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mardi 27 août 2024

Tableaux singuliers (20)

JL Hamon, Cantharide esclave, 1857, huile sur papier marouflé sur toile 
(coll. musées de Compiègne)

Remerciements : la moitié des données de cette chronique proviennent de l’énorme thèse (2013) de 580p. (et les Annexes de 250Mo) de Mme Jagot (aujourd'hui directrice des musées de Tours depuis 2021), très documentée sur ce mouvement un peu fictif que fut le cénacle des peintres Néo-grecs.

Le tableau d’aujourd’hui est certes singulier pour mériter de paraitre dans cette rubrique, mais il est surtout, pour les rares spécialistes qui en avaient entendu parler, totalement inattendu. 

Ils le croyaient disparu quand Drouot annonça la vente le 31 mai 2024 "d’une collection inédite", la collection secrète d’un anonyme dont le produit serait légué à l’Institut Pasteur.
Et parmi des pièces de qualité médiocre à faible, et des estimations moyennes de quelques centaines d’euros (catalogue en PDF), il y avait cette Cantharide esclave de Jean-Louis Hamon, lot n°51, un petit tableau de 47cm, estimé 2 à 3000€.

Exposé sous le n°1297 au Salon du Louvre de 1857, où il avait été très remarqué, comme on le constatera plus loin, il n’était connu que par une gravure d’Édouard Rosotte parue dans l’Artiste (en 1859 ?) et dont on trouve des exemplaires dans de grands musées comme Philadelphie, ou pour 50€ sur eBay, preuve d’une certaine popularité. 

On (la critique, les salonniers) avait apprécié les premières œuvres de Jean-Louis Hamon, quand il exposait aux côtés de son ami Jean-Léon Gérôme qu’on découvrait alors dans son premier succès retentissant, le fameux combat de coqs du salon de 1847. On pensait que leur vie en phalanstère, avec Picou, Boulanger et quelques autres, et leurs thèmes d’inspiration antique, marqueraient les débuts d’un mouvement qui soufflerait un air frais et balaierait les derniers relents de la grandiloquente peinture d’histoire de monsieur David et du romantisme dégoulinant de Delacroix et Vernet, tout en se gardant de tomber dans les monstruosités du réalisme de monsieur Courbet.
On les appela alors les Néo-grecs, ou parfois les Étrusques, ou l’école de Gérôme, occasionnellement les Pompéiens, voire les Pompéistes, selon le degré d’appréciation.

À l’époque Hamon faisait déjà des tableaux aux couleurs douces, éteintes, aux lignes souples, aux formes parfois incertaines, et aux sujets allégoriques, tellement qu’ils en étaient nébuleux et que les critiques comprenaient peu les idées qu’ils exprimaient (on constate dans une correspondance citée par Mme Jagot que le peintre ne les comprenait pas vraiment non plus).
Monsieur Larousse, qui avouait sa faiblesse pour certaines des mièvreries du peintre, disait de lui dans son grand dictionnaire du 19e siècle "tout est si vaporeux […] c’est le rêve d’une ombre […] des compositions d’une grâce quelque peu nébuleuse, à notre sens un peu puérile, que néanmoins la gravure et la lithographie ont popularisées […] des œuvres à peine intelligibles et exécutées avec une telle sobriété de couleur, qu’elles ont à peine une apparence matérielle"

On n'a pas trouvé de reproduction acceptable des tableaux de Hamon sur internet (sauf son autoportrait du musée Magnin de Dijon, photo personnelle). Orsay en possède un de 3,15m qu’il expose. Nantes également (et un autre plus petit). Pour être sincère, même de cette dimension, on peut passer à côté sans les remarquer.
Le musée de Cleveland détient une curiosité, les 4 saisons, une pochade de la main des 4 fondateurs, Picou, Gérôme, Boulanger, et le mélancolique Hamon qui s’est vu attribuer l’hiver. 

En 1857 donc, année féconde, Hamon expose au Salon 9 tableaux avec des jeunes filles, des fleurs, des papillons, et sa Cantharide esclave. 
Sa peinture, qui n'a pas évolué, est jugée souffreteuse, hésitante, et surtout sibylline, indéchiffrable pour les salonniers qui ont mis une dizaine d’années à réaliser que ce qui rassemblait ces peintres néo-grecs, à part des ateliers communs, était uniquement leur penchant pour l’anecdotique et le sentimental. Cette école ne saurait jamais s’affirmer et affronter la crudité naturaliste de monsieur CourbetÇa n’était pas un mouvement, seulement un regroupement contingent d’individualités, qui s’est d’ailleurs effiloché quand Gérôme l’a quitté pour se marier avec une des filles d’Adolphe Goupil, le grand marchand et éditeur d’art international, et que les prix de ses tableaux devenaient indécents au point que seuls les américains pouvaient désormais les acheter.
À part Gérôme - et encore son renouveau est-il récent en France - tous ces néo-grecs ont été oubliés. On en rencontre parfois par hasard dans les musées de province, qui sont bien obligés, pour occuper leurs cimaises, d’accepter les aumônes que le Louvre leur concéde.

Or quand la critique s’aperçoit qu’elle s’est trompée, elle devient hargneuse. Et en 1857 elle s’est acharnée particulièrement sur Hamon et son coléoptère. Hélène Jagot rapporte dans sa thèse, par de nombreux extraits de presse, l’entêtement des critiques et des caricaturistes :
"La peinture hiéroglyphique de Jean-Louis Hamon”, sa "macédoine philosophique", "D’une nature très distinguée, très ingénieuse et très fine : il a toutes les qualités du monde ; il ne lui reste qu’à devenir peintre", "Hamon se creuse la tête et il invente la cantharide grand format, la cantharide grosse comme un bouledogue et enchaînée dans une niche à chiens.", "Ce n’est pas un jury de peintres qui aurait dû se prononcer sur un pareil cas d’aliénation mentale [...]. Le hanneton que M. Hamon, lui, a dans le plafond…", [On lui recommande] "un régime alimentaire plus riche [et plus loin un stage chez M. Courbet] pour être enfin en mesure de peindre correctement et d’abandonner les sujets trop enfantins"…

Deux ans plus tard, au salon de 1859Nous avertissions, il y a deux ans, M. Hamon qu’il allait se perdre. C’est fait. Il ne reste rien de M. Hamon. On ne peut imaginer un tableau plus vulgairement nul, plus lourdement insignifiant que son Amour en visite. Comme sujet, c’est toujours une pauvre petite charade bien prétentieuse; comme peinture, cela fait presque regretter ses anciens tableaux, qui n’étaient pas peints du tout, et qui n’existaient que par le contour.Et Daumier d'en faire alors une caricature où on voit l’Amour ailé pris d’embarras gastriques s’impatienter devant la porte des cabinets.

On peut effectivement déplorer l’inspiration doucereuse de Hamon et son talent de peintre limité, quand Gérôme, au moins, savait rendre spectaculaire n’importe quelle anecdote. Et la déception de la critique était peut-être attisée par la réception plutôt favorable de Hamon par la bourgeoisie aisée, et par l'État qui lui avait acheté plusieurs tableaux, dont les plus grands, Ma sœur n'y est pas de 1852 (Compiègne 1,56m.)la Comédie humaine de 1852 (Orsay), l’Escamoteur de 1861 (Nantes), et lui avait même accordé la croix de la Légion d'honneur en 1855. 
Malgré cela, Mme Jagot précise "Hamon, ne supportant plus les quolibets et voyant sa réputation – et sa situation financière – en pleine déroute, quitte la France quelques années plus tard". 
Il voyagera alors en orient, puis à Rome en 1863, et enfin s'installera à Capri - il est des exils plus cruels - et continuera à exposer irrégulièrement au Salon, toujours avec un petit succès, en ne perdant rien de son inspiration bisounours. Il mourra à 53 ans en 1874.

Hamon aura malgré tout vécu de sa peinture. Nombre des tableaux qu'il a vendus ne sont pas connus, ou sont dits de localisation inconnue quand on en a le titre par un catalogue ou par une reproduction en gravure. Comme la Cantharide esclave ils peuvent réapparaitre un jour, par exemple à l'occasion d'un héritage.

La véhémence de la critique envers la Cantharide esclave était exagérée. Ce petit tableau a quelque attrait.
La cantharide est une de ces pauvres bêtes prétendues aphrodisiaques depuis l’antiquité. Même Wiki, l’encyclopédie des familles, se garde de donner un avis médical, mais écrit immédiatement après, phrase ambigüe, que l’efficacité de la cantharide est douteuse et (mais !?) qu’elle peut entrainer de douloureux priapismes, urines sanglantes, vomissements, et la mort en cas de surdose ! À lire ses citations émoustillantes, de Sade à Mistral, on se demande comment l’espèce n'a pas déjà disparu, pour les mêmes raisons que le rhinocéros.
Le point de vue du peintre semble plus retenu. On soupçonne, à l’abandon mélancolique de la jeune femme, que la cantharide réduite en poudre, même à l'aide d’une dose démesurée, ne parviendra pas à susciter le désir de l’être qui la fait soupirer, ni à lui faire oublier sa propre langueur. 

Pour un regard contemporain qui a vu les centaines de milliers d’élytres de scarabée collées par Jan Fabre dans la Salle des glaces du palais royal de Bruxelles (retournez-vous et zoomez, ou levez le nez et zoomez sur le plafond et le lustre central), pour un regard submergé par ces surenchères du 3ème millénaire, cette petite scène languissante et énigmatique, imaginée par Hamon avant même les écoles symboliste et surréaliste, exhale une fraicheur un peu fanée méritant bien la préemption par les musées de Compiègne, qui emportèrent ainsi l'enchère du 31 mai 2024 contre 10 400€ frais compris.

Épilogue 

En réalité, le 31 mai, pour tous les amateurs et experts, la curiosité de cette vente inattendue n’était pas le discret n°51, mais le lot suivant, le n°52, surprise de la vacation, un tableau du meneur malgré lui de la classe des néo-grecs, Jean-Léon Gérôme. Un tableau découvert à cette occasion, inconnu même du catalogue raisonné du peintre, et en outre réellement singulier dans son œuvre, un tableau presque vide (comme la mort du maréchal Ney, ou Ils conspirent).
Il représente une petite barque de naufragés dans une mer d’un mètre sur 70 centimètres, d’un mouvement et d’un bleu franchement ratés (Gérôme n’a jamais été un coloriste très raffiné), peinte vers 1901, et que tout le monde appelle sottement "une épave". Il est parti contre 593 000$ frais compris, probablement pour l'étranger puisque le polémiste M. Rykner en réclame, après la vente, la préemption par le musée d'Orsay.

Peu importe, on l'aura oublié dans quelques mois, quand le délicat tableau de la Cantharide esclave, rafraichi, dans son joli cadre doré à festons ciselés, agrémentera peut-être un des somptueux salons déserts du château de Compiègne ou de son musée, sous les ors du Second Empire, précisément l’époque où le neurasthénique Jean-Louis Hamon dessinait ce songe singulier sur une feuille de papier et le coloriait légèrement à l’huile.


lundi 19 juin 2023

Invendus (4)

Il était impensable, dans un blog respectable surveillé par quasiment 30 lecteurs réguliers et quelques centaines de robots indexeurs, de publier une image du tableau dont il est question dans cette chronique - d’autant qu’une bonne part de la presse sur internet s’en est chargé - nous avons donc pris le parti de ne pas nous éloigner du thème, le nu féminin, tout en restant de bon gout et instructif pour la jeunesse.


Monsieur N. n’a pas de chance. À chaque tentative il aperçoit, à sa portée, le sommet qui finalement se dérobe.

On se souviendra peut-être qu’il était en 2018 l’inventeur (au sens juridique de celui qui découvre) d’un grand nombre d'objets des Arts incohérents datant des années 1880, trouvés dans une malle, dont des raretés comme le célèbre "Combat de nègres de nuit" de Bilhaud en 1882. Les experts du musée d’Orsay en étaient émus. Les autres l'étaient moins. En 2021 certaines des pièces étaient décrétées "trésor national". Des doutes subsistaient cependant (relatés ici). Le journal Libération en fit une enquête en 2022, qui redoubla les suspicions. Finalement le très informé Vincent Noce pense, dans la Gazette de Drouot cette semaine, que monsieur N. pourra, à l’échéance de l’interdiction d’exportation fin 2023, rempocher ses trouvailles et tenter de les vendre à plus crédules.

Cette année, le même inventeur découvrait un tableau de Gustave Courbet, dument signé, qu’il avait acheté pour une misère, sans nom d'auteur, à Drouot. Ces choses arrivent parfois. C’est une femme nue allongée sur une toile de 1,60 mètre devant un peu de verdure et les doigts dans une mare. Tout y est parfaitement laid et maladroit. Des experts, sans doute intéressés, l’excusent en affirmant que c’est une étude, une esquisse du grand maitre de la peinture réaliste (sur 1,60 mètre, qui le croira ?)

Monsieur N., pressé de le vendre un bon prix, déclinait l’invitation par l’institut Courbet d'étudier son authenticité et trouvait l’attachante et serviable famille Rouillac pour y croire (ou le faire croire), et le soumettre aux enchères dans leur célèbre garden-partie annuelle, la 35ème, au château d’Artigny, après une promotion excessive et une étude convaincue de 7 pages dans le catalogue de la vente, sous le numéro 115. Les superlatifs les plus incongrus y sont employés (sulfureux, apogée, ultime témoignage spirituel...) À sa lecture le musée d'Orsay refusant d’être impliqué a demandé que soit retirée l’expression "[Tableau] exposé au musée Courbet à Ornans avec le soutien exceptionnel du musée d’Orsay". Il avait en effet été exposé en 2019 comme authentique aux côtés d’un Courbet d’Orsay patenté. L'expression est toujours dans le catalogue en ligne.

Le 4 juin on s'attendait à des offres de plusieurs centaines de milliers d’euros. Mais personne n’enchérit.
Cela rappelle la 33ème garden-partie et l’épisode des efforts acrobatiques des Rouillac père et fils pour se défaire sans succès d’un tableau de Monet absolument indigeste (narré là).
Ces déceptions adviennent parfois. Elles ne semblent avoir entaché ni le succès des ventes de la garden-partie - peut-être les ont-elles stimulées - ni l’enthousiasme des organisateurs.

Monsieur N. est reparti avec son Courbet sous le bras (façon de parler, le tableau encadré fait plus de 2 mètres). Si près du but, c’est dommage. Et dire que ça pourrait être un tableau authentique de Courbet. On lui en attribue de si mauvais.

samedi 19 novembre 2022

La vie des cimetières (105)

Camille Martin, Après l'enterrement 1889 (Musée des beaux-arts de Nancy).
Puis avec un peu de chance on tombe sur un véritable enterrement, avec des vivants en deuil et quelquefois une veuve qui veut se jeter dans la fosse, et presque toujours cette jolie histoire de poussière…
Premier amour, Samuel Beckett. 

L’enterrement est un évènement pittoresque dans l'ennui des cimetières. Les peintres le représentent généralement au moyen de noir, de gris, et de beaucoup de bruns.

Pour Gustave Courbet, dans le gigantesque Enterrement à Ornans du musée d’Orsay, c’est l’occasion d’une imposante galerie de portraits agglomérés en une frise sans perspective, massive et sombre, sur 21 mètres carrés. Un style monumental, antiquisant sans l’idéalisation de l’antique. Il en fait le manifeste du réalisme social en 1849. Vaste programme.

Pour Camille Martin, modeste peintre naturaliste lorrain ami d’Émile Friant, qui expose Après l’enterrement au salon de 1889, aujourd’hui au musée de Nancy, c’est surtout l’occasion pour quelques vieux amis du défunt de se retrouver sous la pluie d’hiver et se crotter les souliers en chœur dans la boue du cimetière.

Que la scène se passe après l’enterrement ne parait pas tout à fait évident si on cherche à reconstituer l’anecdote.
La tombe se trouverait ainsi au fond, dans l’axe vertical sous la fumée blanche. On y distingue derrière les trois personnages une masse de personnes en noir tous parapluies ouverts. L’assistance commence à se disperser et suit le corbillard vide sur la route carrossable (ce qu’on pourrait prendre pour le cercueil n’est alors que le catafalque surélevé). La dispersion est attestée par la dame la plus à gauche après le bosquet, qui monte manifestement dans la direction opposée.

Toujours dans cette hypothèse la direction de la bande d’anciens amis ou collègues au premier plan est plus difficile à identifier. Ils auraient quitté la cérémonie sans suivre le convoi, descendu le chemin non carrossable et boueux vers le spectateur, et se seraient arrêtés de façon désordonnée pour attendre ceux qui remontaient leurs bas de pantalon (à l’extrême droite)
Le personnage de face, qui écarte les bras d’un air de signifier à l’homme de dos et aux pantalons ostensiblement retroussés "Qu’est-ce que vous faites, on vous attend ?", lui demanderait seulement "Mais où allez-vous ?".
Se retournant l’interpelé lui répondrait alors "On prend le raccourci du bistro, on va méditer au chaud sur les fragilités de la condition humaine."

On voit par là que ça n’est pas toujours le tableau le plus monumental, le plus révolutionnaire, le plus chargé de sens, qui s’avère le plus philosophe.
Et toc !

samedi 27 novembre 2021

Répine l'inattendu

Cette chronique sera courte. On a déjà parlé ici-même du peintre russe Ilya Répine, en 2013, et ça suffisait bien.
Mais voilà que la Russie, qui prête rarement les tableaux des peintres russes (*), qui sont donc pour cette raison quasiment inconnus à l’ouest, vient de faire traverser les vestiges du rideau de fer à une centaine de toiles de Répine.

Répine Ilya, L’inattendu, retour inespéré d’un activiste politique dans sa famille, 1888, Galerie Tretyakov, Moscou (détail). Wikipedia raconte en détail l’histoire anecdotique de ce tableau qui est à paris jusqu’à la fin de l’année 2021.

Répine était un peintre naturaliste, vériste disent certains, bref un peu sinistre. Pas question d’arrangements avec la réalité, rien ne devait paraitre fabriqué, pas de poses affectées, ou alors il ratait, comme quand il s’essayait à peindre des fééries. Somme toute une sorte de Courbet en moins pâteux, mais avec des dispositions pour le portrait. On l’a dit, Lénine l’estimait « fondateur du réalisme soviétique ».

Ainsi la Russie le prête jusqu’à la fin de l’année au musée du Petit palais de Paris, qui est une institution sérieuse. D’ailleurs l’annonce de l’exposition (on ne peut pas vraiment parler de promotion) est lugubre, notamment cette vidéo de 40 secondes, chef-d’œuvre de dissuasion. 

Peut-être serez-vous découragés par cette chronique déprimée, alors avant de vous jeter du premier pont venu, promenez-vous dans cette galerie monumentale, gratuite et sans laissez-passer, où vous verrez non pas 100 comme au Petit palais, non pas 200, pas le double, mais 518 œuvres de Répine, téléchargeables et de qualité convenable (n'oubliez pas la suite en bas de la page des vignettes)

À vous de voir...


(*) C'est la malédiction des peintres russes. L’étranger qui visite la Russie préfère aller voir les peintres italiens ou français qu’il connait déjà, à l’Ermitage ou au musée Pouchkine, plutôt que de découvrir la peinture russe au Musée Russe ou la galerie Tretyakov. Et dans l’autre sens, les Russes prêtent facilement à l'étranger, mais seulement leurs tableaux européens, à des vendeurs de sacs à main, les mêmes qui, acoquinés avec le pouvoir, privatisent des lieux publics pour y construire des musées extravagants à coups d’avantages fiscaux, puis rameutent la presse, et font payer, pour la deuxième fois, le brave contribuable qui fait la queue pendant des heures pour revoir des tableaux figurant des lieux familiers, par des peintres qu’il connait par cœur.

dimanche 15 juin 2014

Le retour du refoulé

Pour fuir l'intolérable pudibonderie des grands réseaux sociaux et la censure aveugle des moteurs de recherche nous éviterons de nommer directement l'objet de cette chronique par ses noms les plus usuels. Georges Brassens l'appelait jadis « Le Blason ». De nos jours, le dernier cri est de le nommer « L'Origine du monde », ce qui est tout de même très approximatif sur le plan scientifique, et de l'exposer fièrement sur les cimaises des musées les plus en vogue.

Qui ignore encore ce tableau, illustrissime depuis peu, de Gustave Courbet, peintre provocateur du milieu du 19ème siècle qui peignait à grand renfort de couleurs au bitume et au blanc de plomb des tableaux naturalistes devenus aujourd'hui très sombres ?
L'œuvre figure un corps féminin réaliste sans jambes ni bras ni tête, comme une nature morte posée sur un étal, avec au milieu un organe velu. Depuis qu'il est exhibé en permanence, depuis 1995, la pensée parisienne s'enthousiasme sur ce puissant symbole d'on ne sait trop quoi, au point qu'il est presque devenu l'emblème du musée qui l'héberge et le fleuron des ventes de cartes postales.

Le 29 mai 2014, une jeune femme en robe dorée (filmée par un complice) s'approchait calmement du tableau de Courbet, s'asseyait sur le sol en lui tournant le dos, écartait généreusement les cuisses et s'aidant des mains présentait alors au public épars du musée une vue plus explicite encore que celle du tableau qui lui servait de modèle.
On a pu lire que son geste était dicté par un concept consistant et impérieux, ce que ne confirme pas réellement le poème puéril récité pendant l'exhibition sur les notes de l'inévitable rengaine de l'Ave Maria de Schubert. On peut également mesurer la profondeur vertigineuse du verbiage de la dame dans cette vidéo.
Disons simplement que pour faire plus provocateur que le tableau de Courbet, il fallait bien exposer la réalité plutôt que sa représentation. C'est le fondement de tout exhibitionnisme.
Notons cependant que Courbet, qui aimait pourtant faire scandale, n'avait pas peint ce tableau pour choquer, mais pour le cabinet privé d'un riche diplomate turc et obsédé.

Robert Crumb, dessin original pour la couverture du numéro 13 de la revue Weirdo représentant 20 modèles de psychopathes sexuels. Le 21ème est le dessinateur.

Le plus amusant dans cette historiette libidinale est certainement l'illustration éclatante de la schizophrénie d'une société qui peut, sur la même image, afficher sans vergogne un blason triomphal, et flouter ou masquer la même chose quand elle constitue une intrusion de la réalité dans son confortable univers imaginaire. On le constatera sur les photos de la scène reproduites dans la presse.