Améliorons les chefs-d'œuvre (24)
S’il a effacé l’étagère de cruches derrière la tête de la Femme versant du lait, le minutieux Vermeer a laissé dans le mur les traces de clous.
Le Rijksmuseum, premier musée d’art d’Amsterdam, ouvre dans 4 mois la plus grande exposition Vermeer jamais réalisée, qui réunira 27 des 34 tableaux généralement acceptés dans le catalogue du peintre. "Ce sera la première et la dernière fois que le public pourra voir 27* Vermeer réunis" avertit M. Dibbits, directeur du musée, qui a déjà ouvert la vente des billets, à 1,11€ euro par tableau, mais le tarif inclut, après l’exposition, la visite des collections permanentes.
* La rétrospective de 1996 au Mauritshuis de La Haye en montrait 23, et l’exposition lamentablement organisée en 2017 par le Louvre, seulement 12.
C’est l’occasion pour le musée de remettre une nouvelle fois sur la table d’opération les tableaux qu’il détient, dont la fameuse Femme versant du lait (qu’on appelle parfois impertinemment Laitière, voire yaourtière dans l’industrie agroalimentaire).
Pour tenter de comprendre le savoir-faire si particulier du peintre, les experts ne cessent de l’éplucher avec des outils toujours plus modernes et indiscrets, et d’inventer à chaque examen un nouveau mystère que personne ne cherchait et qui trouve ainsi au même instant sa propre révélation. Les mots mystère, secret, révélation et découverte sont les moteurs de toute promotion bien pensée.
Sous l’influence d'une lubie de l’authenticité, et parce que ces spécialistes pensent connaitre les intentions d'un peintre mort et oublié depuis 350 ans, au lieu de se contenter de remplacer un vernis un peu sombre, ils se sont mis à transformer ses tableaux, ajouter des personnages, y refaire la décoration à leur propre gout, sous prétexte que d’autres avant eux l’auraient fait au mépris de ce qu’ils estiment aujourd’hui avoir été l’inspiration originale du peintre.
Dans le cas de la Femme lisant une lettre du musée de Dresde, persuadés que le tableau peint au fond de la pièce avait été masqué après la mort du peintre (donc sans son consentement), les experts ont restauré le Cupidon grassouillet et allégorique caché dans le mur, éliminé ainsi tout doute sur le contenu de la lettre, et surchargé le fond du tableau (ce que Vermeer, il est vrai, faisait généralement).
Dans leur élan, les experts de Dresde ont même proposé à ceux de Berlin, qui hébergent un des rares murs restés libres dans les tableaux de Vermeer, de les aider à faire réapparaitre la carte géographique dont on sait, par la radiographie, qu’elle ornait ce mur dans l’idée originale de Vermeer.
Prudemment, Berlin a répondu que la carte n’était certainement qu’une esquisse effacée par le peintre (de son vivant, donc).
Or cette année, en prévision de la grande rétrospective en 2023, et au moyen de la réflectance infrarouge à courte longueur d’onde (c’est nouveau, c’est militaire dit l’AFP), l’expertise vient de révéler très clairement les repentirs que recouvre le mur blanc derrière la dame versant du lait et au sol au fond de la pièce, et qui en deviennent ainsi terriblement énigmatiques. En réalité on en connaissait l’existence, on les distingue à l’œil nu (au séchage les repentirs ressortent toujours).
Mais cette technique sophistiquée a dévoilé avec précision que le peintre avait prévu, derrière la petite chaufferette pour pieds, un grande panière de séchage du linge, et sur le mur derrière la tête de la dame, une longue étagère et des cruches suspendues.
Et le procédé technique est si puissant que M. le directeur du musée, lyrique, a distinctement entendu les paroles du peintre devant son tableau : "Après réflexion, Vermeer s'est dit - cela fait une composition trop chargée, je vais la repeindre" a-t-il déclaré.
On remarquera donc qu’en 2022, à Amsterdam, les motivations stylistiques attribuées au peintre sont à l'exact opposé de ses intentions profondes imaginées à Dresde en 2019. Aujourd’hui, le peintre chercherait à éviter l’atmosphère intimiste et confinée, surchargée d’objets, et aspirerait à la monumentalité, à l’épure.
On ne se plaindra pas de cette interprétation. Il ne reste que 2 ou 3 intérieurs de Vermeer dont le mur du fond encore vide renforce (pour un œil moderne) la présence palpable du personnage dans la pièce, l’isole dans l’espace sans le noyer au milieu d’un assemblage d’ornements et de bibelots.
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