Affichage des articles dont le libellé est Antiquité. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Antiquité. Afficher tous les articles

mardi 27 août 2024

Tableaux singuliers (20)

JL Hamon, Cantharide esclave, 1857, huile sur papier marouflé sur toile 
(coll. musées de Compiègne)

Remerciements : la moitié des données de cette chronique proviennent de l’énorme thèse (2013) de 580p. (et les Annexes de 250Mo) de Mme Jagot (aujourd'hui directrice des musées de Tours depuis 2021), très documentée sur ce mouvement un peu fictif que fut le cénacle des peintres Néo-grecs.

Le tableau d’aujourd’hui est certes singulier pour mériter de paraitre dans cette rubrique, mais il est surtout, pour les rares spécialistes qui en avaient entendu parler, totalement inattendu. 

Ils le croyaient disparu quand Drouot annonça la vente le 31 mai 2024 "d’une collection inédite", la collection secrète d’un anonyme dont le produit serait légué à l’Institut Pasteur.
Et parmi des pièces de qualité médiocre à faible, et des estimations moyennes de quelques centaines d’euros (catalogue en PDF), il y avait cette Cantharide esclave de Jean-Louis Hamon, lot n°51, un petit tableau de 47cm, estimé 2 à 3000€.

Exposé sous le n°1297 au Salon du Louvre de 1857, où il avait été très remarqué, comme on le constatera plus loin, il n’était connu que par une gravure d’Édouard Rosotte parue dans l’Artiste (en 1859 ?) et dont on trouve des exemplaires dans de grands musées comme Philadelphie, ou pour 50€ sur eBay, preuve d’une certaine popularité. 

On (la critique, les salonniers) avait apprécié les premières œuvres de Jean-Louis Hamon, quand il exposait aux côtés de son ami Jean-Léon Gérôme qu’on découvrait alors dans son premier succès retentissant, le fameux combat de coqs du salon de 1847. On pensait que leur vie en phalanstère, avec Picou, Boulanger et quelques autres, et leurs thèmes d’inspiration antique, marqueraient les débuts d’un mouvement qui soufflerait un air frais et balaierait les derniers relents de la grandiloquente peinture d’histoire de monsieur David et du romantisme dégoulinant de Delacroix et Vernet, tout en se gardant de tomber dans les monstruosités du réalisme de monsieur Courbet.
On les appela alors les Néo-grecs, ou parfois les Étrusques, ou l’école de Gérôme, occasionnellement les Pompéiens, voire les Pompéistes, selon le degré d’appréciation.

À l’époque Hamon faisait déjà des tableaux aux couleurs douces, éteintes, aux lignes souples, aux formes parfois incertaines, et aux sujets allégoriques, tellement qu’ils en étaient nébuleux et que les critiques comprenaient peu les idées qu’ils exprimaient (on constate dans une correspondance citée par Mme Jagot que le peintre ne les comprenait pas vraiment non plus).
Monsieur Larousse, qui avouait sa faiblesse pour certaines des mièvreries du peintre, disait de lui dans son grand dictionnaire du 19e siècle "tout est si vaporeux […] c’est le rêve d’une ombre […] des compositions d’une grâce quelque peu nébuleuse, à notre sens un peu puérile, que néanmoins la gravure et la lithographie ont popularisées […] des œuvres à peine intelligibles et exécutées avec une telle sobriété de couleur, qu’elles ont à peine une apparence matérielle"

On n'a pas trouvé de reproduction acceptable des tableaux de Hamon sur internet (sauf son autoportrait du musée Magnin de Dijon, photo personnelle). Orsay en possède un de 3,15m qu’il expose. Nantes également (et un autre plus petit). Pour être sincère, même de cette dimension, on peut passer à côté sans les remarquer.
Le musée de Cleveland détient une curiosité, les 4 saisons, une pochade de la main des 4 fondateurs, Picou, Gérôme, Boulanger, et le mélancolique Hamon qui s’est vu attribuer l’hiver. 

En 1857 donc, année féconde, Hamon expose au Salon 9 tableaux avec des jeunes filles, des fleurs, des papillons, et sa Cantharide esclave. 
Sa peinture, qui n'a pas évolué, est jugée souffreteuse, hésitante, et surtout sibylline, indéchiffrable pour les salonniers qui ont mis une dizaine d’années à réaliser que ce qui rassemblait ces peintres néo-grecs, à part des ateliers communs, était uniquement leur penchant pour l’anecdotique et le sentimental. Cette école ne saurait jamais s’affirmer et affronter la crudité naturaliste de monsieur CourbetÇa n’était pas un mouvement, seulement un regroupement contingent d’individualités, qui s’est d’ailleurs effiloché quand Gérôme l’a quitté pour se marier avec une des filles d’Adolphe Goupil, le grand marchand et éditeur d’art international, et que les prix de ses tableaux devenaient indécents au point que seuls les américains pouvaient désormais les acheter.
À part Gérôme - et encore son renouveau est-il récent en France - tous ces néo-grecs ont été oubliés. On en rencontre parfois par hasard dans les musées de province, qui sont bien obligés, pour occuper leurs cimaises, d’accepter les aumônes que le Louvre leur concéde.

Or quand la critique s’aperçoit qu’elle s’est trompée, elle devient hargneuse. Et en 1857 elle s’est acharnée particulièrement sur Hamon et son coléoptère. Hélène Jagot rapporte dans sa thèse, par de nombreux extraits de presse, l’entêtement des critiques et des caricaturistes :
"La peinture hiéroglyphique de Jean-Louis Hamon”, sa "macédoine philosophique", "D’une nature très distinguée, très ingénieuse et très fine : il a toutes les qualités du monde ; il ne lui reste qu’à devenir peintre", "Hamon se creuse la tête et il invente la cantharide grand format, la cantharide grosse comme un bouledogue et enchaînée dans une niche à chiens.", "Ce n’est pas un jury de peintres qui aurait dû se prononcer sur un pareil cas d’aliénation mentale [...]. Le hanneton que M. Hamon, lui, a dans le plafond…", [On lui recommande] "un régime alimentaire plus riche [et plus loin un stage chez M. Courbet] pour être enfin en mesure de peindre correctement et d’abandonner les sujets trop enfantins"…

Deux ans plus tard, au salon de 1859Nous avertissions, il y a deux ans, M. Hamon qu’il allait se perdre. C’est fait. Il ne reste rien de M. Hamon. On ne peut imaginer un tableau plus vulgairement nul, plus lourdement insignifiant que son Amour en visite. Comme sujet, c’est toujours une pauvre petite charade bien prétentieuse; comme peinture, cela fait presque regretter ses anciens tableaux, qui n’étaient pas peints du tout, et qui n’existaient que par le contour.Et Daumier d'en faire alors une caricature où on voit l’Amour ailé pris d’embarras gastriques s’impatienter devant la porte des cabinets.

On peut effectivement déplorer l’inspiration doucereuse de Hamon et son talent de peintre limité, quand Gérôme, au moins, savait rendre spectaculaire n’importe quelle anecdote. Et la déception de la critique était peut-être attisée par la réception plutôt favorable de Hamon par la bourgeoisie aisée, et par l'État qui lui avait acheté plusieurs tableaux, dont les plus grands, Ma sœur n'y est pas de 1852 (Compiègne 1,56m.)la Comédie humaine de 1852 (Orsay), l’Escamoteur de 1861 (Nantes), et lui avait même accordé la croix de la Légion d'honneur en 1855. 
Malgré cela, Mme Jagot précise "Hamon, ne supportant plus les quolibets et voyant sa réputation – et sa situation financière – en pleine déroute, quitte la France quelques années plus tard". 
Il voyagera alors en orient, puis à Rome en 1863, et enfin s'installera à Capri - il est des exils plus cruels - et continuera à exposer irrégulièrement au Salon, toujours avec un petit succès, en ne perdant rien de son inspiration bisounours. Il mourra à 53 ans en 1874.

Hamon aura malgré tout vécu de sa peinture. Nombre des tableaux qu'il a vendus ne sont pas connus, ou sont dits de localisation inconnue quand on en a le titre par un catalogue ou par une reproduction en gravure. Comme la Cantharide esclave ils peuvent réapparaitre un jour, par exemple à l'occasion d'un héritage.

La véhémence de la critique envers la Cantharide esclave était exagérée. Ce petit tableau a quelque attrait.
La cantharide est une de ces pauvres bêtes prétendues aphrodisiaques depuis l’antiquité. Même Wiki, l’encyclopédie des familles, se garde de donner un avis médical, mais écrit immédiatement après, phrase ambigüe, que l’efficacité de la cantharide est douteuse et (mais !?) qu’elle peut entrainer de douloureux priapismes, urines sanglantes, vomissements, et la mort en cas de surdose ! À lire ses citations émoustillantes, de Sade à Mistral, on se demande comment l’espèce n'a pas déjà disparu, pour les mêmes raisons que le rhinocéros.
Le point de vue du peintre semble plus retenu. On soupçonne, à l’abandon mélancolique de la jeune femme, que la cantharide réduite en poudre, même à l'aide d’une dose démesurée, ne parviendra pas à susciter le désir de l’être qui la fait soupirer, ni à lui faire oublier sa propre langueur. 

Pour un regard contemporain qui a vu les centaines de milliers d’élytres de scarabée collées par Jan Fabre dans la Salle des glaces du palais royal de Bruxelles (retournez-vous et zoomez, ou levez le nez et zoomez sur le plafond et le lustre central), pour un regard submergé par ces surenchères du 3ème millénaire, cette petite scène languissante et énigmatique, imaginée par Hamon avant même les écoles symboliste et surréaliste, exhale une fraicheur un peu fanée méritant bien la préemption par les musées de Compiègne, qui emportèrent ainsi l'enchère du 31 mai 2024 contre 10 400€ frais compris.

Épilogue 

En réalité, le 31 mai, pour tous les amateurs et experts, la curiosité de cette vente inattendue n’était pas le discret n°51, mais le lot suivant, le n°52, surprise de la vacation, un tableau du meneur malgré lui de la classe des néo-grecs, Jean-Léon Gérôme. Un tableau découvert à cette occasion, inconnu même du catalogue raisonné du peintre, et en outre réellement singulier dans son œuvre, un tableau presque vide (comme la mort du maréchal Ney, ou Ils conspirent).
Il représente une petite barque de naufragés dans une mer d’un mètre sur 70 centimètres, d’un mouvement et d’un bleu franchement ratés (Gérôme n’a jamais été un coloriste très raffiné), peinte vers 1901, et que tout le monde appelle sottement "une épave". Il est parti contre 593 000$ frais compris, probablement pour l'étranger puisque le polémiste M. Rykner en réclame, après la vente, la préemption par le musée d'Orsay.

Peu importe, on l'aura oublié dans quelques mois, quand le délicat tableau de la Cantharide esclave, rafraichi, dans son joli cadre doré à festons ciselés, agrémentera peut-être un des somptueux salons déserts du château de Compiègne ou de son musée, sous les ors du Second Empire, précisément l’époque où le neurasthénique Jean-Louis Hamon dessinait ce songe singulier sur une feuille de papier et le coloriait légèrement à l’huile.


samedi 10 juillet 2021

Plus personne ne nous attend à Samarcande (La vie des cimetières, 100)

Il y a très longtemps, l’air, l’eau, la terre étaient purs et les maladies n’existaient pas, si bien que tout le monde devenait vieux et barbu, parfois avec un chapeau haut-de-forme et une canne à pommeau, comme on peut le voir dans les livres d’histoire ou sur les statues des squares. L’être humain vivait dans l’insouciance.

Et puis, on ne sait plus très bien à quel moment, mais c’est écrit dans les livres révélés, l’être humain s’est mis à mourir. Ou plutôt, comme il ne mourait pas de lui-même, On le fit mourir. L’Administration envoya un ange pour s’en charger. On l’appelait l’Ange exterminateur, ou simplement la Mort. Elle recevait ses instructions « d’en haut ». 
Pour les commandes en gros, Elle procédait par tornades d’eau, de feu, ou d’insectes, plus rarement de batraciens, et pour le détail, Elle recevait l’ordre d’éliminer des individus identifiés par un nom de famille, parfois un prénom pour éviter les homonymies, et une adresse postale. Elle s’y rendait alors en personne, scrupuleusement, le soir-même.

Quand l’humain en prit conscience, il en fit des récits édifiants pour prévenir les autres et leur permettre de prendre à temps les dispositions adéquates.
Ces fables ne brillaient pas par l’originalité, ni par la finesse. Leur morale sempiternelle disait « Qui que vous soyez, où que vous vous trouviez, la Mort vous trouvera ». C’était un peu brutal, mais on dit que ça rassurait les malheureux. Ils ne souffriraient pas éternellement de leur misérable condition, et seraient un jour égaux à tous les autres.

Toute règle ayant à l’époque au moins une exception, les légendes bibliques et coraniques racontent qu’une ville ne figurait pas sur la carte au 1:25 000ème de la Mort, parce qu’elle se situait juste sur la pliure, effacée par l’usure. Le Talmud dit qu’elle s’appelait Luz, à quelques kilomètres au nord de Jérusalem, et que personne n’y mourait jamais. On verra plus loin que ça n’était qu’une fable de l’Office du tourisme. Du reste, l’archéologie moderne suppose Luz à l’emplacement actuel de Beth-El ou Beitin, sur un territoire revendiqué si frénétiquement par plusieurs peuples que l’Exterminateur a été contraint de s'y faire aider.

Le Talmud de Babylone (Guemara, Sukkah 53a-5,6) conte que le roi Salomon, à Jérusalem, apprit un jour que l’Ange de la mort convoitait deux scribes qui étaient à son service. Le sage monarque les envoie illico chercher des dattes fraiches à Luz, qu’il croit donc hors de la juridiction de l’Exterminateur. Au soir il s’endort alors paisiblement en moins de 5 minutes sur ses 2 oreilles parmi ses 700 épouses et 300 concubines.
Le lendemain matin il croise la Mort hilare qui lui montre son ordre de mission : c’était précisément à Luz qu’Elle devait les éliminer. Ce qu’Elle a fait. Vexé, Salomon en tira une morale obscure à propos des pieds de l’Homme, qu’on enseigne encore dans les écoles religieuses. 
 

Dans les cimetières monumentaux du 19ème siècle, ici à Milan, et à Gênes au centre (tombe Celle, sculpt. Monteverde 1893), la Mort, déjà bien diminuée, ne s’attaque plus qu’aux faibles sans défense (et si possible dénudées). On l’aura vue plus héroïque.

 
C’était, il y a plus de 2500 ans, peut-être la première apparition écrite de l’histoire du « rendez-vous inéluctable avec la Mort ».

Elle eut un succès phénoménal. Mais il faut reconnaitre qu’en 25 siècles la cohérence du récit a bien divagué, au mépris de la géographie la plus élémentaire et des moyens de transport disponibles.
Dans la version du Talmud, le trajet censé éloigner les victimes du bourreau avant l’heure du rendez-vous fatal, était d’une douzaine de kilomètres, soit quelques heures de marche.
Certains auteurs ont maintenu ici un réalisme de bon aloi, comme Somerset Maugham en 1933 dans sa pièce de théâtre Sheppey, qui situe la scène à Bagdad, quand le bienfaiteur abusé, un marchand, envoie son serviteur à Samarra pour le protéger de l’Ange, 130 kilomètres au nord de Bagdad, soit 2 à 3 heures de course d’un pur-sang arabe. Il pouvait encore, pour son malheur, être au rendez-vous du soir à Samarra.  

Mais que dire de la version attribuée au poète persan du 12ème siècle, Attar de Nishapur ? Cette fois, un calife accorde à son vizir, qui pense que la Mort l’a dévisagé d’un air louche, l’autorisation de filer vers Samarcande, très loin au nord. C’est la destination qu’on retrouve dans toutes les citations, quand le point de départ est parfois « dans une grande ville » (peut-être Nishapur), et d’autres fois, Bagdad, comme dans la pièce de théâtre de Jacques Deval en 1950, « Ce soir à Samarcande ».
Or Nishapur se trouve à 1150 km de la funeste destination, et Bagdad à 2700. Sans emprunter l'avion privé d’un prince saoudien, on ne voit pas comment le rendez-vous du soir à Samarcande pouvait être honoré.
Sans parler d’une version coranique qui situerait le rendez-vous en Inde, 4 ou 5000 km plus loin, et où le condamné est emporté par le vent, que le roi Salomon contrôlait, comme chacun sait.

Et voilà comme une belle histoire instructive et morale, presque crédible, se transforme en une fable que même les enfants dédaignent, s’ils ont des notions de géographie.  

On ne compte plus aujourd’hui les romans, pièces, poèmes, citations en tout genre dont le titre contient à la fois « rendez-vous » ou « soir » et « Samarcande », et qui racontent évidemment cette histoire périmée.
Périmée parce que si la Mort pouvait se divertir de cette blague - certes un peu répétitive - en un temps où la Terre était plate et sa population réduite à quelques dizaines de millions d’individus, ses habitants avaient largement dépassé le milliard au 19ème siècle, quand on la voyait toujours à l’ouvrage en personne, décharnée, usée, dans les grands cimetières de l’Italie du nord.

On apercevait encore sa silhouette cadavérique, au début du 20ème siècle, mais on voyait poindre les débuts de l’industrialisation des procédés, ce qui fit dire à certains qu’en réalité Elle ne se déplaçait plus et qu'on la confondait avec des prestataires de service recrutés pour répondre à la demande toujours croissante.

Et les plus iconoclastes soutiennent maintenant qu’Elle est morte d'épuisement à la fin du siècle dernier, le vingtième. Elle se serait laissée aller, apaisée et confiante, car elle avait remarqué - elle lisait les revues scientifiques - que l’être humain concoctait ingénument, dans ses laboratoires, des virus internationaux, des gaz à effet de serre, des aérosols pesticides, des microbilles de plastique, des matières radioactives, des particules fines, des ondes qui rendent fou, enfin tout un tas de petites choses grouillantes et invisibles qui la remplaceraient parfaitement, et avec une discrétion que ne permettaient pas ses propres apparitions démodées, toujours théâtrales et finalement assez pathétiques.
 

Sur cette tombe prémonitoire du cimetière Staglieno à Gênes (famille Quierolo), le sculpteur Guiseppe Navone a représenté la mort de la Mort en 1902. Les défunts en médaillon indifférents à son agonie semblent plutôt régler un différend domestique.
 

mercredi 25 septembre 2019

Toutankhamon, un fiasco

Malgré un considérable matraquage publicitaire et médiatique durant des mois, de numéros spéciaux en émissions spéciales, près de 65 600 000 Français n’ont pas visité l’exposition Toutankhamon, à Paris, dans la Grande Halle de la Villette, qui vient de fermer après 6 mois de journées à rallonge.

Cependant, avec force communications de l’Agence d’État (AFP), que les journaux les plus sérieux diffusent sans le moindre examen critique, l’entreprise américaine qui organise ce Barnum international pour le compte du ministère des Antiquités égyptiennes vient d’annoncer un record de fréquentation en France, 1 423 170 visiteurs, en insistant sur les 1 246 975 seulement pour la même exposition, à Paris en 1967, au Grand Palais (l’extrême précision des nombres est empruntée à Étienne Dumont, remarquable et régulier chroniqueur des arts du magazine suisse Bilan.ch).

Sans ergoter sur la durée respective des expositions et l’étendue de leurs horaires, la victoire reste bien courte, si on considère que 52 années d’opulence culturelle et médiatique séparent les deux évènements, et que depuis, les plus grands chefs d’œuvre des arts (le 7ème, par exemple, avec Titanic, les Ch’tis, Avatar), n’ont été boudés que par 45 à 50 000 000 de Français, pas plus.


Au lieu d’illustrer cette chronique par l’image éculée d’un pharaon qui fut tout de suite oublié, au point de ne jamais avoir été profané ni pillé, et qui n’aura pas laissé d’autre trace dans l’histoire que bijouterie, colifichets et fanfreluches, voici plutôt la statue monumentale au British Museum d’un de ses successeurs les plus glorieux, Ramsès 2, grand bâtisseur qui régna 66 ans, à qui on doit l’obélisque de la place de la Concorde à Paris et la responsabilité d’avoir tant persécuté Moïse qu’il finit par se déclarer prophète, fuir dans le désert et inventer une religion planétaire avec une poignée d’insoumis, s’il faut croire le récit biblique.


Tentons de comprendre les causes de ce surprenant discrédit.

On pensera d’abord au contenu de l’exposition, parait-il intelligemment mis en valeur, mais plutôt secondaire. Les organisateurs et la presse n’ont pas pu cacher que les pièces majeures du tombeau du pharaon, le grand sarcophage et ses 110 kilos d’or pur ouvragé, la fragile momie, le célèbre masque funéraire qui avait été le couronnement de l’exposition de 1967, n’étaient pas exposés.
Mais l’argument est un peu faible, car on sait que la qualité de son contenu ne fait plus partie des critères qui déterminent le succès d’une exposition. Le public s’y presse désormais à l’aveugle.

On songera alors aux propos involontairement inquiétants du ministre des Antiquités égyptiennes qui ont pu être perçus comme un chantage, et refroidir certaines ardeurs.   
Pour attirer le client, il annonçait que cette exposition était la dernière occasion d’admirer des merveilles qui ne quitteront plus jamais l’Égypte, et qu’il faudra dorénavant venir les voir à Gizeh près des pyramides, dans un futur Grand Musée égyptien, dont on sait qu’il est en construction depuis 2001, et que l’instabilité politique du pays en repousse régulièrement l’ouverture. 

On imaginera surtout que les tarifs, pharaoniques pour une exposition finalement assez ordinaire, auront découragé nombre d'enthousiasmes. 24€ par personne les samedis et dimanches (quand l’entrée de l’exposition Léonard du Louvre est à 17€), et 20€ pour les enfants de 4 à 14 ans, sans compter 6€ l’audioguide et 3€ pour un vestiaire.

Saluons tout de même sportivement ce modeste record national déjà dépassé à l’échelle internationale. Car Paris n’était que la deuxième station d’une grande tournée mondiale, jusqu’en 2024, dans 10 métropoles, dont la troisième dès novembre sera Londres. Or Londres détient déjà depuis 1972 le record de fréquentation pour une exposition consacrée à ce populaire pharaon d’opérette, au British Museum, avec 1 600 000 ou 1 700 000 visiteurs, selon les sources.
 

dimanche 18 mars 2018

La vie des cimetières (79)


Quand en 52 avant l’ère actuelle, après un mois de siège, le proconsul César Jules eut fait massacrer, vieillards, femmes et enfants compris, précise-t-il, les 40 000 gaulois de la ville d’Avaricum (aujourd’hui Bourges), une des plus belles et puissantes villes de la Gaule, affirme-t-il, il la fit transformer en une cité gallo-romaine, bourgeoise, avec tout le confort et les commodités modernes.

Enfin c’est Jules lui-même qui raconte cela, parce que les archéologues n’ont toujours pas trouvé, à Bourges et alentour, les vestiges qui confirmeraient la moindre des affirmations de sa grande auto-hagiographie (la Guerre des Gaules) sur Avaricum et sa bataille. La tendance des historiens est de penser qu’il a beaucoup surévalué l’importance de la ville et surtout celle de Vercingétorix histoire de gonfler la grandeur de ses conquêtes aux yeux de Rome, comme le ferait tout militaire friand de pouvoir politique.

Ce qui est certain est la prospérité « à la romaine » que connut la région d’Avaricum pendant plusieurs siècles. Le musée du Berry, à Bourges, en expose les preuves archéologiques.

La salle la plus marquante est certainement, au rez-de-chaussée, la grande pièce des vestiges gallo-romains, essentiellement peuplée de stèles funéraires des premier et deuxième siècles, 220 dit le dépliant, alignées comme dans un cimetière, avec ses allées pavées et son gravier, sous la molle lumière zénithale d’une verrière.
Reconstitution anachronique, si l'on écoute les spécialistes, car la loi romaine, pour des raisons sanitaires et religieuses, interdisait incinérations et ensevelissements concentrés dans les cités. Alors les habitants enterraient les restes aux portes des agglomérations, le long des routes, sans ordre particulier, et marquaient l’emplacement d’une stèle orientée pour que les dédicaces soient lues par les passants et les voyageurs, condition de la « survie de l’âme » des défunts. Aujourd'hui la pierre est usée, le déchiffrage est malaisé.

Dans la même pièce du musée, une belle mosaïque gallo-romaine, prophétique, comporte déjà, incrustée avec les tesselles d’origine, sa propre date de découverte en 1863.

Ces anachronismes désuets font le charme de ces petits musées de province délaissés. Dans les salles désertées, les objets s’efforcent de retourner au silence d’où on les a extraits quelque temps pour l’édification scientifique des populations.
Le musée du Berry est de ces établissements publics modestes, humble au point d’être le seul sans doute en France à ne pas forcer le touriste à passer par la boutique en fin de visite.



vendredi 30 octobre 2015

Nuages (38)

Colonnades de l’agora dans les ruines d’une des plus belles cités de l’antiquité grecque puis romaine, Pergé, aujourd’hui au sud ouest de la Turquie, à 17 km d'Antalya. À l'horizon la chaine occidentale des monts Taurus.

samedi 7 mars 2015

La vie des cimetières (61)

La Lycie était dans l’antiquité une région montagneuse du sud de la Turquie, avancée sur la Méditerranée, qui correspond aujourd’hui à l’ouest de la province d’Antalya.
Tour à tour envahis par les Hittites, les Perses, les Grecs, les Romains, les habitants du coin ont absorbé au long des siècles un peu de toutes les civilisations, au point qu’il ne reste d’eux qu’une image livresque, spectrale.

Toutefois une particularité les distingue encore, l'architecture de leurs sépultures.
C’étaient des superpositions de tombes rupestres creusées comme de petits temples dans la roche à flanc de falaise (comme à Telmessos, Myra, Tlos, Kaunos) qui rappellent un peu les temples de Petra en Jordanie, et des sarcophages isolés au couvercle en forme de coque de navire retourné, disséminés sur les collines et le long de la côte (comme à Xanthos, Fethiye, Ucagiz).

Depuis longtemps sarcophages et tombeaux ont été éventrés et pillés.

Tombeau lycien sur la route de Demre à Ucagiz (Üçağız).

Tombeau lycien sur la route de Demre à Ucagiz.

Ucagiz, tombeaux lyciens de la nécropole de Teimussa.

Ile de Kekova, ruines de la cité d'Apollonia partiellement engloutie dans l'antiquité.

Ilot près de Kekova, ruines de la cité antique d'Apollonia.