La vie des cimetières (105)
Camille Martin, Après l'enterrement 1889 (Musée des beaux-arts de Nancy).
Puis avec un peu de chance on tombe sur un véritable enterrement, avec des vivants en deuil et quelquefois une veuve qui veut se jeter dans la fosse, et presque toujours cette jolie histoire de poussière…Premier amour, Samuel Beckett.
L’enterrement est un évènement pittoresque dans l'ennui des cimetières. Les peintres le représentent généralement au moyen de noir, de gris, et de beaucoup de bruns.
Pour Gustave Courbet, dans le gigantesque Enterrement à Ornans du musée d’Orsay, c’est l’occasion d’une imposante galerie de portraits agglomérés en une frise sans perspective, massive et sombre, sur 21 mètres carrés. Un style monumental, antiquisant sans l’idéalisation de l’antique. Il en fait le manifeste du réalisme social en 1849. Vaste programme.
Pour Camille Martin, modeste peintre naturaliste lorrain ami d’Émile Friant, qui expose Après l’enterrement au salon de 1889, aujourd’hui au musée de Nancy, c’est surtout l’occasion pour quelques vieux amis du défunt de se retrouver sous la pluie d’hiver et se crotter les souliers en chœur dans la boue du cimetière.
Que la scène se passe après l’enterrement ne parait pas tout à fait évident si on cherche à reconstituer l’anecdote.
La tombe se trouverait ainsi au fond, dans l’axe vertical sous la fumée blanche. On y distingue derrière les trois personnages une masse de personnes en noir tous parapluies ouverts. L’assistance commence à se disperser et suit le corbillard vide sur la route carrossable (ce qu’on pourrait prendre pour le cercueil n’est alors que le catafalque surélevé). La dispersion est attestée par la dame la plus à gauche après le bosquet, qui monte manifestement dans la direction opposée.
Toujours dans cette hypothèse la direction de la bande d’anciens amis ou collègues au premier plan est plus difficile à identifier. Ils auraient quitté la cérémonie sans suivre le convoi, descendu le chemin non carrossable et boueux vers le spectateur, et se seraient arrêtés de façon désordonnée pour attendre ceux qui remontaient leurs bas de pantalon (à l’extrême droite).
Le personnage de face, qui écarte les bras d’un air de signifier à l’homme de dos et aux pantalons ostensiblement retroussés "Qu’est-ce que vous faites, on vous attend ?", lui demanderait seulement "Mais où allez-vous ?".
Se retournant l’interpelé lui répondrait alors "On prend le raccourci du bistro, on va méditer au chaud sur les fragilités de la condition humaine."
On voit par là que ça n’est pas toujours le tableau le plus monumental, le plus révolutionnaire, le plus chargé de sens, qui s’avère le plus philosophe.
Et toc !
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