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mercredi 21 mai 2025

Pauvres Danois

Jørgen Sonne, la veille du Solstice d’été (148cm) Ribe Kunstmuseum

Le peuple danois fête la saint-Jean, le solstice d’été, vers 1860. Insouciant, il ne sait pas encore ce qui le menace.


On a souvent parlé du bonheur du peuple danois et de l’Âge d’or de sa peinture.

Hélas les choses ne s’arrangent guère, comme partout sur la planète. Les Danois sont entourés sans issue par la Mer du Nord et la Baltique, la plus empoisonnée des régions maritimes du globe (ne lisez pas empoissonnée), et avec l’accélération de la montée du niveau des mers, leurs terres émergées qui s’élèvent - si l’on peut dire - aujourd'hui en moyenne à 30 mètres, ne tarderont pas à sérieusement rétrécir.

Tout cela risque de gâter leur félicité. Les œuvres des peintres de l’Âge d’or suffiront-elles à leur consolation ? 


C’est alors que vient s’incruster dans cette histoire déjà navrante Aspergillus restrictus, un organisme minuscule, un vilain champignon, osons le mot, une moisissure. Elle manifeste depuis quelques mois une affection exclusive pour le patrimoine culturel, précise dans le Guardian la responsable de la conservation dans les musées danois, et semble particulièrement attirée par les peintures de l’Âge d’or. En réalité, elle se reproduit dans les atmosphères sèches, or les collections les mieux protégées des méfaits de l’humidité sont fatalement celles qui font la fierté du Danemark. L’envahisseuse a été jusqu’à présent repérée dans 12 musées danois, dont les plus importants, le Musée National de l'art du Danemark (SMK) et le Musée de Skagen.


La chose se manifeste par des taches de mousse blanche à l’aspect duveteux. Le champignon n’endommage pas que les matériaux sur lesquels il se pose, il peut être dangereux pour l’être humain, si les spores sont inhalées. On ne s’en débarrasserait qu’à partir d’un certain degré d’humidité, qu’on ne connait pas encore, et dont on ne sait pas s’il serait viable dans un musée.  


La conservatrice pense que l'attaque est planétaire et qu’avec des méthodes de détection adéquates on le constaterait partout. Le très récent épisode fongique entrainant la fermeture complète du musée des beaux-arts de Brest en France, pour au moins 5 ans, semble lui donner raison. Le champignon breton (décrit dans cette vidéo 1’40" de FR3 Bretagne) ressemble beaucoup à l’assaillant danois mais là, à l’inverse, c’est l’augmentation de la pluviométrie et du degré d’humidité qui est supposée responsable. Il y a pourtant fort à parier qu'il s'agit de la même bestiole*.

Attendons que la science, qui commence seulement à l’étudier, donne son point de vue. Pour l’instant on ferme les salles contaminées, on isole les objets atteints, par milliers, et on suspecte l’emballement climatique.


Le sale virus planétaire qui en 2020, rappelez-vous, n’aimait pas la peinture danoise, la considérait comme une activité "non essentielle", au point de tout faire pour que la plus belle exposition parisienne depuis des années ne soit vue que par quelques milliers de privilégiés masqués, cette petite bestiole* immonde, aura donc transmis son aversion à un organisme parasite, une autre bestiole* profiteuse, nettement plus grosse, qui s’en prend aussi à la culture, en commençant par ruiner, comme par hasard, le meilleur de la peinture danoise, propageant ses sinistres méfaits à travers l’air des musées qu’elle infecte, en apôtre du virus. 


* Ne protestez pas, toute personne informée sait que ni les virus ni les champignons ne sont actuellement classés dans le règne animal, mais si la question flotte encore dans certains esprits moins avertis, c’est bien que les conséquences de leur mode de reproduction paraissent intentionnelles, en étant nuisibles aussi bien à l’être humain qu’à la peinture danoise, et peut-être même à la peinture bretonne.


jeudi 20 février 2025

Vaut le détour en 2025



Les musées où vous n’irez pas en 2025


Il y a bien longtemps que l’amateur de musées provinciaux*, devenu par force philosophe - ou peut-être l’était-il déjà, pour préférer les musées paisibles et inactuels - ne se formalise plus des déconvenues qu’il essuie régulièrement dans l’exercice de sa passion. 


* On aura regroupé dans cette expression de musées provinciaux ceux dont la vente des billets d’entrée ne produit qu’un revenu marginal, anecdotique, compte tenu du nombre modeste de visiteurs payants. On pourra ainsi trouver quelques musées provinciaux dans Paris même. Ce sont des musées dont la fréquentation est décente et la visite détendue, décontractée, pour tout dire, provinciale.


Soulagés de la pression des performances de fréquentation, ces musées peuvent administrer leur existence sans trop se soucier du visiteur, et c’est peut-être pour cela qu’on a toujours l’impression qu’ils ferment leurs portes pour de longues années de travaux précisément au moment où on espérait passer quelques jours dans leur région.

C’est évidemment un jugement biaisé. Tous les musées s’usent, et les plus fréquentés s’usent certainement le plus vite ; à Paris le musée d’Art Moderne de Beaubourg, qui enregistre plus de 3 millions de visites l’an, fermera cette année pour 6 ans, pour la deuxième fois en moins de 50 ans d’existence (et on sait que ces longs projets sont systématiquement sous-évalués, pour être approuvés plus facilement par les décideurs) ; On se rappellera également que le plus grand musée hollandais, le Rijksmuseum à Amsterdam, qui n’est pas un musée provincial, fut presque totalement fermé de 2003 à 2013. 


Les motifs de fermeture, évidemment légitimes, sont toujours les mêmes. Citons, pour résumer, les explications du musée de Toulouse, poncifs réutilisables partout sans copyright "De nouveaux travaux se sont avérés absolument nécessaires ces dernières années afin de résoudre des problèmes structurels, d'améliorer l'accessibilité du musée et de répondre aux normes récentes de sécurité et de protection incendie*. Ces chantiers successifs intègreront aussi des travaux pour répondre plus spécifiquement aux nouvelles attentes des publics en termes de confort, de parcours de visite, d'accès et de mise en valeur des collections."


* Un lectorat espiègle verra de l’ironie dans le motif répondre […] aux normes de protection incendie, qui sait que la plupart des incendies dans les monuments historiques surviennent justement pendant des travaux de réfection, comme en 2019, quand une défaillance électrique faillit être fatale à la cathédrale de Paris.  


Aussi, pour éviter en 2025 ces déceptions qui nuisent tant à l’égalité de l'humeur, il conviendra, si vous êtes avides d’art, d’histoire et de sciences naturelles, de préparer avec soin vos pérégrinations muséales. 


Voici quelques exemples de villes françaises à éviter, hélas, en 2025 :


Bayonne : le Musée des beaux-arts, musée Bonnat-Helleu, célèbre naguère pour ses collections de peintures et de dessins, est fermé depuis 2011 ! Et sa réouverture est prévue pour l’été 2025 ! Ne vous y précipitez pas, prenez des garanties avant de faire le voyage.


Beauvais : le Musée de l’Oise, MudO est ouvert. Mais depuis 2020 le beau palais Renaissance est fermé pour travaux sans date claire de réouverture, à l’exception d’une petite aile presque vide dont l’entrée est gratuite.


La Rochelle : le Musée des beaux-arts est fermé depuis 2018 - et rouvrira un jour "La rénovation du bâtiment devient alors un projet majeur avec de multiples enjeux, et sa réouverture dans les prochaines années n’en sera que plus spectaculaire. L’une des particularités du musée est son importante collection d’œuvres qui ne pouvaient être exposées qu’à 10%, faute de place. Gagner des mètres carrés est un des enjeux parmi d’autres de la future rénovation." Ne pas citer de date pour la réouverture est prudent. On lit parfois 2026…


Le Mans : le musée de Tessé, d’art et d’archéologie, est fermé depuis 2016 (à vérifier) ; des article du Journal des Arts et d’un journal local détaillaient en 2022 les bouleversements muséologiques planifiés par la mairie jusqu’en 2026 ; réorganisation inintelligible, articles incompréhensibles ; trouver des informations fiables sur les musées manceaux est une aventure en soi. Il est pourtant possible que le musée soit actuellement ouvert (peut-être même depuis 2024, quand on apprend qu'il ferme accidentellement) ; on est cependant rassurés d’apprendre sur le site que le musée ouvre presque tous les jours aux horaires habituels, mais l’année n’est pas précisée.


Nancy : le Musée lorrain, parmi les plus importants musées d’art et d’histoire en France, se proclame-t-il,  n’expose plus ses 5 exceptionnels tableaux de Georges de La Tour depuis le lancement de la rénovation du Palais des ducs de Lorraine, en 2018. Les polémiques patrimoniales et divers obstacles juridiques semblent dissipés depuis 2024 seulement, mais la date de réouverture en 2029, annoncée dès 2018, est maintenue malgré le temps perdu.


Sens : le Musée de Sens est fermé en 2025 et rouvre en 2026, dit un laconique message de vœux. Vous ne verrez donc pas avant 2026, au mieux, cette superbe vue, par Adolphe Guillon, de la colline de Vézelay en contrejour coiffée de sa célèbre basilique vers 1880 (illustration ci-dessus).


Valenciennes : la très belle et riche collection du Musée des beaux-arts était invisible en 2014 et 2015 pour des travaux de rénovation, puis à nouveau depuis 2021 (à quelques interruptions près) pour des travaux de rénovation encore plus nouveaux et monumentaux, en application de grandes méditations qu’on découvre dans le verbiage creux d’une jolie brochure diffusée par la mairie (lire le résumé page 17 suffit). L’objectif est d’accompagner l’entrée du musée - qui ne sera alors plus un musée mais un lieu de vie - dans le 21e siècle. Quelqu’un pourrait prévenir la municipalité que ce siècle est déjà bien entamé et qu’il s’agirait d’accélérer un peu le mouvement si on ne veut pas devoir en changer le numéro dans les publications.   


Toulouse : le Musée des Augustins, le grand musée des beaux-arts de Toulouse et de la région, est fermé pour travaux depuis 2018-2019. On constate, en lisant le programme des travaux de rénovation, qu’ils s’apparentent à la refonte conceptuelle du musée de Valenciennes, quand on rencontre au détour d’une phrase l’expression "Nouveau projet scientifique et culturel", qui est le titre mot pour mot de la brochure de Valenciennes. Formalisme imposé par le ministère de la Culture qui permet aux municipalités qui font semblant d’y croire d’obtenir des aides financières ? Peut-être. Là encore la réouverture annoncée fin 2025 n’est pas crédible. 


***


N’oubliez pas que cette liste n’est qu’un échantillon, et pensez en organisant vos flâneries, qu’une pratique courante des musées est de réorganiser des étages complets en oubliant de prévenir le client, qui a royalement droit une fois sur place à la visite d’un demi-château de Châteaudun, d’un tiers des peintures du musée de Dijon, d’une moitié moins intéressante du musée de l’Œuvre à Strasbourg et d’un demi-musée de Pau (expériences vécues ces dernières années).


Ça s’appelle la stratégie des tranches de travaux. Ce fut la méthode, de 2016 à 2021 et plus, du musée des beaux-arts d’Orléans qui a ainsi réorganisé les cimaises, refait les peintures (des murs), et ajouté de longs cartels bavards en petits caractères mal éclairés, au sol au pied des tableaux, le tout sans fermer ni faire baisser la fréquentation du musée (en l’occurrence d’un demi-musée), qui s’est maintenue autour des 200 visites par jour, dont 50 payantes, moyenne stable depuis 20 ans. 


Aussi, après avoir conseillé de vous détourner des villes dont le musée est fermé en 2025, cette chronique finira sur une note positive, un conseil de visite. Car cet agréable musée provincial des beaux-arts d’Orléans, dont la faible fréquentation est injuste*, expose quelques merveilles par Reni, Le Nain, Santerre, Van Loo et une incomparable série d’esquisses par Cogniet (comme cette Salle de billard du château de Boursault vers 1860, en illustration ci-dessous). 

Et surtout, allez-y exactement en 2025 : une refonte totale a été annoncée par sa directrice pour 2026 ou au pire 2027, avec la traditionnelle fermeture totale pendant 5 ans, environ.


Rappelons aux connaisseurs que c'est le seul musée à avoir jamais réuni dans la même pièce 
pendant plusieurs mois, en 2002, les 4 natures mortes de Lubin Baugin. 

 

Mise à jour le 25.03.2025 : Mauvaise nouvelle pour une grande ville bretonne, le musée de Brest qu'on pensait fermé pour quelques semaine en début d'année 2025 ne rouvrira finalement pas avant 2029 ou 2030, au mieux, pour se débarrasser des moisissures apparues déjà sur une vingtaine de tableaux et pour des travaux d'importance en cours d'estimation sur le bâtiment même. On accuse le changement climatique. 


Mise à jour le 10.04.2025 : pour compléter notre état des lieux, Étienne Dumont dans bilan.ch fait aujourd'hui sa synthèse d'un article très détaillé du Journal des Arts, paru le 18.03.2025, sur 41 musées français en travaux actuellement. 


Mise à jour le 22.06.2025 : Nancy, le maire vient d’annoncer que le projet d’extension du musée est finalement abandonné. Un nouveau plan, centré sur la restructuration du palais ducal actuel, bien moins ambitieux, devrait être défini d’ici la fin de l’année. La facture qui était devenue exorbitante serait révisée à la baisse, et le musée ne rouvrirait pas avant 2033



 

vendredi 17 janvier 2025

La petite industrie des lumières

Avertissement : on sait - voir cette chronique de 2018 - que la loi interdit, au moins en Europe, de reproduire librement les tableaux de René Magritte jusqu’au 31.12.2037. On trouve même des biographies pingres du peintre qui ne montrent pas le moindre tableau. Ceci expliquera la qualité disparate des reproductions en lien dans la présente chronique.


L'exceptionnelle exposition de 7 versions de l'Empire des lumières au MoMA de San Francisco lors de la rétrospective Magritte, "la 5ème saison" en 2018


Représenter aussi platement que possible des choses banales dans des situations singulières, énigmatiques voire paradoxales, était le truc de René Magritte. Il peignait des idées, et leur attribuait à dessein des titres déroutants.

En 1949 il réalisait le premier tableau d’une longue série autour d’une idée pittoresque (ce qui n’était pas rare de sa part), auquel Nougé, patron des surréalistes belges, attribua le nom d’Empire des lumières (le peintre parle parfois de Royaume de la lumière dans certains entretiens). Il avait déjà esquissé quelques fois ce thème avant 1949. 
L’idée originale était de juxtaposer le jour et la nuit sur un même tableau. 

L’Encyclopédie tente de trouver l’origine de l’idée chez un certain nombre d’autres peintres, sans être réellement probante. Amateur averti des techniques photographiques, peut-être Magritte avait-il simplement été marqué par les images réalisées avec le procédé Kodachrome, tout juste arrivé des Amériques. Sous la forme de diapositives, il reproduisait les couleurs vives et les détails lisibles dans les hautes lumières comme dans les ombres profondes, quasiment comme l’œil humain, et les photos prises aux crépuscules rendaient souvent les ciels clairs et les lumières vives dans l’obscurité comme sur les tableaux de Magritte.  

L’idée eut un succès immédiat et les demandes affluèrent, au point qu’en 1953 et 54 le peintre réalisait trois versions très semblables d’un même grand format promis par étourderie à trois riches clients.
Une de ces versions vient de connaitre une apothéose avec l'enchère faramineuse de 121 millions de dollars (voir le tableau ci-dessous)
Magritte n'abandonnera jamais l'idée et l’exploitera jusqu’à sa mort en 1967. 

L’Encyclopédie compte 27 versions de l'Empire des lumières, 17 à l'huile et 10 gouaches, reprenant sans doute le dénombrement du catalogue raisonné de Magritte par David Sylvester en 6 volumes (1992-2012), ce que nous n’avons pas pu vérifier, l’objet se négociant entre 1000€ (dépareillé et incomplet) et 2500$ à 3200$ dans les meilleures épiceries, pour un poids de 25kg.

Le tableau en illustration ci-dessous, pastiche grossier mais évocateur si vous clignez bien les yeux, dissimule habilement toutes les données recueilles sur cette fameuse série de l’Empire des lumières, et contient des liens internes vers les images, ou externes vers les musées ou les sites d’enchères. 
Cliquer sur l’image en rendra les données lisibles mais n’activera pas les liens. Pour cela il suffira d’ouvrir le même document ici au format PDF sur votre navigateur, ou de le télécharger aux formats CSV, Excel et Numbers [ce dernier mis à jour 12.05.2025]. 
Il présente sans doute des erreurs ou des manques. N'hésitez pas à le signaler dans les commentaires, le tableau sera mis à jour en conséquence.

 

samedi 10 août 2024

Orsay, un espoir ?

Détails de 4 tableaux du musée d’Orsay reproduits en haute définition sur le site "Google Arts & Culture" : 
Ingres, La source (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Degas, Répétition de ballet (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Monet, Coin d’appartement (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Vuillard, Comtesse de Polignac (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)

On devra s’y habituer, les musées français, comme les italiens, ne nous dévoileront jamais leurs collections et leurs réserves avec des reproductions de haute qualité, gratuites et d’une définition suffisante pour en explorer les détails et la matière. Les grands musées anglais, américains, hollandais, nordiques, le font, pour certains depuis 20 ans.
On en a déjà parlé ici-même, c'est comme si une ligne séparait sur le globe les pays qui partagent leurs biens culturels avec générosité (jusqu’à rendre souvent gratuite l’entrée de leurs musées) et ceux qui les cachent jalousement. Des penseurs appointés l’expliqueront par l’influence de la réforme protestante, des philosophies utilitaristes, du libéralisme juridique qui en a découlé. Admettons. Le résultat est que les images et les idées anglo-saxonnes ont envahi les médias, les télévisions et tous les téléphones de la planète, pour le pire comme pour le meilleur, sans que les principes juridiques et l’esprit des institutions n’aient suivi. 

Et les grands musées français se situent du mauvais côté de cette ligne.
Rappelons qu’ils n’exposent au public qu’un centième, voire un millième de ce qu’ils détiennent (le Louvre conserve 250 000 dessins et n’en expose qu’une poignée par an), et que seule une fraction réduite et privilégiée du public a réellement accès à cette portion insignifiante de ces collections, qui appartiennent pourtant à tous. 
Hélas, si on se rappelle cette absurde polémique en 2021, quand un musée français décidait, pour être compris par un plus grand nombre, d’écrire les numéros des siècles ou des monarques en chiffres arabes sur ses cartels, en remplacement des absurdes chiffres romains, causant de virulentes critiques des médias notamment italiens le forçant à se justifier voire à renoncer, on réalise que le partage des biens culturels n’est pas près d’évoluer de ce côté de la ligne. 

Fidèle donc à ces principes arriérés et mercantiles, le musée d’Orsay, gardien des choses créées strictement entre 1848 et 1914, qui avait déjà interdit toute photographie dans son enceinte, nous inflige encore aujourd'hui, sur son site si poussif, des photos tellement médiocres des collections publiques que leur téléchargement, pourtant récemment autorisé, ne tentera jamais personne.  

Conscient peut-être de cette indigence, mais surtout sous la pression (probablement rémunérée) de Google et son impérialisme culturel, le musée a prodigalement accordé que le maitre d’internet publie 157 peintures de ses collections sur le site "Google Arts & Culture". Les reproductions sont d’une bonne qualité, pas toujours exceptionnelle, mais incomparables à celles du site du musée d’Orsay dont le catalogue se garde bien de signaler les œuvres qui sont reproduites sur Arts & Culture. Elles y sont évidemment protégées contre tout téléchargement (petit cadeau au fidèle lectorat, les 4 tableaux en haute définition ayant fourni les détails de notre illustration sont copiables ici).

Ce billet s’achèvera donc sur une note d’espoir : sur 5137 tableaux conservés par le musée d’Orsay en 2022 (sans parler des 48 000 photos, des dessins, pastels, sculptures…), 3% sont déjà reproduits et diffusés en haute qualité, pas sur le site du musée mais quelque part en ligne. Quand on sait que la photo numérique et internet n’existent que depuis 34 ans, à peine, ça fait réfléchir.

samedi 20 avril 2024

Au musée des arts de Besançon...

Pierre Bonnard, le café Au Petit Poucet, 206cm, 1928 (BesançonMusée des arts et d’archéologie,  dépôt du Centre Pompidou).

Préambule

Le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon dans le Doubs héberge des merveilles, notamment en peinture, de la splendide et justement renommée déploration de Bronzino, à l’éclatant Café Au Petit Poucet de la place Clichy par Bonnard, en passant par les fameux Enfers de François de Nomé (alias Monsu Desiderio). Pour ces derniers, vous aurez beaucoup de mal à les voir parce que le parcours de visite, qui se fait par une grande rampe comme dans la coquille d’un colimaçon, les place exactement en face d’une ouverture de lumière, et le tableau sombre et brillant n’est plus qu’un reflet éblouissant et peu lisible. Peut-être est-ce pour cette raison qu’on n’en trouve pas de reproduction acceptable sur internet, pas même sur le misérable site du musée.


Mais nous ne sommes pas là pour visiter le musée de Besançon - d’ailleurs il était en grève il y a peu - mais pour illustrer le sujet sensible de la "direction des musées".


Le roi, on pouvait lui couper la tête, alors que le président, même une petite amende, il la paiera pas.

JM Gourio - Le grand café des brèves de comptoir (tome 3)


Depuis l’élimination discrète du baron d’Orsay, depuis l’abdication, moins furtive tant il trainait de casseroles, du roi du Louvre, depuis le départ de son successeur, également suivi d'ustensiles de cuisine, dans un ambiance d’affaires douteuses, on aurait pu croire révolu le temps des despotes carriéristes dirigeant les musées publics à coups de gestes prétentieux et d’abus de pouvoir.


Il n’en est évidemment rien.

Le président de la République (assisté du ministère de la Culture) possède un harem de domestiques dévoués et soumis, tous et toutes interchangeables, qu’il déplace d’un fauteuil de musée à l’autre tant que leur réputation n’est pas trop entachée, avant de les oublier dans un placard honorifique.

Les simagrées récentes à propos de la retraite de la très favorite présidente du Château de Versailles - sans doute pour d’autres motifs que ses résultats à ce poste - en sont une illustration.


Les musées de province n’échappent pas à cette humiliante chorégraphie des prétendants. Tout le monde a vu un jour dans sa ville un (ou une) responsable de musée lancé dans un projet retentissant, ruineux et souvent inutile pour se faire remarquer en rêvant de poser son derrière près du monarque dans un des luxueux fauteuils de la cour, ou au moins pour se distinguer dans le sérail où vont puiser indifféremment les autorités décisionnaires. 


Il y a quelques jours un épisode de cette comédie remuait le Musée des arts de Besançon. Le personnel en grève du musée le fermait en pleine semaine et manifestait devant ses portes, accusant sa nouvelle directrice d’insinuer dans l’établissement une ambiance nocive de secret, de caprices et d’autoritarisme.


Début 2023, à l’annonce de la nomination de la dame à Besançon, Étienne Dumont, notre chroniqueur suisse favori qui la connait bien, résumait sa carrière, jusqu’à son éviction mouvementée du Musée d’art et d’histoire de Genève qu’elle aurait transformé par ses nuisances en succursale de l’hôpital. Il prédisait des problèmes et un avenir chahuté aux élus qui venaient de la choisir pour Besançon.


Il commente aujourd'hui dans une chronique ce nouvel épisode qu’il avait prévu il y a plus d’un an, et qu’il appelle le cinquième échec grave de cette personne extrêmement toxique. Peut-être est-il, en citoyen suisse, un peu partisan ; se débarrasser de ce fléau bien entrainé aux techniques de la négociation a certainement couté cher à la ville de Genève.


Si Besançon confirme le mal et s’en délivre, on ne pourra que s’inquiéter pour le musée qui fera la prochaine victime.


La France n’est évidemment pas la seule dans cette situation où la direction d’un musée n’est plus confiée à un expert du domaine mais est devenue une fonction qu’on convoite sans scrupules comme tout autre poste de pouvoir. Et s’il arrive parfois qu’un expert soit nommé, les pressions économiques et politiques le transforment illico en mauvais gestionnaire.


Cette peste a débarqué depuis longtemps en Europe. En Italie par exemple, à Florence, l'autoritaire directeur allemand du musée des Offices, en disponibilité, naturalisé italien de justesse et soutenu par les partis réactionnaires, pourrait bien devenir maire de la ville, imaginant déjà sa propre statue sur un socle de la piazzale degli Uffizi qu’il a si souvent parcourue, et où la statue de Machiavel l’attend en observant d’un œil vide et amusé les attroupements de visiteurs du musée des Offices.


Mise à jour 16.05.2024 : Un site sur le patrimoine de la ville de Besançon recèle une liste quasiment introuvable d’une centaine de tableaux du musée dont les reproductions sont téléchargeables dans une bonne qualité (4 à 5000 pixels). Les enfers y sont un peu plus lisibles que sur place mais ne vous attendez pas à des miracles.
Mise à jour 26.06.2024 : Le directeur réactionnaire du musée des Offices maintenant directeur du Capodimonte à Naples n'a finalement pas été élu au poste de maire de Florence qui reste ainsi pilotée par le centre-gauche.
Mise à jour 15.01.2025 : La ville de Besançon s'est séparée de sa directrice des musées.