jeudi 24 décembre 2020

Sites des musées : rien de neuf

Le Maurithuis est un petit musée de peintures de La Haye, célèbre par le nombre d’œuvres célèbres - en proportion - qu’il expose, surtout du 17ème siècle hollandais, comme la Leçon d’anatomie de Rembrandt, la Vue de Delft, et la Jeune fille à la perle, de Vermeer. 
 
Il y a fort longtemps que le musée partage sur internet les 900 œuvres de sa collection (dont environ 650 non exposées - le musée n’a que 16 petites pièces d’exposition), le tout en très haute qualité et téléchargeable libre de droits.
Pensant qu’il pouvait encore repousser les limites de la solidarité et faire vivre au visiteur confiné l’impression d’une déambulation dans ses salons luxueux, le musée vient d’inaugurer un visite virtuelle, en haute définition pour la première fois, parait-il.    
 
Mais, bien qu’impressionnante, l’observation reste limitée à une vingtaine de points de vue, et à une position unique de l’appareil photo au centre de chaque pièce. Pas vraiment une révolution. L’amateur seulement de peinture, à l’esprit étroit, ne changera pas ses habitudes et visitera toujours les 900 reproductions de bien plus haute qualité dans le catalogue, mais l’amateur de cadres dorés surchargés, d’antiques lustres de collection, de glands de rideaux et d’appareils photo de marque reflétés dans les miroirs, le tout certainement authentique, sera en joie.

 
Du côté du tiers-monde des sites de musée, des nouvelles encourageantes nous apprennent que celui du Centre Pompidou de Paris (ou Beaubourg) vient de vivre une véritable révolution, et que le Louvre de Paris en prépare une pour le printemps 2021.

Pour le centre Pompidou, la révolution n’était pas difficile, l’ancien site était inutilisable. On laissera les médias passe-plats chanter les bienfaits de ce nouveau site. Télérama y a trouvé 80% des œuvres reproduites en haute définition ! Il oublie de préciser qu’elles ne sont disponibles dans cette qualité qu’en payant des droits de reproduction, image par image, y compris pour les œuvres du domaine public, qui sont toujours soumises au copyfraud organisé de la Réunion des musées nationaux de France.

Il est vrai que le site, maintenant beaucoup mieux rangé, est facile à manipuler, mais le centre Pompidou a pris trop à la lettre le mot révolution, et il est donc revenu à son point de départ : pour le peuple (qui est le propriétaire des œuvres), les reproductions sont toujours petites et de qualité moyenne.
Côté pratique néanmoins, la nouvelle présentation propose certaines œuvres en plusieurs coloris, fonctionnalité bien commode pour accorder la décoration d’une pièce au papier peint. Par exemple ce tableau de Mark Rothko en illustration, « numéro 14 Bruns sur noir » de 1963, existe en trois teintes.
 

Quant au Louvre, dans un entretien avec France-Inter, un conservateur du musée venu justifier l’acquisition controversée d’une grande fresque plutôt pourrie de Tiepolo, en a profité pour faire l’annonce d’une révolution en 2021.
L’achat du Tiepolo, évènement qui ne passionne pas le grand public et aurait pu passer inaperçu, a curieusement fait l’objet de nombre d’articles consensuels dans les médias (à l’exception du seul critique d’art qui ne passe pas les plats sans les avoir goutés, Vincent Noce).
Le boniment se conclut par une déclaration hors sujet qui attirera l’attention du public confiné vers un avenir radieux :

« Nous sommes occupés à préparer une grande base de données sur l'ensemble de nos collections qui sera rendue accessible sur Internet au printemps prochain. Et ça va être une révolution puisque cette base de données fournira les images, et un grand nombre de données historiques et bibliographiques sur plusieurs centaines de milliers d'œuvres qui sont conservées au musée du Louvre. »

Le Louvre a souvent fait ce type d’annonce d’un nouveau catalogue numérique de ses collections, mais toujours pour des bases de données innavigables dans lesquelles la recherche, poussive et malaisée, quand elle aboutit, affiche des reproductions minables grevées de droits d’usage.  

Évidemment, le conservateur prometteur ne dit pas dans l’article si l’accès à cette future base de données révolutionnaire sera autorisé pour tous, ni si les images seront de bonne qualité et libres de droits.
Mais c’est l’époque des cadeaux et des rêves de bonheur, l’époque où le bon évêque saint Nicolas offrait des friandises aux enfants dociles. Espérons.
 

vendredi 18 décembre 2020

Améliorons les chefs-d'œuvre (18)

 
Bien avant que la longue péninsule de sable de 25 kilomètres, à l’extrême nord du Jutland, où se rencontrent la mer du Nord et la mer Baltique (les vagues y sont perpendiculaires, racontent les voyagistes), ne devienne l’endroit à la mode où les peintres danois et la société bourgeoise - jusqu’au monarque - iront prendre l’air des beaux jours de la fin du 19ème siècle et se faire construire des résidences d’été, le coin était depuis mille ans renommé pour ses tempêtes et ses naufrages.

Tout y est instable. Le vent emporte irrémédiablement les dunes vers le nord-est (de 18 mètres par an dit-on), et  on a vu un jour disparaitre dans la nuit, emportée dans les eaux par l’effondrement d’une dune, la moitié d’une bourgade pourtant convenablement administrée. Et comme les courants marins déplacent aussi les fonds sablonneux et les dunes sous-marines alentour, il était fréquent de voir apparaitre des cadavres de naufragés déposés par la marée. C’était le bout du monde, les cimetières étaient rares, alors on les enterrait dans les dunes, parfois surnommées pour cela « collines des hommes morts » (Dødemandsbjerget).

Le premier peintre à esquisser quelques vues de la région aurait été Rørbye, venu visiter de la famille en 1833. Plus tard, le jeune paysagiste Vilhelm Kyhn y fut plus assidu, entre 1845 et 1850, 25 ans avant les premiers peintres de la célèbre et mondaine école de Skagen, le village le plus septentrional de la péninsule.

En 2017, la collection Hirschsprung, 2ème grand musée de Copenhague, dédié à la peinture danoise du 19ème siècle, faisait l’acquisition d’une vue des dunes de Skagen signée « Kyhn 1845 ». Le paysage était assez ordinaire, et endommagé.
Début 2020, dès les premières phases de la restauration du tableau, madame L., conservatrice, y découvrait une histoire funèbre. 
 
En réflectographie infrarouge (une sorte de radiographie) elle constatait que la dune à deux cimes du premier plan recouvrait, sous de sournoises retouches de peinture, un sommet unique et plus élevé, et qu’à sa base une large tâche de couleur sable masquait deux silhouettes, une femme, qui semblait lire un livre, et un enfant jouant dans le sable.    
Armée des diluants adéquats et d’une curiosité plus que scientifique elle découvrait peu à peu sous les repeints une scène macabre, dont elle reconstitue l’histoire sur le site du musée, en danois sous-titré en anglais, dans une vidéo de 5 minutes, mise en scène à la manière des « reportages » fabriqués du National Geographic, mais avec une retenue toute protestante (notez, à 2’17, le gros plan inopiné sur ses délicieuses chaussures corail à talon plat).

AltEn réalité, l’enfant dans le sable est un homme debout dans une tombe qu’il creuse. À sa gauche, la femme avec un livre (madame L. imagine que c’était une Bible) aurait été effacée par Kyhn en cours de réalisation. Étendu dans le sable devant eux, un cadavre de naufragé n’est apparu qu’à l’enlèvement de la peinture qui le recouvrait alors qu’il n’était pas visible en infrarouge. Madame L. n’explique pas cette énigme physicochimique.  

Quant au mystère de l’effacement de la scène et de la transformation de la dune, une collègue de madame L. a retrouvé dans l’historique du tableau qu’il avait appartenu en 1919 à un monsieur Schou, marchand d’art peu scrupuleux et un peu faussaire, qui n’aurait pas hésité à effacer un enterrement lugubre dans un paysage de dunes devenu très en vogue, et signé par un peintre de renom mort quelques années plus tôt.

Le tableau est maintenant exposé « tel que Kyhn l’a peint », déclare madame L. Elle ne précise pas le titre attribué au tableau pour sa présentation au public. Certainement plus « Dunes à Skagen », mais peut-être « la colline de l’homme mort ».

vendredi 11 décembre 2020

Améliorons les chefs-d’œuvre (17)


Dans une revue spécialisée dans les ventes aux enchères (1), on lisait il y a peu, sur une pleine page illustrée d’une très mauvaise reproduction rouge sang, une longue annonce où résonnaient les mots suivants :

« chef-d’œuvre du ténébrisme […] dernière scène nocturne de Georges de La Tour encore en mains privées […] une de ses rares toiles signées […] issue de la prestigieuse collection Machin […] »
Et « Le public connaît bien cette jeune fille […] dans des dizaines de publications, aussi bien qu’au musée Machin en 1948, au musée Truc en 1955, […] en 1958, […] entre 1976 et 1980, […] 1997 et 2005, en 2012 […] »
Et encore « Le maître du clair-obscur, oublié pendant des siècles, avait été ramené à la lumière au début de la décennie (2) par le travail de recherche mené par Pierre R... et Jacques T..., lesquels s’accordent à placer la Fillette au brasier parmi les chefs-d’œuvre de fin de carrière du peintre, sa production aujourd’hui la plus appréciée des collectionneurs et du public. »

Impressionnant, non ? Une vente qui devrait faire un carton

On nous affirme, en préambule et en gras, qu'il s'agit d'un chef d’œuvre. Pour un commissaire-priseur, c’est le montant du gain estimé qui fait d’un objet quelconque un chef-d’œuvre. Ici, pas d’hésitation, on en attend au moins 3 ou 4 millions d’euros. Cette « fillette au braisier » (3) de 55 cm par 76 est le summum d'une vente de 22 tableaux d’un collectionneur renommé.
Cependant, l’habitué effaré qui a vu adjuger en 2017 un Léonard de Vinci médiocre et sans doute pas de sa main, contre 450 millions d’euros, sait bien qu’un véritable chef-d’œuvre de Georges de La Tour, peintre aussi rare et incomparable que Vermeer, serait évalué au moins 10 à 20 fois l’estimation actuelle (4).

Ensuite, l’annonce nous informe que c’est « une de ses rares toiles signées ». N’exagérons pas. Au moins 15 toiles de La Tour sur environ 45 sont signées, essentiellement les nocturnes, pas toujours de manière lisible, et justement la Fillette au braisier est de celles dont la signature, presque invisible, reste controversée (sauf sur le marché de l’art, semble-t-il).
Et que vaut une signature, qui peut-être contrefaite beaucoup plus aisément que le style d’un peintre ? 
 
À propos d'authenticité et de tableaux signés, faisons un petit jeu. Parmi ces 6 portraits de la maturité de La Tour (ci-dessous), des plus beaux de l’histoire de la peinture occidentale, ceux du rang haut ne sont pas signés et ceux du rang bas le sont. Un seul des 6 a été peint avec les pieds. Saurez-vous le reconnaitre (5) ?

 
Puis on nous raconte que le public connait parfaitement ce portrait de jeune fille, régulièrement exposé dans les musées les plus sérieux depuis 70 ans. C’est juste, les prêts d’œuvres majeures sont difficiles et couteux à organiser, si bien que les expositions s’étoffent de plus en plus avec des fonds de tiroir, qui en acquièrent ainsi un pédigrée plus respectable. 
La « Fillette au braisier » est de ces bouche-trous. Le dessin en est incertain, globalement immature, la mise en scène plate et grossière. 
Mais tout n’y est pas raté, et deux détails (distingués en couleur dans l’illustration en haut), la face de la jeune fille et le braisier, avec les doigts de la main droite, pourraient être de la main de Georges.

Enfin, dans une phrase bancale qui mélange décennies et siècles, le rédacteur appelle en secours deux experts renommés, qui ont effectivement beaucoup fait pour la reconnaissance de La Tour dans les années 1970-1980. Mais s’ils l’ont ramené à la lumière, ils n’ont pas allumé la lampe, et ce ne sont après tout que des experts, âgés, parfois académiciens de surcroit, et qui peuvent donc se tromper.
Ils sont associés ici malgré eux à des soi-disant « chefs-d’œuvre de fin de carrière de La Tour », notion qui ne recouvre en réalité qu’un ensemble d’œuvres incertaines, souvent médiocres, que les spécialistes hésitent encore à attribuer au fils du peintre, Étienne, ou à des copistes ou suiveurs anonymes.
Quant à affirmer qu’ils constituent « la production la plus appréciée des collectionneurs et du public », ça n’est que la rhétorique promotionnelle courante du représentant de commerce.
 
***
La vacation avait lieu à Cologne le 8 décembre 2020, en direct sur le site internet de la salle des ventes, Lempertz. L’image ci-dessous illustre le déroulement des enchères du La Tour, le numéro 11, entre 17h30 et 17h33. 
Le cadrage de la vidéo  restera immuable durant toute l’heure de la vacation (la salle est probablement vide de public), rien ne semble se passer. Le vase de fleurs au premier plan ne manifeste aucune émotion, et le monsieur de la vidéo égrène des enchères en allemand et en anglais, parfois en retard sur l’affichage des montants, notamment au moment de l’adjudication, quand le montant adjugé s’affiche  avant que le marteau s’abaisse, si bien qu’on se demande si tout cela n’est pas automatisé, et un peu désynchronisé. Impression vaguement démentie quand surgissent des erreurs de saisie, comme cette enchère-lapsus de départ à 24 millions pour le La Tour, rapidement corrigée en 2,4 millions .


En 3 minutes et seulement 6 enchères, le « La Tour » est parti un peu au dessus de l’estimation basse, furtivement, dans un grand silence. Rappelons que le vendeur touchera 3,6 millions d'euros, mais l'acheteur en paiera 4,34 millions, taxes et commission comprises.

En fin de compte, un bien beau moment qui a fait palpiter le cœur de tous les amateurs de belle peinture classique, écriront les chroniqueurs.
 
***
(1) Gazette Drouot 43-2020 page 255
(2) Quelle décennie ? On devrait sans doute remplacer par « début du siècle », la découverte de La Tour par Herman Voss datant de 1915, mais R... et T... n’étaient pas nés.
(3) On disait « brasero » au 20ème siècle.
(4) Le saint Jean-Baptiste de La Tour découvert en 1992 était préempté par l’État en 1994, suite à un imbroglio politique, pour l’équivalent de 20 millions d’euros d’aujourd’hui - mais estimé le double si la vente avait été régulière.
(5) Petit indice, « Le souffleur au tison » du musée des beaux-arts de Dijon, signé « De La Tour f » (rang bas au centre), est unanimement reconnu comme un original de la maturité du peintre.


Mise à jour le 21.02.2022 : le tableau a probablement été acheté par un des Émirats arabes unis. Il est actuellement exposé dans le musée du Louvre Abu-Dabi.  

vendredi 4 décembre 2020

Escale à Francfort

De retour de 3 semaines virtuelles à Copenhague, faisons une halte en Allemagne à Frankfurt (Francfort-sur-le-Main). C’est une très grande ville riche, moderne, et son musée de peinture, le Städel museum, héberge une vaste collection qu’il présente sur internet, libre de droits et en très haute définition (quelquefois excessive : 17 000 x 18 000 pixels et 471 Mo pour le Géographe de Vermeer).
Le musée précise qu’en tant qu’institution publique, et comme il ne peut présenter aux visiteurs qu’à peine un centième de la collection, il se doit d’en partager la totalité dans de bonnes conditions sur internet. On ne saurait trouver meilleur argument contre la misère actuelle en ligne des grands musées publics français et italiens.

La consultation du site est agréable, fluide, richement documentée (en anglais et allemand). On déambule parmi 29 875 peintures, dessins, gravures, photographies, ou parmi une sélection de 1539, ou par artiste, ou avec des filtres de recherche.
 
Pour le voyageur qui ne fera qu’une rapide escale virtuelle à Francfort, voici quelques tableaux remarquables et pittoresques, avec leur lien direct sur le site du musée, présentés dans l’ordre à peu près chronologique de création, de 1435 à 1901.

9 détails d'œuvres du Städel museum décrites dans le florilège ci-dessous.

1. Comment peindre 12 manières de torturer des martyrs chrétiens en 1435 ? Stefan Lochner le sait. Il dépose un fond à la feuille d'or, ajoute des détails savoureux avec de jolies couleurs douces, et en fait une merveille (illustration 1).

2. Un bijou de Jan Van Eyck vers 1437. Comme tous les magiciens, cet homme-là doit avoir un « truc » (illustration 2).
 
3. Un Ecce homo de Jérôme Bosch, vers 1495. Le public s’exclame « crucifie-le », et une chouette, caméo que Bosch place soigneusement dans la plupart de ses tableaux, ajoutée dans un repentir final, observe la scène.

4. Elle lisait un roman de gare avant de se coucher. L’ange débarque, manifestement il hésite, il ne se souvient pas de ce qu’il doit lui annoncer. Elle reste interdite, inexpressive, ne sachant ce qui l’attend. Au dessus d’elle une colombe lampadaire attend également que l’ange se rappelle le message. Bref, tout le monde attend. Gerard David (peut-être) aurait peint ça vers 1509, dans une délicate gamme de gris et bleus.
 
5. De Joos van Cleve, un somptueux triptyque de lamentation sur le Christ mort, en 1524, dans un superbe décor très influencé par les paysages de Patinir, son contemporain à Anvers, comme dans cet autre beau tryptique de la crucifixion au Metropolitan de New York (illustration 3)

6. Une nativité insolite vers 1530 d’Hans Baldung Grien, où un ange un peu dégouté présente à la Vierge un enfant Jésus au teint de mort-vivant.
 
7. Une mise en scène très cinématographique et déjà surréaliste du Pseudo-Félix Chrétien (alias Bartholomeus Pons), en 1537.
 
8. Lucas Cranach, vers 1540, représente un Jésus très progressiste pour l'époque, qui va devoir garder une dizaine de bambins pendant que ces dames vont au cinéma (ou plus probablement avec des messieurs, les barbus qui se planquent, à gauche).
 
9. Un très joli portrait de Beatrix Pacheco par François Clouet ou assimilé, vers 1550.
 
10. Une scène de marché en 1559, avec parabole biblique, de Pieter Aertsen, hollandais de l’époque du père Brueghel, remarquable par sa superbe galerie d’étranges portraits songeurs, entre l’indifférence et l’ennui, et que le commentaire qualifie d’impudeur érotique !

11. Un paysage sylvestre féérique de Coninxloo, vers 1600. On distingue quelques chasseurs armés de fusils, et on verrait bien un accident de chasse, un peu de rouge dans cette obsession verte et bleue. (illustration 4).
 
12. Un dessin grandiose d’Abraham Bloemaert, l’Âge d’or, en 1603, où l’on remarquera que les « distanciations sociales » ne sont pas vraiment respectées et que Bloemaert était un dessinateur incomparable.
 
13. Un magnifique portrait de bergère en berger, d’un inconnu allemand, sans doute un maitre (monogramme A.V.D. 1665), accompagné d'un beau pendant.
 
14. En passant près du Géographe de 1669, avec son compas à la main, vous reconnaitrez nécessairement le peintre. Il a signé deux fois, sur l’armoire, discrètement, et sur le mur, avec ostentation. En réalité les deux signatures n’existaient pas lors d’une vente très documentée du tableau en 1872, alors que Vermeer est mort en 1675. (illustration 5).
 
15. Pieter Janssens, surnommé Elinga, peint vers 1670 cet autoportrait empreint de modestie. De fausse modestie. Il se représente au fond, de dos, en train de peindre (le commentaire dit qu’il était gaucher et tenait donc sa palette de la main droite), dans une belle maison dont il peint toujours la même pièce pour ses effets de soleil. Le sol est couvert d’un carrelage compliqué de marbre blanc et noir, et les murs de tableaux d’autres peintres. Les riches habits, la lumière, les dorures, tout respire la félicité. Au centre, au premier plan, légèrement dans l’ombre et vêtue de noir, la balayeuse rappelle discrètement que tout cela est en train de devenir poussière. (illustration 6).
 
16. Les toiles de Lingelbach, comme celles de Berchem à la même époque, vers 1670, fourmillent de personnages colorés et de détails observés sur le vif, dans des mises en scènes dignes des meilleurs moments des films de Spielberg (surtout coupez le son) ou Max Ophüls.
 
17. Peintre dans l’atelier d’un sculpteur à Rome vers 1760, peint par le jeune Hubert Robert. Peut-être un autoportrait. (illustration 7).
 
18. Johan Christian Dahl, un copain de Caspar Friedrich, était à Naples en 1820 et 21 quand le Vésuve faisait une de ses éruptions de routine, comme tous les 15 ans en moyenne, entre 1774 et 1944. Mais depuis 1944, rien, 76 ans de silence. La prochaine éruption risque d’être très violente. Pour mémoire plus de 5 millions d’être humains vivent dans le voisinage immédiat du volcan.
 
19. Une tempête avec son naufrage imminent, par Andreas Achenbach en 1837, en pleine crise d’acné romantique.
 
20. On a beaucoup dénigré la peinture réaliste, la jugeant bien inutile quand la photographie faisait la même chose, en plus économique. Mais en 1848, quand Hasenpflug peignait, la photographie couleur n’existait pas. Il était de ces peintres qui se gèlent les pieds et se ruinent la santé dans les courants d’air des ruines romantiques en attendant que les Maxwell, Ducos de Hauron et autres Lumière inventent bien au chaud dans leur laboratoire la photographie en couleurs.
En outre depuis qu’elle existe, la photographie moderne ne sait toujours pas, sans manipulations, apporter à la fois dans les ombres et dans les lumières les nuances et les détails que l’œil perçoit (au contraire des films Kodachrome, abandonnés en 2010), et elle ne sait pas non plus, sans outil de retouche, réorganiser la réalité, déplacer ou supprimer les éléments gênants. (illustration 8)

21. Un ciel d’orage de Chintreuil, en 1868, avant l’impressionnisme. Peut-être pas un chef d’œuvre, mais Chintreuil est trop rare pour ne pas être montré dès que possible.
 
22. De 1879, un des portraits incomparables de Renoir, ici triple, qui se passe de commentaire. (illustration 9).
 
23. Hans Thoma, peintre bizarre peu connu aux styles très disparates, des paysages les plus originaux au choses symboliques les plus pesantes. Le commentaire affirme que le livre ouvert est la Bible, dans cette plaisante vue d’une fenêtre de 1883.
 
24. D’une exposition marquante au Petit palais en 1987, suivie d’une rétrospective à Orsay en 1997, à quelques ventes médiatisées, jusqu’à une exposition en 2019 au musée Jacquemart-André, tout le monde (au moins à Paris) connait maintenant l’appartement au décor dépouillé du 30 Strandgade à Copenhague, que Vilhelm Hammershoi (Hammershøi) habita de 1898 à 1909, avant de s’installer en face au 25, qu’il peignit également rectiligne et gris. Sachant que le peintre avait les moyens de se procurer beaucoup de couleurs variées en tube, on imagine que cette grisaille mélancolique se situait plutôt dans sa tête, ici en 1901.
 
 

lundi 23 novembre 2020

Bienheureux Danois (3 de 3)

L'âge d'or de la peinture danoise, partie 3 de 3 : 1846-1861
 
Vous retrouverez la présentation de l'exposition dans la chronique de la première partie (1815-1832).
 
Blunck D., Le cauchemar, 1846 (Coll. Nivaagaard, Nivå). C'est une parodie voluptueuse du célèbre Cauchemar de 1781 de Füssli. En 1837, Constantin Hansen faisait le portrait de Blunck dans sa Réunion de peintres danois à Rome.

Dalsgaard C., Entrée du presbytère de Hellested côté jardin, 1852 (Kunstmuseum, Sorø)

Vermehren F., Berger du Jutland (80 x 60 cm), 1855 (SMK Copenhague)

Skovgaard PC., Blanchiment du linge dans une clairière (50 x 58 cm), 1858 (SMK Copenhague)

Exner J., Dans une gondole, 1859 (SMK Copenhague)

Bache O., Rénovation du navire Skjold, 1860 (Nationalmuseum, Stockholm)

Sonne J., Nuit de la Saint Jean (détail), 1860 (Kunstmuseum, Ribe). En 1837, Constantin Hansen faisait le portrait de Sonne dans sa Réunion de peintres danois à Rome.

Hansen C., La fille du peintre et une amie (53 x 63 cm), 1861 (SMK Copenhague)

 

mercredi 18 novembre 2020

Bienheureux Danois (2 de 3)

L'âge d'or de la peinture danoise, partie 2 de 3 : 1832-1842
 
Vous retrouverez la présentation de l'exposition dans la chronique de la première partie (1815-1832).
 
Kobke C. [Købke], Portrait d'un vieux marin, 1832 (SMK Copenhague)

Kobke C. [Købke], Vue depuis la Citadelle, détail 1834 (Ny Carlsberg Glyptotek Copenhague)

Kobke C. [Købke], Château de Frederiksborg le soir (103 x 72 cm), 1835 (Collection Hirschsprung Copenhague)

Kobke C. [Købke], Petite tour du château de Frederiksborg (162 x 177 cm), 1835 (Designmuseum Copenhague)

Eckersberg C.W., Pont de Langebro au clair de lune, 1836 (SMK Copenhague)

Kobke C. [Købke], Matin d'automne sur le lac Sortedam (45 x 33 cm), 1838 (Ny Carlsberg Glyptotek Copenhague)

Lundbye JT., Paysage du Sjælland (128 x 95 cm), 1842 (SMK Copenhague)

Gurlitt L., Falaise de Møn (Møns), détail, 1842 (SMK Copenhague)

Suite et fin...

 

dimanche 15 novembre 2020

Bienheureux Danois (1 de 3)

Les Danois n’ont pas de chance. Ils sont, d’après l’encyclopédie Wikipedia, le peuple le plus heureux de la planète. Ils ont pleuré, par exemple, 5 fois moins de morts par le virus que les Français, proportionnellement. Ils ont certainement une méthode, mais ils désespèrent de la faire connaitre.
 
Après un premier essai en 1985, ils ont tenté de partager à nouveau leur secret, du 19 avril au 16 aout dernier, en prêtant les plus beaux tableaux (sauf un) de ce qu’ils nomment leur « Âge d’or », peints entre 1800 et 1860, pour les exposer quelques mois au Petit palais de Paris.
Mais les salles d’exposition du Petit palais sont restés désertes. La France était confinée. Opiniâtres, ils ont reporté l’exposition. 200 tableaux et dessins ont attendu 5 mois dans l’obscurité (l’étape française était, par chance, la dernière après Stockholm et Copenhague). 
Le 22 septembre, quelques parisiens privilégiés, en quantité limitée par les consignes sanitaires, les découvraient. 
 
Si les Danois ont de bonnes raisons d’appeler « Âge d’or » cette période de leur peinture, elles ne sont ni politiques ni économiques. 
En 1801 ils sont à peine un million et souffrent des retombées catastrophiques des délires napoléoniens. Coulés et bombardés par les Anglais en 1801 et en 1807, ils assisteront à la faillite de l’État danois qui perdra la plupart de ses colonies en 1814 puis vivront les troubles de la lutte pour un régime parlementaire, et la guerre pour éviter, sans succès, que la Prusse n’annexe en 1864 tout le sud de leur territoire. 
 
On nous dit que l’initiateur de cet « âge d’or », appelé alors « école de Copenhague », Christoffer Wilhelm Eckersberg, avait suivi la classe du peintre David à Paris. On s’attend alors à découvrir de cette époque sombre une peinture conquérante, monumentale, théâtrale, avec effusions sentimentales, comme chez David, Géricault, Delacroix, Gros. 
Mais Eckersberg, qui ne rêvait pourtant que de peinture d’Histoire, avait appris, après l’effervescence parisienne, à contempler en Italie les ruines de la Rome antique, et il n’enseignait plus que la sobriété. Foin des agitations de l’âme, « Ne peignez que ce que vous voyez, mais dans les moindres détails » disait-il à ses élèves en les entrainant dans les environs de Copenhague.
 
Et ils l’ont suivi. Ainsi on découvre un monde limpide, une peinture sans histoires, précise et sobre, des paysages ordinaires, des cailloux, des briques, des brins d’herbe, des arbres, des personnages qui passent, des portraits modestes, des souvenirs d’Italie, des bergers qui tricotent, des rats morts, des nuages, parfois des choses un peu plus académiques, bref n’importe quoi, comme le conseillait leur professeur. 
 
D’aucuns, qui aimeraient que l’art les transporte dans un autre monde, diront qu’une peinture réaliste qui n’est que la reproduction minutieuse de ce qui l’entoure, et qui n’évoque pas au moins une idée, un sentiment ou une impression, est un art sans imagination et superflu.
 
Les peintres de l’école de Copenhague leur répondraient sans doute qu’il n’est pas nécessaire d’imaginer un autre monde, que la réalité est plus créative qu’ils ne pourraient jamais l’être, et qu’ils l’acceptent comme elle est, dans la joie et avec le plaisir enfantin d’essayer de la contrefaire, en créant des illusions. 
Et le spectateur, qui cherche également à éveiller son regard d’enfant, sait bien qu’il est mystifié, comme devant un prestidigitateur, qu’il regarde un mirage coloré au pinceau, tendu dans un cadre de bois, et il reste émerveillé de tant de précision et de science. 
 
Voici donc quelques-uns des plus beaux tableaux et détails de cette exposition fantôme. Ils y étaient classés par thème, concept artificiel pour des peintres sans doctrine. Ils seront ici seulement dans un ordre chronologique, et à peine commentés, mais avec des liens vers les autres œuvres de ces peintres conservées au Musée national d'art de Copenhague (SMK). 
Toutes les photos ont été prises sur place le 29 octobre dans les conditions d’éclairage artificiel de l’exposition. Les illustrations présentent donc souvent, en haut, une bande sombre plus ou moins bien camouflée due à la position des spots lumineux.
 
Le 29 octobre au soir, à peine un mois après l’ouverture de l’exposition, le Petit palais était dans l'obligation d'éteindre à nouveau les lumières pour un temps inconnu, peut-être à jamais, abandonnant à l'obscurité le secret du bonheur des Danois.

 
L'âge d'or de la peinture danoise, partie 1 de 3 : 1815-1832
 

Eckersberg C.W., Escalier menant à l'église Santa Maria in Aracoeli, à Rome (36 x 32 cm), 1815 (SMK Copenhague)

Rorbye M. [Rørbye], Vue depuis sa chambre (30 x 38 cm), 1825 (SMK Copenhague). En 1837, Constantin Hansen fera le portrait de Rørbye dans sa Réunion de peintres danois à Rome.

Bendz W., Le peintre Blunck dans son atelier (détail), 1826 (SMK Copenhague)

Hansen C., Les sœurs du peintre (détail), 1826 (SMK Copenhague). En 1837, Constantin Hansen se représentera à gauche dans sa Réunion de peintres danois à Rome.

Sodring F. [Sødring], Arrière-cour à Charlottenborg (28 x 26 cm), 1828 (SMK Copenhague)

Kobke C. [Købke], Vue de la citadelle de Copenhague d'un grenier (30 x 39 cm), 1831 (SMK Copenhague)

Kyhn V., Le Jardin botanique depuis Charlottenborg, 1832 (Copenhague, Københavns museum)

Suite... 

 

mercredi 4 novembre 2020

Le magasin reste ouvert

Pendant le confinement, les ventes continuent. 
2ème épisode de la chronique du coronavirus et des ventes de tableaux.


D’après le Los Angeles Times, alors qu’en 6 mois de pandémie 8 millions d’Américains « ont glissé dans la pauvreté », les plus riches se seraient enrichis de 845 milliards de dollars.
Mais comment dépenser ces milliards quand il est interdit d’aller au musée, d’acheter des produits culturels, des jouets, de l’électroménager, des habits pour l’hiver, toutes choses inutiles pour vivre, sinon pour ceux qui les fabriquent ? (*)
Alors on achète de l’art. C'est une activité autorisée.
 
Si vous vous rappelez l’épisode précédent, les associations muséales américaines ont autorisé, le 15 avril 2020 et pour deux ans, la vente d’œuvres des collections pour faire face à l’effondrement des recettes dû à la pandémie. Le principe est toujours de vendre des œuvres de second rang, redondantes ou entreposées, la nouveauté est que le bénéfice peut maintenant soutenir la gestion des musées et plus seulement le renouvellement de leur collection. 
 
Ainsi le musée de Brooklyn s’est rapidement débarrassé, le 15 octobre en salle des ventes, chez Christie’s, d’une douzaine d’œuvres mineures. Franc succès, il obtenait trois fois son estimation, dans les 7 millions de dollars. Alors il récidivait discrètement le 28 octobre en sacrifiant, chez Sotheby’s cette fois, trois tableaux modernes mineurs, Monet, Miro et Matisse. Résultat, 6 millions de dollars supplémentaires, dont 4,6 pour le Monet mineur. Personne n’a trouvé à dire.

Le musée de Baltimore, qui aurait dû prendre exemple sur la sobriété des attentes du musée de Brooklyn et sur son astucieuse dilution des actions, a préféré fanfaronner en une vertueuse déclaration et une publication détaillée de la répartition des 65 millions qu’il escomptait de la vente de trois tableaux. Il faut dire que le musée est habitué aux déclarations retentissantes et édifiantes.
 
L’étincelle aura-t-elle été la vente privée, à huis clos, de la sérigraphie de Warhol ? Warhol est toujours très en vogue aux État-Unis. Bien que l’objet proposé ne soit qu’une immense photocopie monochrome jaune citron en taille réelle de la cène de Léonard de Vinci, et qu’il en ait produit en 1986 plus d’une centaine d’exemplaires en variant parfois la couleur, les adeptes avaient appris à cette occasion, quelques mois avant sa mort, que l’artiste était très croyant et pratiquant, ce qui fait que le prix de 40 millions de dollars, secret mais soupçonné, a été jugé largement sous-estimé pour une œuvre emblématique.  
 
Les deux semaines qui ont précédé la vente du 29 octobre sont alors devenues un supplice permanent pour la présidente du Conseil d’administration et le directeur du musée (encore récemment adjoint au LACMA), qui avaient organisé l’opération en argüant, auprès du Conseil, que « la valeur monétaire des trois tableaux dépassait leur valeur artistique ».
En quelques jours, critiques, historiens d’art et directeurs de musées lançaient une polémique dans la presse, les trois tableaux étaient déclarés majeurs, voire uniques, un article assassin du Los Angeles Times du 19 octobre dénonçait les pratiques souterraines et fiscalement frauduleuses du directeur, et l’accusaient d’exploiter la crise sanitaire pour piller les réserves, de vieilles inimitiés au sein du conseil d’administration se réveillaient, de gros donateurs annulaient leurs promesses et des membres du Conseil démissionnaient. L’Association américaine des directeurs de musée revenait même sur son récent accord donné à la vente.
 
Finalement, deux heures avant l’évènement, le musée de Baltimore retirait les trois œuvres de la vente, dans une déclaration très morale et autocritique, faite d’une très jolie langue de bois.
Mais pour le directeur, qui ajouta à la presse ne pas abandonner sa lutte sur la question de fond de la vente des collections des musées, ce n’est qu’un contretemps. Il pense que sa cause finira par gagner.
Partout dans le monde les biens publics passent inexorablement en mains privées.

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(*) en illustration : de quoi avons-nous besoin d’autre que de respirer et manger ? Une simple musette disponible chez Amazon répond aux besoins vitaux. Grande variété de couleurs disponible (image d’après Mattes).

dimanche 18 octobre 2020

La vie des cimetières (97)

Les cimetières irlandais vus de la rue, 3ème partie (de 3)
Arbres et saisons

Ifs, pins, thuyas, cyprès, cèdres, évoquent peut-être la persistance de la mémoire, ou tout autre valeur de permanence bien venue dans un cimetière, en tout cas leurs silhouettes majestueuses font toujours très décoratif, en toute saison, sur une lande un peu désolée, notamment quand l’âge leur a donné la forme d’immenses brocolis exotiques.
 

Difficile de trouver plus typique que le vieux cimetière de Tullybuck, pas tout à fait abandonné, au cœur du pays. (Copyright Google Maps)

Le cimetière de Kilbannivane à Castleisland. On prévient le visiteur que le sol est accidenté et que les objets de valeur laissés dans les voitures en stationnement devraient être soigneusement dissimulés. À propos de brocolis géants, s’il y a un botaniste dans la salle, quels sont ces arbres ? des cyprès ? (Copyright Google Maps)

Ahenny, autre vieux cimetière pittoresque, avec, en bonus, deux antiques hautes croix celtiques superbement ouvragées. (Copyright Google Maps)

Un cimetière généreusement arboré, agrémenté de quelques croix celtiques, même orné d’une ruine murée et placardée d’avertissements, fait tout de suite plus animé, comme ici le vieux cimetière de Glencullen. (Copyright Google Maps)

Il a bien fallu, en 10 ans, 3 ou 4 passages de Google Street view au long du cimetière d’Aghadoe, aux portes du  parc national de Killarney, pour noter que la cathédrale en ruine, réduite à quelques pans de mur sans toiture, était « fermée temporairement ». (Copyright Google Maps)

Il y a des cimetières où on aimerait enterrer une âme sœur, pour s'y rendre souvent en pèlerinage, en toute saison. Google Street view le sait, qui y retourne régulièrement, comme à Kildownet (ou Kildavnet), en 2009, 2011 au printemps et 2019 en automne. Ne manquez pas, sur la route du détroit (vous êtes sur Achill island), à 200 mètres vers le sud, la tour solitaire du clan O’Malley. (Copyright Google Maps)

Au style typique des films de genre, mais pimpant au printemps (ici en juin 2011), le vieux cimetière de Glenties est certainement à découvrir par une nuit de pleine lune. Spacieux et bien agencé, il permet de nombreux angles télégéniques. Une petite échelle de 3 marches près du pilier d’entrée à gauche évite l’escalade du mur si la grille est fermée. (Copyright Google Maps)

Record mérité, Google Street view est passé 7 fois en 10 ans par le cimetière de Drumcliffe, le Drumcliffe du nord, le plus célèbre, où est enterré le grand poète et prix Nobel irlandais, W.B. Yeats, avec son parking dédié et sa cafeteria. 
En réalité - ne le dites pas aux touristes - s’il y a des restes humains dans sa tombe, ce ne sont pas ceux de Yeats, ou alors, par un pur hasard, un ou deux extraits, pas plus. Enterré un peu négligemment en 1939 à Roquebrune en France, dans une fosse commune, il a fallu en inventer les morceaux au moment de son rapatriement en 1948…   
Néanmoins on notera à l’horizon, le plateau enneigé en haut des falaises de la magnifique montagne Ben Bulben. (Copyright Google Maps)


Enfin, on ne pouvait pas terminer cette tournée des cimetières irlandais sans tenter d’y entrer. Or Google a visité en détail le très populaire Glasnevin cemetary de Dublin. On peut le survoler en 3 dimensions, et en parcourir les principales allées. On dit que c’est un « véritable musée en plein air » comme le Père-Lachaise à Paris, ou le cimetière monumental de Milan. N’exagérons pas, la statuaire visible y semble remarquablement fade et mièvre.  

 

mercredi 14 octobre 2020

Investir dans l'art ?

Amis millionnaires qui lisez régulièrement Ce Glob, ne dilapidez pas votre fortune à acheter des iles désertes qui seront bientôt dévastées par la montée des eaux, et où vous n’éviterez pas le virus, qui n’a que faire des frontières et de votre position sociale, investissez plutôt dans un marché culturel en plein essor, les collections des musées. 
 
Parmi les valeurs que l’Europe aura héritées sans hésiter de l’indépassable exemple américain, il n’y a pas que la nourriture poubelle, la politique spectacle et le cinéma puéril, il y a surtout un modèle économique et social d’une simplicité biblique : toute entreprise humaine doit être pécuniairement rentable. 
Or les musées américains, presque tous privés (maintenant privés de visiteurs par les restrictions sanitaires), tombent comme des mouches. Après avoir licencié une bonne part des employés et remercié les sociétés de services, que pensez-vous qu’il leur reste à négocier ? 
 
Jusqu’à présent l’Association américaine des directeurs de musée (AAMD), qui fait la loi outre-Atlantique, n’autorisait la vente d’œuvres des musées, sauf exceptions notables, que pour les remplacer et améliorer la collection, pratique qui ouvrait déjà la porte aux engouements passagers, modes et groupes de pression. 
Mais pandémie oblige, l'AAMD vient d’autoriser pour 2 ans, jusqu’au 10 avril 2022 - lisez « tant que ce sera nécessaire » - la vente d’œuvres des collections dans le but de secourir la trésorerie et la gestion courante des musées. On suppose qu’ils vendront en priorité les œuvres dont les donateurs ne sont plus là pour exprimer leur indignation (aux USA, domaine public signifie seulement qu’il n’y a plus de droits d’auteur sur les œuvres, mais elles restent en général la propriété d'institutions ou de fondations soumises au droit privé. En Europe les collections sont principalement administrées par des institutions publiques et soumises - pour l’instant - à des règles d’inaliénabilité).


Alors le musée de Brooklyn, à New York, se lance le premier, un peu timidement, avec une douzaine d’œuvres (sur une collection de 20 à 30 000), à vendre chez Christie’s le 15 octobre.
Les noms des artistes sont alléchants, mais les estimations modestes parce que les œuvres sont médiocres : un mauvais Corot douteux, un paysage de Courbet pour salle d’attente de dentiste, mais sans la biche, un Mesdag et un Daubigny insipides, et tout de même une Lucrèce de Cranach l’ancien, réchauffée mais de qualité (le vendeur en attend 1 à 2 millions de dollars)
 
Enhardi et mieux organisé, le Musée d’art de Baltimore (BMA), qui rouvre ses portes humblement à 25% de ses capacités, vient d’annoncer fièrement un « plan de dotation pour l’avenir », qui contient tous les clichés bien-pensants qui doivent le transformer en musée américain citoyen, responsable et respectueux des minorités (on se débarrasse d’un passé encombrant en l’effaçant des collections), et tout en ne licenciant personne.
Pour atteindre cet idéal, le musée ne vend que 3 tableaux modernes (Still, Marden, et Warhol) chez Sotheby's le 29 octobre, dont il estime, très optimiste, le bénéfice à 65 millions de dollars précisément, qu’il a déjà ventilés avec force détails sur les différents postes de dépenses.
 
Alors, le conseil à nos amis millionnaires sera d'aborder ce marché prometteur sans trop se précipiter, et en se méfiant des estimations gonflées par un reste de fierté des conservateurs aux abois. La catastrophe sanitaire semble s'installer, les prix devraient baisser. Naturellement, le conseil ne s’adresse pas aux heureux actionnaires des laboratoires pharmaceutiques, qui peuvent dépenser sans retenue, les yeux fermés.
 
Mise à jour le 15.10.2020 : Premiers résultats chez Christie's, Corot n'a pas démérité, il est parti à la moitié de son estimation moyenne, soit 125.000$, Mesdag presque à l'estimation haute, 175.000$, Courbet nettement au-dessus de l'estimation haute, soit 798.000$ (il y avait sans doute des dentistes dans la salle), et Cranach a ridiculisé les prévisions, en faisant presque 3 fois l'estimation haute, soit 5.070.000$.
 
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En illustration, un détail de la Lucrèce de Lucas Cranach mis en vente chez Christie's par le musée de Brooklyn.