Et où était le peintre ?
Fischer L.H., Le Taj Mahal au couchant c.1890, 94cm., marché de l'art
Ce tableau aurait pu illustrer plusieurs des chroniques irrégulières de Ce Glob, comme "Ce monde est disparu", puisqu’il doit disparaitre en vente publique le 24 octobre à partir de 18h, chez Dorotheum à Vienne, sous le numéro 67. Il représente un mausolée funéraire et pourrait aussi illustrer la "Vie des cimetières".
Il ira dans la catégorie "Où était le peintre ?", trop peu fréquentée.
Le peintre, graveur parmi nombre d’autres activités et connu pour ses aquarelles de paysages et d’architecture, délicates et conventionnelles, s’appelait Ludwig Hans Fischer.
Né en Autriche, Fischer est étiqueté à raison orientaliste, pour avoir illustré ses nombreux voyages autour de la Méditerranée. Mais il voyagea aussi de la Norvège à l'Inde. Il se laissait parfois aller à une inspiration lyrique, mais avec retenue, comme dans cette tempête de sable du désert, le Khamsîn, peinte en 1891 (vente Christie’s 2020), dans cette vue des célèbres falaises de l’ile de Møn au Danemark (Møns Klint), ou cette superbe vue du Taj Mahal donc, au soleil couchant.
Reconnaissons qu’il n’est pas trop difficile de faire un beau tableau quand on y colle la silhouette du Taj Mahal. On l’a écrit ici-même, l’espèce humaine ne serait qu’une grossière bévue de l’évolution s’il n’y avait eu Georges de La Tour, Jean-Sébastien Bach, et le Taj Mahal (ou Vermeer, Mozart et la cathédrale d’Orvieto, à la limite).
À Agra, Fischer a choisi un point de vue original et peu fréquenté sur le monument.
Pour y accéder de nos jours il faut prendre le chemin à partir de l’entrée Est du Taj jusqu’à l’Aga Khan Ki Haveli, maison de maitre d’un officiel au moment de la construction du Taj, aujourd’hui délabrée.
Là, l’entrée est interdite, par sécurité et parce que le domaine est protégé depuis 2018, mais les amateurs d’exploration urbaine vous montreront les chemins dérobés. Si le portail est fermé ou gardé, il sera peut-être nécessaire de longer sur 50 mètres ce qui ressemble à une sortie d’égout qui "alimente" la Yamuna, la rivière sacrée qui longe le Taj - en réalité la voie royale des eaux usées et des pires infections de la capitale située en amont, Delhi (*) - mais la récompense mérite le détour : un point de vue rare sur le mausolée, de la plateforme d’un kiosque en rotonde où poser son chevalet.
En réalité Fischer ne s’y est pas arrêté, il a continué en longeant la berge vers l’est pour s’installer 50 mètres plus loin, sur une terrasse un peu surélevée. Le soleil se couchait derrière le Taj, c’était l’hiver 1889-1890 en fin d’après-midi (en été le soleil se couche beaucoup plus au nord, sur la droite derrière la Yamuna). Le kiosque est au premier plan en contrejour.
Fischer n’a certainement pas peint le tableau à l’huile sur place. Il mesure presque un mètre de large, et les détails ont été ajoutés sur un fond déjà sec. Il a plus probablement fait des aquarelles, technique rapide et précise pour noter les couleurs et les ambiances, peu encombrante en voyage, peut-être des photographies pour les détails, et réalisé le tableau en atelier, de retour d’Inde.
D’autant qu’il existe au moins un autre tableau similaire de Fischer (illustration ci-dessous), encore plus grand (1,20m), vendu par Christie’s en 2008, du même point de vue, légèrement plus éloigné à l'est. La brume s’est levée, le mausolée est éclairé cette fois par la lumière du matin. Les fleurs du premier plan ne doivent pas tromper, le climat d’Agra est doux en hiver et il ne gèle jamais.
(*) L’encyclopédie Wikipedia est sujette à une curieuse dissonance cognitive sur l’environnement du Taj Mahal. La version anglaise de l’article sur Agra fait état des conditions abominables de l’eau et de l'air, de la rivière, et des graves conséquences sur les fondations et le marbre du Taj, quand le même article, dans sa version française, est réduit aux amabilités d'un dépliant fourni par l’office du tourisme.
Mise à jour le 4.11.2023 : le tableau a été remporté par une enchère raisonnable de 29 000$, 2 fois l'estimation basse.
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