Affichage des articles dont le libellé est Galilée. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Galilée. Afficher tous les articles

mardi 10 août 2021

Comptes de faits (4)

Le pendule de Léon Foucault, épisode 1 de 2
 
Au lieu de lire des fééries aux enfants pour les endormir, ce qui finit par leur faire croire qu’il existe un deuxième monde, plus beau que le premier - et ils en seront frustrés toute leur vie -, on devrait leur conter l’histoire magique des découvertes de la science, une histoire dont l’exactitude peut être vérifiée le matin au réveil.
Stupéfiante, elle révèle que le monde ne fonctionne pas tout à fait comme nos sens le perçoivent, qu’il est mieux organisé, plus riche, d’une inventivité sans limites, et qu’il fonctionne selon la logique des Shadoks, par des essais aléatoires incessants, qui auront d’autant plus de chances de réussir que le nombre de ratages a été important.
C’est une histoire sans fin où chaque secret de la nature dévoilé est plus merveilleux que les précédents puisqu’il les contient tous.
 
Prenons le secret du pendule de Léon Foucault, par exemple.

En dépit de ce qu’affirmaient depuis plus de 2000 ans les savants les plus érudits, d’Aristarque de Samos à Copernic, Galilée ou Newton, on ne s’était jamais faits à l’idée que nous vivions à la surface d’une toupie qui tournait à la vitesse de 1000 ou 1500 kilomètres par heure. En l'absence d'accélération on n’en ressentait pas les effets.
Les indices dus à l’effet centrifuge, comme le léger aplatissement de la terre ou la pesanteur un peu plus forte aux pôles, ou la déviation horizontale d’un projectile, étaient difficiles à prouver, et peu convaincants (sauf peut-être pour les marins - voir l’illustration).

Le principe de parcimonie, qui a si souvent raison, avait beau nous suggérer que faire voltiger les planètes, le Soleil et des millions d’autres soleils à une vitesse vertigineuse autour d’une Terre immobile n’était pas la solution la plus économe, on voulait une évidence, une preuve directe de la rotation. Ou une bonne campagne publicitaire.

Et Léon Foucault, expérimentateur et inventeur génial, nous apporta les deux, en mars 1851, à l'aide d'un banal pendule.


Les marins savaient depuis toujours que la Terre pivote sur elle-même, parce qu'ils urinaient souvent sur leurs propres chaussures. Ils en avaient fait des monuments - ici dans le port d’Ostende - qui indiquaient la direction de rotation de la terre, et à l’instar du marin au pied de la colonne, il suffisait d’orienter le jet à l’opposé. Après nombre d’échecs, ils comprirent que des paramètres locaux, perturbations atmosphériques, quantité d’alcool absorbée, influençaient fortement les calculs.

 
Comme pour toute grande invention, l’idée flottait déjà dans l’air. Tout scientifique savait depuis Galilée qu’un pendule met toujours le même temps, dépendant uniquement de la longueur de la corde, pour parcourir une oscillation, quelle qu’en soit l’amplitude, et qu’il se maintient toujours dans le même plan. Il savait également, s’il était un peu bricoleur que l’orientation du plan d’oscillation d’une tige souple sur un axe qu’on met en rotation ne varie pas non plus.
Léon Foucault comprit un jour que ce comportement incongru mais réel des choses cachait une règle plus fondamentale, la rotation de la Terre, et qu’il pourrait peut-être réaliser l’expérience qui la matérialiserait.
 
Il fit quelques essais, infructueux, avec un pendule dans sa cave en janvier 1851, puis à une plus grande échelle à l’Observatoire de Paris en février où était invitée la crème des savants parisiens « Vous êtes invités à voir tourner la Terre, dans la salle méridienne de l’Observatoire de Paris, demain, de 2 heures à 3 heures », enfin en grande pompe en mars sous la coupole du Panthéon de Paris au bout d'un filin de 67 mètres.
 
Le succès de la démonstration fut planétaire. Malgré la précision requise dans la mise au point, toute ville qui possédait une coupole suffisamment haute répliqua l’expérience du pendule dans les mois qui suivirent. 39 se balançaient déjà dès juillet aux États-Unis. À Paris, voir la Terre tourner était alors gratuit. De nos jours, il en coute une dizaine d'euros et une preuve de vaccination contre le coronavirus. Notez que la Terre ne tourne pas les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
 
« Venez voir tourner la Terre ». La formule était saisissante. En réalité, ce qu’on voyait, c’était le plan d’oscillation du pendule qui changeait progressivement d’orientation en laissant à chaque balancement, toutes les 16,5 secondes, une petite trace décalée dans un cercle de sable. À raison de 11,3 degrés par heure à Paris, c’était décevant.
 
Léon Foucault garantissait qu’il n’y avait aucun trucage, « c’est l’effet de l’inertie de la masse » disait-il, affirmant que le pendule ne tournait pas mais qu’on le voyait tourner parce que c’était nous, avec la Terre, qui tournions autour du pendule.
L'explication était loin d’être parcimonieuse, mais comment ne pas le croire, il était parrainé par François Arago, académicien et ancien ministre, et financé par Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République et bientôt empereur.

Or Léon Foucault, sans le savoir, nous mentait... (À suivre)

mardi 14 avril 2020

Histoire sans paroles (36)

Nombre de penseurs de tous les temps, et même des mathématiciens contemporains, ont affirmé, dans l’esprit de Platon, que la mathématique n’est pas une création du cerveau humain comme l’est le langage, destiné à simplifier et transmettre sa vision du monde, mais qu’elle préexiste, comme une entité abstraite, avec ses règles, ses formes et sa logique, comme la lumière, le feu ou les nuages, et que l’humain la découvre par une sorte d’opération magique et l’utilise alors comme outil pour comprendre le monde.
C'est vrai, pourquoi faire simple et évident alors qu’on peut faire complexe et invérifiable ?
Cela rappelle la célèbre démonstration faite par un prédicateur américain sur la banane, qu’il affirmait conçue par une intelligence créatrice nécessairement supérieure à l’humain, et dont ce dernier aurait compris le fonctionnement en constatant, parmi d’autres caractéristiques miraculeuses, que sa forme coïncidait exactement à la conformation des phalanges de la main pour une préhension idéale (*). 
Il faut admettre avec ces adeptes du surnaturel, que si la ligne droite tangente à un cercle (notre illustration, la Creuse à la croix de Laumay) ne respectait pas les règles de base prescrites par la géométrie, elle pourrait bien toucher ce cercle en plus d’un point, et entrainer ainsi des catastrophes ferroviaires certainement dommageables.
Comme l'écrivait Galilée en substance en 1623 dans Il Saggiatore (Le Trébuchet), « l’univers est écrit en langage mathématique, ses caractères sont des figures géométriques, et tenter de le comprendre sans connaitre ce langage serait une vaine errance dans un sombre labyrinthe. »

(*) Lire également dans ce même blog sur un sujet très voisin : Pourquoi les tortues ne sont pas cubiques.

dimanche 7 décembre 2008

Comptes de faits (1)

« Il en est ainsi du soleil, de la lune, des étoiles, croyons-le la lumière que ces astres nous envoient, ils la produisent par des émissions sans cesse renouvelées et ils perdent leurs flammes à mesure qu'elles se produisent. Ne va donc pas les regarder comme doués d'une indestructible vigueur. » (Lucrèce, 1er siècle avant notre ère, « De la nature des choses », livre 5, 300).

Il me semble que c'est Alphonse Allais qui, dans une parodie de programme électoral, proposait la limitation de la vitesse de la lumière dans toutes les agglomérations. Depuis, nul n'ignore que cette vitesse est finie. C'est une des lois fondamentales de la nature. On sait peut-être moins comment cette loi fut découverte. C'est ce que racontera aujourd'hui Ce Glob Est Plat, inaugurant ainsi un nouveau type de chronique intitulé «Comptes de faits». «Faits» parce qu'on n'y parlera que d'événements avérés, de faits indubitables, et «Comptes» parce qu'ils seront relatés chiffres à l'appui, avec toute la rigueur et la probité qu'on attendrait d'un expert comptable.

Il y eut un temps où l'homme pensait déterminer sa longitude (c'est à dire le quartier d'orange où il se trouve sur terre ou en mer) en scrutant la position des satellites de Jupiter et calculant leur parallaxe. C'était une idée de Galilée qui les avait découverts en 1610.
Alors commença l'observation frénétique et méticuleuse des éclipses de Io par Jupiter.

En 1671, Cassini à Paris et Picard à Uraniborg, au Danemark, assistés par Ole Rømer parvinrent à déterminer la différence de longitude entre les deux villes en comparant l'heure précise des éclipses de Io. Ils confirmèrent également des anomalies notées par Cassini depuis 1666 dans ses longues campagnes d'observation pour établir ses éphémérides, les tables des heures des éclipses. Ces dernières prenaient parfois de l'avance, et parfois du retard sur les calculs de Cassini.

Qui, le premier, s'est rendu compte que les retards se produisaient quand la Terre s'éloignait de Jupiter, et les avances quand elle s'en approchait ? Qui imagina l'explication de ces anomalies, et comprit que la lumière mettait un certain temps à parcourir la distance séparant les deux planètes, un temps mesurable et dépendant de la distance ?

Dès 1672 Rømer travaillait avec Cassini à l'observatoire de Paris. En août 1675 Cassini écrivait «Cette inégalité (les écarts constatés) paraît venir de ce que la lumière met dix à onze minutes à parcourir un espace égal au demi-diamètre de l'orbite terrestre». Mais c'est Rømer qui mit l'Académie des Sciences en émoi en prédisant et justifiant le retard de 10 minutes de l'éclipse du 9 novembre 1676. Cassini avait-il abandonné l'idée parce que Rømer en était le véritable inventeur ou parce que Louis 14 lui avait confié la direction de l'observatoire de Paris et que c'était alors un crime de lèse-cartésien, voire un blasphème d'imaginer que la lumière se propageait à une vitesse calculable, et non instantanément ?
Il opposa à Rømer que les autres satellites de Jupiter ne semblaient pas aussi lunatiques et que les écarts étaient dus à une excentricité de l'orbite de Io. Il savait que les observations des autres satellites étaient à l'époque insuffisantes. On se rangea de son côté.

De retour au Danemark en 1681, Rømer fut durant 30 ans un scientifique et un homme public innovateur, progressiste, estimé et honoré, mais il n'exploita jamais les conséquences de sa découverte. L'idée mit du temps à être acceptée. Elle ne le fut totalement que 50 ans plus tard, en 1727, quand James Bradley la confirma en expliquant le phénomène d'aberration de la lumière.

Quelques savants, comme Empédocle, des siècles auparavant, avaient soupçonné que la lumière se déplaçait, mais Rømer en avait apporté la preuve. Pour la première fois on mesurait une quantité universelle. La lumière donnerait une unité de distance et de durée. On pourrait désormais remonter dans le passé et retracer l'histoire de l'univers. Il prendrait bientôt des dimensions inimaginables, dans l'espace et dans le temps.


La vitesse de la lumière, sources principales :
  1. Une bonne biographie de Rømer (en anglais, la française étant indigente),
  2. Une explication précise de la découverte de Rømer,
  3. Un article sur les modes de calcul de la vitesse de la lumière, intéressant malgré de grandes imprécisions sur certaines dates (Galilée y fait encore des expériences 25 ans après sa mort, et Cassini publie ses célèbres éphémérides à 13 ans),
  4. Un article passionnant de 2001 de JM. Vigoureux, «La lumière se meut» paru dans Ciel & Espace, numéro spécial 11, novembre 2008.

mercredi 27 février 2008

La lune est une chose

Depuis que Galilée l'a visée pour la première fois à l'aide d'une lunette grossissante, on nous répète que la lune est un énorme caillou. Les morceaux de lune, échantillons de roche ou de poussières rapportés sur terre par les pionniers américains au début des années 1970, sont là pour le confirmer : la lune est bien un objet matériel, concret, consistant comme un autobus, tangible comme un platane au bord d'une route départementale. Bref, une chose indiscutable.

Et pourtant, à la voir glisser lentement sur le ciel moucheté d'étoiles, éblouissante, on a du mal à imaginer que c'est autre chose que la forme idéalisée et révérée par nos ancêtres avant Galilée. Sauf les jours où elle est éclipsée. Ces jours-là (ou plutôt ces nuits-là), au moment où elle entre dans l'ombre projetée par la terre, ce qui était un cercle lumineux et abstrait se métamorphose insensiblement en une bille de cuivre rutilante, parfaite comme une perle. Alors pendant quelques dizaines de minutes elle acquiert une présence presque palpable que les photographies ont bien du mal à restituer, à quelques exceptions près, comme sur cette étonnante image de l'éclipse du 21 février dernier capturée par S.G. Sea depuis l'Alaska.

Et encore une fois notre reporter, luttant contre le sommeil, le froid et les nuages, a couvert l'événement pour Ce Glob Est Plat.


La lune le 21 février, peu avant et pendant la totalité de l'éclipse

Au début de la totalité, avec par ordre de magnitude décroissante, Saturne, Regulus et 31 Leo

Prochain rendez-vous astronomique, le 11 juillet 2010 sur l'île de Pâques où cette fois pendant presque 5 minutes la lune occultera le soleil. Souhaitons à notre reporter que les nuées fréquentes à cette saison n'éclipseront pas le tout.

mercredi 14 février 2007

La chute du visiteur

On ne nous fera pas croire que notre époque, dont la science a été capable d'honorer d'un doctorat les grandioses intuitions astrologiques d'Élizabeth Tessier, ne serait pas capable de redresser définitivement la tour de Pise! Il est certain que le nombre de visiteurs s'effondrerait de façon vertigineuse si la tour était rectifiée. Et Pise en accueille tous les ans des centaines de milliers dont le poids entraîne inexorablement la tour vers le sol.

Alors, pour éviter la chute de la tour et des touristes, les responsables ont imaginé un moyen subtil, illustré en bas de cette chronique: tous les jours, aux heures de visite, de robustes ouvriers soutiennent la tour et empêchent son penchant vers l'inclinaison. On ne pouvait rêver technique plus ingénieuse et plus bel hommage, dans la patrie de cet immense savant, Galilée.
D'ailleurs, pour commémorer la délicatesse des traitements administrés au vieux Galilée par les autorités religieuses et honorer le rôle de Pise dans l'histoire de la connaissance, Ce Glob Est Plat suggère d'y instituer une fête de la Science. On organiserait, chaque année, du haut des 55 mètres de la tour, un lâcher d'astrologues. Serait éligible au grand saut tout astrologue dont le résultat des divinations et horoscopes, contrôlé par un organisme particulièrement scientifique (par exemple l'église de scientologie), ne dépasserait pas 25% de prédictions réalisées. C'est un chiffre particulièrement tolérant. Enfin pour les années d'infortune où aucun résultat ne justifierait un lâcher d'astrologue, on choisirait au hasard parmi des ecclésiastiques. À cette occasion, diverses corpulences pourraient être testées afin de démontrer de manière ludique aux enfants avides d'expériences spectaculaires que ce paramètre n'influe pas sur la durée de la chute, comme Galilée l'avait compris.