mercredi 6 mars 2024

Améliorons les chefs-d’œuvre (29, Van Eyck)

Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, peint dans une scène religieuse traditionnelle par Jan Van Eyck vers 1440. Le panneau est présenté ici en alternance avant et après sa résurrection par les soins des restauratrices du musée du Louvre en 2023.

Qu'est-ce qui a enfin décidé le musée du Louvre à réaliser le détartrage d’un de ses tableaux les plus précieux ? 

Peut-être l’audace exemplaire de ce petit pays, la Belgique, qui s’est lancée voilà déjà 14 ans dans la restauration du trésor de l’art occidental, les 25 m² du polyptyque de l’Agneau mystique du même Van Eyck, opération qui ne sera terminée qu’en 2032, à temps pour le 600ème anniversaire de l’œuvre (ne croyez pas les dates de 2017, puis de 2026 annoncées, on en parlait déjà ici et ). 

Peut-être aussi la comparaison avec l’état de propreté des Van Eyck des autres musées, comme on peut le constater depuis que le projet CloserToVanEyck diffuse cette carte des Van Eyck du monde en très haute définition.


On avait fini par oublier que le Louvre détenait, derrière une couche de vernis crasseux sans l’avoir jamais débarbouillé en 223 ans (depuis la saisie révolutionnaire du tableau), un des chefs-d’œuvre du magicien flamand, le seul Van Eyck en France.


Maintenant restauré, le musée est sur le point d'en faire une exposition-dossier, Revoir Van Eyck, du 20 mars au 17 juin 2024 dans la salle de la Chapelle (pour mémoire, c’est ici qu’une partie de l’exposition des chefs-d’œuvre du Capodimonte a été annulée fin 2023 pour des fuites d’eau). 

Nous découvrirons donc bientôt comme neuve, si tout va bien, cette merveille que le Louvre dit ingénument "étonnament méconnue".  


Et pour "Aller plus loin" sur le sujet, comme on dit dans les articles promotionnels, eh bien il n’y a rien. 

Le catalogue de l’exposition n’est pas disponible pour l’instant. La base de donnée du musée et la boutique proposent toujours la vielle reproduction glauque avant lessivage. Aucune image sérieuse du tableau restauré n’est diffusée publiquement par le Louvre. On ne corrigera décidément jamais le plus grand musée de l’Univers, toujours fidèle à ses petites habitudes mesquines. 

La presse a droit à des reproductions acceptables des principaux prêts des musées étrangers à cette occasion, de Van Eyck la carte postale de Philadelphie, l'Annonciation de Washington, la Vierge de Francfort, et le Petrus Christus, le Bosch, le Campin, le Weyden etc, mais on ne lui a consenti qu’une copie terne et de taille réduite de l'objet de l'exposition.


Alors Ce Glob est Platpour satisfaire son innombrable lectorat gratuit, a compromis ses plus hautes relations pour produire ici discrètement une bonne reproduction du chef-d’œuvre restauré (5000 pixels, 2,5 fois les dimensions du panneau original de 62cm de large).

Elle n’a pas encore la précision de CloserToVanEyck, mais, si ce n’est pas un fake créé par l’intelligence artificielle et fourni par la mafia russe, la beauté du travail des restauratrices démontre qu’il n’est peut-être pas indispensable à un grand musée qui cherche à accumuler les chefs-d’œuvre, de dépenser en achats de fraises des fortunes qui ne lui appartiennent pas (80 à 90% des dons sont défiscalisés donc payés par le contribuable), quand il lui suffit de faire de temps en temps les vitres, les chromes et la poussière dans sa propre collection.


11 commentaires :

Lothar a dit…

Belle restauration, en effet, et bravo aux restaurants (dans le sens premier du terme, hein) du Louvre.
Je n’apprécie pas trop Van Eyck. C’est un excellent peintre, certes, mais je le trouve souvent très « chiant » dans ses propos.
À l’exception de ce tableau toutefois : non pas pour le sujet principal et commanditaire (la Vierge, l’ange et le petit Jésus, on s’en tape) qui est le chancelier Rollin, un très fieffé et douteux haut fonctionnaire, un énarque de l’époque de François (Villon, pas Hollande), même si on peut lui rendre grâce pour les pinards des hospices de Beaune.
Non, ce qui m’intéresse et m’intrigue ce sont les deux quidams à l’arrière-plan de ce tableau, faisant face aux fastueux jardins et tournant le dos aux acteurs principaux et dont on pourrait se demander la nature de la conversation…
Des comploteurs (complotisses ?) flamands, français, anglais, angevins, armagnac ou bourguignons, russes, pontificaux, chinois, étasuniens, monégasques voire impériaux mais j’en frémis !
Peut-être un gros clin d’œil de l’artiste ?
Bien à vous.

Costar a dit…

Il vous faudra alors attendre la disponibilité du catalogue ou la visite de l'exposition puisque l'organisatrice en fait une des 4 ou 5 questions aguicheuses du texte de présentation "Comment comprendre les deux petits personnages du jardin ?"

Je parie qu'elle va nous dire que celui de droite, exactement au centre de l'image, ressemble tant à celui minuscule qui est peint aussi exactement au centre du portrait des époux Arnolfini de Londres, dans le miroir, et qui porte le même vêtement ample du même bleu, ne peut être que le peintre lui-même. C'est le fantasme de nombreux experts.

Et celui de gauche est son assistant qui libère un haut-le-cœur parce qu'il ne supporte plus les scènes religieuses, ou le mouton bouilli des cuisines de Rolin.

On en reparle...

Lothar a dit…

Cher Costar : merci d'avoir si bien répondu à mon ridicule, honteux et pompeux commentaire d'hier causé par ma déprime chronique du dimanche soir. Vous pouviez l'effacer sans problème et pouvez encore le faire, sachant que les deux personnages du fond m'intriguent toujours.

Costar a dit…

Mais je trouve comme vous la question des 2 intrus dans le tableau la seule vraiment intéressante (avec celle des petits lapins, du lion et du rat écrasés par le poids des divers piliers, et aussi la lune qui apparait à peine en haut à gauche), et je partage une grande part de votre désintérêt pour ce genre de peinture, mais je suis fasciné chez Eyck par la beauté unique du rendu des choses, si bien rendu (le rendu) depuis ce lessivage, et qui relègue l'invention de Nicéphore Niépce au rang de bricolage rudimentaire.
On rigolera bien, dans 6 siècles, devant l'état de toutes les photos, même numériques, prises depuis son invention ! (Hélas les panneaux de Van Eyck auront certainement alors été utilisés comme seule source subsistante de bois de chauffage).

Si vous souhaitez malgré cela effacer votre message, je crois que Gougueule vous autorise à le faire vous-même et peut-être même à le modifier - mais ça serait dommage.

Anonyme a dit…

J'aurai donc appris deux choses dans cette chronique : que Van Eyck est "chiant" et que Maître Costar, si fine lame soit-il, prend une image (mal) retouchée par l'IA pour une restauration en bonne et due forme.
Je tombe de haut...
pi

Costar a dit…

Cher revenant, ne dramatisez pas. Trouver Van Eyck ennuyeux peut arriver à des gens respectables. Je trouve par exemple Balzac terriblement emmerdant, et je suis cependant un être humain (sans doute peu recommandable).

Quant à cette image mal retouchée, vous serez étonné d'apprendre qu'elle provient d'une reproduction véritable du panneau après restauration, faite par le Louvre, que les couleurs sont réellement celles de la reproduction et que seul l'agrandissement de la source pour éliminer certains défauts numériques a donné aux détails très fins un aspect légèrement artificiel, mais indécelable si vous regardez l'image à la taille réelle du panneau, c'est à dire en réduisant de 2 à 3 fois la reproduction pour en faire une image de 62 cm de large à l'écran.

D'ailleurs, le panneau étant visible au Louvre depuis hier (et en espérant qu'ils l'ont bien éclairé), je vous mets au défi de déceler des différences à l'œil nu avec la reproduction réduite aux mêmes dimensions. J'espère comme vous que nous aurons un jour une meilleure reproduction, mais vous savez bien qu'avec le Louvre c'est fort peu probable.

C'est un plaisir de vous lire à nouveau, et j'espère que tout ceci ne troublera pas vos retrouvailles avec cette merveille.

Anonyme a dit…

Dont acte. J'ai dégainé un peu vite, veuillez ne pas m'en tenir rigueur.

Concernant le Louvre et sa politique "mesquine" (comme vous dites) de diffusion des reproductions, il n'y a pas, je crois, une semaine sans je m'exaspère de la situation. Faisant grand usage d'illustrations pour mes cours et conférences, je suis très régulièrement contraint de passer sous silence certaines œuvres dont j'aurais pourtant aimé parler. Wikipédia fournit parfois des fichiers de très bonne qualité de tableaux du Louvre ; je ne sais pas où ils les trouvent.

Concernant "Van Eyck le chiant", je ferai sans doute l'effort, surhumain pour moi, de retourner au Louvre, après des années d'abstinence, juste pour admirer la Vierge Rolin dans ses couleurs d'origine... A condition que le tableau ne soit plus couvert d'une vitre aux reflets parasites comme il l'était naguère.
Si vous avez des infos là-dessus, merci de bien vouloir me les donner.
Cordialement,
pi

Costar a dit…

M. pi

Je suis probablement bien moins fidèle à mes engagements que vous ne l’êtes aux vôtres, j’irai donc sans doute sur place avant le 17 juin, histoire de ne pas laisser filer la moindre chance de voir enfin ce panneau.
Mais devant l’immobilisme climatique persistant des gouvernements et donc les risques d’agression démonstrative dans les musées (comme pour la Joconde très récemment) on peut être assuré qu’il sera derrière une vitre (mais peut-être traitée sans reflets).
Après le 17 juin le musée prévoit de l’installer dans un dispositif particulier qui présenterait simultanément le recto et le verso (une plaque de marbre peinte en trompe-l’œil, parait-il étonnante et de la main de Van Eyck), ce qui ne présage rien de bon, mais on ne sait jamais, le musée finira bien un jour par commettre une erreur, comme les Shadoks, et exposer une œuvre dans de bonnes conditions.

Il y aura donc certainement dans les mois à venir de bonnes raisons d’écrire un billet sur le sujet ou une mise à jour de la présente chronique. J’ajouterai alors un commentaire qui devrait vous alerter.

Anonyme a dit…

Beau teasing ! Je guetterai donc votre prochain chronique sur Chian Eyck :-)

Costar a dit…

Ouille, ouille, ouille, M. Pierre, l’affaire se présente mal !
Notre chroniqueur suisse est allé voir Van Eyck dès le premier jour, et c’était la cohue, avec file d’attente à l’entrée de la salle d’exposition et impossibilité de s’approcher de l’icône.
Le flux a-t-il une chance de se calmer d’ici le 17 juin ?
Attendre l’automne et le retour du tableau dans les collections signifierait ne plus jamais voir l’extraordinaire Annonciation de Washington, et la miniature de Philadelphie, et Petrus Christus…

On est décidément trop nombreux et incapable de s’organiser sur cette planète.
En 1966 Chaval disait déjà 6000 personnes par jour qui se bousculent pour aller voir les Vermeer… À quoi ça ressemble ? Ce sont les mêmes qui vont au salon de l’auto.

À suivre…

Lothar a dit…

Bon, pour faire une seconde fois « amant d’honorable » pour mon premier commentaire. Etant donné que le présumé estimable Pi, (sans avoir été carrément vache, certes) semble nous avoir déféqué une pendule académique sur le rabelesque qualificatif de « chiant », je voudrais préciser qu’il a été toujours loin de mes besoins et de mes goûts de compisser voire de mépriser l’art et la manière du regretté et magnifique Van Eyck.
Koons se le dise !
Cela étant, dans ses sujets, je le trouve souvent aussi ennuyeux qu’une queue devant les guichets du Louvre.
Bien à vous deux.
GJG