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dimanche 6 mars 2016

Tableaux singuliers (3)

Gerard Terborch (ou Ter Borch), cavalier de dos, 1634 (Boston Museum of fine arts).

Au fil d’une vie assez mouvementée, de 1617 à 1681, le peintre hollandais Gerard Terborch pratiqua tous les genres de la peinture, mais en conservant toujours un style raffiné et austère fait de gris, de beiges et de rouges.
On trouve dans son œuvre des paysages animés, des soldats jouant aux cartes et buvant, puis des petits portraits délicats de bourgeois rigides, et de grandes assemblées avec des dizaines de diplomates entassés, en 1648 pour le traité de paix avec le suzerain espagnol.

En 1650 apparaissent de subtiles scènes d’intérieur au décor fondu dans une pénombre dont ne s’échappent que les couleurs adoucies de quelque étoffe et les reflets argentés de la lumière sur des soieries. Terborch est certainement l’inventeur de ces scènes familières où le personnage principal, souvent une femme en robe de satin, tourne le dos au spectateur et à la fenêtre, source unique de lumière (c'est pourquoi on n’y voit jamais de fenêtre).
Ainé d’une quinzaine d’années de Vermeer et Pieter de Hooch, Terborch était probablement à Delft au début des années 1650 (il est cité avec Vermeer sur un acte notarié de 1653) car ses scènes silencieuses et allusives les ont à l’évidence fortement inspirés, même s’ils les ont délivrées de leur confinement en peignant sur les leurs des portes, des enfilades de pièces, des fenêtres entrebâillées et l’air et la lumière qui circulent alors.

Après son mariage et son installation en 1654 à Deventer (dont il deviendra bourgmestre), et jusqu’à la fin de sa vie 27 ans plus tard, Terborch perpétuera les délicates scènes d’intérieur et les portraits puritains et rentables de la bourgeoisie hollandaise.

De sa jeunesse précoce se détache un tableau singulier, la silhouette fatiguée d’un cavalier en armure qui s’éloigne pesamment vers un fond juste esquissé, presque irréel.
À peine adulte Terborch semble déjà touché, comme plus tard dans ses tableaux intimistes, par l'impression mystérieuse que produit un personnage quand il tourne le dos à l’observateur.
On pense ici aux défaites d'un autre cavalier imaginaire aux illusions démesurées décrites par Miguel de Cervantes quelques années plus tôt, illustrées avec justesse par Gustave Doré en 1863.

Au sens propre ce petit panneau de bois peint à l'huile n’est pas si singulier puisque Terborch en a réalisé au moins trois connus, lors d’un voyage d’apprentissage à Londres vers 1634.

Gustave Doré, extrait d'une illustration pour le Don Quichotte de Cervantes, Tome 2 Ch.4, vers 1863, gravée par Pisan.

dimanche 16 août 2015

La vie des cimetières (64)

Milan cimetière monumental, soldat indisposé vers sect. 9-13, 11.05.2008


À l’occasion des grandes guerres il importe aux nations que leurs représentants en première ligne se sentent soutenus par l’affection conjuguée de leur famille et de leur patrie.

Alors pour faciliter les échanges épistolaires et éviter la déconvenue des lettres censurées qui ne parviendront jamais à leurs destinataires, l’administration des postes a imaginé la carte postale préremplie en franchise militaire.

Carte postale préremplie, 1914-1918


On remarque à la lecture de leur contenu normalisé que l’expression « carte en franchise » est à prendre ici uniquement dans le sens d’une exemption de timbre.

Ainsi peut-on mourir pour son pays en toute sérénité, l’esprit en paix. Une missive prometteuse est en route vers les personnes aimées.


Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

samedi 14 février 2009

La vie des cimetières (18)

Cimetière américain de Suresnes, sur le Mont Valérien.
Le terrain a été concédé à perpétuité aux États-Unis en 1919.

On dit que le rêve de tout Américain est d'être cosmonaute (1), et que le rêve de substitution, en cas d'encombrement dans les navettes spatiales, est d'être gardien de la Tombe des inconnus (2).
Être gardien de cette Tombe, c'est, après des années d'épreuves insoutenables (dont l'apprentissage par cœur d'un quizz de cent questions), être un jour admis au sein d'une élite qui passe sa vie en habit d'apparat à se dandiner devant un cube de pierre blanche dans lequel sont conservés quelques restes non identifiés de soldats peut-être américains.

Ça se passe au cimetière national d'Arlington près de Washington, selon un cérémonial inchangé depuis 1937. 24 heures par jour, un soldat exécute 21 pas devant la Tombe avec la démarche d'une danseuse qui aurait la colique, s'arrête pendant 21 secondes, puis fait 21 pas dans l'autre sens, agrémentés de quelques gestes équivoques pratiqués avec son fusil rutilant. Il est régulièrement relevé par un clone qui accomplit alors le même rituel. Et ainsi de suite.
Peut-on imaginer métier plus exaltant ? Surveiller pour l'éternité des reliefs de chair à canon (3).

Et si toutes ces solennités patriotiques ne suscitent pas l'envie de se faire tuer pour une idée, un dieu ou une ressource naturelle, c'est à désespérer de la nature humaine. Mais prévenons les postulants, le métier de chair à canon anonyme est sérieusement menacé par les progrès de l'identification par l'ADN. On dit même qu'il n'y aurait plus de soldat inconnu (au moins occidental) depuis les années 1980.

(1) On devrait différencier les astronautes américains, les cosmonautes russes, les taïkonautes chinois et les spationautes français, mais ces distinctions sont idiotes et cocardières. Ils ont toujours fait le même métier, et parfois dans les mêmes engins.
Un extrait du discours de Princhard dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline(2) Si on croit l'article très sérieux de Wikipedia sur ce métier convoité.
(3) L'expression rappelle les «saucissons de bataille» du discours visionnaire de Princhard dans le «Voyage au bout de la nuit» de Céline.


***
Pour les oreilles : dans le chef d'œuvre de Michael Cimino, «Voyage au bout de l'enfer» (the deer hunter), avant de partir pour la guerre du Vietnam où leurs vies vont être détruites, les principaux personnages du film font une fête qui s'achève par la mélodie mélancolique d'une mazurka de Frédéric Chopin, jouée sur un piano incertain. C'est la mazurka opus 17 n°4, une des plus jolies parmi les presque 60, souvent ennuyeuses, composées par Chopin.