lundi 16 août 2021

Comptes de faits (5)

Le pendule de Léon Foucault, épisode 2 de 2
 
 
Exposition Maurizio Cattelan, décembre 2016 à la Monnaie de Paris. Tentative de démontrer la vitesse de rotation de la Terre à l'allure qu'adopterait un cheval ? Alors l’expérience a échoué. L’animal morose n'a jamais ébauché le moindre pas.
 
 
Dans le premier épisode, Léon Foucault nous demandait d’imaginer que la Terre tournait sur elle-même, quand on voyait pivoter le plan d’oscillation d’un énorme pendule suspendu au plafond sous la coupole du Panthéon de Paris.

Or il faisait un tour en 32 heures. Il aurait dû le faire en 23h.56m.04s., qui est en tout lieu la période de rotation de la terre, mais Léon Foucault nous expliqua que le pendule accusait tout à fait naturellement une déviation qui le ralentissait en proportion de sa latitude sur le globe, sauf aux pôles - un mathématicien compétent avait imaginé la formule exacte - et qu’arrivé sur l’équateur terrestre il s’arrêterait de tourner, son axe se déplaçant alors en même temps que la Terre comme sur une ligne droite. Ce qui fit dire aux rieurs que si Foucault avait été de ces colonisateurs du Gabon qui venaient de créer Libreville, il n’aurait jamais fait cette découverte.

Fâché de n’avoir pas trouvé l’instrument universel, Foucault se mit immédiatement à la conception d'un dispositif basé sur un principe similaire mais qui serait indépendant de sa position sur Terre. Et comme il était génial il pensa à la toupie et inventa dès 1852 le gyroscope, sorte de pendule qui tourne très vite et qui a la propriété de ne jamais dévier de son axe, même cul par dessus tête, où qu’il se trouve sur Terre. Désormais équipé de cet instrument, l’explorateur ne pouvait plus se perdre et retrouverait sa boussole même au Gabon.

Alors, direz-vous, pourquoi avoir déclaré, au premier épisode, que Foucault avait menti ?
Mais parce qu’il ne nous a pas conté, dans cette histoire de pendule enchanté, la partie réellement merveilleuse, la fin (enfin, disons la suite), qu’il ne connaissait pas.

Car à mesure qu'étaient perfectionnés les instruments, ils indiquèrent que le pendule (ou le gyroscope), qui se balançait déjà au pôle comme si la Terre n’existait pas, se moquait également du Soleil. Lancé précisément dans sa direction, il en dérivait après quelques semaines pour aller voir ailleurs. Il n’avait pas plus de respect pour les étoiles proches dont il s’éloignait au bout de quelques années, et s’il parait finalement s’aligner sur les galaxies les plus lointaines, c’est peut-être dû aux limites des instruments de mesure. Autour de lui, non seulement la Terre, le système solaire, mais l’univers entier semble tourner sans qu'il s'en soucie.
Certains physiciens et mathématiciens en concluent qu’il est aligné sur l’Univers dans son ensemble, ce qui n’explique pas le phénomène. D’autres, formalistes, y voient une ténébreuse histoire de référentiels, un leurre de la modélisation.

En 1981, l’astrophysicien Hubert Reeves terminait son livre « Patience dans l’azur, l’évolution cosmique » par le rapprochement de trois énigmes, trois phénomènes naturels actuellement inexpliqués :
 
- Le rayonnement fossile, les premiers photons observables de l’univers en expansion, aujourd'hui presque totalement refroidis, et dont la température est identique dans toutes les directions, donc dans des endroits de l’univers qui n’auraient « jamais été reliés causalement »,
- Le paradoxe EPR ou la non-localité, quand des particules qui ont interagi restent corrélées quel que soit leur éloignement, comme si elles étaient en contact permanent hors de toute causalité, en dépit de la limite de la vitesse de la matière.
- Et enfin le pendule de Foucault, qui ignore les influences locales et s’aligne superbement sur « la quasi-totalité de l’univers observable ».

 
Reeves concluait « Il y aurait en quelque sorte deux niveaux de contact entre les choses. D’abord celui de la causalité traditionnelle [les principes de la physique]. Et puis un niveau qui n’implique pas de force d’un corps sur un autre, pas d’échange d’énergie [les trois énigmes] … L’uniformité des lois de la physique relèverait de cette même propriété de la matière. En un sens, l’univers resterait toujours et partout présent à lui-même ».

Espérons la découverte ou l’expérience qui viendra un jour élucider cette intuition. Ou l’invalider.
En attendant, hypnotisés par ce pendule imperturbable, on est déjà à des années-lumière des Mille et une nuits.
 
 
Sources
 

- Pour comprendre facilement le comportement du pendule et du gyroscope, une vidéo magistrale de 2018 de l’Université de Mons en Belgique (durée 1 heure), vivante et pédagogique, illustrera définitivement cette chronique.
 
- La biographie scientifique de Foucault par William Tobin en 2002, « Le miroir et le pendule » est la référence indispensable pour qui s’intéresse sérieusement aux comptes de faits.
 
- S’il fallait aller plus loin, la documentation sur le pendule est considérable. On évitera le verbiage soporifique du roman homonyme d’Umberto Eco, qui ne fera qu’embrouiller ou dévoyer toute pensée éprise de limpidité.
On trouvera des approches un peu originales chez Villemin, Les idées froides, l’université de Nantes (manipulations), et dans l'Encyclopédie Imago Mundi.
  

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