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vendredi 10 novembre 2023

Un panier de crabes au Gala des fraises


Jérôme Bosch l’a démontré dans son Jardin des délices ci-dessus, la passion de la fraise, à la manière de la tulipe en son temps, conduit à tous les débordements sexuels, jusqu’à la folie collective.

La présidente du musée du Louvre s’est trouvée atteinte le 23 mars 2022, lors de l’achat aux enchères à Paris, par un musée du Texas, d’un panier de fraises de la main du peintre Chardin.

De ce jour, elle manigance pour récupérer le tableau. Elle veut le voir trôner dans son musée, parmi les 38 Chardin déjà exposés, et leurs poires, pêches, prunes, lapins, faisan, raie et brioche. L’adjudication du tableau était de 24,3 millions d’euros, frais compris. Elle en a fait interdire l’exportation au motif de Trésor national pour s’accorder le délai légal de 30 mois, le temps de trouver de quoi le payer.
Nous avions abondamment relaté ce feuilleton médical sur les tourments d’une addiction.

18 mois plus tard, il y a trois jours, elle lançait la dernière étape de la machination, nécessairement publique cette fois, afin de réclamer aux citoyens français la faveur d’une aumône, car il lui manque 1,3 million d’euros, 5% de la somme totale. Il y aurait eu d’autres moyens d’arrondir l’opération, mais comme on sait que la stratégie "Tous mécènes", ces appels annuels du Louvre à la conscience artistique nationale, rapporte en moyenne un million d’euros, pourquoi ne pas en profiter ?

La présidente annonce sa complainte dans une courte vidéo et sur une page de presse du musée, où il est question, comme pour toute réclame du genre, "d’absolu chef-d’œuvre de la peinture française du 18ème siècle qui menace de quitter la France" si le citoyen ne fait pas un petit effort. On y lit surtout la gloire de LVMH, qui aurait avancé 15 millions dans l’affaire !
Mais si, vous savez, ce marchand de sacs à main, de mousseux et d’eau de toilette hors de prix qui a parfaitement compris que la plus célèbre des institutions culturelles françaises était le support publicitaire idéal, économique et quasi éternel.

Économique, parce que la communication du Louvre, qui met en avant, avec force exemples de calcul, les 66% de déduction fiscale applicables aux bons citoyens qui feraient un don, oublie discrètement, en parlant de "l’importante réduction fiscale qui s’applique aux entreprises", d’en afficher le taux, qui est, le tableau ayant été déclaré Trésor national, de 90% !
Et quasi éternel, parce que le nom de la marque LVMH sera ainsi définitivement attaché au tableau, sur les cartels, dans les catalogues et livres d’art, tous écrits citant l’œuvre, et pour un investissement raisonnable de 1,5 million d’euros puisque les 13,5 millions restants, les 90%*, seront payés étourdiment par le gentil contribuable.
* Dans un recoin du site Tous mécènes, il est écrit que les entreprises bénéficieraient d’une réduction d’impôt de 60% du montant versé. C'est certainement une erreur, qui dérogerait au Code général des impôts.

Cahier pratique : comment se faire offrir des entrées gratuites au Louvre, et monter éventuellement, si on est extrêmement indélicat, un petit trafic de billets :
Dans le document du communiqué de presse (PDF) où il détaille les modalités de donation, le Louvre a peut-être commis une petite libéralité de calcul (qui ne serait pas la première bourde dans sa gestion des entrées au musée). 
On y lit parmi les exemples de déduction fiscale, qu’un don de 50€ ne nous couterait après remise que 17€, et qu’en plus deux billets d’entrée au musée nous seraient offerts (page 5).
Versez aujourd’hui 50€, et 67€ vous seront finalement restitués, sachant que le prix actuel de l'entrée est de 17€, c'est une plus-value de 34% ! (33€ pour les 66% de déduction fiscale, plus 2 billets d’entrée soit 34€). Et votre nom sera inscrit quelque part dans le musée et cloué au "mur des donateurs" sur une page de remerciements du site du Louvre.

Comme on l'a vu à propos de LVMH, y a-t-il un moyen plus sûr de faire profiter des intérêts privés que de les investir dans le domaine public ?

Et puis le communiqué prévoit que les plus généreux des donateurs auront droit à des visites privées, les plus que généreux jouiront de "soirées privées", et ultime cerise, pour les plus libéraux d’entre eux sera organisé un "Gala des fraises" dont le seul nom fait déjà saliver tout amateur d’art, et dont on ose à peine imaginer les implications érotiques.

Jusqu'où la folie des fraises mènera-t-elle la présidente du Louvre ?

dimanche 4 juillet 2021

Rien ne va plus ?

Des enchères irréelles voire féériques de ces dernières années ont pu faire croire aux sociétés de vente d’objets d’art qu’elles pouvaient fourguer n’importe quoi, si la publicité en était convenablement optimisée.
En effet, 450 millions de dollars contre un Léonard de Vinci moche et douteux en 2017, ou 69 millions en 2021 contre un certificat d’authenticité et de propriété (NFT ou jeton numérique non fongible) sur un fichier JPG du dessinateur numérique Beeple, images virtuelles qu’on trouve gratuitement sur internet, suggéraient que la surenchère dans le domaine n’avait pas de limite.

Deux cas de fraiche date illustrent cette outrance des maisons de vente.

Christie’s proposait le 24 mai à Hong-Kong un grand tableau (1,53m.) de 1924 de Xu Beijong, intitulé L’esclave et le lion, précédemment vendu 5 millions de dollars en 2006. Il était présenté comme une œuvre de « qualité muséale », importante au point de la vendre seule dans une vacation particulière, estimée cette fois-ci 40 à 60 millions de dollars, et accompagnée d’un somptueux catalogue illustré de 70 pages. Le peintre y est présenté comme « un des plus grands du 20ème siècle, pionnier du réalisme chinois, notamment grâce à ce tableau, la plus haute estimation d’une œuvre d’art asiatique sur le marché ».

Xu Beihong, mort en 1953, était un peintre trois fois académique de la première moitié du 20ème siècle. Il ne peignait quasiment que des animaux, et toujours le même cheval à la manière traditionnelle chinoise, en gracieuses trainées d’encre noire. Ayant appris l’huile à Paris, il en a aussi fait quelques scènes édifiantes lourdement symboliques avec des personnages, dans le style académique du 19ème siècle en occident. Enfin il fut responsable de nombreuses institutions en Chine dont l’Académie des beaux-arts de Pékin, au début de la dictature de Mao Zedong.  
L'esclave et le lion, prototype de son style occidental allégorique, sentimental, pâteux, pour tout dire indigeste, méritait à ce titre tous les superlatifs. 
Remarquez, dans la vidéo promotionnelle, le détail du sang qui dégoutte de l’écharde dans la patte du lion implorant l'esclave apeuré.

Peu après, la maison Rouillac proposait, le 6 juin dans une garden-partie au château d’Artigny en Indre-et-Loire, une vue de Dieppe en 1882 par Claude Monet. Le tableau venait d'essuyer quantité d'éloges.
Le fils Rouillac annonçait, lors de la vente « un tableau qui a eu une couverture de presse fantastique, la une de la Gazette de Drouot, une présentation au Musée des beaux-arts de Tours… ». Il aurait pu ajouter l’unanimité de la presse locale, et une exposition à Dieppe, où était filmée la complainte du conservateur en chef de l’impécunieux Château-Musée et des visiteurs autochtones, qui rêvaient d'un retour de cette vue de Dieppe auprès de l’endroit où elle a été peinte (dans cette vidéo couleurs et détails sont bien reproduits).
 
Ajoutons que le tableau, bien que non signé, bénéficie d’un pédigrée solide, sous le numéro 707 au catalogue de Wildenstein.
Le hic est qu’il est médiocre, et que ça n’est certainement pas parce que « Monet l’a tellement aimé qu’il l’a gardé jusqu’à la fin de sa vie », comme le déclare le fils Rouillac, mais sans doute parce qu’il le pensait inachevé, sinon raté, qu’il ne l’a jamais signé et l'a définitivement oublié au fond de son atelier.


Garden-partie, petits fours, chocolats et raffinement. Qui aura remarqué, sur les masques sanitaires portés par l’ensemble du personnel de la maison Rouillac, la reproduction du tableau de Monet ?
 

Vous l’aurez deviné, les deux chefs-d’œuvre sont restés invendus.
 
Sur le site de Christie’s, pas un mot sur le résultat. L’épisode sera absent de l’historique du tableau. Cependant l’élogieux article promotionnel est toujours dans les archives et le glorieux catalogue hagiographique abondamment illustré de détails saisissants est encore disponible. Il resservira un jour.

L’échec de la vente du Monet par la maison Rouillac est plus divertissant, parce que le film de la vacation, qui dure 3h40, est visible sur le réseau Facebook.
C’est une vente locale, brouillonne et folklorique, où tout le monde parle en même temps, notamment le père Rouillac qui ne cesse de perturber les enchères, mais si vous n’avez jamais assisté à une vente publique, vous ne regretterez pas de découvrir ce spectacle en regardant au moins l’apogée pathétique, entre 1h47 et 2h19. Vous y verrez des êtres humains, approximatifs, bonimenteurs, et finalement grandioses dans la déconfiture, comme au moment théâtral où, après de longues minutes de malaise, on apprend que le seul acheteur à enchérir sur le Monet s’était trompé et avait fait une offre à 100 000 euros, qui avait été interprétée comme une enchère à 1,1 million puisque le prix de départ était établi à 1 million.

Finalement, le « tableau que vous attendez tous du peintre préféré des français, des Chinois et des Américains » sera retiré de la vente. Le père Rouillac, dans une longue péroraison, accusera le coronavirus d’avoir empêché les vrais acheteurs, chinois, de venir voir le tableau en France, puis prédira « qu’il y aurait des rebondissements », appelant le public de bonne volonté, la ville de Dieppe, la région, les instances supérieures, à se cotiser pour que le Monet reste en Normandie (et accessoirement lui permette de toucher ses 20% de la vente).  

On sait, depuis la folie des ognons de tulipe au 17ème siècle, que le cerveau humain est si compliqué, au moins vu de ce même cerveau humain, qu’absolument n’importe quoi peut faire l’objet de désir, d’obsession, de collections et de commerce. Le gagne-pain des maisons de vente est de faire monter les prix. Dans l'exercice, l'enthousiasme l'emporte parfois sur la rigueur. On oubliera vite ces deux péripéties printanières.
 

mercredi 9 juin 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 6

Pietro Antonio Rotari, portrait de jeune femme avec une grenade et un masque (non homologué), vers 1760, détail.

Crise sanitaire, confinement planétaire, pertes d’emploi par centaines de millions, augmentation presque générale de la pauvreté… 2020 a été une année terrible.
Providentiellement, une loi inflexible de la nature garantit que l’énergie globale d’un système isolé est immuable, et ne peut que se répartir différemment. Résultat, en un an, augmentation de 31% du nombre de milliardaires dans le monde (ils seraient désormais 2755), dont 9 parmi les nouveaux sont gros actionnaires voire PDG de sociétés pharmaceutiques.

Alors pour ces milliardaires débutants, nous conseillerons de commencer par une vente discrète et en ligne de tableaux aux estimations modestes, constituée essentiellement d’imitateurs médiocres, mais où se cachent deux ou trois raretés. C’est la seconde partie d’une vente des maitres anciens de la peinture, à Vienne (Autriche) au Palais Dorotheum, aujourd'hui 9 juin. La vente, en ligne, finit à 16 heures. Pressez-vous.

Vous y trouverez notamment un portrait inexpressif assez réussi de Pieter Thijs, une étrange scène nocturne de soldats d’Aniello Falcone, et un rare portrait de jeune femme au masque et à la grenade, de Rotari (détail en illustration), dans un très bel état, estimé 25k€ mais déjà disputé au double de l'estimation (comme l'avait été ce très beau portrait en 2013). Le catalogue dit qu’une version de ce tableau se trouve parmi les 368 portraits de la salle des Rotari à Peterhof.
 
Pour information l’ergonomie du site est remarquable et les reproductions, de haute qualité, sont téléchargeables (cliquer Full screen view, puis High resolution image).
Et c’est heureux parce que la visite de l’exposition avant vente, qui finissait hier à 16h, était un insoluble casse-tête. Il fallait arborer, comme laissez-passer, une « preuve de bas risque épidémiologique », soit une vaccination certifiée EMA, entre 21 jours et 3 mois après la première dose, ou depuis 6 mois après la seconde dose, ou depuis 21 jours à 9 mois en cas de dose unique, ou une confirmation médicale de fin d’infection au SARS-CoV2 depuis moins de 6 mois, ou un test PCR négatif de moins de 3 jours, ou un test antigénique négatif de moins de 2 jours (informations non contractuelles)
Enfin il fallait y porter un masque homologué FFP2
Répétons que le masque de la jeune femme du tableau de Rotari, s’il l’était dans l'Europe des années 1750, n’est plus conforme aujourd’hui.


Mise à jour le 9 juin à 17h : Malgré plus de la moitié d'invendus et une vente morne, les 3 tableaux conseillés se sont bien comportés : le portrait de Thijs estimé 15k€ a été disputé au dernier moment jusqu'à 35,3k€, le Rotari estimé 25k€ a fait également l'objet d'un duel emporté contre 81,5k€, la bonne affaire restant le curieux Aniello Falcone, légèrement inachevé mais en bon état, enchéri une seule fois, à 14k€ (17,8 avec frais), en dessous de l'estimation basse. Falcone a certes peint beaucoup de soldats dans beaucoup de batailles, mais une scène où les soldats semblent surpris à discuter des points de revendication syndicale qui les décideraient à participer ou non à la bataille, en fait un sujet singulier.

samedi 8 mai 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 5

Un des plus beaux détails de la vue de Marrakech peinte par Churchill en 1943.

Le Journal des Arts.fr - L’ŒIL, comparant la production artistique des trois plus célèbres peintres politiciens, George W. Bush, Adolf Hitler et Winston Churchill, affirmait en 2014 que les tableaux du dernier sont « moins naïfs » que ceux du premier et « moins amateurs » que ceux du deuxième. Nous ne contesterons pas ce jugement de valeur qui relève de l’expertise d’une revue spécialisée, et qui est si difficile à prononcer lorsqu’il s’agit de départager trois styles si proches des sommets de la médiocrité.

D’aucuns diront que le bilan humain (ou inhumain) de ces politiciens peut altérer la neutralité du jugement artistique sur leur peinture. Indiscutablement, les 60 à 80 millions de morts causés directement par la folie du deuxième ou les croisades mercantiles militaires et mortifères du premier, en Irak notamment, ne peuvent être comparés aux quelques déclarations publiques excessives du dernier, dues à l’emportement dans l’action et certainement regrettées ensuite. 
En effet Churchill, dont certaines effigies de bronze ont été outragées pour ce motif, n’était probablement pas fondamentalement raciste. Mais derrière le peintre il y avait un politicien, et qui pouvait parfois laisser aller ses propos, par électoralisme, ou simplement pour le plaisir d’un bon mot accompagné d’un cigare et d’un verre de bourbon. Héros, il n’en était pas moins homme.

Et ce n’est pas dénigrer la préférence esthétique du Journal des Arts que de soupçonner qu’elle était peut-être biaisée par les succès déjà croissants des œuvres de Sir Winston auprès des investisseurs en peinture, préférence couronnée par la vente record, le 1er mars dernier chez Christie’s, d’une vue de Marrakech peinte à l’huile et au pédigrée attendrissant. 
 
En janvier 1943, en pleine guerre mondiale, le président américain Roosevelt et Churchill alors premier ministre anglais se rencontrent au Maroc pour décider du sort des pays ennemis. Ils font un petit détour touristique par Marrakech. Churchill y peint un paysage qu’il enverra peu après, une fois sec, à Roosevelt en cadeau d'anniversaire. Touchant, non ?
 
Et ça n’est pas fini. Ledit tableau, sur le marché de l’art en 2011, était alors offert par un acteur américain célèbre à une starlette très populaire, qui, une fois le couple divorcé, le mettait en vente chez Christie’s le 1er mars.
Bel investissement ! Acquis sans doute à l'époque pour 1 à 2 millions de dollars, il vient de dépasser les 10 millions 10 ans après.

samedi 13 mars 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 4

Carl Moll, Intérieur blanc, 1905, vendu par Freeman's en février 2021.
 
Depuis des siècles nous croisons dans la plus complète indifférence, en bronze sur les places publiques, portraiturés dans les musées, ou inscrits sur les plaques de rue, les hommages officiels que la nation rend à ses personnages historiques. Et nous savons maintenant qu’elle a dépensé des fortunes, en marbre, en bronze, et en honoraires d’artistes inspirés, pour entretenir la mémoire de citoyens parfois peu respectables, voire sanguinaires. Nous le savons parce que les encyclopédies en ligne nous renseignent si facilement. Ainsi l’internet a rendu l’époque soupçonneuse à l’égard du pouvoir et des institutions. C’est bien. Mais il l’a rendue émotive et sentimentale envers les symboles et les manifestations artistiques de ce pouvoir.
On s’informe, on s’indigne, puis on débaptise, on déboulonne, on renverse, on escamote un passé qui nous laissait hier indifférents.

Le marché des œuvres d’art, n’est pas touché par cette sensiblerie.
Le 23 février, à Philadelphie en Pennsylvanie, la maison d’enchères Freeman’s obtenait un double record par la vente d’un beau tableau d’un mètre carré de Carl Moll, « Intérieur blanc 1905 » (illustration).

Carl Moll était un peintre viennois maniaque du format carré (même du mètre carré). Formaliste - il privilégiait dans ses tableaux l’harmonie formelle - il fut un des fondateurs en 1897 du courant artistique sécessionniste viennois, avec le peintre Klimt et l’architecte Hoffmann. C’était un mouvement élitiste qui, sous l’influence des courbes et des enluminures gothiques, prêchait le purisme des formes artistiques et la primauté des arts décoratifs dans tous les domaines, de l’architecture à l’argenterie.
   
Le site de la Fondation Gustav Mahler fait de la vie de Moll une chronologie froide comme un rapport de police, illustrée de quelques photos et tableaux. Y sont inventoriées sa fréquentation des nazis par le mariage de sa fille à un dignitaire du parti en 1933, leur vie raffinée dans la haute société viennoise, le suicide des trois personnes susmentionnées le 13 avril 1945, jour où les Russes envahissaient leur résidence à Vienne, les intrigues successorales de la belle-fille de Moll, Alma Mahler…

On peut voir des tableaux de Moll dans quelques musées de Vienne et ne pas en voir un grand nombre (on parle de 900) dans des collections privées.
Rarement exposée, son œuvre survit dans une sorte de clandestinité que Jane Librizzi, dans son blog « Blue lantern », pense être le résultat, provisoire, de la personnalité détestable de Moll et de ses liens avec les nazis.
Ces choses n’arrêtent pas le marché et éveillent plutôt sa curiosité.
Le 23 février, « Intérieur blanc », alors généreusement estimé à 500 000$, ce qui aurait été un record pour Moll, a été adjugé pour 4,7 millions de dollars le mètre carré, constituant également un record de vente, depuis 2011, pour Freeman’s.  

Il parait que l’acheteur étasunien le prêtera pour l’exposer dans un musée.

lundi 1 février 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 3

Ce tableau, d’Achille Benouville, vendu par la galerie Heim, n’a rien à voir avec le Botticelli discuté dans la présente chronique, mais il peut être un repère dans une échelle de valeurs puisqu’on pourrait s’offrir 2000 merveilles comme celle-ci pour le prix dudit Botticelli vendu par Sotheby’s.
 
C’est maintenant certain, l’art et la science sont inutiles à la vie du populaire, comme l’a décrété le monarque de la France, sauf la pharmacie, qui est une science utile, cela va de soi.
Et l’argent, direz-vous ? Eh bien on l’a autorisé à circuler dans certains milieux, et il va bien. Il paresse actuellement dans son bain moussant et fait de belles bulles diaprées. Il vient d’en faire une superbe, de 92 millions de dollars à New York. Tous les journaux en ont parlé.

La maison d'enchères Sotheby’s, qui appartient maintenant à un milliardaire français, avait décidé qu’un tableau confié à son expertise et à son entregent, un portrait de jeune homme à la tempera attribué à Botticelli vers 1475, pesait bien ses 80 millions de dollars.
Le calcul n’était pas évident. Jusqu’à présent, le Botticelli le plus cher du marché, qui avait appartenu à la famille Rockefeller, avait atteint 12 millions de dollars (actualisés) en 2013. Proposer un prix du même ordre aurait dénoté une frilosité qui risquait d’accréditer le doute existant déjà sur son authenticité. Il fallait frapper fort, affirmer la confiance du marché dans la croissance inexorable des affaires.
L'estimation de 80 millions était suffisamment péremptoire pour rendre inaudible toute contradiction. Il faut dire, ce qui peut sembler paradoxal au profane, que près d’une quarantaine de tableaux ont déjà dépassé ce montant en vente publique, mais tous peints après 1870, alors qu’aucun tableau plus ancien ne l’a jamais atteint (oui, oui, à l’exception du faux Léonard dont on a tant parlé, mais c’est une anomalie).  

Et comme par hasard, comme le dit Étienne Dumont sur son blog toujours affuté, le 28 janvier, l’affaire se sera jouée en quelques minutes seulement, entre deux enchérisseurs au téléphone, peut-être asiatiques, voire russes, et conclue exactement au prix planifié, soit 92 millions de dollars avec les frais.

On comprend qu’il n’ait pas été plus convoité quand on constate que même un journal bien-pensant comme Le Monde détaille généreusement, dans un long article, les raisons de ne pas l’attribuer à Botticelli.
Mais s’il n’est pas un Botticelli, il le mériterait certainement. C’est un beau pastiche, il a les qualités et les défauts d'un vrai. Un peu frais, peut-être, pour un panneau de 500 ans. Certains le prétendent repeint au 19ème siècle par un peintre préraphaélite anglais.

Mais l’authenticité importe peu. Spinoza disait que la valeur ne réside pas dans la chose même, mais qu'elle est le degré de désir que chacun éprouve pour elle.
Certains individus ont les moyens d’imposer leurs désirs aux autres. Laissons-les faire, tant qu’ils ne jouent qu’à s’échanger à des prix délirants leurs collections d’autocollants Pokémon ou Star Wars.

mercredi 4 novembre 2020

Le magasin reste ouvert

Pendant le confinement, les ventes continuent. 
2ème épisode de la chronique du coronavirus et des ventes de tableaux.


D’après le Los Angeles Times, alors qu’en 6 mois de pandémie 8 millions d’Américains « ont glissé dans la pauvreté », les plus riches se seraient enrichis de 845 milliards de dollars.
Mais comment dépenser ces milliards quand il est interdit d’aller au musée, d’acheter des produits culturels, des jouets, de l’électroménager, des habits pour l’hiver, toutes choses inutiles pour vivre, sinon pour ceux qui les fabriquent ? (*)
Alors on achète de l’art. C'est une activité autorisée.
 
Si vous vous rappelez l’épisode précédent, les associations muséales américaines ont autorisé, le 15 avril 2020 et pour deux ans, la vente d’œuvres des collections pour faire face à l’effondrement des recettes dû à la pandémie. Le principe est toujours de vendre des œuvres de second rang, redondantes ou entreposées, la nouveauté est que le bénéfice peut maintenant soutenir la gestion des musées et plus seulement le renouvellement de leur collection. 
 
Ainsi le musée de Brooklyn s’est rapidement débarrassé, le 15 octobre en salle des ventes, chez Christie’s, d’une douzaine d’œuvres mineures. Franc succès, il obtenait trois fois son estimation, dans les 7 millions de dollars. Alors il récidivait discrètement le 28 octobre en sacrifiant, chez Sotheby’s cette fois, trois tableaux modernes mineurs, Monet, Miro et Matisse. Résultat, 6 millions de dollars supplémentaires, dont 4,6 pour le Monet mineur. Personne n’a trouvé à dire.

Le musée de Baltimore, qui aurait dû prendre exemple sur la sobriété des attentes du musée de Brooklyn et sur son astucieuse dilution des actions, a préféré fanfaronner en une vertueuse déclaration et une publication détaillée de la répartition des 65 millions qu’il escomptait de la vente de trois tableaux. Il faut dire que le musée est habitué aux déclarations retentissantes et édifiantes.
 
L’étincelle aura-t-elle été la vente privée, à huis clos, de la sérigraphie de Warhol ? Warhol est toujours très en vogue aux État-Unis. Bien que l’objet proposé ne soit qu’une immense photocopie monochrome jaune citron en taille réelle de la cène de Léonard de Vinci, et qu’il en ait produit en 1986 plus d’une centaine d’exemplaires en variant parfois la couleur, les adeptes avaient appris à cette occasion, quelques mois avant sa mort, que l’artiste était très croyant et pratiquant, ce qui fait que le prix de 40 millions de dollars, secret mais soupçonné, a été jugé largement sous-estimé pour une œuvre emblématique.  
 
Les deux semaines qui ont précédé la vente du 29 octobre sont alors devenues un supplice permanent pour la présidente du Conseil d’administration et le directeur du musée (encore récemment adjoint au LACMA), qui avaient organisé l’opération en argüant, auprès du Conseil, que « la valeur monétaire des trois tableaux dépassait leur valeur artistique ».
En quelques jours, critiques, historiens d’art et directeurs de musées lançaient une polémique dans la presse, les trois tableaux étaient déclarés majeurs, voire uniques, un article assassin du Los Angeles Times du 19 octobre dénonçait les pratiques souterraines et fiscalement frauduleuses du directeur, et l’accusaient d’exploiter la crise sanitaire pour piller les réserves, de vieilles inimitiés au sein du conseil d’administration se réveillaient, de gros donateurs annulaient leurs promesses et des membres du Conseil démissionnaient. L’Association américaine des directeurs de musée revenait même sur son récent accord donné à la vente.
 
Finalement, deux heures avant l’évènement, le musée de Baltimore retirait les trois œuvres de la vente, dans une déclaration très morale et autocritique, faite d’une très jolie langue de bois.
Mais pour le directeur, qui ajouta à la presse ne pas abandonner sa lutte sur la question de fond de la vente des collections des musées, ce n’est qu’un contretemps. Il pense que sa cause finira par gagner.
Partout dans le monde les biens publics passent inexorablement en mains privées.

***
(*) en illustration : de quoi avons-nous besoin d’autre que de respirer et manger ? Une simple musette disponible chez Amazon répond aux besoins vitaux. Grande variété de couleurs disponible (image d’après Mattes).

mercredi 14 octobre 2020

Investir dans l'art ?

Amis millionnaires qui lisez régulièrement Ce Glob, ne dilapidez pas votre fortune à acheter des iles désertes qui seront bientôt dévastées par la montée des eaux, et où vous n’éviterez pas le virus, qui n’a que faire des frontières et de votre position sociale, investissez plutôt dans un marché culturel en plein essor, les collections des musées. 
 
Parmi les valeurs que l’Europe aura héritées sans hésiter de l’indépassable exemple américain, il n’y a pas que la nourriture poubelle, la politique spectacle et le cinéma puéril, il y a surtout un modèle économique et social d’une simplicité biblique : toute entreprise humaine doit être pécuniairement rentable. 
Or les musées américains, presque tous privés (maintenant privés de visiteurs par les restrictions sanitaires), tombent comme des mouches. Après avoir licencié une bonne part des employés et remercié les sociétés de services, que pensez-vous qu’il leur reste à négocier ? 
 
Jusqu’à présent l’Association américaine des directeurs de musée (AAMD), qui fait la loi outre-Atlantique, n’autorisait la vente d’œuvres des musées, sauf exceptions notables, que pour les remplacer et améliorer la collection, pratique qui ouvrait déjà la porte aux engouements passagers, modes et groupes de pression. 
Mais pandémie oblige, l'AAMD vient d’autoriser pour 2 ans, jusqu’au 10 avril 2022 - lisez « tant que ce sera nécessaire » - la vente d’œuvres des collections dans le but de secourir la trésorerie et la gestion courante des musées. On suppose qu’ils vendront en priorité les œuvres dont les donateurs ne sont plus là pour exprimer leur indignation (aux USA, domaine public signifie seulement qu’il n’y a plus de droits d’auteur sur les œuvres, mais elles restent en général la propriété d'institutions ou de fondations soumises au droit privé. En Europe les collections sont principalement administrées par des institutions publiques et soumises - pour l’instant - à des règles d’inaliénabilité).


Alors le musée de Brooklyn, à New York, se lance le premier, un peu timidement, avec une douzaine d’œuvres (sur une collection de 20 à 30 000), à vendre chez Christie’s le 15 octobre.
Les noms des artistes sont alléchants, mais les estimations modestes parce que les œuvres sont médiocres : un mauvais Corot douteux, un paysage de Courbet pour salle d’attente de dentiste, mais sans la biche, un Mesdag et un Daubigny insipides, et tout de même une Lucrèce de Cranach l’ancien, réchauffée mais de qualité (le vendeur en attend 1 à 2 millions de dollars)
 
Enhardi et mieux organisé, le Musée d’art de Baltimore (BMA), qui rouvre ses portes humblement à 25% de ses capacités, vient d’annoncer fièrement un « plan de dotation pour l’avenir », qui contient tous les clichés bien-pensants qui doivent le transformer en musée américain citoyen, responsable et respectueux des minorités (on se débarrasse d’un passé encombrant en l’effaçant des collections), et tout en ne licenciant personne.
Pour atteindre cet idéal, le musée ne vend que 3 tableaux modernes (Still, Marden, et Warhol) chez Sotheby's le 29 octobre, dont il estime, très optimiste, le bénéfice à 65 millions de dollars précisément, qu’il a déjà ventilés avec force détails sur les différents postes de dépenses.
 
Alors, le conseil à nos amis millionnaires sera d'aborder ce marché prometteur sans trop se précipiter, et en se méfiant des estimations gonflées par un reste de fierté des conservateurs aux abois. La catastrophe sanitaire semble s'installer, les prix devraient baisser. Naturellement, le conseil ne s’adresse pas aux heureux actionnaires des laboratoires pharmaceutiques, qui peuvent dépenser sans retenue, les yeux fermés.
 
Mise à jour le 15.10.2020 : Premiers résultats chez Christie's, Corot n'a pas démérité, il est parti à la moitié de son estimation moyenne, soit 125.000$, Mesdag presque à l'estimation haute, 175.000$, Courbet nettement au-dessus de l'estimation haute, soit 798.000$ (il y avait sans doute des dentistes dans la salle), et Cranach a ridiculisé les prévisions, en faisant presque 3 fois l'estimation haute, soit 5.070.000$.
 
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En illustration, un détail de la Lucrèce de Lucas Cranach mis en vente chez Christie's par le musée de Brooklyn.