Comptes de faits (1)
« Il en est ainsi du soleil, de la lune, des étoiles, croyons-le la lumière que ces astres nous envoient, ils la produisent par des émissions sans cesse renouvelées et ils perdent leurs flammes à mesure qu'elles se produisent. Ne va donc pas les regarder comme doués d'une indestructible vigueur. » (Lucrèce, 1er siècle avant notre ère, « De la nature des choses », livre 5, 300).
Il me semble que c'est Alphonse Allais qui, dans une parodie de programme électoral, proposait la limitation de la vitesse de la lumière dans toutes les agglomérations. Depuis, nul n'ignore que cette vitesse est finie. C'est une des lois fondamentales de la nature. On sait peut-être moins comment cette loi fut découverte. C'est ce que racontera aujourd'hui Ce Glob Est Plat, inaugurant ainsi un nouveau type de chronique intitulé «Comptes de faits». «Faits» parce qu'on n'y parlera que d'événements avérés, de faits indubitables, et «Comptes» parce qu'ils seront relatés chiffres à l'appui, avec toute la rigueur et la probité qu'on attendrait d'un expert comptable.
Il y eut un temps où l'homme pensait déterminer sa longitude (c'est à dire le quartier d'orange où il se trouve sur terre ou en mer) en scrutant la position des satellites de Jupiter et calculant leur parallaxe. C'était une idée de Galilée qui les avait découverts en 1610.
Alors commença l'observation frénétique et méticuleuse des éclipses de Io par Jupiter.
En 1671, Cassini à Paris et Picard à Uraniborg, au Danemark, assistés par Ole Rømer parvinrent à déterminer la différence de longitude entre les deux villes en comparant l'heure précise des éclipses de Io. Ils confirmèrent également des anomalies notées par Cassini depuis 1666 dans ses longues campagnes d'observation pour établir ses éphémérides, les tables des heures des éclipses. Ces dernières prenaient parfois de l'avance, et parfois du retard sur les calculs de Cassini.
Qui, le premier, s'est rendu compte que les retards se produisaient quand la Terre s'éloignait de Jupiter, et les avances quand elle s'en approchait ? Qui imagina l'explication de ces anomalies, et comprit que la lumière mettait un certain temps à parcourir la distance séparant les deux planètes, un temps mesurable et dépendant de la distance ?
Dès 1672 Rømer travaillait avec Cassini à l'observatoire de Paris. En août 1675 Cassini écrivait «Cette inégalité (les écarts constatés) paraît venir de ce que la lumière met dix à onze minutes à parcourir un espace égal au demi-diamètre de l'orbite terrestre». Mais c'est Rømer qui mit l'Académie des Sciences en émoi en prédisant et justifiant le retard de 10 minutes de l'éclipse du 9 novembre 1676. Cassini avait-il abandonné l'idée parce que Rømer en était le véritable inventeur ou parce que Louis 14 lui avait confié la direction de l'observatoire de Paris et que c'était alors un crime de lèse-cartésien, voire un blasphème d'imaginer que la lumière se propageait à une vitesse calculable, et non instantanément ?
Il opposa à Rømer que les autres satellites de Jupiter ne semblaient pas aussi lunatiques et que les écarts étaient dus à une excentricité de l'orbite de Io. Il savait que les observations des autres satellites étaient à l'époque insuffisantes. On se rangea de son côté.
De retour au Danemark en 1681, Rømer fut durant 30 ans un scientifique et un homme public innovateur, progressiste, estimé et honoré, mais il n'exploita jamais les conséquences de sa découverte. L'idée mit du temps à être acceptée. Elle ne le fut totalement que 50 ans plus tard, en 1727, quand James Bradley la confirma en expliquant le phénomène d'aberration de la lumière.
Quelques savants, comme Empédocle, des siècles auparavant, avaient soupçonné que la lumière se déplaçait, mais Rømer en avait apporté la preuve. Pour la première fois on mesurait une quantité universelle. La lumière donnerait une unité de distance et de durée. On pourrait désormais remonter dans le passé et retracer l'histoire de l'univers. Il prendrait bientôt des dimensions inimaginables, dans l'espace et dans le temps.
La vitesse de la lumière, sources principales :
- Une bonne biographie de Rømer (en anglais, la française étant indigente),
- Une explication précise de la découverte de Rømer,
- Un article sur les modes de calcul de la vitesse de la lumière, intéressant malgré de grandes imprécisions sur certaines dates (Galilée y fait encore des expériences 25 ans après sa mort, et Cassini publie ses célèbres éphémérides à 13 ans),
- Un article passionnant de 2001 de JM. Vigoureux, «La lumière se meut» paru dans Ciel & Espace, numéro spécial 11, novembre 2008.
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