vendredi 17 décembre 2021

La vie des cimetières (102)

Les quelques habitués de ces lieux virtuels auront peut-être remarqué depuis quinze ans, parmi 101 chroniques funéraires, que l’auteur parle régulièrement des cimetières mais jamais, ou rarement, de leurs habitants. C’est qu’ils n'ont plus vraiment d’actualité.

Cependant le site « Le Journal des Arts » ne voit pas les choses ainsi, et depuis au moins deux ans, il publie pour ses abonnées payants, dès les premiers jours de décembre, un bilan des grandes personnalités du monde de l’art international mortes dans l’année (bien qu'inachevée).

Pourtant succursale de L’Œil, fameuse revue d’art, Le Journal des Arts est une publication bimensuelle certainement nécessiteuse. Connaissez-vous d’autres sites consacrés à l’art qui ne montrent quasiment jamais d’illustrations d’œuvres dans leurs articles sur les artistes ? C’est sans doute cette nécessité, et en conséquence le besoin de se faire remarquer, qui lui fait publier ce bilan funèbre incomplet un mois avant le brouhaha imminent des fêtes annuelles de la consommation. 

Un bilan, disons plutôt un petit florilège, puisqu’ils n’ont trouvé que 41 personnalités remarquables (sur près de 60 millions de morts cette année, rappelons-le), plasticiens, critiques, modistes, marchands, collectionneurs, fonctionnaires, éditeurs… Tous au masculin, puisque malgré une progression encourageante (de 9% en 2020 à 12% cette année), les femmes décédées restent scandaleusement sous-représentées dans ce florilège.


Que constater d’autre de ce bilan ?

La moyenne d’âge au décès a nettement augmenté entre 2020, où elle était à 78,7 ans, et 2021 où elle atteint 80 ans. D’aucuns y verront la réussite incontestable de cette nouvelle méthode d’expérimentation des vaccins pratiquée directement sur la cohorte innombrable de la population planétaire.
Notons que cette année la moyenne d’âge des femmes décédées est de 93,8 ans, mais leur nombre, 5, est insuffisant pour influencer sensiblement les statistiques. 
Et observons tout de même la bonne santé de ces personnalités du monde de l’art commercial, qui meurent presque 9 ans plus tard que la moyenne de l’espèce humaine, aujourd’hui à 71 ans et quelques mois.

Pour conclure et calmer le besoin de potins d’une part éventuelle du lectorat qui se reconnaitra, commettons deux indiscrétions :

Le peintre Christian Zeimert est mort en octobre 2020, encore plus discrètement qu’il aura vécu. Reste ses tableaux calembours, le Monument aux ivres morts, Le lièvre et la torture, et Jésus et ses dix slips, dont on ne trouve pas de reproductions valables sur internet. On en parlait en 2017 avec Cueco. On sait maintenant qu’il ne deviendra pas célèbre.
Et cette année 2021, également en octobre, est mort Pierre Pinoncelli. Il avait commis une inexcusable méprise en urinant en 1993 dans une des célèbres Fontaines de Marcel Duchamp, ne remarquant pas que l’urinoir était exposé renversé et qu’il n’était pas raccordé à un réseau sanitaire. 

Que ces deux phares de l’humanité souffrante reposent en paix, comme on dit habituellement. Ils ne seront jamais oubliés, comme l'écrivait Éric Chevillard*, puisqu’il y faut cette condition d’avoir un jour été connus.


Rappel : notez-le bien, si vous êtes artiste ou gravitez autour, essayez de ne pas mourir au mois de décembre. Ça passerait totalement inaperçu dans les revues d'art et les chroniques.

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Commentaire flottant sur l’illustration : Ce qu’il reste au cimetière du Montparnasse à Paris d'un certain Joseph Ottavi, qui fut en son temps une personnalité de l’année, mort en descendant de la tribune enseignante publique et gratuite.

(*) : Chevillard, L'autofictif, Jeudi 15 octobre 2009, 693-2


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