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vendredi 7 juin 2024

Ça va trop vite (Ben)

 

– Ça passe pas vite aujourd'hui.

– Évidemment, tu bois rien.

JM. Gourio - Le petit troquet des brèves de comptoir. On ferme ! 2015



Ben Vautier, l’artiste conceptuel qui signait de son nom les textes des autres, le préféré des écoliers et des fournisseurs de matériel scolaire et de bureau, n’est plus.


C’est allé très vite.

Le 3 juin, il écrivait, dans une dernière newsletter de son journal en ligne, quelques-unes de ses petites irritations habituelles,

Le 4 juin, sa femme mourait à 85 ans d’un accident cérébral,

Le 5 juin, il stoppait tout le manège d'une manière non conventionnelle (il avait écrit dans sa newsletter du 11 mai 2022 J’aimerais en cadeau un Beretta chargé pour pouvoir me suicider quand j’en ai envie.) 


Depuis notre chronique de 2019, il n’y a rien à ajouter sur son art, ses slogans aléatoires et sa mégalomanie bonhomme. Cet héritier des Fumistes - en moins rigolo - est entièrement dans son Musée du doute, à Blois.


Pendant ce temps-là…


Arrhenius, chimiste visionnaire, prédisait déjà en 1895 que si le taux d’émission de gaz carbonique des industries de son époque doublait, la température moyenne de la Terre augmenterait de 4°C à 5°C dans les 3000 ans à venir. On ne l'avait pas réellement pris au sérieux.

130 ans plus tard, aujourd’hui, il ne passe pas une semaine sans qu’une retentissante tribune dans les principaux journaux quotidiens, signée par des scientifiques reconnus de plus en plus nombreux, nous fasse comprendre que le dérèglement climatique va plus vite que ce que prévoyaient leurs algorithmes, beaucoup plus vite. 

Ils savent que les décideurs ne feront rien, mais ils se libèrent ainsiiciiciiciicid’une responsabilité imaginaire.


Ben en aurait produit un de ses dictons multiusages : Ça va trop vite. 

Peut-être, parmi des milliers, l’a-t-il déjà écrit. 


dimanche 12 août 2018

Autoportraits... et poursuite du vent

Toute activité humaine est naturellement égocentrique. Et quand elle s’exerce dans le domaine de l’art, activité qui a déjà pour ambition de se faire remarquer, il n’est pas rare que l’auteur patauge avec complaisance dans la mégalomanie.

Ainsi le grand compositeur de musique de films américains, Gustave Mahler, qui, avec les 100 minutes de sa 3ème symphonie, avait pulvérisé le record de 80 minutes des symphonies 5 et 8 du tenant du titre, Anton Bruckner, n’était toutefois pas pleinement satisfait. Après plus d’une décennie d’un entrainement intensif, il parvenait à faire exécuter à Munich, le 12 septembre 1910, sa 8ème symphonie, par un effectif de 1029 musiciens, un pour trois spectateurs. Tous les écrivains et musiciens célèbres du continent s’y ruèrent.

En peinture, l’unité de mesure de cette pompeuse surenchère est classiquement le mètre carré. Un artiste réellement consciencieux, avec pour horizon les cimaises des musées, ne barbouillera pas moins de 4 mètres carrés par œuvre.
Mais il est une spécialité plus rare, peu pratiquée car très périlleuse, qui est un peu le sommet de la mégalomanie car elle allie quantité et narcissisme : c’est le double, le triple, voire le quadruple autoportrait.

L’autoportrait simple est une manie courante chez le peintre comme chez l’écrivain, par mesure d’économie, peut-être, car l’auteur est son modèle le plus proche, et disponible, mais surtout par un nombrilisme primordial. Albrecht Dürer, par exemple, s’aimait tant qu’il s’est représenté souvent, très avantageusement, selon l’iconographie usuelle d’un Christ salvateur, ou déambulant au centre d’un massacre biblique de corps mutilés, de têtes et de membres, et tenant bien en évidence un petit panneau portant son nom et son monogramme, comme un guide dans un groupe de touristes.

L’outil essentiel à l’autoportrait du peintre est le miroir. L’autoportrait double, c’est à dire le peintre se représentant peignant son autoportrait, également visible sur la toile, demande un deuxième miroir (n’est-ce pas ?). Au-delà, pour l’autoportrait triple ou plus, on utilise des montages, des photographies, ou des complices travestis.
Le miroir inverse l’image sur un axe vertical. Si l’on en faisait les statistiques, 85% des autoportraits devraient montrer un peintre gaucher. S’il s'est figuré droitier, vous pouvez parier avec une chance de gain de 85% qu’il à utilisé deux miroirs, le second redressant le renversement vertical opéré par le premier. (vous suivez toujours ?)


Voici en illustrations quelques exemples épineux. Ne les examinez pas sans avoir au préalable avalé deux ou trois comprimés d’aspirine.



En haut à gauche, Salvador Dalí, qui était droitier, peint cet autoportrait au miroir avec sa femme posant en 1973, soit (version laborieuse) en regardant, dans un petit miroir qu’il tient de la main gauche, la scène reflétée par un très grand miroir qui se trouve dans son dos, soit (version simplifiée) d’après une photographie de la scène prise par un tiers à la place du grand miroir. 

En dessous à gauche, Léon Spilliaert, peintre belge assez neurasthénique qui pratiquait couramment l’autoportrait, s’est peint ici en 1908 au lavis, pastel et crayons de couleurs, dans une pièce présentant deux grands miroirs parallèles qui se regardent. Au moins le semble-t-il, si on ne remarque pas certaines imprécisions, comme le premier reflet du peintre, de dos, qui est manquant, et les feuilles de papier blanc dont l’orientation devrait être inversée en alternance. L’essai est louable mais ne procure pas le vertige qu’Orson Welles créait en 1941 en montrant, avec les mêmes moyens, le désespoir du citoyen Kane

En haut à droite, Norman Rockwell, le plus célèbre des illustrateurs de la vie de l'Américain moyen du nord, réalisait en 1960, pour une couverture du Saturday Evening Post, ce triple autoportrait malicieux, à l’occasion de la parution de sa propre autobiographie (oui, ça se complique un peu dans le genre narcissique). Il l’a réalisé d’après des photographies qu’il a mises en scène et dont on trouve des exemplaires sur internet. Quelqu’un à même pensé un jour qu’il serait malin de sculpter la scène figurée sur l’illustration. On trouve probablement cet objet en trois dimensions dans le musée uniquement consacré à Norman Rockwell, à Stockbridge dans le Massachusetts (arrivé à ce point, le thermomètre à vanité ne fonctionne plus). 

En bas à gauche, Alfred Le petit, journaliste et caricaturiste, a peint cet autoportrait quadruple en 1893. C’est un record sans doute, mais certainement un montage total. L’auteur de ces lignes a vidé un tube entier de comprimés sans parvenir à reconstituer la position des différents miroirs. 

En bas à droite, Giorgio de Chirico peint en 1922 cet autoportrait singulier et ironique (peut-être), où il est dévisagé par son propre buste de profil. Il serait savoureux qu’il ait réalisé lui-même le buste pour le peindre (de Chirico était également fervent sculpteur), mais il est sans doute imaginaire.

jeudi 23 juin 2016

Dernières nouvelles du Louvre

Il y aura toujours des touristes prêts à braver les risques d'attentat et les augmentations de tarif pour contempler les rondeurs de la Psyché ou de l'Amour du sculpteur Canova.


C’est avec la ponctualité des phénomènes astronomiques que le plus grand musée de l’univers, le Louvre de Paris, vient de publier son rapport d’activité pour l’année 2015. Et on ne peut se retenir d’être un peu déçu.

Car le rapport de 2014 avait constaté une extension de la surface des planchers du musée qui s’était étendue de 48% pour atteindre 360 000 mètres carrés. Or en 2015, pas la moindre extension ? Si cela se trouve les 14,5 kilomètres de couloirs d’exposition n’ont pas augmenté non plus !
Il y a pire, le nombre de visiteurs est passé de 9,3 millions (en 2013 et en 2014) à 8,5 millions. 20% de baisse pour les français et 5% pour les étrangers qui constituent maintenant 75% des visites. Le chemin vers l'infini est parsemé d'obstacles.

Mais le nombre de billets vendus a été stable dit-on, à 4,2 millions. On respire un peu, car la hausse de 25% du prix du billet d’entrée en juillet 2015 aura largement compensé la chute de fréquentation (alors qu’elle en est responsable pour une bonne part, sans doute avec le climat d’inquiétude dû aux attentats dans la capitale).

Par bonheur tout ne suit pas toujours la pente naturelle de la gravité et on notera une certaine stabilité du nombre de pompes à eau des fontaines de la cour Napoléon, qui est toujours de 50 (on se demande qui cette information peut bien intéresser dans un rapport d’activité).
Notons également que le riche mécène et truand Ahae n’est définitivement plus dans la liste des bienfaiteurs du musée (au moment où son cadavre était apparu dans un verger de Corée du sud en 2014 son nom avait disparu du rapport d’activité).
Le nombre d’œuvres prêtées à d’autres musées - entendez louées contre rémunération - enregistre une croissance de 62% et passe de 2000 pièces à 3104.
Enfin la flambée du prix des billets a entrainé une hausse de 19% du budget d’acquisition d’œuvres et ainsi permis d’augmenter de 43 unités les 568 000 pièces de la collection du musée (dont seulement 6% sont exposés au public).

On le constate, tout n’est pas totalement négatif dans ce bilan et on notera, si on a le courage de lire les longs chapitres d’autosatisfaction de cette cuvée 2015, que les nouveaux responsables du musée depuis 3 ans n’ont aucun motif d’envier les précédents sur le chapitre de la mégalomanie.

vendredi 28 février 2014

Tout s'emballe


Dès son plus jeune âge Christo Javacheff souffrait d'une obsession, une idée fixe qui le poussait à empaqueter tous les objets alentour. Certains croient que le choc émotionnel originel aurait été la présence des cadavres de partisans communistes gisant dans les rues, recouverts d'un drap, en Bulgarie en 1943, ou l'épuration sanglante de l'automne suivant quand les mêmes partisans (les survivants) prirent le pouvoir aidés par l'armée soviétique. Christo avait 9 ans.
Pour un enfant élevé dans un milieu artistique, cette réalité était certainement inacceptable. Il fallait la dissimuler sous des draps épais et la ficeler pour l'empêcher de ressortir.

Christo emballa d'abord des boites de conserve, des magasines, des mobylettes. Comme il était incapable ensuite de les déballer (à cause du traumatisme originel, évidemment) les paquets s'amoncelaient dans son petit appartement. Pour libérer de la place il les exposa donc dans des galeries d'art complaisantes où ils trouvèrent une profonde résonance dans les fantasmes des collectionneurs et du public.

Puis les choses s'emballèrent, démesure et mégalomanie. Christo demanda qu'on l'appelle désormais « Christo and Jeanne-Claude » et se mit à empaqueter des monuments de plus en plus monumentaux, deux kilomètres de côte australienne en 1969, le Pont-neuf de Paris en 1985, jusqu'au parlement allemand en 1995 (Wrapped Reichstag).
Ce fut un triomphe : 5 millions de visiteurs à Berlin en deux semaines ! Aucune exposition n'a jamais atteint le quart de cette fréquentation.

Cependant, même totalement financées par l'auteur, ces œuvres pharaoniques installées sur des édifices publics ne sont que temporaires, et il n'en restera jamais que du papier, des études chiffrées, des dessins préparatoires et des reportages photographiques.
Alors pour affronter l'éternité « Christo and Jeanne-Claude » conçut le Mastaba, un gigantesque hexaèdre creux en forme de prisme droit dont deux faces sont des trapèzes isocèles, et qui serait posé en plein désert, au sud d'Abu Dhabi. Il y resterait indéfiniment. Les faces seraient constituées de 400 000 bidons de pétrole diversement colorés, et le tout dépasserait de quelques centimètres la hauteur de la plus grande pyramide de Gizeh.

Voilà trente ans que l'artiste essaie de convaincre les émirs arabes unis d'accepter la construction de ce Taj Mahal du désert, devenu un mausolée en mémoire de la femme qui partagea toute sa vie et son œuvre, qui organisait la réalisation de tout ce qu'il concevait, Jeanne-Claude, morte depuis 2009, et sans qui il serait peut-être encore un emballeur de mobylettes.

Ceci dit, après ce long préambule sur l'art de l'emballage, quel est l'objet caché sous la toile de l'illustration ?

***
Toutes les images en lien proviennent du magnifique site de Christo, « Christo and Jeanne-Claude ».

samedi 8 septembre 2007

La vérité sur Léonard

En la matière, il y a les interminables biographies romancées *, et les véritables investigations historiques. C'est dans la dernière catégorie que se déclarait la troisième émission du magazine «Babylone» diffusée le 21.08.2007 par France 2. L'épisode s'intitulait «Les secrets de Léonard de Vinci». Après «Le tombeau du christ» et avant «Jacques l'éventreur», on pouvait s'attendre à de la dentelle.



Un résumé serait impossible, tant on y trouve foison de perles. Quelques exemples:
  • À propos de la Joconde : une œuvre presque irréelle tant elle est unique.
  • Devant une radiographie grisâtre, uniforme et floue : sous nos yeux éclate la matérialisation du sfumato.
  • En parlant de «la cène» de Milan : des milliers d'admirateurs devant ce tableau... (ça n'est pas un tableau mais une peinture directe sur un mur).
  • Ou encore : Léonard était un véritable autodidacte élevé dans les ateliers de la renaissance.
  • Et cette merveille : la vérité historique oblige à dire qu'il n'a pas inventé la bicyclette.


Mais ce sont là d'anodines anecdotes. Le vrai point fort de l'émission, qu'elle revendique à juste titre, est l'investigation historique. Et là c'est un festival scientifique.
L'auteur fait lourdement affirmer par de sentencieux pseudo-spécialistes d'absurdes élucubrations anachroniques sur un Léonard rose-croix, franc-maçon ou alchimiste, pour conclure habilement ses longues démonstrations par «mais la théorie est probablement fausse» ou «mais là encore rien ne permet de l'affirmer». Procédé hypocrite connu.
On n'échappera pas non plus à la présentation grandiloquente de l'interprétation faite par Freud du rêve du milan raconté par Léonard, commentaire unanimement reconnu comme erroné car dû à une erreur de traduction.




Enfin, il ne faut pas s'attendre à y admirer des œuvres de Léonard. C'est à dire trouver des images arrêtées de plus d'une seconde. Après tout, si on nous dit que c'est un génie, croyons le sur parole. Ça laisse du temps pour la mégalomanie. On y voit en effet l'auteur sous tous les angles, côtoyant les plus grands experts dans des paysages florentins repeints par des filtres agressifs, ou avançant avec détermination vers des murs sans issue, errant seul dans Paris la nuit et affirmant «l'énigme de Léonard n'existe pas!». Il vient de nous en servir une heure truffée de mystifications.

On a beau le voir tout le long film, j'ai oublié le nom du type, mais on dit qu'il est le fils d'un célèbre présentateur de journal télévisé.
Après un sournois «Il est temps de faire tomber les dernières idées reçues», l'auteur se ménage adroitement un argumentaire, en faisant témoigner Serge Bramly «Notre époque a totalement déformé la réalité du peintre. Léonard a eu tous les visages, on verra bien à quelle sauce va l'accommoder le 21ème siècle». Et bien on vient de le voir. Une fausse enquête sans autre objet que le narcissisme de l'auteur. Mais à voir ** néanmoins pour son aspect exemplaire: poncifs, clichés, lieux communs, stéréotypes, nombrilisme, sensationnalisme, dramatisation des riens, tout y est.
Prévoyez un anti-vomitif tout de même.

***
* Ce Glob Est Plat, toujours au fait de l'actualité la plus brûlante, consacrera très prochainement une chronique au film de 1971 (en 5 parties et presque 6 heures) de Renato castellani, «La vita di Leonardo da Vinci».

** Actuellement visible sur le site de France2 (le spectateur inconscient cliquera sur le lien "la vidéo intégrale") et également sur le réseau indicible.