samedi 2 avril 2022

Fraises des bois, Marilyn et mondanités

Les médias ont été, derrière les agences de presse, unanimement superlatifs. 

Pour Connaissance des Arts, qui sait dénicher les records les plus farouches, on vient d’assister à un triple record. Notez bien : record d’enchère pour un tableau français du 18ème siècle, record de vente de l’artiste, et record du département Maitres anciens de la salle de ventes, Artcurial. Ils avaient trouvé un quatrième record, celui du nombre de records pour une œuvre dans leur propre revue, mais l’ont retiré lorsque leur comptable, qui se pique de logique, leur eut signalé, la définition du record étant auto-référentielle et récursive, que ce nombre risquait de tendre vers l’infini. 

Dans le Quotidien de l’art, on s’est exclamé fraises propulsées à 20 millions […] nouveau record 2022 […] record mondial pour un peintre français du 18ème siècle ! 
Chez l'excellent Étienne Dumont, dans Bilan.ch, un prix historique […] pour un petit tableau ! […] il a pulvérisé les prix.

Pulvériser ? N’exagérons pas. 24,3 millions d’euros avec les frais soit 30 millions de dollars. Pas même deux fois les estimations. Bien entendu c’est un montant astronomique pour un fragile morceau de toile peinte de 46 centimètres, mais il n’entre même pas dans le livre des 100 tableaux les plus chers. Un peu faible, le petit Chardin, pour rehausser l’honneur de la France dans l’art de la fraise des bois ! 
Et admettons, comme le reconnait Diderot cité par Pierre Larousse (dans Gd dict. Univ. du 19ème vol.3 p.979, 1867), que sa peinture n’est pas toujours très nette « Son faire est particulier ; il a de commun avec la manière heurtée, dans ses compositions de nature morte, que de près on ne sait parfois ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne l'objet se crée et finit par être celui de la nature même. Quelquefois aussi il plait également de près et de loin. »

Restez cependant à l’écoute de notre blog car une surprise vous attend sous peu. Une quatrième chronique sur le sujet des fraises des bois se profile déjà, car les médias disent que l’acquéreur américain du Chardin ne serait que l’intermédiaire d’un musée masqué, que la France peut toujours refuser l’autorisation d’exporter le tableau, et que la toute nouvelle présidente nommée à la tête du musée du Louvre le voudrait à tout prix (lire le postscriptum)
En voilà de l’information. On se croirait devant les statistiques sanitaires d’état d’urgence du ministère de la Santé. 

Goutez ici en prime les inénarrables 8 minutes de la vente, dans une salle où plus personne ne respire (particulièrement le commissaire et l'expert qui toucheront un gros pourcentage), devant une petite image colorée, décentrée, au fond, sur un grand mur blanc.  

***


Vous avez aimé ce potin ? Eh bien préparez-vous à plus merveilleux encore ! 

Car la maison Christie’s vient d’annoncer mettre en vente, en mai, une copie d’un superbe portrait de Marilyn Monroe photographiée en 1953 par Frank Powolny (1902-1986), pour la publicité du film Niagara (Réf. du cliché F-999-S-364, voir notre illustration, un peu rognée)

Mais pas n’importe quelle copie ; une reproduction imprimée par procédé sérigraphique sur une toile colorée à l’acrylique bleu ou vert sauge, et badigeonnée de quelques couleurs kitschs en aplat, rouge rubis, jaune paille et rose bonbon, notamment. C’est Andy Warhol qui l’a réalisée en personne et en 1964. Christie’s l’estime modestement et unilatéralement à 200 millions de dollars minimum (ne vous récriez pas, il n’y a pas d’erreur dans le nombre de zéros). 

La maison de ventes l’explique parce qu’elle est plus célèbre que la photo originale (dont Warhol ni personne ne cite jamais l’auteur), la déclare la peinture la plus importante du 20e siècle en soulignant qu’il ne reste plus que le sourire énigmatique qui la relie à un autre sourire mystérieux d’une dame distinguée, la Joconde. Cela ne veut rien dire, mais ça fait fichtrement poétique, et évocateur d’une montagne de billets, aussi. Christie’s ajoute enfin que tout le produit de la vente ira à une œuvre de charité
On se doutait bien naviguer déjà sur les eaux profondes de la philanthropie. Et l’opération risque fort de réussir. 

L'encyclopédie Wikipédia mentionne qu’en produisant ses séries reprographiées Warhol disait se rebeller contre la marchandisation des artistes dans la société de consommation.
Quel dommage, c’est raté.


Mise à jour le 20.04.2022 : la vente du nouveau record du monde de Warhol aura lieu le 9 mai 2022 à 19h.  

3 commentaires :

Anonyme a dit…

Avec la même régularité que mes poules, Me Costar "pond" sa petite chronique, ronde et savoureuse. Et j'en fais un pareil régal. Merci !
pi

Costar a dit…

Ah je proteste, je suis probablement plus régulier que vos poules. Savent-elles compter jusqu'à 50 ? Sont-elles capables de pondre très exactement ce même nombre d'œufs chaque année ? Et de les répartir le plus uniformément qu'il est possible en 52 semaines, soit 4 ou 5 chaque mois ? Et ce pendant 15 ans ? Je sais qu'une poule ne vit pas 15 ans mais qu'elle peut pondre parfois tous les jours pendant quelques mois, voire plus. L'une de vos poules a-t-elle pondu un jour son 794ème œuf, comme je viens de le faire ?
Bon j'accepte, malgré cela votre flatteuse comparaison.

Anonyme a dit…

Alors, effectivement, les poules ne savent compter que jusqu'à... 1 ! Elles ne s'émeuvent jamais, à ce que je constate, de voir leur œuf disparaître dès lors qu'on leur laisse celui en plâtre à côté duquel elles se déchargent de leur tribut quotidien. Vous êtes à l'évidence plus malin qu'elles !
Quant à leur longévité, je l'ignore ; Maître Renard s'ingéniant avec une régularité non moins remarquable que la leur (et la vôtre) à venir fausser les statistiques. Je puis néanmoins vous assurer qu'elles vivent bien plus longtemps que les deux malheureuses années qui leur sont imparties dans les élevages industriels - et encore ne parlè-je ici que des pondeuses, les poules à viande n'ayant droit qu'à une poignée de mois :-/
Oui, vous avez raison, pour incongrue soit-elle, la comparaison est flatteuse. Si, je vous le concède, les poules, au contraire de vous, manifestent un certain désintérêt pour le monde de l'art - et pour les choses de l'esprit en général - elles témoignent une façon d'être au monde, que je qualifierais volontiers de "sagesse", qui force le respect.
Bravo à elles, bravo à vous.
pi