mercredi 14 avril 2021

Salvator Mundi, le retour du zombi

Détail du portrait du Salvator Mundi en cours de restauration par Mme Modestini vers 2005-2006

 
Encore un épisode des tribulations du tableau le plus cher du monde !
 
Cette fois les scénaristes de la série sont en forme, ils ont même un peu fumé la moquette et proposent deux rebondissements simultanés et contradictoires dont les spectateurs ne pourront qu’attendre dans la fébrilité une éventuelle résolution. 

Ce portrait de Jésus, attribué à Léonard de Vinci par ceux qui tirent bénéfice de l’attribution, et boudé par les autres, ce visage flou et fantomatique de diseuse de bonne aventure derrière ses fumigations, ce spectre désossé comme un zombi et qui perd un peu de chair à chaque réapparition, dont on sent malgré le mot FIN qu’il bouge encore et renaitra plus décomposé dans un prochain épisode, ce chef-d’œuvre donc de la renaissance avec une minuscule vient de faire l’objet d’un documentaire récapitulatif de 95 minutes par Antoine Vitkine, diffusé en clair sur le site de France.tv du 13 avril au 12 juin 2021, « Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci ».

Pour qui connait déjà le dossier, le reportage apporte l’éclaircissement de certaines rumeurs vagues, quelques détails savoureux, et une révélation déterminante. Pour qui ne connait pas l’histoire, et pour éviter de renvoyer aux chroniques de Ce Glob qui en ont parlé depuis 2017, voici un résumé des épisodes précédents, qu’on retrouvera richement illustrés à l’écran :
 
1958 : une médiocre effigie du Christ à la boule de cristal, attribuée à Boltraffio, un élève très doué de Léonard de Vinci, est vendue aux enchères 45 livres sterling (équivalant à 1000$ d’aujourd’hui)
 
2005-2007 : le tableau acheté 1100$ est très largement restauré, voire totalement repeint dans l’esprit de Léonard, disent nombre de spécialistes dont une bonne part ne l’ont jamais vu qu’en photographie
 
2007-2010 : la maison d’enchères Christie’s entame une lourde opération de lobbying auprès de quelques experts pour qu’ils l’attribuent à Léonard de Vinci
 
2011 : la National Gallery de Londres (après une réunion informelle et sans trace avec 5 experts qui n’ont pour la plupart pas réellement confirmé) expose le tableau dans le cadre d’une grande rétrospective et l’attribue à Léonard, au mépris de toute déontologie puisqu’il se trouve alors sur le marché de l’art (ce que la National Gallery dit naïvement ne pas avoir su)
 
2012 : malgré ce pédigrée tout frais, les musées et milliardaires sollicités déclinent poliment l’offre
 
2013 : un milliardaire russe douteux, associé à un intermédiaire louche, achète le tableau 127 millions de dollars, et fait un procès à l’associé quand il apprend par la presse que l'escroc s’est réservé une commission de 35% du montant
 
2017 : après une monumentale campagne publicitaire, Christie’s vend le tableau du russe, qu'elle appelle « le dernier Léonard de Vinci », au tout nouveau petit Staline de l’Arabie saoudite (initiales MBS), pour 450 millions de dollars (2,5 fois le précédent record de Picasso en ventes publiques)
 
2018-2019 : le tableau, qu’on pensait voir exposé bientôt au Louvre Abu Dhabi, disparait de la circulation.
 
En réalité, le documentaire nous apprend que pendant que le président français négociait à l'Élysée de lucratifs contrats militaro-culturels avec MBS, le tableau était examiné en secret par la haute technicité des laboratoires du musée du Louvre.
 
Et ici se situe une des branches de l’intrigue scénaristique.
 
Un rapport d’examen aurait alors été rédigé par le musée, mais interdit de diffusion, parce que l’éthique du Louvre commanderait qu’il ne publie rien sur une œuvre qu’il n’expose pas.
Toutefois le reportage nous dévoile, dans la pénombre, la silhouette masquée d’un personnage très haut placé dans la hiérarchie de la République, qui en connait les conclusions, et qui affirme qu’elles excluent l’attribution à Léonard, ou seulement de très loin, et qu’il ne pourra pas être question dans ces conditions de satisfaire le caprice de MBS d’exposer son tableau à côté de la Joconde, à égalité d’authenticité, lors de la grande célébration par le Louvre en 2019 du cinq-centenaire de la mort de Léonard.
On sait depuis que le tableau n’a pas été montré en 2019.
 
Les pièces du puzzle se rejoignent enfin et la conclusion de l’histoire devient morale : le tableau, vaguement inspiré par Léonard, n’est pas de sa main, et la République, qui a aussi une éthique, ne peut pas se discréditer en satisfaisant toutes les lubies d’un prince saoudien (tant qu’il continue tout de même à se fournir en armements pour détruire son voisin péninsulaire).

Cependant, les scénaristes pensaient qu’il restait dans cette affaire suffisamment de potentialités dramatiques pour dévoiler l'endroit où l'intrigue pourrait prendre une autre voie. Ce qu’ils firent à la veille de la diffusion du documentaire de Vitkine.
 
Le 31 mars, un billet déconcertant dans The Art Newspaper, puis les 9 et 13 avril, 2 longs articles libres d’accès de M. Rykner dans la Tribune de l’Art, et enfin le 11 avril un article du New York Times, révélaient que le rapport d’examen du tableau avait réellement fait l’objet de l’édition, par Hazan et le Louvre, d’un livret de 46 pages très illustré, mis en vente, et retiré de la boutique du Louvre dès les premières heures, suite au refus par MBS de prêter le tableau s’il n’était pas exposé selon ses désirs.
Et au moins un exemplaire du rapport aurait été vendu et aurait circulé... Rocambolesque, non ?
 
La péripétie ne ferait pas un rebondissement bien palpitant si ces trois sources n’étaient unanimes et formelles dans leur lecture de l'analyse du musée et de ses résultats : le laboratoire du Louvre conclut son rapport sans hésiter en faveur de l’attribution du tableau à la main de Léonard, et en apporte de solides preuves !

Depuis, M. Vitkine a confirmé avec assurance l’authenticité des témoignages de son documentaire, qui attribuent le tableau à l'atelier, ajoutant qu’il en sait plus qu’il ne peut en dire pour la sécurité de ses sources, et M. Rykner, qui de son côté ne peut raisonnablement pas supposer que le rapport du Louvre est un faux, s’égare un peu, et l’admet, en hypothèses hasardeuses.

Alors qui tire les ficelles de toutes ces marionnettes ? Peut-être les scénaristes de Netflix, dont on dit qu’ils sont hautement qualifiés. Il n’est pas certain qu’on le découvrira dans la prochaine saison de la série. Depuis Ésope, le fabuliste, on ne tue plus la poule aux œufs d’or.
   

2 commentaires :

Lothar a dit…

J’ai ma version sur ce tableau : il s’agit en réalité du portrait de Salvatore Mondi, le concierge de Léonard de Vinci. Ce brave homme était muet et étant chargé d’accueillir les nombreux visiteurs du maître au rez-de-chaussée, il leur indiquait sa présence au premier étage par ce geste. Ce tableau a été peint par un des élèves de Vinci (et son giton, selon des mauvaises langues) : Gian Giacomo Caprotti dit « Salai » (petit diable) réputé par sa cleptomanie et ce serait lui qui aurait volé le saint suaire de Turin pour le remplacer par une mauvaise copie. Et c’est donc sur le vrai suaire de Turin que Salai a peinturluré le portrait parodique et quelque peu zombique du concierge.
Je rajouterai qu’à l’origine, le concierge portait dans sa main gauche, non pas une boule, mais un ciboire représentant sans aucun doute le saint Graal que Salai aurait également volé selon d’autres mauvaises langues.
Je n’ai hélas, aucune preuve pour étayer cette version, mais elle en vaut bien une autre, non ?
Bien à vous.

Costar a dit…

Vos révélations sont époustouflantes, je l'admets !
Mais le manque de preuve en réduit sérieusement la portée, alors que la solution la plus simple, la plus probable, c'est qu'on a affaire au portrait d'un ressuscité d'un certain nombre de jours, ce qui semble évident, d'autant que la chose a été reportée dans les journaux de l'époque, dont le tirage actuel à plusieurs milliards d'exemplaires devrait vous convaincre.