Affichage des articles dont le libellé est Univers. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Univers. Afficher tous les articles

lundi 16 août 2021

Comptes de faits (5)

Le pendule de Léon Foucault, épisode 2 de 2
 
 
Exposition Maurizio Cattelan, décembre 2016 à la Monnaie de Paris. Tentative de démontrer la vitesse de rotation de la Terre à l'allure qu'adopterait un cheval ? Alors l’expérience a échoué. L’animal morose n'a jamais ébauché le moindre pas.
 
 
Dans le premier épisode, Léon Foucault nous demandait d’imaginer que la Terre tournait sur elle-même, quand on voyait pivoter le plan d’oscillation d’un énorme pendule suspendu au plafond sous la coupole du Panthéon de Paris.

Or il faisait un tour en 32 heures. Il aurait dû le faire en 23h.56m.04s., qui est en tout lieu la période de rotation de la terre, mais Léon Foucault nous expliqua que le pendule accusait tout à fait naturellement une déviation qui le ralentissait en proportion de sa latitude sur le globe, sauf aux pôles - un mathématicien compétent avait imaginé la formule exacte - et qu’arrivé sur l’équateur terrestre il s’arrêterait de tourner, son axe se déplaçant alors en même temps que la Terre comme sur une ligne droite. Ce qui fit dire aux rieurs que si Foucault avait été de ces colonisateurs du Gabon qui venaient de créer Libreville, il n’aurait jamais fait cette découverte.

Fâché de n’avoir pas trouvé l’instrument universel, Foucault se mit immédiatement à la conception d'un dispositif basé sur un principe similaire mais qui serait indépendant de sa position sur Terre. Et comme il était génial il pensa à la toupie et inventa dès 1852 le gyroscope, sorte de pendule qui tourne très vite et qui a la propriété de ne jamais dévier de son axe, même cul par dessus tête, où qu’il se trouve sur Terre. Désormais équipé de cet instrument, l’explorateur ne pouvait plus se perdre et retrouverait sa boussole même au Gabon.

Alors, direz-vous, pourquoi avoir déclaré, au premier épisode, que Foucault avait menti ?
Mais parce qu’il ne nous a pas conté, dans cette histoire de pendule enchanté, la partie réellement merveilleuse, la fin (enfin, disons la suite), qu’il ne connaissait pas.

Car à mesure qu'étaient perfectionnés les instruments, ils indiquèrent que le pendule (ou le gyroscope), qui se balançait déjà au pôle comme si la Terre n’existait pas, se moquait également du Soleil. Lancé précisément dans sa direction, il en dérivait après quelques semaines pour aller voir ailleurs. Il n’avait pas plus de respect pour les étoiles proches dont il s’éloignait au bout de quelques années, et s’il parait finalement s’aligner sur les galaxies les plus lointaines, c’est peut-être dû aux limites des instruments de mesure. Autour de lui, non seulement la Terre, le système solaire, mais l’univers entier semble tourner sans qu'il s'en soucie.
Certains physiciens et mathématiciens en concluent qu’il est aligné sur l’Univers dans son ensemble, ce qui n’explique pas le phénomène. D’autres, formalistes, y voient une ténébreuse histoire de référentiels, un leurre de la modélisation.

En 1981, l’astrophysicien Hubert Reeves terminait son livre « Patience dans l’azur, l’évolution cosmique » par le rapprochement de trois énigmes, trois phénomènes naturels actuellement inexpliqués :
 
- Le rayonnement fossile, les premiers photons observables de l’univers en expansion, aujourd'hui presque totalement refroidis, et dont la température est identique dans toutes les directions, donc dans des endroits de l’univers qui n’auraient « jamais été reliés causalement »,
- Le paradoxe EPR ou la non-localité, quand des particules qui ont interagi restent corrélées quel que soit leur éloignement, comme si elles étaient en contact permanent hors de toute causalité, en dépit de la limite de la vitesse de la matière.
- Et enfin le pendule de Foucault, qui ignore les influences locales et s’aligne superbement sur « la quasi-totalité de l’univers observable ».

 
Reeves concluait « Il y aurait en quelque sorte deux niveaux de contact entre les choses. D’abord celui de la causalité traditionnelle [les principes de la physique]. Et puis un niveau qui n’implique pas de force d’un corps sur un autre, pas d’échange d’énergie [les trois énigmes] … L’uniformité des lois de la physique relèverait de cette même propriété de la matière. En un sens, l’univers resterait toujours et partout présent à lui-même ».

Espérons la découverte ou l’expérience qui viendra un jour élucider cette intuition. Ou l’invalider.
En attendant, hypnotisés par ce pendule imperturbable, on est déjà à des années-lumière des Mille et une nuits.
 
 
Sources
 

- Pour comprendre facilement le comportement du pendule et du gyroscope, une vidéo magistrale de 2018 de l’Université de Mons en Belgique (durée 1 heure), vivante et pédagogique, illustrera définitivement cette chronique.
 
- La biographie scientifique de Foucault par William Tobin en 2002, « Le miroir et le pendule » est la référence indispensable pour qui s’intéresse sérieusement aux comptes de faits.
 
- S’il fallait aller plus loin, la documentation sur le pendule est considérable. On évitera le verbiage soporifique du roman homonyme d’Umberto Eco, qui ne fera qu’embrouiller ou dévoyer toute pensée éprise de limpidité.
On trouvera des approches un peu originales chez Villemin, Les idées froides, l’université de Nantes (manipulations), et dans l'Encyclopédie Imago Mundi.
  

lundi 30 septembre 2019

Distrayons-nous avec l’ICOM

L’ICOM (International council of museums ou Conseil international des musées), est une association internationale des professionnels de musée (non commerçants), régie par la loi française de 1901, et dont le rôle est de réunir régulièrement, en un forum où ils parlent de musées, les acteurs du métier, s’ils ont payé leur cotisation annuelle.

Une association étant tenue de définir son domaine et son objet, en l’occurrence le musée, l’ICOM avait statué en 2007 sur l’énoncé suivant :
« Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation.  »

En gros, le musée est une institution qui préserve et diffuse le patrimoine. Définition simple, claire et sans arrière-pensée, sinon l'ambigüité du mot patrimoine (étymologiquement, ce qui appartenait au père, la mère n’ayant rien à transmettre, bien entendu).
Et terminer sur le mot délectation était une idée savoureuse, presque voluptueuse.

Mais les modes tournent, et pour pimenter cette année 2019, un comité désœuvré de l’ICOM a proposé d'adopter sa nouvelle définition, où le musée est désormais pluriel (attention, ça va un peu piquer le cortex préfrontal:

« Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire. »

Si vous ne saviez pas ce qu’était un musée avant de lire cette définition, vous ne le savez probablement pas plus maintenant, mais vous savez un peu mieux ce qu’est la poésie, car la formulation est imprégnée du flou, de l’indécis qui font les délices des poèmes de Mallarmé ou de Rimbaud.

D’ailleurs tout est poésie dans cette définition ; « Les passés et les futurs », ce pluriel qui signifie aux humains qu’il peuvent encore modeler leur destinée (s’ils fréquentent les musées), et tous ces mots sublimes et définitifs (mis en relief par l’auteur de cette chronique), « polyphoniques », « égalité mondiale »,  et ces « musées transparents », que l’image est belle ! Tout serait à surligner !
Deux petites remarques toutefois, le mot patrimoine est encore présent, malgré ses connotations phallocrates, et puis, finir une définition par l’épithète « planétaire » peut sembler un peu réducteur. Nous proposerions « universel », qui est plus inclusif.

Cette définition œcuménique a pourtant provoqué un séisme dans le milieu (plutôt conservateur, par obligation) des musées, et généré une opposition virulente, relayée par le monde des chroniqueurs de l’art, Noce, Rykner, Dumont.
Elle a donc été, sans surprise, rejetée par plus de 70% des membres de l’Assemblée générale extraordinaire de l’ICOM.

En réalité, elle n’a pas été rejetée, mais reportée sans échéance certaine, ce qui la nimbe d’un voile supplémentaire d’indétermination. Or l’irrésolu sied exactement à une définition, puisqu’elle autorise ainsi tous les sens et sera comprise de tous.
Et c’est bien la vocation d’une association internationale sans but lucratif que de faciliter les échanges de vues entre les humains, accompagnés d’alcools, de petits fours et de mignardises, quand le budget le permet.

vendredi 12 avril 2019

Le « Léonard » a disparu

Le « génie universel » de Léonard de Vinci est une création de la littérature et des médias. À l’exception de dessins et de quatre ou cinq tableaux prodigieux, Léonard n’a laissé que des œuvres inachevées (pathologie constatée par ses contemporains même), raté la plupart de ses expérimentations, hormis les spectacle avec machineries, musique et costumes, et couvert plus de 7000 feuilles de gribouillages spéculaires à la limite de l’autisme, remplis d’utopies mécaniques qui ne fonctionnent pas, de listes de choses à ne pas oublier, de dessins de cadavres qu’il dépeçait consciencieusement, et d’observations visionnaires qui seront lues trop tard.
Sa plus grande réussite est certainement sa renommée posthume. Car comment expliquer l’hystérie médiatique autour de la Joconde, ou le prix exorbitant et insensé atteint par ce tableau médiocre, le Salvator Mundi, restauré « à la Léonard », et qui lui est attribué par un nombre déclinant de spécialistes ?

On se souviendra peut-être du premier acte de cette comédie burlesque, où l’on voyait ce tableau raté, représentant un christ junkie bénissant distraitement et tenant un orbe, acheté 450 millions de dollars par le prince MBS, satrape de l’Arabie saoudite, et promis à devenir la « Joconde » du musée de prestige des Émirats arabes unis, le Louvre Abu Dhabi, qui venait alors d’ouvrir.

Hélas, depuis les enchères miraculeuses du 15 novembre 2017, les aventures du tableau le plus cher du monde piétinent. Personne ne sait où il se trouve. Toujours pas sur les cimaises du musée d’Abu Dhabi. Et plus se manifestent les doutes sur sa paternité, plus les communications des autorités compétentes se font chaotiques.

Sur son site ArtWatch, Michael Daley signale un article du 16.02.2019 du Telegraph qui annonçait que le Louvre, doutant de son authenticité, n’inclurait pas le tableau dans sa grande exposition d’automne pour le 500ème anniversaire de la mort de Léonard. Le Telegraph tenait cette affirmation d’un spécialiste du peintre et familier des autorités du musée.
Dès le lendemain, l’attaché de presse du musée, pour discréditer le témoignage du spécialiste, mentait en minimisant ses relations avec le Louvre, et déclarait que le musée voulait le Salvator Mundi pour sa superproduction d’octobre et l’avait demandé à son propriétaire, sans autres précisions.

Daley déduit, de ces atermoiements et faux démentis, que le Louvre aimerait exposer le tableau (sa renommée à 450M$ réjouirait le compteur de visites), mais pas sous le nom de Léonard (peut-être comme « atelier de » ou « école de »), et que le propriétaire aimerait prêter le tableau, mais uniquement s’il était attribué sans réserve à Léonard (histoire de lui donner, avec la bénédiction du plus grand musée du monde, la respectabilité nécessaire à la rentabilisation d’un investissement foireux).

Après ce deuxième acte confus et cornélien, le spectateur espère sans doute un acte final détendu, où tout le monde s’embrasse devant le tableau réapparu et lance au public un clin d’œil complice.
On sait déjà qu’il se déroulera au plus tard le 24 octobre 2019, jour de l’ouverture du super show Léonard de Vinci au Louvre, et on peut, sans trop de risque, supposer que la fin sera effectivement heureuse, que les bonnes relations diplomatiques et commerciales y auront infusé leur bonne humeur.

Et on frissonnera dans l’attente du catalogue de l’exposition qui devrait être un summum d’érudition. Il attribuera le tableau à la main de Léonard, comme l’avait déjà fait la National Gallery de Londres en 2011. Une note de bas de page, en caractères minuscules, dans une annexe très technique, émettra peut-être discrètement un léger doute, en priant pour ne pas être remarquée.
Peut-être même y trouvera-t-on, attribué également à Léonard, la belle princesse, ce dessin refusé en 2011 par la National Gallery, alors qu’il semblait présenter, il est vrai à grand renfort de documentaires et d’articles de presse sensationnalistes, des arguments d’authenticité plus probants que le Salvator Mundi.

Mais pour l’instant, à 6 mois seulement de l’exposition monumentale, un silence de tombeau pèse étrangement sur le site du Louvre, certainement par respect pour le grand génie. N’oublions pas qu'on célèbrera alors l’anniversaire de sa mort.



Léonard de Vinci, Codex atlantico, projets mécaniques, planches utilisées par Électricité de France pour construire la centrale nucléaire de nouvelle génération de Flamanville. Par chance, comme tous les projets de Léonard, celui d'EdF traine depuis 14 ans et n’est pas près de voir le jour (Milan, bibliothèque Ambrosienne).

dimanche 25 janvier 2015

Pourquoi les tortues ne sont pas cubiques

Au commencement, Dieu a créé les tortues cubiques.
Mais c’était l'hécatombe, dès qu’une tortue faisait un faux pas et se retrouvait sur le dos elle était incapable de se redresser sur ses pattes, se desséchait sur place et mourait.
Après une période de réglages, qui dut être amusante à observer, puisqu'on y voyait gambader des tortues aux formes les plus expérimentales, Dieu finit par trouver la courbure idéale de la carapace qui permit à la tortue, une fois renversée, de se retourner et de retrouver le plus souvent une position décente.

C'est le journal scientifique américain Discover Magazine qui vient de le dire, d’après des mathématiciens terriblement compétents, aidés de calculs horriblement compliqués qui affirment que les tortues terrestres dont les pattes et le cou sont trop courts pour servir de points d’appui ne peuvent se redresser que parce que la courbure du dôme de leur carapace est calculée pour un mouvement de basculement quasi optimal.
Pourquoi quasi ? L’article ne le dit pas, mais on peut imaginer que c’est pour justifier la série de gesticulations éperdues qui agite un temps la tortue avant qu’elle ne recouvre sa dignité.
Suggérons à ces fervents mathématiciens que les tortues dont la courbure était défavorable et qui ne se seront pas retournées n’ont probablement pas pu se reproduire (malgré une position avantageuse pour la chose), entrainant ainsi petit à petit l’extinction de ces lignées à la géométrie inadaptée.

Ce genre de déduction à l’envers fleurit depuis quelques années dans les revues scientifiques. Par exemple, la Lune aurait-elle été un peu déplacée que l’instabilité de l’axe de la Terre n’y aurait pas permis l’éclosion de la vie (ni la formulation d’un tel truisme).
Il en ressort généralement l’impression que tout cela a été calculé et ajusté par une intelligence supérieure dans l’intention narcissique d’être admirée par ses propres créatures.

Tortue expérimentale dans son ascension vers le paradis des tortues ratées (Gênes, musée d’histoire naturelle).

Ces articles sur le réglage « miraculeux » des paramètres de l’Univers rappellent irrésistiblement la célèbre vidéo d’une sorte de prédicateur américain, au début des années 2000, « la banane, cauchemar des athées ».
Cette vidéo fut souvent prise pour une parodie des dogmes théistes tant son argumentaire était dérisoire, alors qu’elle voulait être à l’origine une démonstration de l’existence d’un dieu.
Le pauvre illuminé y constatait que la banane possède le même nombre de faces que l’intérieur de la main humaine a de replis, assurant ainsi une parfaite préhension, que la banane est dotée d’un code de couleurs permettant de la consommer sans erreur, vert pour bientôt mangeable, jaune pour consommable, noir pour gâtée, qu’elle est munie d’une excroissance en haut exactement conçue pour l’ouvrir et en déployer la peau aisément autour des doigts sans se salir, et ainsi de suite. Il en concluait que seul un être supérieurement intelligent pouvait l’avoir conçue ainsi.

La réfutation de ces inepties sur Wikipedia est savoureuse (malheureusement en anglais). Elle montre une banane à l’état naturel avant qu’elle n’ait été domestiquée et métamorphosée par quelques millénaires de culture humaine ; et cette banane sauvage ne possède aucune des propriétés qui en font, d’après le brave catéchiste, la création d’un dieu suprêmement intelligent.

À l’évidence les propriétés de notre monde font qu’il peut exister. En logique cela s’appelle une tautologie. Et l’ajustement des valeurs de ses paramètres ne prouve rien de plus. Réglé différemment, il existerait différemment et les tortues seraient peut-être cubiques avec des pattes sur tous les côtés.

Ou peut-être n’existerait-il pas, ni la question de son existence.

dimanche 10 juin 2012

La platitude de l'Univers


Les dernières mesures de la savante Shirley Ho, relatées par la revue Ciel & Espace dans son récent numéro 505, le démontrent : dans l'Univers l'énergie noire est trois fois plus puissante que les forces d'attraction de la matière. C'est certainement irrévocable.

Ne demandez pas aux savants ce qu'est l'énergie noire (ou sombre). Ils n'en savent rien pour l'instant et s'en sortent en invoquant une énergie du vide. Cependant elle est là, et domine les forces de l'Univers, de sorte que les galaxies s'éloignent globalement les unes des autres, et de manière accélérée. Ainsi un jour la matière n'aura plus assez d'énergie et se délitera, les électrons quitteront les atomes, le vide deviendra encore plus vide, le froid plus définitif.

On avait quelques temps espéré que le grand gâchis thermodynamique de l'Univers ralentirait un jour, passerait par une phase de stabilité, puis s'inverserait dans une grande implosion, pour recommencer un nouveau cycle avec de la matière fraiche, ce qui était, au moins intellectuellement, assez satisfaisant. Mais les conclusions de Shirley Ho sont sans appel, car elle les obtient par l'observation minutieuse des oscillations acoustiques de la matière ordinaire. C'est dire.
On a beau savoir, la Lune s'éloignant puis le soleil explosant bientôt, que la vie sur Terre n'en a pas pour très longtemps, disons un à deux milliards d'années ce qui n'est déjà pas terrible pour certains projets personnels, il est tout de même vexant d'apprendre que tout cela n'aura servi à rien, puisque tout s’éteindra irrémédiablement.

Et puis, une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule (axiome hautement scientifique), les calculs de Shirley Ho ont également confirmé la topologie de l'Univers, sa forme globale. Il est plat.
Les lignes parallèles ne s'y rencontreront jamais. Pythagore et Euclide en seraient ravis. Et toutes les autorités de l'antiquité et du moyen-âge qui affirmaient que le Monde était plat, raillées quand il a été prouvé que la Terre - qui n'est qu'un accident local - était ronde, tous ces penseurs avaient donc raison.
Ajoutons qu'il suffisait de constater la banalité des résultats du concours de la chanson de l'Eurovision, des prix littéraires ou de l'élection présidentielle, et de tant d'autres jalons de notre civilisation, pour se convaincre de la platitude, de l'ennui de cet univers.

lundi 24 mai 2010

Bricoler l'univers

Tant de choses nous dépassent... À commencer par le nombre de textes religieux, philosophiques, voire scientifiques sur le sujet, qui déclarent que l'univers est inconnaissable puisqu'on en fait partie. Des milliers de pages pour affirmer que l'inconnu restera à jamais inconnu. La démarche de la connaissance semblant sans fin, le filon est inépuisable.
Pourtant, certains défricheurs se sont sorti l'esprit de cette glu sophistique pour se mettre au travail. Et le résultat est là. Les éditions Eaglemoss proposent le mode d'emploi, les outils, et les pièces détachées pour «construire le système solaire».

Ce qui étonnera d'abord le lecteur engourdi de «Science & Vie» accoutumé aux débauches d'énergie de l'épopée du Big Bang, c'est la modestie des moyens à mettre en œuvre pour créer un système solaire, incitant l'écervelé à se lancer sans précaution dans cette aventure. L'apport au démarrage est proche de zéro. Mais pour le gestionnaire tatillon, les informations sur les moyens et les délais à investir sont trop escamotées et disparates.

C'est pourquoi Ce Glob Est Plat, champion de toutes les vocations scientifiques inabouties, a expertisé les Conditions Générales de cette offre (onglet "Bon de commande"), et en propose le tableau récapitulatif ci-contre qui figure le calcul le plus optimiste en fonction des éléments fournis par l'éditeur, ici et ici.

Notez qu'après deux ans et demi de persévérance, si vous avez réussi à ne pas perdre la moindre pièce, et si l'horlogerie du système fonctionne, jours, nuits, saisons, rien ne garantit que vous pourrez alors voir apparaitre la vie. En effet la documentation ne cite pour tout «élément» que le laiton chromé. Les composants chimiques nécessaires à la création de la vie seront fournis dans une autre série à venir, sans doute. Mais cette aventure vous aura cependant apporté sagesse et patience. Et elle aura démontré que la légende qui prétend le ciel, la Terre et les grands luminaires créés en quatre jours est largement erronée. 900 jours au moins sont nécessaires pour obtenir une Terre à peu près opérationnelle.



Répétons-le, pensez à nettoyer régulièrement vos outils, notamment si vous réalisez plusieurs programmes simultanément. On remarquera sur l'illustration ci-dessus, à quelques détails subtils, que le montage approximatif de cette planète a été effectué avec des outils qui servaient en même temps au programme «J'épile mon caniche» des éditions Jeunesse et Nature.

dimanche 18 avril 2010

Décervelage, friperie et fuite du cosmos

« Comment va le monde ?
- Il s'use Monsieur, à mesure qu'il devient. »
William Shakespeare, Timon d'Athènes, Acte 1, scène 1.

Au nord de l'Europe, le plan machiavélique du Père Ubu vient d'échouer. Afin de prendre le pouvoir en Pologne et y mener force décervelages et manger constamment de l'andouille, on se souvient que le Père Ubu avait, la semaine dernière, envoyé par avion les plus hauts dignitaires de l'État polonais, président, gouvernement, armées et banque, rendre hommage aux milliers de compatriotes massacrés par son copain Staline en 1940. On se souvient en outre qu'ayant instauré un impôt sur le décès (15 francs), le Père Ubu avait saboté l'avion présidentiel, ce qui lui rapporta presque 1500 francs.
Son but était d'organiser de colossales obsèques à Cracovie, d'y attirer les dirigeants éplorés de tous les états du monde et de les supprimer sur place. Malheureusement, l'espace aérien européen est vide, interdit depuis quelques jours, et les chefs d'état, américain, anglais, allemand, espagnol, français ont tous annulé ce déplacement funéraire. Le grand décervelage n'aura pas lieu. Et le Père Ubu ne peut s'en prendre qu'à lui-même, car désireux d'être seul au pouvoir, il avait expédié la Mère Ubu dans l'espace à l'aide d'une catapulte de son invention. Mais l'horrible femme et son énorme postérieur, par gravité, sont retombés précisément dans le cratère ressuscité d'un volcan islandais célèbre depuis, faisant ainsi fondre un glacier millénaire et libérant une vapeur pestilentielle (des années d'alimentation à base d'andouilles) qui couvre maintenant toute l'Europe et paralyse la circulation aérienne.

Les restes calcinés de la Mère Ubu.

Pendant ce temps, entre le 10 avril et le 23 mai, des millions de personnes apparemment saines d'esprit et un Pape se rendront à Turin, et adoreront une pièce de toile, datée d'à peine 6 siècles d'après la méthode du carbone 14, et qui aurait enveloppé le corps de leur dieu crucifié voici 2000 ans. Ils appellent cet événement rare une «ostension extraordinaire du Saint-Suaire».
La croyance est invulnérable ; elle ne fait appel ni à la raison ni au doute. «Heureux ceux qui croient sans avoir vu» dit le Christ à Thomas (Jean 20-29). Ces foules qui s'entassent pour adorer une relique effraient, comme les festivités wagnérienne de Bayreuth, les fêtes de la bière, les matchs au stade de France, les pèlerinages rituels dans les pas des prophètes. On y entend comme le beuglement angoissé de l'espèce humaine.

Et on apprend en couverture du numéro de mai de la revue Ciel & Espace que le cosmos s'enfuit ! Comprenez par là que tout s'éloigne définitivement, et de plus en plus rapidement, ça vient d'être prouvé. C'est à cause de l'énergie du vide. Parce que le vide n'est pas réellement vide, en fait. Alors les galaxies se séparent des galaxies, les étoiles des étoiles, et un jour les atomes s'éloigneront des atomes.
On s'en doutait un peu. Il suffisait de compter les amis qu'il nous reste, de regarder l'état du plafond, de dénombrer la récolte quotidienne de la brosse à cheveux ou de rechercher un nom ou un mot connus sans jamais y parvenir, pour constater que tout s'enfuit, sans avoir à invoquer ces hypothétiques forces de l'univers. La véritable question est combien de temps cela s'éternisera. Et bien la science répond qu'on en aura pour 100 milliards d'années, pas plus. C'est embêtant.

Pour finir, le président de la République vient de nommer, le 15 avril, le nouveau président de l'Agence France Presse (AFP), agence «indépendante» de toute pression et influence, source principale de l'information en France. Dans ces conditions, Ce Glob Est Plat pourra difficilement garantir les informations qu'il diffuse.

Enfin n'oubliez pas de régler vos 25 euros de cotisation à l'AAAV (Association des Amis d'Alexandre Vialatte). Le blog est mourant, mais l'association active. Elle vient de publier son 35ème cahier annuel, une constellation de correspondances, critiques et manuscrits autour des Fruits du Congo, le grand roman mélancolique de Vialatte, hanté par Monsieur Panado, qui est un peu le rejeton du Père Ubu.

dimanche 7 décembre 2008

Comptes de faits (1)

« Il en est ainsi du soleil, de la lune, des étoiles, croyons-le la lumière que ces astres nous envoient, ils la produisent par des émissions sans cesse renouvelées et ils perdent leurs flammes à mesure qu'elles se produisent. Ne va donc pas les regarder comme doués d'une indestructible vigueur. » (Lucrèce, 1er siècle avant notre ère, « De la nature des choses », livre 5, 300).

Il me semble que c'est Alphonse Allais qui, dans une parodie de programme électoral, proposait la limitation de la vitesse de la lumière dans toutes les agglomérations. Depuis, nul n'ignore que cette vitesse est finie. C'est une des lois fondamentales de la nature. On sait peut-être moins comment cette loi fut découverte. C'est ce que racontera aujourd'hui Ce Glob Est Plat, inaugurant ainsi un nouveau type de chronique intitulé «Comptes de faits». «Faits» parce qu'on n'y parlera que d'événements avérés, de faits indubitables, et «Comptes» parce qu'ils seront relatés chiffres à l'appui, avec toute la rigueur et la probité qu'on attendrait d'un expert comptable.

Il y eut un temps où l'homme pensait déterminer sa longitude (c'est à dire le quartier d'orange où il se trouve sur terre ou en mer) en scrutant la position des satellites de Jupiter et calculant leur parallaxe. C'était une idée de Galilée qui les avait découverts en 1610.
Alors commença l'observation frénétique et méticuleuse des éclipses de Io par Jupiter.

En 1671, Cassini à Paris et Picard à Uraniborg, au Danemark, assistés par Ole Rømer parvinrent à déterminer la différence de longitude entre les deux villes en comparant l'heure précise des éclipses de Io. Ils confirmèrent également des anomalies notées par Cassini depuis 1666 dans ses longues campagnes d'observation pour établir ses éphémérides, les tables des heures des éclipses. Ces dernières prenaient parfois de l'avance, et parfois du retard sur les calculs de Cassini.

Qui, le premier, s'est rendu compte que les retards se produisaient quand la Terre s'éloignait de Jupiter, et les avances quand elle s'en approchait ? Qui imagina l'explication de ces anomalies, et comprit que la lumière mettait un certain temps à parcourir la distance séparant les deux planètes, un temps mesurable et dépendant de la distance ?

Dès 1672 Rømer travaillait avec Cassini à l'observatoire de Paris. En août 1675 Cassini écrivait «Cette inégalité (les écarts constatés) paraît venir de ce que la lumière met dix à onze minutes à parcourir un espace égal au demi-diamètre de l'orbite terrestre». Mais c'est Rømer qui mit l'Académie des Sciences en émoi en prédisant et justifiant le retard de 10 minutes de l'éclipse du 9 novembre 1676. Cassini avait-il abandonné l'idée parce que Rømer en était le véritable inventeur ou parce que Louis 14 lui avait confié la direction de l'observatoire de Paris et que c'était alors un crime de lèse-cartésien, voire un blasphème d'imaginer que la lumière se propageait à une vitesse calculable, et non instantanément ?
Il opposa à Rømer que les autres satellites de Jupiter ne semblaient pas aussi lunatiques et que les écarts étaient dus à une excentricité de l'orbite de Io. Il savait que les observations des autres satellites étaient à l'époque insuffisantes. On se rangea de son côté.

De retour au Danemark en 1681, Rømer fut durant 30 ans un scientifique et un homme public innovateur, progressiste, estimé et honoré, mais il n'exploita jamais les conséquences de sa découverte. L'idée mit du temps à être acceptée. Elle ne le fut totalement que 50 ans plus tard, en 1727, quand James Bradley la confirma en expliquant le phénomène d'aberration de la lumière.

Quelques savants, comme Empédocle, des siècles auparavant, avaient soupçonné que la lumière se déplaçait, mais Rømer en avait apporté la preuve. Pour la première fois on mesurait une quantité universelle. La lumière donnerait une unité de distance et de durée. On pourrait désormais remonter dans le passé et retracer l'histoire de l'univers. Il prendrait bientôt des dimensions inimaginables, dans l'espace et dans le temps.


La vitesse de la lumière, sources principales :
  1. Une bonne biographie de Rømer (en anglais, la française étant indigente),
  2. Une explication précise de la découverte de Rømer,
  3. Un article sur les modes de calcul de la vitesse de la lumière, intéressant malgré de grandes imprécisions sur certaines dates (Galilée y fait encore des expériences 25 ans après sa mort, et Cassini publie ses célèbres éphémérides à 13 ans),
  4. Un article passionnant de 2001 de JM. Vigoureux, «La lumière se meut» paru dans Ciel & Espace, numéro spécial 11, novembre 2008.