Il y aurait à dire et à redire sur l’emplacement, le contenu, et l’existence même des cartels dans les musées, ces étiquettes qui nous indiquent ce qu’on doit penser des objets exposés. Le sujet a été évoqué plusieurs fois ici-même, pas toujours sérieusement.
Imaginons, déambulant dans l’aile nord du musée des Beaux-arts de Bordeaux consacrée aux peintres français des 19 et 20ème siècles, que vous soyez frappés par l’atmosphère dramatique de ce tableau en illustration, par la noirceur du ciel, de la falaise et des rochers, la pâleur du cadavre nu, le chien hurlant, les énormes vagues qui se précipitent sur ces petites silhouettes embrumées, le geste pathétique du personnage central intimant à son téméraire compagnon "non, n’y retourne pas, tu risques de te mouiller !", bref tous les signes d’un drame de la mer en bonne et due forme, sur près de 4 mètres carrés de peinture à l’huile.
Impatients de découvrir les circonstances de cette tragédie, peut-être un évènement historique comme "Le corps sans vie de l’explorateur Benoit Esperandieu soustrait aux flots en furie lors du naufrage de la frégate l’Insubmersible sur les côtes septentrionales de l’Islande…", vous vous approchez pour lire le vieux cartouche à l’orthographe douteuse manuscrit sur le cadre doré du tableau :
HUET Paul, NÉ A PARIS EN 1804_1869, VUE DES FALAISES DE HOULGATT, ENVOI ETAT 1863
Déçus, vous vous approchez du petit cartel de carton blanc collé près du cadre :
Paul Huet (Paris, 1803 - Paris, 1869), Vue des falaises de Houlgate (Sea Cliff at Houlgate, Normandy), 1863, Huile sur toile, Dépôt de l’Etat, bla, bla, bla…
Ainsi vous seriez devant une bête et touristique Vue des falaises de Houlgate par Paul Huet, comme on dirait une Vue du bassin aux nénufars de Giverny par Claude Monet, rien de plus.
Qui a longé, sur la plage qui joint Houlgate à Villers-sur-mer, ces falaises dites "des Vaches noires" pour les gros rochers sombres qui paissent sur la plage, sait qu’elles ne ressemblent pas à la falaise de calcaire normande typique. Instables et (coupez le son avant de cliquer le lien suivant) déchiquetées, elles sont faites d’une marne sombre gorgée de fossiles antédiluviens, qui glisse et déboule parfois en bloc vers la mer. Huet les a représentées un jour de forte marée. Il en a seulement un peu forcé les dimensions et l'aplomb. La tempête qui approche n’est pas rare à ces hautes latitudes. Les petites silhouettes animées ne sont peut-être que des baigneurs exaltés par l'agitation des rouleaux, et la scène du premier plan une banale noyade, un fait divers courant qu’il n’a pas jugé utile de commémorer dans le titre.
Car "Paul Huet était né triste" disait Jules Michelet dans l’éloge funèbre du peintre en 1869.
Et c’est là sans doute l’explication de ce cartel impersonnel. D'une scène, d'une situation, d'un paysage, Huet ne percevait que le lugubre. Marqué par le romantisme dépressif de son temps et par des infortunes plus personnelles, grand ami du poète Lamartine et du peintre Delacroix, admiré par Victor Hugo, il était convaincu que la raison d'être de la nature et des éléments est d’écraser, de noyer, de ruiner les destinées humaines.
Les collections publiques en France, principalement le Louvre, possèdent nombre d’œuvres de Paul Huet, recensées dans la base de données Joconde. Essentiellement des paysages.
Généralement ténébreux, ils souffrent peut-être de la médiocrité des reproductions de la base Joconde ou de l'attente d'une restauration, mais surtout de la vision chroniquement ennuagée du peintre (et d'une technique souvent grossière et expéditive).
Dans ce recensement, parmi une quinzaine de dessins préparatoires au crayon et à l’aquarelle réalisés au pied des falaises des Vaches noires en 1860 (probablement à l’automne), et réunies dans un album conservé au Louvre, se distingue une feuille sur laquelle le peintre a déjà disposé les plus gros rochers au pied de la falaise et esquissé des personnages fantomatiques, dont le noyé et ses porteurs, première pensée du tableau de 1863 écrit le fils du peintre sur l'album.
Enfin on remarquera, sur la fiche consacrée à ce tableau de 1863 aujourd'hui à Bordeaux, que la base Joconde ne s'est pas laissée impressionner par son titre laconique et vaguement hypocrite de Vue des falaises de Houlgate. On y lit scène, cadavre, noyade, secours et tempête dans les mots-clés du sujet représenté, et les précisions sur le sujet sont libellées ainsi :
2 commentaires :
A la demande du fantôme de notre cher Anacharsis, j’ai demandé à madame Gougueule de rechercher ce « Benoit Espérandieu »
Elle m’a trouvé en premier lieu un adhérent de Fédération FR de water-polo à Noisy-le-Sec.
Suggérez donc au musée de rectifier le cartel en « Fin de partie dramatique de water-polo à Houlgate ».
Vous avez cherché parmi nos contemporains, mais mon Benoit est mort en 1860, le jour même où Huet esquissait sur la plage fatale. En outre (de mer), le water-polo serait né, d'après mon petit doigt, en 1869, année de la mort du peintre. Tout cela pour dire que votre proposition serait d'emblée rejetée comme anachronique.
Ah pendant que vous êtes là, j'ai tenté d'envoyer un commentaire sur votre chronique du changement d'heure, et je me suis vu injurier par un court message incompréhensible et rouge, et votre blog a refusé d'écouter 3 de mes navigateurs chevronnés pourtant.
Alors j'ai ajouté ce commentaire migrant à ma chronique "Tableaux singuliers (21)" du 23 octobre, où elle n'a rien à faire.
Désolé !
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