jeudi 12 octobre 2023

Un faux fait est-il un fait ?

Avertissement : cette chronique abordant un sujet délicat relatif à la justice et au rôle d’un homme politique italien influent, les épithètes éventuellement désagréables qu’elle contient sont à précéder systématiquement de l’adjectif "présumé" accordé convenablement, afin d’éviter qu’on ne retrouve l’auteur lourdement lesté au fond du golfe de Gênes.

Un œil pressé aura peut-être l’impression, à la lecture de Ce Glob, qu’il ne se délecte que des malheurs de la société. Ce serait une erreur de perspective. Avant-hier encore nous louions le comportement optimiste des spéculateurs en art, pourtant confrontés à une conjoncture préoccupante. Et pour montrer notre bonne foi, voici aujourd’hui encore une bonne nouvelle, que vous n’avez certainement pas vu passer dans vos journaux. 

Ah ils étaient tous sur le pont ! rappelez-vous, ces quotidiens charognards (et Ce Glob aussi), en juillet 2017, quand une vingtaine de tableaux de Modigliani étaient brutalement arrachés à une exposition populaire par la police italienne à Gênes, emportés dans le même fourgon que deux ou trois officiels responsables de l’évènement.   
Rappelez-vous cette surenchère d’annonces catastrophistes, parfaitement résumées dans un récapitulatif sonore en 2 minutes de la radio suisse RTS: "Le plus grand scandale de l’histoire de l’art moderne […] de vulgaires croutes de piètre facture […] le monde de l’art tombe de haut, le choc est immense […] ça fait toujours ça quand on admire des croutes […] l’enquête de Falò démontre" (Falò était un magazine de la RTS).
Et puis plus rien pendant 5 ans… C’est normal, la justice doit se préserver des influences du temps.
Mais pour se préserver également des langueurs de l’inaction, la justice s’est finalement prononcée cette année. 

Au mois de juin le tribunal a conclu : Tout est bien qui finit bien (comme dans l’histoire invraisemblable contée par Shakespeare), pour le grand soulagement de tous, et du secrétaire d’État italien à la culture qui ne cessait depuis le début d’aboyer sur les juges les accusant d’instruire un faux procès sur de fausses informations à l’aide d’experts incompétents (Il faut préciser pour le lectorat d'en-deçà des Alpes, que le secrétaire d’État italien à la culture, collectionneur d'art, est probablement la pire crapule de la politique et des médias après le légendaire Berlusconi).


Jusqu’où ira l’audace des faussaires ? 
Dans ce détail, flouté pour d'évidentes raisons, d’une photo de Lucca Zennaro (Associated Press) peu avant l’ouverture de l’exposition de Gênes en 2017, une présumée mystérieuse personne apporte les dernières retouches à un présumé prétendu tableau de Modigliani. 






Pour résumer la décision de justice, seuls 8 des 21 tableaux séquestrés sont jugés faux. Ils seront néanmoins restitués aux propriétaires et devront porter (probablement au revers de la toile) une mention particulière. Les 6 prévenus, menacés de 6 mois à 6 ans de prison, sont acquittés parce que "le fait n'existe pas" et "parce que le fait ne constitue pas un crime" dit le site ilfattoquotidiano qui cite les conclusions du procès (sans référencer sa source).

Comme les bonnes nouvelles sont toujours diffusées très discrètement quand elles viennent contredire de précédentes mauvaises nouvelles publiées à grand bruit, on dispose de très peu de sources pour comprendre les motifs insolites de cette décision. Peut-être signifient-ils simplement "Les seuls faits constatés, les 8 tableaux jugés faux, ne constituent pas un crime dont les prévenus assignés seraient coupables". Mais ça n’est pas beaucoup plus clair, notamment si on se souvient qu’en mars 2019, après 2 ans d’enquête, les mises en examen et un vaste système de "blanchiment" de faux Modigliani - dont les 20 tableaux séquestrés - étaient confirmés par le procureur et la police (voir la mise à jour à la fin de notre chronique de 2018).

En tout cas c’est une bonne nouvelle, non ?
Ils s’en sortent bien, les 6 innocents et les 13 Modigliani blanchis authentiques, et puis les prisons débordent déjà de personnes qui n’ont rien à y faire, sinon apprendre à mériter d’y revenir, alors on ne va tout de même pas y enfermer des faussaires, aussi honnêtes soient-ils.

Aucun commentaire :