dimanche 13 octobre 2024

Sous les yeux d'Oloron


Au milieu du Moyen-Âge, dans ce qui deviendra petit à petit la France, le premier ordre religieux catholique un peu organisé, l’ordre des Bénédictins, arrangeait à sa manière les préceptes déjà souples de saint Benoît et créait un réseau croissant de monastères pilotés par l’abbaye de Cluny. Libre entreprise et gestion efficace, la fédération était puissante et prospère. 
Et c’était la seule agence de voyages organisés un peu sérieuse du temps. Le 11ème siècle finissant, le succès de la première croisade pour Jérusalem avait insufflé dans toutes les âmes l’élan expansionniste de la parole divine. 

L’ordre des Bénédictins ne proposait pas seulement des voyages chimériques vers un au-delà consolateur des souffrances terrestres, il forgeait lui-même les preuves sur terre de l’existence de ce monde imaginaire. Il en construisait les décors, les édifices religieux, les cathédrales, il y déposait des reliques de l’histoire sainte et en faisait les étapes habilement réparties d’un long itinéraire touristique qui sillonnait tout le pays jusqu'à Compostelle, au fin fond de l’Espagne, le point le plus éloigné vers l’ouest qui ne fut ni arabe, comme le sud du pays, ni encore un peu viking, comme la Bretagne.  
Et chez les Bénédictins, on ne lésinait pas ; les architectes les plus renommés croisaient les sculpteurs les plus adroits et inventifs. Rien n’était trop beau pour attirer et retenir le client dans ce long pèlerinage vers une fiction (tous les spécialistes reconnaissent que l’apôtre Jacques, s’il a existé, n’aura jamais mis les pieds, ni les os, en Espagne).

Oloron Sainte-Marie, au pied des Pyrénées, était alors un important point de ralliement des pèlerins, à 850 kilomètres du terminus. Aux premières années du 12ème siècle, Gaston 4 vicomte de Béarn, de retour victorieux de la croisade, y lançait la construction d’une cathédrale, relayée, et terminée en 1168 par des moines Clunisiens prieurs de Sainte-Foi, à Morlaàs.
Après nombre de pillages, ravages et incendies (trois dont un accidentel, par la foudre), il ne reste aujourd’hui de la cathédrale originelle que le porche-clocher, à l’ouest, et un portail remarquablement décoré qu’il protège des intempéries depuis près de 900 ans.

Au haut du portail, le tympan, en bas-relief, est d’un style sinueux et plat. Les chapiteaux ont probablement été sculptés par les mêmes mains. 
Mais l’archivolte, qui coiffe le tympan, est emplie de figures alignées en hauts-reliefs d’une vigueur réaliste bien plus expressive. 24 personnages sur la voussure intérieure sont occupés à des activités quotidiennes qui semblent suivre de gauche à droite une chronologie ("les saisons" dit Wikipedia), et 24 vieillards couronnés et musiciens (comme à Moissac ou Chartres) occupent la voussure extérieure.

Il est extraordinaire et rare que la plupart des figures aient conservé dans leurs orbites ces billes de verre uniformisées qui leur confèrent le même regard étonné, halluciné, mais si vivant.
Et il est étonnant que ces yeux de verre qui ont vu tant de flammes et de razzias - durant ces siècles où tant de chapiteaux, de statues ont été mutilées - n’aient pas attiré plus de voleurs. Récemment encore, en novembre 2019, une voiture-bélier mal intentionnée épargnait le portail pour lui préférer la petite porte sud de la cathédrale. Les cambrioleurs, esthètes mais discourtois, n’ont subtilisé que quelques pièces de valeur choisies dans le trésor liturgique, et se sont éclipsés promptement sans refermer la porte derrière eux.



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