Affichage des articles dont le libellé est Bilan. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Bilan. Afficher tous les articles

dimanche 4 février 2024

Améliorons les chefs-d’œuvre (28)

La Joconde améliorée, traitement numérique "à la Warhol", d’après un détail extrait d’une vidéo parue sur Le Parisien et filmée sans doute par David Cantinia de l’Agence d’État AFP (crédité sur certaines photos) et qui était là au bon moment. 
Voir aussi le détail brut extrait et non traité (GIF 619px 13Mo), le même au ralenti traité à la Warhol (GIF 450px 14Mo), ou réduit et en aller-retour (GIF 195px 10Mo), et une image fixe dramatisée extraite d’une vidéo CLPRESS).


Ce Glob faisait il y a 6 mois un tour succinct du phénomène d’Amélioration des chefs-d'œuvre des grands musées par les désespérés de l’écologie. Succinct parce que généralement ces actions manquent de savoir-faire, sont filmées à la hâte, et sont surtout trop éphémères. Tout est remis en ordre sans délai par les équipes d’entretien des musées et il n’en reste jamais de trace. 
Les matériaux employés sont pourtant novateurs, souvent comestibles, tarte à la crème, gâteau au chocolat, sauce tomate, purée de pomme de terre, potage aux légumes variés, pétrole, colle forte…, même si les techniques, héritées de la fameuse Abstraction gestuelle, ne sont pas très innovantes.
Et c’est peut-être ce qui nuit à cet art. Qui consulte aujourd’hui les médias constate que pour être un art contemporain il n’a décidément pas la faveur de nos contemporains.

Dimanche dernier 28 janvier au Louvre, deux artistes d’une obédience de résistance civile pacifique tentaient d’améliorer la Joconde de Léonard en maculant la vitre de son coffre blindé de soupe de légumes, à la manière de Jackson Pollock dans ses inspirations les plus lyriques, et avec un bel effet sur le bleu tuile de la cimaise, par le choix judicieux du potimarron. Mais l’action était malhabile, les deux courageuses débutantes ayant, emportées par leur courroux et dans la confusion des giclées de potage, salopé un peu partout autour de la noble italienne.

Évidemment, la presse, les réseaux sociaux et les ministres s’offusquèrent, avec la réthorique habituelle, "l’art c’est la culture, la culture c’est la nation, on ne peut tolérer d’atteinte à notre identité nationale, etc… etc…", "pourquoi gâcher ainsi de la nourriture…", et les commentaires étaient souvent injurieux et vindicatifs.
Même le narquois critique d’art suisse septuagénaire et progressiste du magazine bilan.ch était outragé et s’en prenait aux Verts écologistes et autres politiciens, les accusant d’inaction climatique, de luttes intestines, d’erreurs de cible, et reportant son amertume sur les deux innocentes, les accusant presque de couardise en affirmant qu’elles savaient ne rien risquer. Détrompez-vous M. Dumont, car plus la menace climatique approche, plus la législation et la répression se radicalisent en Europe, et les paisibles contestataires - voir par exemple le sort des opposants à la poubelle nucléaire de Bure dans la Meuse - sont désormais traités par la police et la justice à l'égal des terroristes (ce qui n’est pas le cas pour certains mouvements moins rigoureux en matière d'environnement).

Mais Ce Glob étant une publication paisible consacrée essentiellement aux images, on ne refera pas ici l’argumentaire sur le sujet ressassé de l’utilité de ces évènements artistiques, France-Culture en a fait en 2022 un récapitulatif pondéré suffisant (attention, le comprendre nécessite un cerveau qui sait traiter plus de 150 caractères).  

On notera en passant, à la vue de ces vidéos capturées sur le vif, que si la Joconde, comme le musée l’affirme souvent, voit défiler au moins 21 000 touristes chaque jour, ça ne marche manifestement pas pour le 28 janvier, un dimanche matin pourtant, puisqu’on ne dénombre ici qu'une cinquantaine de visiteurs dans l'immense salle des États, devant le spectacle des deux artistes et du fleuron de la culture française. Par chance l'AFP y était.

dimanche 25 décembre 2022

La vie des cimetières (106)

Sempé, En double file (détail, dans Des hauts et des bas, 1970)

On disait à D…, médecin mesmériste : 
— Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir.
— Vous avez, dit-il, été absent ; vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri.
Nicolas Chamfort, Caractères et anecdotes, 1795

Comme tous les ans maintenant, alors que l’année n’était révolue qu’à 95%, Le Journal des Arts a supposé que plus aucun nom célèbre ne mourrait d’ici le 31 décembre et a publié dès le 13 un florilège des personnalités du monde de l’art disparues en 2022

Il y en aurait eu 39, dont 15% de femmes, faible pourcentage, mais en constante progression, ce qui est encourageant.
La moyenne d’âge au moment du décès a considérablement augmenté, passant de 80 à presque 85 ans, mais n’allons pas en déduire qu’il suffit de dissuader les vieillards de sortir, de les masquer quand ils le font, et de les vacciner souvent, pour que leur espérance de vie bondisse, n’oubliez pas qu’il ne s’agit que de 39 personnalités choisies parmi les mieux nanties, autrement dit peu représentatives. 

Parmi elles retenons Antonio Recalcati, peintre, sculpteur, graveur, qui fut un des assassins de Marcel Duchamp en 1965 (l’affaire était relatée ici), et mort le 4 décembre, juste à temps pour participer à ce florilège du Journal des Arts. 
Retenons également Pierre Soulages, évidemment, grand peintre officiel aux funérailles nationales, dont nous avions parlé alors

Mais surtout il y eut la disparition, le 11 aout, de l’inoubliable Jean-Jacques Sempé, peut-être inconnu des jeunes générations parce que ses années les plus fécondes sont déjà loin, autour de 1970 et 1980. 

Génie inclassable, rangé à l'étroit parmi les auteurs de dessins d’humour, il réussissait, sur une grande page d’un dessin incertain accompagné d’un court monologue, à exprimer sur la destinée humaine ce que les meilleurs écrivains parviennent difficilement à dire au long de centaines de pages. 
C’était La Bruyère, ou Pascal, en moins sentencieux et beaucoup plus drôle.

(les 3 dessins de Sempé reproduits ou en lien sont extraits de l’album "Des hauts et des bas" publié en 1970 par les éditions Denoël)

mardi 3 décembre 2019

La malédiction du Louvre

« Il est temps de décrocher Mona Lisa. […] Le Louvre n’a pas un problème de surpeuplement, il a un problème de Mona Lisa[…] Il faut qu’elle s’en aille. Elle est un risque pour la sécurité et un obstacle pour l’éducation. […] Les Anglais viennent d’élire cette année Mona Lisa l’attraction la plus décevante au monde, battant ainsi Checkpoint Charlie. […] Aucune œuvre d’art ne devrait rendre les gens malheureux. »
Jason Farago, éditorialiste spécialiste de l’art, publiait dans le New York Times du 6 novembre 2019 un article grinçant, après une visite du Louvre en été, article en accès libre sur artdaily.com.

Le Louvre en 2024. Les salles sans Joconde, jamais visitées, sont devenues trop couteuses à entretenir et à surveiller. On en a supprimé tous les tableaux. Il est toujours possible de les voir, un par un et sur demande, en prenant rendez-vous, dans les réserves de Lens, mais la visite privée est hors de prix.


Le rôle principal d’un musée de beaux-arts est, encore pour quelques temps, de préserver et présenter le patrimoine artistique des peuples, avec tout le flou que comporte chacun des termes de la proposition.
Préserver, c’est empêcher la dégradation naturelle. Dans un système physique on appelle cela réduire l’entropie, dans un système économique c’est dépenser sans fin.
S’agissant du domaine public, il est logique que cette dépense soit financée par l’État et l’impôt. Mais, ici comme dans bien d’autres domaines plus vitaux, l’État se défile progressivement.
Dans le cas des subventions au Louvre, en 10 ans par exemple, la participation de l’État a été réduite de 16%, soit une baisse de 26% en comptant l’inflation (14%), quand le nombre de visiteurs augmentait de 20%.
Il est juste de dire qu’en contrepartie l’établissement public est libre d’imaginer tous les moyens, pas nécessairement légaux, de compenser cette érosion.
Et là, c’est le Far West ! Le Louvre se comporte depuis une vingtaine d’années comme une entreprise désespérée au bord de la faillite, capable de n’importe quel acte irréfléchi.

Passons rapidement sur la prolifération des visites ou soirées privées pour gens fortunés, sur les prêts d’œuvres (qui sont des locations très lucratives, parfois de très longue durée), et sur les réductions d’effectifs et par conséquent la fermeture régulière de 20% à 30% des salles du musée, justifiées par des travaux imaginaires dans un plan annuel des fermetures.

Il y eut, en 2005 et pendant les années suivantes, l’interdiction de prendre des photographies à l’intérieur du musée, afin d’augmenter la vente de cartes postales, véritable comédie de la mesquinerie en quelques épisodes peu reluisants, petitesse qui sévit toujours, illégale, à l’occasion d’expositions temporaires d’œuvres pourtant du domaine public.

Il y eut entre 2010 et 2015 la ruée vers les mécénats les plus douteux. Peu regardant sur la provenance de l’argent, on vit le président de l’institution se livrer à quelques bassesses, comme faire exposer aux Tuileries les photos de vacances d’un coréen criminel et milliardaire en échange d’un substantiel don sans affectation.
Et les dons douteux n’ont pas pour autant disparu, comme le montre aujourd'hui la résistance du Louvre aux pressions écologistes qui voudraient que soit abandonné le considérable soutien financier de la société Total, alors que les plus grands musées internationaux ont maintenant annulé tous les mécénats des compagnies pétrolières.

Sans oublier l’histoire du Louvre Abu Dhabi, grosse opération profitable, activement soutenue par l’État français et qui mélange, à la gloire des plus belles réalisations de l’espèce humaine, une partie de la collection d’œuvres du Louvre, une base militaire française, un faux Léonard de Vinci porté disparu, les fruits les plus sophistiqués de l’industrie de l’armement, et des marées d’hydrocarbures, le tout ponctué de tortures d’opposants et de crimes de guerre, dans une monarchie minuscule dirigée par le Père Ubu. [Après publication et relecture, l'auteur reconnait avoir, dans ce paragraphe et sous l'élan de l'indignation, mélangé sans distinction les Émirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite. C'est une erreur qu'il regrette en souhaitant qu'elle ne posera pas un voile de doute sur le reste de cette chronique par ailleurs parfaitement sourcée]  

Mais tout cela n’était rien, car il restait, susceptible d'ajustements dans le budget de l’établissement public, le poste le plus important dans ses ressources propres (60%), et 35% de ses recettes totales : le client.
Le Louvre a une réputation internationale de grand musée, et il dépasse effectivement en nombre de visites la Tour Eiffel et le château de Versailles. Il a reçu plus de 10 millions de visiteurs en 2018, supplantant ainsi le parc d’attraction Disneyland Paris, qui accuse une régulière érosion de sa fréquentation depuis 10 ans.
Et le plus simple pour manipuler le client, après le fiasco des cartes postales, était de bidouiller le prix du ticket d’entrée.

Cela s’est fait avec régularité et à des taux de hausse à rendre jaloux n’importe quel usurier : 10% en 2012, 10% en 2013, et le pompon en 2015, avec une augmentation de 25%.
Pour camoufler l’envergure du geste, le Louvre groupa alors simultanément la visite des collections permanentes et des expositions temporaires dans un seul ticket, sans en mesurer l’impact déplorable sur l’organisation des flux. Et le tout sans réaction notable des consommateurs, constitués il est vrai à 73% de clients étrangers captifs et soumis aux agences de voyage.

Le Louvre en 2024. Des militaires armés de mitrailleuses parcourent le musée en tous sens pour dénicher les visiteurs qui cherchent à éviter la Joconde. Ils les conduisent alors aimablement mais fermement dans l’aile d’attente pour l’œuvre la plus géniale du monde, après quoi les contrevenants doivent montrer leur allégeance en publiant un selfie sur le site de la préfecture de police. Ici, un touriste exilé dans les salles de sculpture antique essaie d’échapper à leur œil perçant, mais il est sans doute repéré par la présence du journaliste photographe accrédité.

La conséquence catastrophique du ticket unique se produisit en février 2017, quand une partie des visiteurs qui avaient réservé pour l’exposition Vermeer se vit refuser l’entrée du musée au prétexte qu’il y avait trop de monde.
Le chaos et la petite apocalypse locale qui s’ensuivirent secouèrent quelques temps même la presse généraliste et confirmèrent la réputation de redoutable gestionnaire du président de l’époque (qui a pourtant été reconduit en 2018).

Depuis, dans l’administration du musée, on a vu encore bien des actes malheureux et inconséquents.
Le dernier en date, pendant l’été 2019, période d’affluence extrême, fut la réalisation des travaux de rafraichissement des peintures de la salle d’exposition de la Joconde, forçant son déplacement temporaire dans une aile du musée transformée en hangar à bestiaux, avec des barrières de cheminement d’une file d’attente, des gardiens libérant l’accès au tableau à un petit groupe chaque minute, à distance respectable, et lui aboyant des semonces.
Des journalistes spécialisés racontent qu’ils erraient abasourdis dans les autres salles quasiment désertes, alors qu’on refusait des visiteurs à l’entrée d'un musée totalement désorganisé.

Cet épisode a suscité des critiques et des éditoriaux sarcastiques, jusque dans les plus grands journaux étrangers (voir l’exergue de cette chronique), et a entrainé la décision par le Louvre d’obliger à réserver dorénavant à l’avance un créneau d’une demi-heure pour toute visite du musée, y compris des collections permanentes.
Ça n’est certainement pas la bonne solution logistique, mais l’obligation a provoqué un effet collatéral bénéfique en posant une jolie cerise au sommet du gâteau, car à l’occasion de l’exposition Vermeer en 2017, le prix du ticket avait été augmenté de 13% en cas de réservation par internet (sans justification crédible). Comme toutes les visites des collections permanentes doivent désormais être réservées ainsi en ligne, et qu’elles constituent plus de 90% de l'affluence, faites le calcul…

Enfin une autre voie prometteuse, qui s’ouvre aujourd’hui dans le cadre de la farce des restitutions d’œuvres d’art, est la tentative du gouvernement de relâcher discrètement les derniers freins à l’aliénabilité des œuvres des collections publiques. S’il y parvient, le Louvre pourra tâcher d'équilibrer son budget en vendant des œuvres du domaine public à des institutions et des intérêts privés.

On voit par là, à travers cette revue succincte des combines et tribulations du plus grand musée de l’univers, qu’il reste une confortable marge de progression, pour des gestionnaires incompétents et motivés.

  

jeudi 23 juin 2016

Dernières nouvelles du Louvre

Il y aura toujours des touristes prêts à braver les risques d'attentat et les augmentations de tarif pour contempler les rondeurs de la Psyché ou de l'Amour du sculpteur Canova.


C’est avec la ponctualité des phénomènes astronomiques que le plus grand musée de l’univers, le Louvre de Paris, vient de publier son rapport d’activité pour l’année 2015. Et on ne peut se retenir d’être un peu déçu.

Car le rapport de 2014 avait constaté une extension de la surface des planchers du musée qui s’était étendue de 48% pour atteindre 360 000 mètres carrés. Or en 2015, pas la moindre extension ? Si cela se trouve les 14,5 kilomètres de couloirs d’exposition n’ont pas augmenté non plus !
Il y a pire, le nombre de visiteurs est passé de 9,3 millions (en 2013 et en 2014) à 8,5 millions. 20% de baisse pour les français et 5% pour les étrangers qui constituent maintenant 75% des visites. Le chemin vers l'infini est parsemé d'obstacles.

Mais le nombre de billets vendus a été stable dit-on, à 4,2 millions. On respire un peu, car la hausse de 25% du prix du billet d’entrée en juillet 2015 aura largement compensé la chute de fréquentation (alors qu’elle en est responsable pour une bonne part, sans doute avec le climat d’inquiétude dû aux attentats dans la capitale).

Par bonheur tout ne suit pas toujours la pente naturelle de la gravité et on notera une certaine stabilité du nombre de pompes à eau des fontaines de la cour Napoléon, qui est toujours de 50 (on se demande qui cette information peut bien intéresser dans un rapport d’activité).
Notons également que le riche mécène et truand Ahae n’est définitivement plus dans la liste des bienfaiteurs du musée (au moment où son cadavre était apparu dans un verger de Corée du sud en 2014 son nom avait disparu du rapport d’activité).
Le nombre d’œuvres prêtées à d’autres musées - entendez louées contre rémunération - enregistre une croissance de 62% et passe de 2000 pièces à 3104.
Enfin la flambée du prix des billets a entrainé une hausse de 19% du budget d’acquisition d’œuvres et ainsi permis d’augmenter de 43 unités les 568 000 pièces de la collection du musée (dont seulement 6% sont exposés au public).

On le constate, tout n’est pas totalement négatif dans ce bilan et on notera, si on a le courage de lire les longs chapitres d’autosatisfaction de cette cuvée 2015, que les nouveaux responsables du musée depuis 3 ans n’ont aucun motif d’envier les précédents sur le chapitre de la mégalomanie.