mardi 6 septembre 2022

Un musée, c’est quoi ?

Il était grand temps que l’Humanité dispose d’une définition sérieuse du musée. Sinon comment le jeune public comprendrait-il devant cette vitrine du musée de l’Homme en 2015, sans un cartel replaçant la scène dans son contexte d’origine, que les expériences sur l’invisibilité du corps humain étaient alors à un doigt de la réussite, si les considérations éthiques de l’époque (on était au 20ème siècle) n’avaient contraint la médecine à n’utiliser que les sujets moins utiles, déjà malades ou mutilés.

Suspendons un instant notre série de chroniques prometteuses pleines de détails, et qui fascinaient déjà un lectorat au chiffre nombre grandissant. Car l’actualité prime.
En effet après 15 ans, dont les 3 derniers de palabres, l’ICOM vient de redéfinir ce que doit être un Musée.

Et qu’y a-t-il de plus beau qu’une définition ? On le sait bien, les choses n’ont de présence qu’une fois décrites et rangées alphabétiquement. Avant, on ne les remarque pas. Certains extrémistes, du physiciens des particules au fervent chrétien, prétendent même qu’elles n’existent pas avant d’avoir été détectées et nommées.  
Il n’est que de voir le désarroi de l’humain quand il se précipite sur un dictionnaire et n’y trouve pas la chose qu’il a pourtant devant les yeux, désarroi vite transformé en suffisance, vanité d’avoir découvert une chose inconnue du dictionnaire, alors qu’elle est généralement classée quelques pages plus loin.

Il était nécessaire de redéfinir le musée, de préférence dans une acception modernisée, conforme à l’usage, car la situation était devenue chaotique, chacun faisant dans le musée ce qui lui passait par la tête, du commerce, de la propagande, des expositions de faux tableaux, et plus récemment du trafic d’antiquités égyptiennes volées. 
Et comment instruire ou distraire une population dans un endroit qui ne correspond pas à sa propre définition, comment peut-on la convaincre d’entrer où elle ne sait pas ce qui l’attend, dans l’inconnu ? Qui a de nos jours le courage des Colomb, Vespucci, ou Vasco de Gama ?

L’ICOM, Conseil international des musées, dont la définition de son propre objet est une occupation majeure, l’avait déjà fait en 2007, puis en 2019* mais il avait alors suspendu le projet devant la réprobation générale. S'il est juste de ranger et aligner les choses dans une définition comme dans une valise, de rejeter sans hésiter ce qui déborde un peu pour pouvoir la fermer et la transporter avec soi, il faut avant tout qu’elle soit bien ciselée et surtout intelligible pour tous (c’était jadis la spécialité du regretté monsieur Larousse), lui avait-on opposé. Or ce n’était pas le cas en 2019 où tout avait été enfourné au chaussepied, compressé dans le plus grand désordre et bourré de choses imaginaires et inutiles.

La définition de 2022, apaisée, écourtée de moitié, conserve néanmoins de celle de 2019 cet aspect reconnaissable des petites valises factices qu’on offre aux enfants pour leur apprendre ce que sera leur vie, leur futur métier, où les emplacements sont étiquetés pour des objets qui devront respecter les dimensions prévues ; parfois des échantillons miniatures les occupent déjà ; des emplacements sont réservés aux abstractions comme l’inclusivité, la durabilité, la diversité. Ils sont vides. On pourra opportunément y glisser pour le piquenique le casse-croute et la gourde. 
Puis on s’apercevra assez vite que les choses n’ont pas les mêmes dimensions dans la réalité, on forcera un temps les attaches, on détendra les rubans élastiques, les fermetures à glissière, on intervertira des choses. Ça tiendra bien assez longtemps, jusqu’à la prochaine définition. 
En attendant on la rangera avec les autres M, à sa place égalitaire et alphabétique dans le dictionnaire comme au fond de l'armoire.
 
Pendant ce temps les musées de la réalité, l’un après l’autre, délaissent leur fonction originelle, qui était de transmettre les connaissances et les créations de l’humanité en émerveillant par la présence physique des choses. Ainsi la mairie de Strasbourg a décidé de fermer ses musées tous les jours et les heures où le public est moins assidu, soit en gros du lundi au jeudi, et pendant l’heure des repas les jours d’ouverture. Elle avait déjà sérieusement réduit le nombre du personnel des musées, parce que la diffusion des connaissances et du patrimoine ne doit pas être déficitaire. 
On dit que les impôts de la ville, cependant, ne diminueront pas.

***

Les définitions de l'ICOM :

2007 : Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. 

2019 (abandonnée) : Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire.

2022 (officielle le 24 aout) : Un musée est une institution permanente à but non lucratif au service de la société qui recherche, collectionne, conserve, interprète et expose le patrimoine matériel et immatériel. Ouverts au public, accessibles et inclusifs, les musées favorisent la diversité et la durabilité. Ils fonctionnent et communiquent de manière éthique, professionnelle et avec la participation des communautés, offrant des expériences variées pour l'éducation, le plaisir, la réflexion et le partage des connaissances.

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