plage des Pays-Bas, alors Provinces-Unies, animée par Simon de Vlieger vers 1646.

Le 17ème siècle fut l’époque de la grande prospérité pour les Pays-Bas, et l’âge d’or pour les peintres hollandais, qui étaient les premiers à reproduire fidèlement le monde qui les entourait, tel qu’ils le voyaient, et tel que le réclamait la nouvelle bourgeoisie, plus attirée par les images prosaïques de son quotidien que par les mirages de la peinture religieuse.

Le genre le plus ingrat était le paysage marin : les plages infinies, sans reliefs, les ciels gris, le sable… Pas de quoi retenir l’intérêt du bourgeois. Cependant il s’en vendit des milliers, peut-être parce que dans ce pays sans ressources la fortune venait du grand large, du commerce de la mer Baltique à l’océan indien.
Et puis De Vlieger (suivi par Adriaen van de Velde et Jan van de Cappelle) était un maitre dans l’art d’animer les bords de mer, dans le rendu des atmosphères et des ciels brouillés, plombés, orageux, balayés par le vent, et qui s’étendaient sur les trois-quarts de la toile.

En réalité ce panier de Simon de Viegler qui sèche sur une ancre abandonnée, ces rideaux de pluie, ce carrosse spectral, ne sont pas encore tout à fait disparus. Ils s’évanouiront le 25 mai 2023 vers 11 heures (17h en France), à New York, chez Christie’s, où un Siberechts fut naguère aperçu.