Jusqu’à l’indigestion
Vous avez nécessairement remarqué que les médias français sont essentiellement préoccupés, depuis peu et pour quelques jours encore, d’un sujet local (en bref, comment éviter que le pire n’advienne tout en le choisissant cependant un peu).
Aussi reviendrons-nous aujourd’hui - on avait prévenu - sur le sujet universel des fraises des bois.
Que dites-vous ? Vous frôlez l’indigestion ? Notez que c’est un peu la faute de Monsieur Chardin. Peindre avec tant d’habileté une bassine ! … une bassine ? une baignoire ! … une baignoire ? que dis-je ? une montagne de fraises, et accompagnée seulement d’un verre d’eau, transparent, livide, blafard, sans sucre, ni biscuit, boudoir ou cigarette russe - ah, l’adjectif était inconvenant ? Je l’ai retiré.
Naturellement ce petit tableau est convoité, démesurément, on l’aura compris à suivre les épisodes de cette série haletante.
[Lire aussi, sur le même sujet et dans l’ordre, Des fraises de Chardin, La poésie à l’huile, Fraises des bois Marilyn et mondanités].
Eh bien sachez qu’était diffusé, dès le lendemain de la vente publique, le premier épisode de la saison 2. On comprend que vous ayez des difficultés à suivre, et c’est un peu notre rôle, médias spécialisés, de vous pré-mâcher et pré-digérer l’information, que vous n’ayez qu’à la régurgiter.
La deuxième saison est donc titrée « Encore un petit coup de Chardin pour la route ». C’est assez vulgaire, effectivement. Peut-être va-t-on y abandonner un peu de nos illusions.
Lors du dernier épisode de la saison 1, qui s'achevait - rappelez-vous - par la célébration de la vente aux enchères, l’équipe de scénaristes avait habilement introduit un personnage qui passait là comme par hasard, la toute nouvelle présidente du musée du Louvre, éblouie par ce monde des objets aux valeurs marchandes extravagantes, prête à s’émoustiller de ses propres pouvoirs (on le découvrira plus bas).
Signalons aux personnes intéressées par les fraises des bois (suivez mon regard) que c’était un des sujets favoris (pas des plus réussis néanmoins) d’Adriaen Coorte autour de 1700, et que sa cote est encore relativement basse. Ainsi elles pourraient s’acheter une quinzaine de Coorte pour le prix du Chardin convoité. Sotheby’s en vend couramment (2009, 2015, 2022) et en a encore en réserve (ci-dessus). Il faut cependant aimer aussi les asperges et les groseilles à maquereau.
Et la saison 2 ne vous décevra pas. Dans ce premier épisode on est exactement le lendemain de la vente historique, et la présidente du Louvre annonce au journal Le Figaro (*) qu’elle veut le Chardin, qu’elle peut l’avoir, mais - et là elle joue sa Cosette - qu’elle n’a pas les moyens de se le payer, ni à 30 (son prix d’adjudication), ni à 15, pas même à 6 ou 7 millions de dollars (**).
(*) L’article est payant, les choses deviennent sérieuses.(**) On est dans un pastiche de série américaine, ne l’oubliez pas (les conversions sont effectuées gracieusement par nos services).
Bien sûr, elle a 40 ou 45 Chardin dans des cartons au Louvre, mais elle veut celui-ci, elle n’en démordra pas. On l’imagine, dans le plus profond désespoir, assistant à l’apothéose du tableau dans un grand musée américain dont ce serait l’unique Chardin, et le voyant reproduit en haute définition sur le site du même musée, téléchargeable librement et sans aucun copyright. On en frémit.
Puis elle se ressaisit, et révèle fièrement avoir demandé au ministère de la Culture de déclarer le tableau Trésor national, ce qui lui donnerait légalement 30 mois pour tenter de réunir 30 millions de dollars.
Quelle entreprise, pour obtenir de l’administration certains avantages immatériels (notez le clin d’œil complice du rédacteur), et être de toute façon remboursée de 90% sur ses propres impôts (***), n’aiderait l’impécunieuse ministre à sauver la Nation tout en améliorant quasi gratuitement sa propre image de marque ?
(***) En tant que donation pour un Trésor national. Rappelons que c’est à coups de centaines de millions d’euros, presque d’un milliard, en grande partie remboursés par les impôts de tous, que la cathédrale de Paris et d’Eugène Viollet-le-Duc attend d’être reconstruite.
Vous avez certainement deviné la suite. Le prochain épisode verrait le lancement d’une souscription nationale. On solliciterait la générosité et la bonne volonté du citoyen, comme pour les 3 nymphettes de Cranach en 2010. C’était alors pour assouvir une passion condamnable du président du Louvre. Ici, ce sera pour satisfaire une envie de fraises.
Mais n’anticipons pas...
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire