La vie des cimetières (35)
Où on apprend pourquoi dans l'antiquité il n'était pas obligatoire d'être aveugle pour devenir empereur romain ou philosophe grec...
Illustration 1 : détail d'un athlète courant, copie romaine en bronze trouvée à Herculanum dans la célèbre villa des papyrus (Naples, musée national d'archéologie). Illustration 2 : Portrait d'un inconnu, marbre, vers 140 de notre ère (Naples, musée national d'archéologie). Illustration 3 : Portrait d'homme sur une stèle (Milan, cimetière monumental, vers enclos ouest - secteurs 15-16).
Le citoyen moderne qui déambule parmi les ruines antiques ou médiévales apprécie qu'elles aient été blanchies par le temps, que l'architecture et la statuaire qui ne sont pas de son siècle aient été lessivées par les intempéries au point de ressembler à d'immenses squelettes de pierre. Le passé lointain est forcément incolore.
Or on sait depuis longtemps déjà que cette vision est fausse, que les temples, les cathédrales, les statues étaient généralement multicolores. Que les yeux des portraits sculptés, quand ils n'étaient pas incrustés de pierreries polychromes étaient certainement peints (illustration 1).
Cependant le visiteur qui parcourt les salles d'un musée d'antiquités a l'impression, devant les bustes alignées, de traverser un long hôpital peuplé d'aveugles aux yeux inhabités. Même Antonio Canova, adepte tardif de l'antiquité presque vingt siècles plus tard, la copiait au point d'orner généralement les visages de ses statues de globes lisses et inexpressifs pour tout regard.
Pourtant les bustes modelés au même moment par Jean-Antoine Houdon respiraient, vivaient, et vivent encore, grâce à un procédé qu'on pourrait croire neuf mais dont il avait probablement observé les prémices à Rome sur quelque buste antique (illustration 2).
Dans le globe oculaire, l'iris est creusé comme une coupelle, légèrement si les yeux doivent être clairs, à l'exception d'une petite saillie qui accroche plus de lumière et simule un reflet d'humidité. Parfois l'effet est rehaussé en creusant un trou au centre pour marquer la pupille et en striant légèrement l'iris de lignes concentriques (illustrations 3 & 4).
Et quand l'astuce est réussie, comme sur certains bustes funéraires du cimetière monumental de Milan, où que soit placé le spectateur, les yeux de la statue présentent l'illusion de la transparence et la profondeur d'un vrai regard.
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