dimanche 14 juillet 2024

Le Louvre restaure à tour de bras

Hans Holbein, portrait d'Anne de Clèves en 1539, 48 x 65cm, détrempe sur vélin, restauré au Louvre en 2024. 

Alors qu’au printemps dernier il communiquait fort sur le délicat décrassage qu’il venait de réaliser du seul tableau de Van Eyck en France, le Louvre oubliait d’annoncer, ou alors trop discrètement, qu’il venait aussi de débarbouiller un tableau de mêmes dimensions, moins prestigieux mais pour certains aussi beau, et peut-être plus fragile encore parce que peint à l'eau sur vélin, le portrait d’Anne de Clèves par Hans Holbein. 
On l’a su d’un site suisse qui l’avait appris d’un site belge. L’information est pourtant véridique ; le Louvre a mis sa base de données à jour, en y ajoutant sans autre explication trois reproductions très moyennes du résultat. Une photo de meilleure résolution, qu’il a fallu adoucir pour se rapprocher de celles du Louvre (notre illustration), circule sur Wikipedia (30Mo, 78Mpix, long chargement).


À sa vue on s’exclame "Ah, ils ont enfin mis une ampoule au plafond et changé le papier peint. Le bleu, c’est moins triste". Car depuis 250 ans probablement quand le tableau entrait dans la collection de Louis 14, tout le monde l'a vu ambre et verdâtre, comme on le trouve reproduit sur les photos de 2017 de la base de données du Louvre (à la suite des nouveaux clichés). Seuls les heureux élus qui avaient pu voir le même modèle peint par Holbein sur une miniature de 5 centimètres, à l’aquarelle, sur vélin également, au Victoria & Albert museum de Londres mais non exposée, pouvaient se douter de ce bleu. 


Pour l’anecdote, répétons succinctement après tant d’historiens le contexte de réalisation du tableau.

En 1539, Le roi d’Angleterre, Henri 8, qui avait perdu sa troisième épouse Jeanne Seymour en 1536, en quête d’une quatrième et conseillé par Cromwell, demandait à Holbein, portraitiste fidèle de la grande bourgeoisie anglaise et qui avait fait le portrait de Jeanne, de lui rapporter du duché de Kleve le portrait d’Anne de Clèves et de sa jeune sœur Amélie.

Quelques mois plus tard Holbein revenait des bords du Rhin avec les deux portraits (celui d’Amélie a disparu). Henri choisissait Anne. Elle arrivait en Angleterre fin 1539, et le roi fut très déçu. Anne le fut tout autant. Le mariage se fit tout de même mais était annulé après 6 mois, en juillet 1540, pour absence de consommation. Hans termina tout de même le portrait d’Henri, pendant officiel du portrait d’Anne, mais à l'huile et aux dimensions réelles du modèle. 

Nonobstant ce fiasco, Anne et Henri demeurèrent bons amis, et Hans était toujours peintre du roi quand il mourut en 1543, vers 46 ans, lors d'une des innombrables épidémies de peste de Londres.  


En novembre, quand vous retournerez à Paris pour tenter de déguster le Van Eyck nouveau (après avoir vérifié s’il est exposé, peut-être en salle 600), n’oubliez pas de monter un étage et de franchir les 250 mètres qui vous sépareront de la salle 809, pour passer voir la nouvelle Anne. Vous la reconnaitrez de loin, à son fond bleu.


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