samedi 25 décembre 2021

« Petit pan de mur jaune »

À l’exception d’opérations de prestige, le financement des musées a depuis tant d’années disparu des préoccupations des pouvoirs que leurs administrateurs, désignés par les mêmes pouvoirs, s’épuisent à la recherche de moyens pour les maintenir à flot.
Symptôme de cet abandon, tous les dirigeants de la planète en chœur ont interdit l’accès des musées, même déserts, aux personnes non vaccinées contre le coronavirus, même porteuses d’une preuve de test négatif (comme c’est le cas en Suisse et bientôt en France) pendant que les foules, vaccinées ou non, s’entassent joyeusement dans les transports en commun sans le moindre laissez-passer.

Toutes les méthodes ont été expérimentées par ces gestionnaires désappointés, de l’interdiction de photographier dans leur musée, au circuit de visite obligeant le transit par la boutique de souvenirs, jusqu’à la médiatisation outrancière d’expositions misérables, parfois financées par des mécénats douteux.
On ne s’étonne donc plus de voir les responsables de musée les plus dynamiques se laisser abuser par n’importe quel truc soi-disant infaillible venu d’on ne sait où et censé améliorer la situation de leur établissement.

Une de ces idées miracles, qui commence à faire des ravages dans la présentation des œuvres et sur le confort des visiteurs, concerne les cartels, ces étiquettes explicatives traditionnellement placées près des objets exposés, si possible à hauteur des yeux.
Ces cartels ont tendance, depuis quelque temps, à tomber au sol, au pied de l’œuvre et aux pieds des visiteurs, sans l’aide de courants d’air, ni de la gravitation.

Le musée y gagne de la place sur les murs, et peut resserrer les tableaux et ainsi satisfaire une autre tendance moderne, illusion de transparence, qui est de montrer un maximum des réserves du musée. Surenchère louable quand elles recèlent des trésors (qui devraient plutôt être partagés avec les musées moins dotés), mais débauche vite épuisante quand les cimaises se couvrent de rogatons.

Et les plus zélés des conservateurs en profitent pour muer la petite étiquette discrète, qui situait brièvement l’artiste dans l’espace et le temps, en une véritable encyclopédie. On y retrouve alors toute l’histoire du tableau, du peintre, du musée et de la région, en petits caractères et en 500 mots. 

Ici encore l’exubérance est honorable, mais tous les désagréments en ont-ils été évalués ?

En effet après 45 ans, une large proportion de l’espèce humaine qui fréquente assidument les musées éprouve des difficultés à voir de près et corrige cette altération naturelle par des lunettes adaptées mais qui ne permettent plus de voir vers le bas des petits caractères trop éloignés. Pour lire les cartels au sol, il n’y a plus alors que la génuflexion ou l’accroupissement. 
Toute à l’admiration des cimaises à hauteur de ses yeux, la personne suivante, affectée probablement de la même pathologie, ne verra pas l’obstacle. Il en résultera une scène burlesque qui dérangera le silence recueilli des lieux, déclenchera peut-être l’alarme et alertera les gardiens qui soupçonneront des déprédations.



 
Et puisqu’il faut bien parler de rentabilité, on reproche encore souvent au touriste qui prend 30 secondes pour photographier un tableau de spolier l’esthète, qui attend après lui, d’un temps de contemplation jugé d’une valeur supérieure ; on s’impatiente également, derrière un touriste qui tripote nerveusement l’audioguide et stationne plusieurs minutes devant un tableau sans s’apercevoir que la voix nasillarde qu’il écoute distraitement ne commente pas la même œuvre ; alors que dira-t-on de l’amateur qui passera et repassera entre les visiteurs et les tableaux, et s’arrêtera bien 5 minutes devant chacun pour en lire consciencieusement le cartel ?

Dans l’exemple tout à fait réel de l'illustration ci-dessus, au musée des beaux-arts d’une ville moyenne du centre de la France dont tous les étages, après 5 ans de travaux, ont vu l’ensemble des cartels ainsi gonflés d’information et cloués au sol, l’amateur pointilleux du paragraphe précédent demandera plus d'une demi-heure pour lire les étiquettes et regarder les œuvres de ce coin de mur.
Ceci dit, ça n’est peut-être pas un problème dans un musée de province. Il étaient déjà peu fréquentés avant la crise sanitaire. 

Enfin passons vite sur les questions de lumière. Il faut bien éclairer les pieds des touristes qui passeront désormais une partie de leur visite à regarder leurs chaussures, et régler finement la chose pour que le faisceau lumineux n’y projette pas leur propre ombre et n’interfère pas trop avec l’éclairage destiné aux tableaux.

Comme dit le proverbe congolais, les bonnes idées ne sont pas toujours les meilleures
Peut-être verrons-nous parfois, au pied d'un tableau, dans une salle reculée d’un musée désert, quelque vieillard ratatiné qui n’aura pas pu se relever d’une génuflexion, à l’image de l’écrivain Bergotte venu mourir devant le petit pan de mur jaune d’un tableau de Vermeer, dans le roman de Marcel Proust.

4 commentaires :

Anonyme a dit…

C'est très bien écrit (comme toujours), c'est instructif (comme d'habitude), c'est drôle (comme souvent), mais c'est un peu de mauvaise foi. Les informations des cartels encyclopédiques sont, dieu merci, facultatives. Dès lors que le nom de l'artiste et le titre de l’œuvre sont lisibles sans génuflexion, rien à redire. Quant à l'accrochage des tableaux grâce à ce procédé de "notes infrapaginales", il n'en permet, semble-t-il, que de belles combinaisons.
Bon Noël !
pi

Costar a dit…

Oui, le motif est léger, je l'admets volontiers, mais c'est un sujet pour les fêtes, un marronnier œcuménique en quelque sorte.
Plaisanterie à part je pense réellement que c'est une mauvaise idée dès que la densité de visiteurs augmente un peu, et qui, compte tenu des contraintes techniques qu'elle impose au musée, ne me semble motivée que par ce besoin de tartiner toujours plus les cimaises, habitude particulièrement indigeste à mon gout.
Ah zut, j'ai raté l'accent circonflexe !
Bonnes fêtes également :)

Anonyme a dit…

Vous avez sans doute raison. Mais comme, pour ma part, j'évite les lieux trop fréquentés, je ne suis pas touché par ces inconvénients.
Quant à l'accent circonflexe sur "goût", vous auriez en effet pu faire un effort en cette période de fète de Noèl ! ;-)

Costar a dit…

J'avais préparé une excuse imparable du genre "je ne sais plus où se trouve la touche, elle a été effacée par un usage inutile trop fréquent", mais je réalise qu'elle a servi dans la phrase suivante...
... À moins que l'accent de "fêtes" ait été corrigé automatiquement?
Ah oui, c'est tout bête, mais c'est peut-être ça.