dimanche 4 août 2019

Vous étiez prévenus

En 2013 et 2015, Ce Glob est Plat s’alarmait de l’expansion d’un nouveau mode de commercialisation des données numériques (logiciels, livres, musique), voisin de la location.
Le procédé consiste à ne plus vendre les applications, les fichiers de musique, les journaux et revues, au client, mais à lui accorder un droit d’usage temporaire sur ces objets virtuels. Une location nominative.

Le commerçant n’y trouve que des avantages, le client fort peu. Il ne possède plus rien, ne peut plus partager sa musique, ni imprimer ses livres, ni même copier pour une citation plus d’une phrase à la fois. Le prix de location de la chose est régulièrement révisé, et le client peut tout perdre, sans raison, du jour au lendemain.

Ne croyez pas qu’enfin s’est réalisé le rêve de Proudhon ; la propriété n’a pas disparu, elle s’est seulement concentrée dans quelques mains.
Au moment de sa mort, il restera à planter en terre les restes du client à qui plus rien n’appartient dans un petit sachet biodégradable, et on invalidera ses autorisations de prélèvement mensuel.

Les marchands ont enfin inventé le mouvement perpétuel. On s'arrange pour que le client soit prisonnier de la boucle de fourniture d'un service dont on rend la sortie difficile, par exemple en le mêlant à un fouillis de services complémentaires. La référence ingénieuse en la matière est la location de voiture avec option d'achat (LOA), pourtant plus chère que l'achat d'une voiture à crédit, et dont on ne sort jamais.


Vous connaissez certainement la société Microsoft, créée par Bill Gates que Wikipedia dit philanthrope, et ses logiciels Windows, Word, Excel qui équipent 1,5 milliard d’ordinateurs. Devenu milliardaire, il a constitué une fondation humanitaire qui est en réalité un trust fiscalement optimisé, et qui investit dans les pires industries de la planète. Il aurait ainsi décuplé son capital.
La société Microsoft vend toujours ses applications bureautiques, mais peut-être plus pour longtemps, car elle déploie résolument sa version « en location », Office 365, qui a déjà séduit un troupeau de 220 millions de clients tondus à date fixe.

Et comme le font ses concurrentes pour les livres ou la musique, Apple, Amazon, Google, Spotify, Deezer et tant d’autres, Microsoft vend depuis 2 ans des livres numériques, selon le procédé de l’autorisation temporaire de lecture.
En fait, le verbe est à conjuguer à l’imparfait. Elle vendait. Car considérant que cette activité ne lui rapportait pas suffisamment, elle vient de l’arrêter en juillet 2019. Ce qui signifie que même téléchargés, les livres de la bibliothèque Microsoft ne sont maintenant plus lisibles par les clients qui les ont achetés, car l’autorisation de lecture ne leur est plus accordée par le système de verrouillage.

Et comme Microsoft ne pouvait pas voir sa bibliothèque se répandre librement sur internet en déverrouillant tous les livres vendus, elle a déclaré rembourser les clients qui en feraient la demande.
Il existe heureusement des moyens variés et relativement simples, mais qu’on ne peut pas citer ici, de contourner ces protections, et les infortunés lecteurs de la bibliothèque Microsoft un peu débrouillards qui se feront rembourser pourront ainsi doubler leur mise.

Cet épisode n’est qu’une petite alerte, désagréable pour les amateurs de lecture qui ont fait confiance à une grande entreprise, mais lorsque les mastodontes de la location de livres et de revues en ligne, comme Amazon (Kindle) ou Apple, verront s’éroder leurs bénéfices sous la pression d’une nouvelle concurrence, ou d’un changement de comportement des consommateurs, ne pensez pas que leur altruisme ira jusqu’à rembourser leurs centaines de millions de clients.

Il y a dès maintenant nombre de moyens de ne plus consommer comme on ouvre un robinet d’eau tiède, de consommer sans se soumettre, en achetant un bien et non un droit d'usage. Rester propriétaire des objets culturels numériques est encore possible. Il suffit de chercher un peu.

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