dimanche 26 juin 2022

De l’utilité de la couleur

Sur le drapeau français, y'a que le bleu qui se boit pas.
(Le grand café des brèves de comptoir 2014, JM. Gourio)

La perception de la couleur est une invention extraordinaire de la nature, elle permet à l’être vivant le plus primitif doté d’un minimum de mémoire de distinguer d’un coup d’œil le mal du bien, l’interdit du permis.

Aujourd’hui les couleurs jaune et bleu sont en vogue dans le monde politique et culturel parce qu’elles ont été agressées et envahies par le blanc, le bleu et le rouge. Attention à ne pas confondre le blanc, le bleu et le rouge avec le bleu, le blanc et le rouge. Ces dernières sont les couleurs d’un peuple pacifique mené par un autocrate crapuleux mais gentil à la télévision, alors que les premières sont d’un peuple docile dirigé par un autocrate psychopathe et méchant. Ça n’a rien à voir.

La National gallery, le grand musée londonien, révoltée par cette injustice, a recherché dans ses immenses collections tout ce qui aurait pu être étiqueté "russe" par facilité, mais qu’une analyse plus approfondie pourrait restituer à l’Ukraine.
Opportunément, elle conserve dans ses réserves un pastel d’Edgar Degas de 1899, qui figure des danseuses folkloriques russes, et sur les costumes desquelles avaient été remarqués depuis bien longtemps - déclare-t-elle - des petits rubans jaunes et d’une sorte de bleu, tressés en guirlandes.
Elles seront donc désormais appelées "danseuses ukrainiennes" dans le catalogue du musée (on les trouve néanmoins encore en cherchant "russian dancers"). Trop fragile, l'œuvre est rarement exposée.


Dans un conflit armé, il ne faut pas abuser des couleurs. Ici, dans un détail de la bataille de San Romano par Paolo Uccello, également à la National gallery de Londres, on ne parvient pas à distinguer qui est l’ennemi de qui, et on sent les combattants complètement désorientés et l’issue de la bataille incertaine.

Le catalogue de Degas en ligne dénombre 11 autres pastels* de cette série, dessinés par le peintre entre 1895 et 1905, et représentant des danseuses folkloriques**. On y voit des costumes nettement blanc, bleu et rouge dans une version du musée de Houston et dans une collection privée. Ce dernier est agrémenté de guirlandes jaune et bleu.

   * Dans le dialogue, saisir "russe" dans la rubrique "par nom de l’œuvre".
   ** L’Ukraine était alors une province dans les empires russe et autrichien.

Costumes ukrainiens ou non, l’histoire de l’art est accueillante, elle n’a jamais été regardante sur ces petits arrangements. À chaque jour sa vérité.
C’est un geste délicat de la part du musée londonien, même s’il ne changera rien au destin du peuple ukrainien, indifféremment exploité, pillé, affamé, déporté, pollué, irradié et massacré, depuis plusieurs siècles

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