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mardi 12 novembre 2024

Sur les remparts de Blaye

Le champ de tir de la forteresse de Blaye sur la Gironde


Conçue par Vauban et construite sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde à la fin du 17ème siècle pour éviter que la ville de Bordeaux ne se vende au premier venu anglais ou espagnol, la Citadelle de Blaye aurait dit-on fort peu servi.
Elle a vécu au long des siècles le sort de ce genre d’édifice, d’abord caserne, puis prison pour deux ou trois nobles en disgrâce, geôle pour une poignée de prêtres, légèrement bombardée tout de même en 1814, enfin monument historique, patrimoine mondial de l’UNESCO et attraction touristique modérée (60 000 visites par an, soit un weekend ordinaire pour le Louvre). 
Ceux qui vivent de la sécurité diront qu’elle a joué le rôle essentiel d’une forteresse, qui est de dissuader, et ainsi protégé le florissant commerce de Bordeaux avec les colonies, sucre, café, tabac, épices, esclaves africains.
Sur les remparts qui longent le fleuve quelques canons faisaient semblant de menacer les vaisseaux importuns. Leur portée, insuffisante pour les 3 kilomètres de l’estuaire, avait nécessité la construction de deux autres forts, sur l’autre rive et sur un ilot central, également équipés de canons et parfaitement alignés sur la citadelle histoire de se bombarder mutuellement. En réalité ils n’ont jamais servi. 
Si on voit à peu près le genre de boulet que pouvaient postillonner ces bouches à feu (ci-dessous à  gauche, la batterie des matelots, allée de la poudrière), on s’interroge encore sur les projectiles lâchés sur les assaillants à travers ces grilles qui jouxtent les canons (ci-dessous à droite).

 

lundi 23 mai 2022

La vie des cimetières (104)


Dans l'actualité, de l’Afghanistan aux États-Unis d’Amérique, les religions se portent bien. Il doit y avoir quelque chose de gratifiant à réussir à maintenir en esclavage une moitié de l’espèce humaine, en invoquant seulement quelques textes primitifs.

En France, moins troublée par ces rancœurs hystériques, la religion, néanmoins consciente que le déclin de son autorité était dû avant tout à une défaillance de sa communication, a choisi de renouveler une iconographie désuète. Elle a commencé par les cimetières.

La statuaire funéraire du 19ème siècle et ses anges disposés parmi les tombes ne faisant plus recette, il fallait secouer les croyances assoupies en revenant à la démesure du temps des cathédrales, mais en se conciliant un style artistique moderne, moins réaliste, plus synthétique.
Et c’est une réelle réussite esthétique, comme ici, dans le cimetière d’Oresmaux, dans le département de la Somme.

À noter : les ailes des anges s’animent parfois, et c’est un enchantement (mais les horaires, assez rares, ne sont pas communiqués à l’avance).


jeudi 17 juin 2021

Effacer l’historique

À la demande du musée, durant 18 mois en 1926 et 1927, un très jeune peintre un peu mondain aux talents d’illustrateur évidents, Rex Whistler, réalisait une très longue peinture de 2 mètres par 50 sur les murs du restaurant de la Tate Gallery à Londres, aidé seulement d’un assistant et de son amie Edith Olivier, écrivaine, pour la conception du récit illustré.
 
Le panorama s’intitule « The Expedition in Pursuit of Rare MeatsL’expédition à la recherche de viandes saignantes (ou rares, le mot anglais a les deux sens) » et relate les épisodes, dans un long paysage idyllique varié et finement arboré, d’un périple joyeux pour la chasse aux viandes exotiques. Toutes les figures, des animaux mythologiques aux arbres, n’y sont pas rendues de manière réaliste mais un peu caricaturale, comme dans une bande dessinée, donnant à l’ensemble de la scène allégresse et légèreté.
À l'instar du homard et de la truffe blanche, la clientèle aisée du restaurant a toujours apprécié ce vaste panorama historié, maintenant clos, comme le musée, depuis le début de la grande peur sanitaire du printemps 2020.

En 2013, lors de la restauration de la peinture, quand la Tate Gallery s’est métamorphosée en Tate Britain, quelqu’un signala que certains personnages, à la peau noire ou jaune, y étaient peints dans des situations stéréotypées humiliantes. L’affaire fut oubliée.

En 2020 des critiques d’art confinés, qui s’ennuyaient sans musées ni expositions, profitèrent des mouvements de « revendication identitaire » pour lancer une polémique sur un influent réseau social. 
On vit alors apparaitre sur l’internet de très mauvaises photos de parties du décor mural de Rex Whistler, avec quelques détails moins flous pour alimenter la controverse.
Ils montrent, dans la forêt, un enfant à la peau noire, nu et terrorisé, lié par les poignets à une corde que tire la jeune et enjouée héroïne de l’expédition, et, plus loin, attaché par le cou derrière un char à cheval. Aucun détail de personnages à la peau jaune n’a été diffusé pour l'instant.

Confondue et voyant la polémique enfler, l’administration de la Tate Britain, qui n’a pas l’intention de satisfaire les plus vindicatifs réclamant la destruction de la peinture, a annoncé que le restaurant ne rouvrirait pas avant l'automne 2021, et qu’une solution concertée et respectueuse serait alors trouvée.

Bien que le panorama ait été parfois décrit comme une satire de l'impérialisme, il faut admettre qu’il n’était peut-être pas « approprié » de montrer la bourgeoisie anglaise des années 1920 dans une situation aussi dégradante, de dépeindre les enfants de cette race aristocratique et cultivée qui avait inventé au 19ème siècle l’industrie et la civilisation s’égayant de guillerettes scènes d’esclavage.


Willem Kalf, nature morte au homard (détail), National Gallery, Londres. 
Peut-être conviendrait-il de retirer des lieux publics les images qui figurent des êtres vivants (ou qui l’ont été récemment) dans des situations embarrassantes, si on ne souhaite pas que leurs descendants apprennent un jour qu’on a pu les traiter ainsi.

Qui aurait supposé, en voyant aujourd’hui l’efficience avec laquelle elle a transformé notre planète et nos conditions de vie, que l’élite de cette race aux bonnes manières ignorait, au pays de Darwin, que des êtres qui lui ressemblaient, mais à la peau noire ou jaune, pouvaient être humains ?
Sans les excuser pour autant, rappelons que leurs cousins, issus d’ancêtres partis en Amérique pour de futiles questions de pratique religieuse, avaient commis la même erreur, et bêtement exterminé en quelques décennies un continent entier d’humains à la peau rouge.
Sans oublier que la localisation du panorama, dans un restaurant, et son titre ouvertement gastronomique, pourraient suggérer aux âmes les plus influençables que ces humains de couleur étaient chassés pour la satisfaction de tentations anthropophages.

On comprendra alors que certains envisagent de retoucher ou de faire disparaitre cette histoire qu’ils commençaient d'oublier.
 
Mais est-ce qu’effacer les manifestations du passé atténue le remords ?
Ne devrait-on pas au contraire vivre avec le souvenir, le diffuser largement, et ainsi éviter aux générations suivantes - rêvons un peu - de répéter les mêmes errements ?
Et du point de vue des victimes qui souffrent aujourd’hui de frustrations héritées de ces périodes obscures, gagneront-elles le repos de l’esprit, et en seront-elles réellement mieux traitées ?

Rassurons-nous, des personnalités averties, responsables, influentes, anglaises, peut-être même bourgeoises, et parfois commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique, se penchent actuellement sur ces questions, dans les vastes salles lumineuses et désertes du musée, devant lequel passe,  indifférente, l'eau grise de la Tamise.
 

mercredi 15 novembre 2017

Tableaux singuliers (6)

Enoch Perry fut un peintre américain, né en 1831 à Boston, dans une famille de marchands aisée et influente. Il a beaucoup voyagé, d'abord pour parfaire sa formation, puis par gout.
Doué d’une inspiration modérée mais d’une technique solide et d’une manière classique et épurée, voire rigoriste, il rencontra une certaine réussite dans le portrait, le paysage et la scène de la vie quotidienne américaine. Il est mort en 1915 à New York et reste aujourd'hui, dans les ventes aux enchères, un peintre abordable.










Une chronologie approximative des grandes étapes de sa vie découpe une silhouette assez précise du personnage (extraits du catalogue d’œuvres des peintres américains du Metropolitan museum of arts de 1816 à 1845 par Natalie Spassky, pp. 342-348).

1831 New Orleans. Jeunesse et première formation
1852 Düsseldorf, enseignement à l’Académie par Emanuel Leutze, auteur de grandes sagas à l’huile pompeuses et édifiantes
1854 Paris. Atelier du bon portraitiste Thomas Couture
1855 Rome
1856 Düsseldorf. Rencontre des paysagistes, Whittredge et Haseltine
1857 Venise. Il y est nommé consul des États-Unis par l’influence de son père
1857 Rome. Retrouve les paysagistes Whittredge et Bierstadt
1858 Philadelphie. Ouvre un atelier et expose avec succès à Boston et Philadelphie des portraits et des scènes très prisées de la vie américaine
1860 New Orleans. Installe un atelier de portraitiste, peint notamment le portrait du futur président de la confédération et commençe un grand tableau qui devait célébrer l’acte de sécession des états confédérés (le frère de Perry est médecin dans l’armée confédérée)
1863 Yosemite Valley, avec Bierstadt
1864 Royaume d’Hawaï (appelé alors iles Sandwich). Nombreux paysages et portraits
1865 Californie, Salt lake city. Portraits de Mormons
1867 New York. Dans l’atelier de Bierstadt
1868 Nommé à l’Académie nationale de New York (N.A. of design)
1878 San Francisco. Portraits de magnats des chemins de fer
1882 Retour à New York
1899 Épouse à 68 ans Fanny Field Hering (qui avait écrit en 1892 une biographie illustrée du peintre JL. Gérôme)
1915 Meurt à 84 ans

Le Metropolitan museum de New York expose en permanence deux toiles d’Enoch Wood Perry. La très exemplaire et un peu nostalgique « Talking it over » (En discuter) qui représente deux fermiers américains désœuvrés à l’effigie des présidents George Washington et Abraham Lincoln (voir ci-dessus), et une œuvre singulière intitulée « The true american » (Le véritable américain).

Cette dernière (ci-dessous) figure le portrait de six humains et deux animaux dont les têtes sont cachées, par un hasard soigneusement mis en scène, ici par un volet ou un journal ouverts, là par un décollement du papier sur le mur.


Son attribution à Perry est discutée car, si on y reconnait aisément toutes les caractéristiques de sa manière, son histoire est incertaine (il réapparait dans une vente en 1944), il n’est pas daté, il est signé d'une façon unique dans son œuvre par un monogramme des lettres EWP entremêlées, et les motivations du peintre - disent les commentateurs - restent très énigmatiques.

Le titre donné au tableau est celui du journal lu par les hommes à gauche, « The true american ». De nombreux journaux américains portaient ce titre, mais la graphie sur le tableau correspond à un journal de Lexington (Kentucky) qui défendait l’abolition de l’esclavage à la fin des années 1840, une douzaine d’années avant la guerre de Sécession.

Si les intentions précises du peintre n’ont pas été retrouvées, on peut tout de même constater qu’il s’agit d’une caricature où l’auteur se moque d'abolitionnistes oisifs et prospères qui se « voileraient la face ». La biographie lapidaire de Perry (plus haut) suffirait à appuyer cette interprétation.
Peut-être préfère-t-on ne pas l'évoquer sur le cartel d’un tableau mis en valeur dans un des plus prestigieux musées des États-maintenant-Unis.

Et puis, pour le spectateur qui ne connait pas l’histoire, ce tableau produit le charme des scènes anecdotiques dont on a perdu l’anecdote. Le champ des hypothèses s’ouvre alors sur un infini. Ce petit vertige est le plaisir esthétique.

mardi 7 mai 2013

Comment échouer dignement

Pentidattilo en Calabre, depuis le séisme de 1783

Le 12 janvier 2010 à 16h53 un tremblement de terre détruisait en deux minutes une partie de Port-au-Prince, capitale de la république d’Haïti. 230 000 morts, 300 000 blessés, plus d'un million de personnes sans abri (10 à 15% de la population du pays).

Immédiatement la planète s'émouvait. Personnalités en vue, organismes internationaux, gouvernementaux ou non, religieux, promettaient aide et dons. On annonçait des milliards de dollars comme s'il en pleuvait. Un ancien président des États-Unis déclarait « Nous allons construire l'avenir ».
Le généreux élan de la politique humanitaire se mettait en marche.

Mais il n'était pas question d'abandonner tout cet argent à un peuple désorganisé et notoirement corrompu. Le pays appartenait désormais à la communauté internationale qui souhaitait avant tout construire des choses philanthropiques et prestigieuses aux endroits de son choix.
Et comme on ne pouvait pas construire sans avoir auparavant enlevé les gravats, mais qu'il n'était pas question non plus de financer des opérations qui ne permettraient pas d'apposer dessus une belle plaque commémorative à la gloire du bailleur de fonds, on a tranquillement attendu que les autochtones aient déblayé eux-mêmes les terrains.
En attendant on a palabré. Longuement, car mine de rien, c'est très long de nettoyer vingt millions de mètres cubes de débris de béton à mains nues.
Puis on s'est lassés. D'autres causes humanitaires urgentes attendaient un financement. Il fallait faire fonctionner la « Pompe à Phynances », que chacun en profite au passage.

Finalement la population haïtienne s'est débrouillée presque seule, et elle se retrouve plus pauvre qu'avant, plus mal logée, dans des maisons rafistolées encore plus fragiles, ou dans des camps insalubres, et cerise sur le gâteau, avec 8000 morts d'une épidémie de choléra apporté par des soldats de l'ONU.

Pauvre parmi les pauvres, Haïti est déshérité depuis toujours. Depuis l'arrivée de Christophe Colomb en 1492, l'extermination des indigènes, leur remplacement par des esclaves importés d'Afrique, leur révolte en 1793 abolissant l'esclavage, puis en 1804 l'échec de Napoléon qui tentait de le rétablir, suivi d'un siècle et demi d'instabilité et de 30 ans de dictature, avec les Duvalier et leurs fameux tontons macoutes meurtriers, sans compter les ouragans annuels, les pluies diluviennes, et enfin l'aide internationale.

La République Haïtienne survivra-t-elle à cette aide internationale ? C'est la question que pose sans rire le film de Raoul Peck, « Assistance mortelle », amer, explicite et sensible, récemment diffusé sur la chaine Arte.
Vous y verrez des centaines de bonnes volontés échouer tristement (la touchante Priscilla Phelps par exemple), et vous ne manquerez pas, vers la fin, la cérémonie de commémoration du deuxième anniversaire de la catastrophe, où face au cimetière minable et désolé, la tribune officielle réunit l'ancien président des États-Unis (celui du début), le nouveau président d'Haïti fraichement élu, et l'ancien dictateur sanguinaire (le fils) exilé en France pendant 25 ans, de retour après le séisme, et accusé de vol, corruption, abus de pouvoir par la justice haïtienne.

Ce qui présage un avenir radieux.


Mise à jour du 18 aout 2016 : Sous la pression des avocats internationaux de Port-au-Prince, de la presse, devant la preuve que la souche du foyer de contamination provenait bien du Népal et face à l’inefficacité des moyens actuels de lutte contre la bactérie, l’ONU vient de vaguement reconnaitre sa responsabilité et a décidé de « faire beaucoup plus ».