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samedi 20 avril 2024

Au musée des arts de Besançon...

Pierre Bonnard, le café Au Petit Poucet, 206cm, 1928 (BesançonMusée des arts et d’archéologie,  dépôt du Centre Pompidou).

Préambule

Le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon dans le Doubs héberge des merveilles, notamment en peinture, de la splendide et justement renommée déploration de Bronzino, à l’éclatant Café Au Petit Poucet de la place Clichy par Bonnard, en passant par les fameux Enfers de François de Nomé (alias Monsu Desiderio). Pour ces derniers, vous aurez beaucoup de mal à les voir parce que le parcours de visite, qui se fait par une grande rampe comme dans la coquille d’un colimaçon, les place exactement en face d’une ouverture de lumière, et le tableau sombre et brillant n’est plus qu’un reflet éblouissant et peu lisible. Peut-être est-ce pour cette raison qu’on n’en trouve pas de reproduction acceptable sur internet, pas même sur le misérable site du musée.


Mais nous ne sommes pas là pour visiter le musée de Besançon - d’ailleurs il était en grève il y a peu - mais pour illustrer le sujet sensible de la "direction des musées".


Le roi, on pouvait lui couper la tête, alors que le président, même une petite amende, il la paiera pas.

JM Gourio - Le grand café des brèves de comptoir (tome 3)


Depuis l’élimination discrète du baron d’Orsay, depuis l’abdication, moins furtive tant il trainait de casseroles, du roi du Louvre, depuis le départ de son successeur, également suivi d'ustensiles de cuisine, dans un ambiance d’affaires douteuses, on aurait pu croire révolu le temps des despotes carriéristes dirigeant les musées publics à coups de gestes prétentieux et d’abus de pouvoir.


Il n’en est évidemment rien.

Le président de la République (assisté du ministère de la Culture) possède un harem de domestiques dévoués et soumis, tous et toutes interchangeables, qu’il déplace d’un fauteuil de musée à l’autre tant que leur réputation n’est pas trop entachée, avant de les oublier dans un placard honorifique.

Les simagrées récentes à propos de la retraite de la très favorite présidente du Château de Versailles - sans doute pour d’autres motifs que ses résultats à ce poste - en sont une illustration.


Les musées de province n’échappent pas à cette humiliante chorégraphie des prétendants. Tout le monde a vu un jour dans sa ville un (ou une) responsable de musée lancé dans un projet retentissant, ruineux et souvent inutile pour se faire remarquer en rêvant de poser son derrière près du monarque dans un des luxueux fauteuils de la cour, ou au moins pour se distinguer dans le sérail où vont puiser indifféremment les autorités décisionnaires. 


Il y a quelques jours un épisode de cette comédie remuait le Musée des arts de Besançon. Le personnel en grève du musée le fermait en pleine semaine et manifestait devant ses portes, accusant sa nouvelle directrice d’insinuer dans l’établissement une ambiance nocive de secret, de caprices et d’autoritarisme.


Début 2023, à l’annonce de la nomination de la dame à Besançon, Étienne Dumont, notre chroniqueur suisse favori qui la connait bien, résumait sa carrière, jusqu’à son éviction mouvementée du Musée d’art et d’histoire de Genève qu’elle aurait transformé par ses nuisances en succursale de l’hôpital. Il prédisait des problèmes et un avenir chahuté aux élus qui venaient de la choisir pour Besançon.


Il commente aujourd'hui dans une chronique ce nouvel épisode qu’il avait prévu il y a plus d’un an, et qu’il appelle le cinquième échec grave de cette personne extrêmement toxique. Peut-être est-il, en citoyen suisse, un peu partisan ; se débarrasser de ce fléau bien entrainé aux techniques de la négociation a certainement couté cher à la ville de Genève.


Si Besançon confirme le mal et s’en délivre, on ne pourra que s’inquiéter pour le musée qui fera la prochaine victime.


La France n’est évidemment pas la seule dans cette situation où la direction d’un musée n’est plus confiée à un expert du domaine mais est devenue une fonction qu’on convoite sans scrupules comme tout autre poste de pouvoir. Et s’il arrive parfois qu’un expert soit nommé, les pressions économiques et politiques le transforment illico en mauvais gestionnaire.


Cette peste a débarqué depuis longtemps en Europe. En Italie par exemple, à Florence, l'autoritaire directeur allemand du musée des Offices, en disponibilité, naturalisé italien de justesse et soutenu par les partis réactionnaires, pourrait bien devenir maire de la ville, imaginant déjà sa propre statue sur un socle de la piazzale degli Uffizi qu’il a si souvent parcourue, et où la statue de Machiavel l’attend en observant d’un œil vide et amusé les attroupements de visiteurs du musée des Offices.


Mise à jour 16.05.2024 : Un site sur le patrimoine de la ville de Besançon recèle une liste quasiment introuvable d’une centaine de tableaux du musée dont les reproductions sont téléchargeables dans une bonne qualité (4 à 5000 pixels). Les enfers y sont un peu plus lisibles que sur place mais ne vous attendez pas à des miracles.
Mise à jour 26.06.2024 : Le directeur réactionnaire du musée des Offices maintenant directeur du Capodimonte à Naples n'a finalement pas été élu au poste de maire de Florence qui reste ainsi pilotée par le centre-gauche.
Mise à jour 15.01.2025 : La ville de Besançon s'est séparée de sa directrice des musées.

lundi 29 juin 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (2 de 3)


Comme dans ce tableau de Jan Kobell (Ermitage, non exposé), ouvrir une simple porte dans le musée virtuel de l’Ermitage est une expérience troublante qui ne vous mène pas toujours où vous le pensiez.

Exaltés par votre errance dans le palais de l’Ermitage, vous n’avez probablement pas résisté à chercher les artistes que vous aimez, et pour cela à consulter le catalogue des collections en ligne.

Mais les liens du catalogue vers la visite virtuelle ne sont pas fiables. Ils vous entrainent le plus souvent sur de fausses pistes.
Vous voulez voir un tableau dans son contexte, cliquez sur le numéro de la salle (Room), êtes transportés vers un nouveau plan, peu ou pas interactif, qui ne comporte pas toujours la salle demandée, ou qui mène à une page vide, et quand vous trouvez par hasard le bouton « Virtual visit 3D » ou « View in 3D », vous êtes admonestés d’un « Erreur 404 non trouvé ».
Alors vous renoncez et revenez au plan de visite virtuelle.
Mais vous savez, depuis l’épisode précédent, que nombre de salles manquent sur ce plan, notamment les arts du 19ème au 21ème siècle.

Or il existe un moyen d’atteindre ces salles hypothétiques, c’est d’utiliser la visite virtuelle en partant d’une salle que vous estimez proche de votre objectif. Pour cela vous disposez, en plus du plan interactif, de deux outils.
Le zoom, qui permet de lire les numéros de salles apposés près de l’encadrement des portes (mais ils manquent souvent et ne sont pas toujours ordonnés), et 150 raccourcis vers des salles prestigieuses que l’Ermitage a distinguées sur une page spéciale. Évidemment, les salles y sont baptisées mais pas numérotées, histoire de brouiller les pistes, mais c'est de là que vous pourrez accéder à Bonnard, Degas, Monet, Vallotton, et tant d'autres.

Illustrons. Vous bruliez de voir dans quel contexte est présenté le « carré noir sur fond blanc » de Malevitch, un des fondements de l’art moderne, dont l’auteur déclarait, dit la notice « Le carré n’est pas une forme subconsciente. C’est une création de la raison intuitive. […] Le carré est vivant, c’est le premier pas vers la créativité pure ».
Le catalogue le localise salle 443, qui est absente des plans.
En examinant la liste des 150 salles, vous trouvez sur l’onglet 11 des salles dont l’art vous parait moderne, le nom de Malevitch se trouve même sur la vignette de la salle « Dmitry A. Prigov ».
Vous êtes près du but. Vous cliquez sur la vignette…, puis sur le bouton « View in 3D »…

Sur place vous inspectez les salles avoisinantes. Pas de numéros de salle. Pas de Malevitch alentour. Mais vous arrivez par hasard dans une salle où vous reconnaissez, sur certains tableaux, un style caractéristique. Le titre de la page le confirme, vous êtes dans la « salle Friedrich ». Vous cherchiez la 443, vous êtes dans la 352, inaccessible autrement.

L'exceptionnelle salle des 8 tableaux de Caspar Friedrich, dont le catalogue des collections dit qu’elle porte le numéro 352, mais qu’on ne peut atteindre qu’en fouinant autour des salles de l’art contemporain, elles-mêmes accessibles un peu au jugé.

D’accord, l’exemple était mal choisi. Qu’à cela ne tienne, la physique la plus moderne prétend que la matière se comporte ainsi dans la réalité, qu’elle peut se trouver n’importe où et dans plusieurs endroits en même temps. Les physiciens appellent ce phénomène la non-localité. Et puis avouez que vous vouliez voir cette riche collection de paysages de Friedrich.

Abordons enfin un sujet gênant. Dans l’épisode précédent nous promettions de résoudre le mystère de l’introuvable salle 308, qui recèle notamment, dit le catalogue, 3 des tableaux les plus fameux de Jean-Léon Gérôme, dont sa plus grande version du nébuleux et pathétique « après le bal ».
Hélas, après des heures d’errantes insomnies, reconnaissons que c’était pure vantardise.
Nous nous excuserons en offrant un abonnement au blog, gratuit et à vie, pour tout indice déposé dans les commentaires.

Nonobstant ces petites déconvenues, maintenant familiers des lieux, vous avez réalisé que la plupart des œuvres (98%) ne sont pas exposées (Not on display), ou sont fréquemment introuvables, mais qu’elles sont bien documentées dans l'excellent catalogue en ligne qui regorge de curiosités et de raretés. Nous le feuillèterons dans le prochain épisode.

Au cours de votre visite de l’Ermitage virtuel, si vous êtes ici, c’est que vous êtes perdus, toujours dans le musée, mais dans une zone étrange qu’il vaudrait mieux éviter. Revenez sur vos pas, retrouvez les salles Picasso en passant par la salle Vlaminck, ou vous resterez à perpétuité dans cet environnement carcéral. 
À défaut reprenez le jeu au début, ou éteignez tout.

mercredi 24 juillet 2019

Bonnard, l'invasion des couleurs

La liste des tableaux reproduits sur ces illustrations (titre, date et localisation) est consultable en commentaire flottant, en passant le curseur sur chaque image. Certains navigateurs, notamment sur tablette ou smartphone, ne savent pas utiliser cette fonction.


« …et voici la couleur ! »
Dans la série des « Petites phrases qui n’ont pas changé le monde », Georges Gorse, ministre de l’information de Charles de Gaulle, le 1er octobre 1967 sur la 2ème chaine de la télévision française.

Le peintre Pierre Bonnard, en 80 ans, de 1867 à 1947, a vu fleurir nombre de courants de peinture, de mouvements en « …isme », mais les a tous regardés passer distraitement ; il n’avait d’yeux que pour la couleur.

Admirateur de Monet, c’est la juxtaposition des teintes, le frottement des tons, qui l’émerveillaient, au point d’en oublier le dessin et d’abandonner les lignes, les ombres et les volumes.
Le sujet n’était plus qu’une charpente, une vague réminiscence derrière la profusion multicolore de la couche picturale, mais il ne le supprimera jamais, comme le fera Mark Rothko peu après, inspiré par la même idée fixe.

Eh bien ! Monsieur Pierre Bonnard a le plaisir de vous annoncer qu’il a été accueilli, depuis le 1er janvier 2018 déjà, dans la grande communauté du domaine public (suivre ce lien pour l’itinéraire), et qu’il vous autorise depuis et dorénavant à reproduire les images de ses œuvres n’importe où et en toute liberté, y compris d’en faire commerce.

Il regrette toutefois de ne plus pouvoir réagir quand il voit certains musées provinciaux, encore mal informés, s’attribuer frauduleusement des droits d’auteur et de reproduction sur des photographies de ses œuvres qu'ils contresignent de leurs initiales en surimpression.


vendredi 15 décembre 2017

Améliorons les chefs-d'œuvre (12)

Le grand Van Meegeren, peintre médiocre qui mystifia une génération d’experts et d’amateurs d’art, dont le pilleur nazi Hermann Goering, en leur vendant des Vermeer, des De Hooch, des Ter Borch, qu’il avait peints dans sa cuisine, est mort d’une faiblesse du cœur en 1947.
Il allait sortir de prison où il venait de prouver, en réalisant un faux Vermeer devant ses juges, qu’il n’était pas traitre à la patrie hollandaise, puisque les tableaux vendus aux nazis étaient tous des faux de sa main. Histoire fabuleuse, et les juges en furent émus et le punirent avec clémence du minimum symbolique d’un an de prison pour contrefaçon.

Le lecteur qui connait un peu les lubies de ce blog, et sait peut-être que 1947 + 70 font 2017, aura déjà deviné que le 1er janvier 2018 marquera le premier jour de l’année suivant le 70ème anniversaire de la mort du peintre, et qu’alors son œuvre (celle qui lui est attribuée) entrera glorieusement dans le domaine public de l’humanité.
Pour les mêmes raisons, les tableaux de Pierre Bonnard et d’Albert Marquet, les vrais comme les faux, pourront dans quelques jours être reproduits librement, sans avoir à payer de droit. On y inclura les tableaux de Blanche Hoschedé-Monet, élève et belle-fille de Claude Monet, dont nombre de toiles troublent sans doute les spécialistes lorsqu’il s’agit de leur attribution.

Et il est bon d’honorer les faux et les faussaires, car les copies et les faux anciens que les années ont recouverts d’un voile d’ignorance de plus en plus opaque sont devenus aussi beaux que des originaux. Voyez les imitations romaines de la statuaire grecque classique. Un jour vraisemblablement, les plus réussis des faux de Van Meegeren, notamment certains Ter Borch, seront jugés authentiques (c'est peut-être déjà le cas).

On ne peut dès lors qu’applaudir notre époque qui ne sait plus distinguer et mélange sans vergogne le factice et l’authentique.

L’actualité en présente un cas exemplaire à travers l’histoire de cette effigie du Christ « Salvator Mundi », dont le visage informe et inexpressif évoque une méduse qui aurait abusé de substances psychotropes. 
Les acheteurs de sa première vente identifiée ne s’y étaient pas trompés qui l’avaient acquise en 1958 pour l’équivalent d’une cinquantaine de dollars. Il suffisait de noter la mollesse et le manque de cohérence des drapés, l’anatomie défaillante des bras, des pouces, le visage trop repeint sorti d’une chirurgie reconstructive, et affligé d’une dissymétrie comme le collage de deux moitiés juxtaposées. 

Mais les affaires sont les affaires. Depuis 2007 un nombre qu'on dit croissant d’experts l’attribuent à Léonard de Vinci. Alors évidemment, ce qui devait arriver s’est produit, le tableau vient de pulvériser tous les prix les plus absurdes jamais entendus en salle des ventes. 400 millions de dollars pour un Léonard de Vinci douteux, ou au mieux un Léonard achevé par un élève médiocre. 
En réalité l’acheteur paiera 450 millions, la différence revenant aux taxes et au saltimbanque à cravate dont le sourire s’élargissait à proportion des minutes écoulées et qui tapa de son petit marteau après 20 minutes d’enchères.

Et pour parachever l’affaire, on dit que le tableau a été acheté par un prince saoudien, et qu’il deviendra sans tarder le fleuron du musée du « Louvre Abu Dhabi ». 
L’histoire ne pouvait que finir ainsi, en véritable coup de maitre. Un Léonard à peine authentique trônant sur la cimaise d’un musée artificiel né d’une opération de marketing de luxe, où le Louvre prête, moyennant une juteuse rémunération, son nom (la marque Louvre pendant 30 ans), les services payants de l’architecte officiel du prestige français, et des chefs-d’œuvre mineurs pendant 10 ans. 



Ainsi, pour améliorer un chef-d’œuvre (ou en l’espèce transformer un tableau raté en chef-d’œuvre), il y a d’autres voies que celle de la retouche. 
On peut lui attribuer un peintre de valeur, rechercher des éléments de preuve qui colleraient avec cette hypothèse, éluder ceux qui gênent, faire mijoter longuement dans un bain d’experts, accompagner d’une campagne publicitaire à la hauteur, et exposer le tout avec les honneurs dans un lieu luxueux très en vue dans les médias. 

L’opération est certes laborieuse mais l’attrait du gain réunit toutes les bonnes volontés, et quand elle réussit, le résultat est là. Un vrai chef-d’œuvre ! 

Mise à jour le 20.11.2018 : L'acheteur du faux Léonard serait, d'après un journal des plus fiables, le prince MBS d'Arabie saoudite, devenu rapidement célèbre depuis son accession au pouvoir, par ses actes qui rappellent ceux du Père Ubu, projet d'un canal qui longerait la frontière avec le Qatar et le transformerait ainsi en une ile, purge stalinienne d'une bonne part de son entourage, incitation au dépeçage dans son ambassade en Turquie, avec transit des morceaux en valise diplomatique, d'un journaliste qui taquinait un peu trop sa gestion, organisation d'un génocide au Yémen (soutenu notamment par les armes françaises et la logistique américaine)...
 

lundi 23 mars 2015

Ubu président d'établissement public

Il n’y a que le théâtre d’Alfred Jarry et ses frasques ubuesques pour illustrer la bouffonnerie qui vient d’agiter un peu la vase de la culture officielle en France.

Acte 1

L’histoire commence en l’an 2010 dans une petite baronnie près de la Pologne, quand le morbide baron C. qui dirige le musée d’Or-C, constatant que la pompe à Phynance ne suffit plus à la satisfaction de ses besoins démesurés, ordonne l’interdiction absolue de toute photographie dans l’enceinte de son domaine (qui est aussi le Domaine public), histoire de vendre plus de catalogues et de cartes postales.
Insensible aux protestations scandalisées, il est soutenu par le vicomte F. de M.... alors Baudruche de la Culture.

Acte 2

Le brave baron se pavane depuis 4 ans dans son hall de gare, important parmi les touristes soumis, quand tombe l’information scélérate : la nouvelle Fantoche de la Culture vient de publier une directive « Tous photographes » demandant gentiment aux nobles dirigeants des établissements publics culturels de laisser la multitude s’amuser un peu avec ses petits appareils photo médiocres, dans tous ces lieux chargés d’histoire et de dignité.
Mais le baron C. qui s’est accoutumé aux plaisirs et aux douceurs de la domination refuse tout bonnement d’appliquer la directive dans son fief.

Acte 3

Un an plus tard.

La scène 1 se passe le 16 mars 2015 au musée d’Or-C où la gentille Potiche de la Culture inaugure une petite exposition consacrée au peintre Bonnard (1867-1947).
À 22h52 elle arrose les réseaux sociaux de quelques photos de tableaux prises sur place.

Dans la scène 2, la plus intense du mélodrame, le 17 mars à 9h30, Bernard Hasquenoph, pourfendeur des abus muséaux, s’offusque sur le même réseau social « France des privilèges @fleurpellerin fait une photo au @MuseeDOrsay où on l'interdit au peuple. »
Le coup est vilain. La Victime de la Culture s’en relèvera-t-elle ?
Après 18 minutes d’une insoutenable tension, la réponse arrive cinglante, inattendue, « Aucun privilège ! Je ne fais qu'appliquer la charte Tous photographes du @MinistereCC ».
Quelle réplique ! Rappelez-vous l’acte 2, l’instruction aux établissements publics.

Scène 3, la tension s'apaise. L’acte se termine par la procession plaintive des réclamants sur le réseau « Qu’attendez-vous alors pour faire respecter la charte dans ce musée ? »

Épilogue

Le rideau tombe.

Un récitant entre en scène et annonce, comme un faire-part funèbre « le lendemain, 18 mars, au musée d’Or-C, une note interne déclarait tristement qu’à la demande de la Figurante de la Culture, le baron C. avait pris la décision de lever l’interdiction de photographier dans le musée, applicable immédiatement. »
Le récitant est acclamé par une explosion d’applaudissements, de sifflets, de cris de joie, de larmes.

Note du metteur en scène : on remarquera que l’acte 3, par ses péripéties invraisemblables, détonne dans l’harmonie d’ensemble du récit. On accusera l’auteur de prendre beaucoup de libertés avec la réalité. Il est par exemple impensable qu’une Marionnette de la Culture en exercice diffuse vers plus de 200 000 suiveurs des images de tableaux dont la reproduction est interdite par la loi sans autorisation des ayants droit (le peintre Bonnard en effet n’entrera dans le Domaine public qu’en 2018).

Mais enfin, on est au théâtre, alors profitons sans arrière-pensée de ces courts moments de fantaisie.


Verrière de la grande galerie dans le musée du baron C. Le populaire décervelé peut désormais en emporter l'image, pour agrémenter son souvenir.

dimanche 13 avril 2014

L'apothéose des carabiniers

On pouvait lire il y a peu dans la presse que les carabiniers italiens exultaient. Ils venaient de retrouver, « après une très longue enquête, deux tableaux d'une importance artistique exceptionnelle et d'une valeur incalculable » de Bonnard et Gauguin, 40 ans après leur disparition.
Et le ministre de la Culture, flanqué du général des Carabiniers, de se féliciter à grand renfort de flashs et d'une ronflante autosatisfaction devant la presse admirative, histoire de faire oublier les casseroles monumentales que traine l'administration italienne, dans sa gestion du site de Pompéi, notamment.

Cette peinture à fresque orne depuis au moins 2000 ans un mur d'une villa de Pompéi. Les graffitis qui la couvrent et bientôt l’effaceront sont plus récents.

En réalité, à regarder attentivement, l'histoire de ces tableaux ne met pas vraiment en valeur l'expertise des gendarmes de la culture.

6 juin 1970, deux hommes de l'art et un policeman installent un système d'alarme dans une riche maison londonienne de Chester Terrace. Quand la domestique qui leur a préparé le thé revient de la cuisine, les trois hommes ont disparu avec deux toiles de maitre découpées au cutter dans leur cadre. Un classique du genre.

Peu de temps après, les deux toiles sont trouvées abandonnées dans le train Paris-Turin. À Turin personne ne fait le lien avec les tableaux volés. Elles sont alors déposées aux objets trouvés de la gare et y resteront cinq ans. Pourtant, le style de Gauguin est nettement reconnaissable sur l'une, et surtout l'autre arbore en bas à gauche une signature rouge où on lit assez nettement « Bonnard ».

Au printemps 1975, elles sont vendues aux enchères par l'administration des chemins de fer parmi un lot d'objets non réclamés. Un peu disputées, elles sont finalement emportées pour l'équivalent d'une semaine de son salaire par un ouvrier des usines Fiat passionné de peinture.
Et il les admirera durant 38 ans, dans sa cuisine à Turin puis à Syracuse en Sicile où il prendra sa retraite.

Aux dires de l'ouvrier, son fils intrigué depuis longtemps par les tableaux, et qui lisait « Bonnato » sur la toile signée, reconnut un jour le jardin qu'elle représentait sur une photo d'une biographie de Bonnard.
Il aurait de même identifié la comtesse dédicataire et le style de Gauguin sur l'autre toile, et transmis récemment des photos à des experts de Syracuse, qui ont informé les carabiniers du Patrimoine.

Finalement, l’administration italienne qui pavoise aujourd'hui dans les médias unanimes n'aura pas fait grand chose dans cette histoire, sinon identifier les anciens propriétaires décédés depuis longtemps. La gigantesque base de données des objets disparus, dont elle est si fière, ne comportait même pas les deux inestimables tableaux dans sa liste de presque 6 millions d'objets.

samedi 27 janvier 2007

Les travers du droit de l'image

Le droit de reproduction et de représentation des images est régi par le Code de la propriété intellectuelle. En théorie, la loi est claire. Les droits d'auteur ne sont pas attachés à la propriété de l'œuvre et n'appartiennent qu'à l'auteur et ses ayants droit.

Magritte - la reproduction interdite (détail)
Musée Boymans, Rotterdam
.

Suis-je en droit de reproduire ici cette reproduction?

En pratique, comment sais-je si un droit d'auteur moral ou patrimonial existe encore sur une œuvre?
Si le gardien m'interdit de la photographier, comment savoir si le musée possède les droits de reproduction et de représentation, ou s'il le fait par calcul mercantile, afin que j'achète l'affligeante carte postale ou le catalogue aux images souvent pitoyables. Si le musée est dans son droit, pourquoi prohibe-t-il une photo qui ne peut être destinée qu'à un usage privé, puisqu'elle serait, sinon, immédiatement et légalement retirée de toute publication à sa demande?
Le visiteur ne devrait pas avoir à se poser ces questions devant chaque œuvre d'un musée. L'information sur le droit de reproduction et de représentation devrait figurer sur l'étiquette, après l'auteur et la date de création.

La Tribune de l'Art relate qu'il n'est pas rare, s'agissant des œuvres du domaine public, que les institutions ou les collections s'arrogent des droits que le code de la propriété intellectuelle ne leur accorde pas, d'où la multiplication des interdictions de photographier.

Et les choses empirent. Lire le funeste article 33 du récent règlement du musée du Louvre...

Bonnard ne m'a pas donné l'autorisation de reproduire ici son triptyque de 1911 "La Méditerranée".
Le musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, qui en est propriétaire, non plus. Pas plus que le musée d'art moderne de Paris qui l'exposait récemment, et qui m'a interdit (trop tard) de le photographier. Personne ne m'a donné les raisons de l'interdiction, sinon l'éternelle "C'est le règlement".

Je voulais seulement montrer que les tristes reproductions de ce triptyque qu'on trouve habituellement sur Internet le dénaturent, en reproduisant ici une photo soignée qui s'approche de la fraîcheur des couleurs originales peintes par Bonnard.