Les perles de l'Encyclopédie (2.2)
Ce qui suit est la fin de la chronique commentant les articles écrits par l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot.
ATHÉES :
Cet article et le suivant sont la quintessence de la production Yvonesque. Il y concentre sa bêtise, sa mauvaise foi, sa rouerie, son venin.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.
ATHÉISME :
Ici l'abbé se déboutonne allègrement. Abandonnant les règles les plus élémentaires de la logique qu'il professe dans l'encyclopédie, il exige des athées qu'ils prouvent l'inexistence d'un dieu. Admirons la subtilité de l'argumentaire:
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence.»
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence.»
De nombreux auteurs attribuent l'article DIEU à Yvon, malgré l'absence de sa signature. On y retrouve effectivement son style et ses références. Lisez plutôt: «L'existence de Dieu étant une de ces premières vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles... Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu.». Hélas, ses principaux arguments ont perdu toute pertinence avec les découvertes de l'archéologie et des sciences de l'évolution et de la génétique. Yvon avait même prédit leur invalidation: «Si on prouve que le monde ait existé avant le temps marqué dans cette chronologie, on a raison de rejeter cette histoire». Par Chronologie il entendait celle décrite dans les textes bibliques, qui dataient de 6 à 7000 ans la création de la terre et des humains.
Il continue sa démonstration, juge les systèmes athées trop complexes et difficiles à comprendre comparés à la simplicité de la solution religieuse qui dissout toutes les questions, affirme que l'athéisme avilit et dégrade la nature humaine, et couronne son raisonnement par cette mémorable profession de foi humanitaire:
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.
On raconte parfois que les gargouilles représentent les êtres égarés sans le secours de la foi, rejetés par l'église. L'incroyant a donc le choix: périr par la justice humaine suivant les conseils de l'abbé Yvon ou finir pétrifié pendant quelques siècles dans une pose grotesque, comme ces gargouilles de Notre-Dame de l'Épine, en Champagne.
ATOMISME :
Nous finirons un peu plus légèrement cette balade dans les idées de l'abbé Yvon, par la conclusion de son petit article sur l'Atomisme.
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»
Vous n'avez pas rêvé. Tout cela a été écrit dans la grande Encyclopédie du siècle des lumières par l'abbé Yvon. Le lecteur qui désirera poursuivre la lecture de ces sophismes et démonstrations fumeuses, dont les raisonnements recueillent encore une étonnante considération auprès de certains athées contemporains, en trouvera la liste complète en suivant ce lien, et je lui conseillerai de débuter par la description des monstrueuses conséquences de l'adultère dans la société.
Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.
Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.
2 commentaires :
Hi!
Ne pensez-vous pas que le ton de l'abbé est celui de l'ironie la plus outrée, souverain paratonnerre protégeant des foudres écclésiastiques ?
Hi également,
On pourrait effectivement le penser. C'est ce que pensent ceux qui voient en lui un progressiste et ils trouvent des arguments dans ses écrits. mais alors cette ironie ne l'aura pas protégé puisqu'il a été obligé de fuir la France quelques temps pour ses "idées avancées" et pour revenir pardonné quelques temps après. Mais quel progrès infime que faire des pages, des dizaines de pages remplies d'arguties héritées du Jansénisme pour déclarer que les animaux ont une âme, mais pas immortelle comme celle des hommes. Je pense que l'ironie, pour porter, doit être percutante et concise. Ce n'est pas le cas des interminables entortillements de la pensée de l'abbé. Mon impression est que l'abbé aimait surtout faire briller son intelligence en tentant de brosser tous ses lecteurs dans le sens du poil, ce qui évidemment n'était pas simple quand il s'adressait à la fois à Diderot et aux autorités religieuses.
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