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mardi 12 mars 2024

Ce monde est disparu (11)

Les principaux ingrédients indispensables à la réalisation d'un bon Magritte à 43 millions.

Impossible de ne pas comprendre, à la lecture de l'essai écrit par la maison de ventes Christie’s pour la promotion de L’ami intime de Magritte, qu'on a affaire au tableau le plus poétique de l’histoire de la peinture, et même de l’histoire de la poésie. La poésie y est invoquée 13 fois et le mystère 10 fois, ces mots flous destinés à faire croire que des idées sont profondes quand elles ne sont que creuses.

Parce que Christie’s aurait bien aimé battre tous les records. Il lui semblait que le tableau concentrait les thèmes les plus populaires de Magritte, et qu’en additionnant le nombre de ses œuvres représentant, comme dans L'ami intime, un ciel nuageux (861), un mur (533), un homme vu de dos (131), un chapeau melon (106), un verre (39) et une baguette de pain (29), on obtenait 1699, soit 87% du total des 1957 œuvres au catalogue du peintre, promesse de battre des records d’adjudication (pour mémoire Christie’s en empoche entre 15 et 30%).

Le décompte des objets dans les tableaux de Magritte provient de la base de données créée par une équipe de chercheurs canadiens déçus de n’avoir pas obtenu le droit de reproduire même de simples vignettes des tableaux dans leur étude sur l’œuvre de Magritte (nous en parlions en 2018).

L’erreur de calcul de Christie’s aura sauté aux yeux de tout spécialiste de la peinture belge, cependant la maison de ventes avait d'une certaine façon vu juste. Car L’ami intime, qui est pourtant le tableau fade d’un Magritte en manque d’inspiration et fabriquant un pastiche de lui-même, a disparu sans dispute en deux minutes contre l’enchère très respectable de 43 millions de dollars. Largement dépassé par L’Empire des lumières de 1961 du même Magritte (80M$ en 2022 chez Sotheby’s), L’ami intime entre cependant dans le cénacle convoité des 150 tableaux les plus chers de l’histoire des ventes, où il élève ainsi à 5 le nombre de Magritte, preuve de la popularité croissante des baguettes de pain et des chapeaux melons dans le monde de la spéculation.

Profitons-en pour annoncer aux amateurs de Magritte que son site officiel et médiocre vient de changer d’adresse sur internet mais qu’il est toujours aussi indigent en images. Sa biographie, curieusement tronquée, n’indique nulle part ni ailleurs sur le site la date de la mort du peintre. Geste manqué des ayants droit qui aimeraient secrètement toucher éternellement la rente des droits d’auteur ? En réalité Magritte est mort en 1967 et, selon la législation européenne d’aujourd’hui, son œuvre devrait devenir libre de droits et reproductible sans frais dans les blogs impécunieux dès le 1er janvier 2038 (à moins d’un subterfuge juridique qui le prolongerait indéfiniment, comme savent le faire maintenant les grandes marques).

lundi 9 septembre 2019

Nuages (46)


Un nuage disgracieux et désorienté erre au dessus des arènes d’Arles, ou cherche peut-être à les éviter.
Amphithéâtre romain il y a bientôt 2000 ans, habité par les déshérités il y a 500 ans, enfin réhabilité en arènes voilà 200 ans, on y pratique régulièrement depuis un spectacle sanguinaire explicitement interdit par le code pénal (art. 521) mais autorisé par les institutions les plus sérieuses et les politiciens les plus influents, parce que c’est une tradition du sud de la France, et que ce patrimoine est sacré.

jeudi 18 juillet 2019

Histoire sans paroles (32)


Est-il vraiment utile de farfouiller dans les histoires qui relatent des souvenirs de lieux abandonnés, comme cette abbaye cistercienne, près de Mortain-Bocage dans la Manche ?  
On y trouvera inévitablement de furtives religieuses, des révolutionnaires intimidés, des séminaristes naïfs, des enfants égarés en colonie de vacances, des militaires belges convalescents, des envahisseurs allemands surexcités, des femmes parturientes, des membres de la communauté religieuse des Béatitudes amateurs d’abus sexuels, peut-être même une avocate énergique et avide qui sollicitera mécènes et investisseurs et promettra de transformer l’ensemble en complexe hôtelier de luxe, avec commerces et artisanats d’art régional. 
Tout cela, on le sait déjà. 

Nota bene : l'image en illustration est très large (12 000 pixels) et l'outil de zoom de Gougueule mettra plusieurs secondes pour en afficher les détails.

lundi 5 mars 2018

Magritte l'imaginaire

Que feriez-vous, tombant de la lune et entendant parler avec enthousiasme d’un certain René Magritte, pour vous informer en un clin d’œil sur un artiste dont on vous affirme qu’il a enrichi l’imaginaire de l’humanité de délicieux paradoxes autour des représentations de la gravité, des reflets, des ombres, des mots ?
« Internet, évidemment » répondrez-vous.

Le premier lien proposé par le moteur de recherche pointe vers l’article de l’inévitable encyclopédie Wikipedia, dont on dit tant de mal, mais qui est souvent moins approximative et complaisante que 99% des autres sources d’information.
Vous voilà devant un long article aux illustrations rares et rébarbatives, et parcourir cette quinzaine de pages vous décourage un peu, mais consciencieux, vous lisez la première phrase de l’article et savez désormais que Magritte était peintre.

On vous a cité les noms de Jérôme Bosch, de Lewis Carroll, et vous auriez aimé vous faire une idée rapide sur le « non-sens » tant vanté du peintre, or les seules images de l’article montrent sa tombe, un billet de banque à son effigie, un bâtiment derrière une statue équestre de Godefroid de Bouillon, et un avion Airbus A320 repeint.
Vous pensez que c’est peut-être là le véritable esprit surréaliste, la juxtaposition absurde de choses hétéroclites dans le but de vous faire prendre conscience des pièges de votre perception, et anticonformiste dans l’âme, vous appréciez. Mais, sans reproduction de tableau, vous ne savez toujours pas ce qu’est le style de Magritte.

Alors vous persévérez. Votre regard s’illumine quand vous apercevez, dans les liens suivants, qu’il existe un site du peintre « René Magritte – Site Officiel – Copyright © Fondation Magritte… » En fait l’artiste mort en 1967 a confié son héritage à un seul ayant droit, qui a créé la fondation en 1998.

Mais vous constatez vite que vous êtes arrivé dans un site de façade, creux et probablement commercial. Vous y trouvez des publicités (expositions, galeries, et toujours l’envahissant Airbus), et vous vous jetez sur un lien prometteur « Le Catalogue Magritte » sans même en lire l’exergue « Découvrez toute une gamme de produits raffinés. Visitez notre boutique en ligne. » De toute manière vous tombez sur une page vide informant que le « shop » n’est pas disponible.

D’ailleurs, le site dans son ensemble est un grand vide que personne ne visite, plein de liens morts et d'erreurs inaperçues. La Fondation Magritte se décrit, par exemple, comme une association « sans but non lucratif (sic) qui a pour objet d’assurer la pérennité et la protection de l’œuvre et de la renommée de René Magritte ». Le but mercantile serait ainsi établi, par négligence, ou est-ce vraiment une erreur ?

La page consacrée à la vie et l’œuvre du peintre, lacunaire et incohérente est un désert d’images. Elle décrit donc les tableaux par des mots. Il est savoureux d’y lire ce truisme rudimentaire qu’on pourrait appliquer à tout peintre « La peinture n’est jamais une représentation d’un objet réel, mais l’action de la pensée du peintre sur cet objet. »

Enfin, de retour sur l’écran d’ouverture du site, en bas de page, sous le titre « Oeuvre de Magritte - Les grands classics de son oeuvre » (sic) vous serez tout de même récompensé pour votre persévérance  ; 12 petites vignettes (parfois accompagnées d’un commentaire bâclé) sont les seules reproductions de tableaux du peintre que vous verrez sur son site officiel.

Vous avez évidemment compris le problème. Il faut qu’un artiste soit mort depuis une bonne centaine d’années (selon les juridictions nationales) pour que ses œuvres, textes, sons ou images, soient reproduites relativement librement.
Il y a peu, les photographies des œuvres de Magritte étaient prohibées dans le musée Magritte de Bruxelles et il était même interdit de « copier » une œuvre au crayon ou de noter une impression sur un carnet dans l’enceinte du musée.

L’espèce humaine considère qu’en matière artistique, le talent voire le génie sont transmissibles, déteignent pendant 50 à 100 ans sur les descendants et peuvent être cédés moyennant finances.
Alors l’internet libre, celui que visitent les internautes les moins favorisés, contient surtout des choses périmées, anachroniques, désuètes, poussiéreuses depuis des décennies. Heureusement, c’est aussi un repaire de pirates sans moralité ni foi ni loi, et on y trouve quelques bonnes reproductions « illicites » de Magritte.
Et puis le Canada, dont la législation des droits d’auteur est la moins mesquine, considère que les radiations du génie se désactivent 50 ans après le décès. Des quantités de reproductions devraient donc commencer à apparaitre, depuis janvier 2018, sur les sites canadiens. Sous la protection d’un VPN, on y accèdera aisément.

Ou alors, histoire d'adoucir les 20 années que réclame encore la loi française, on s'amusera au jeu des objets invisibles représentés (parait-il) sur les tableaux de Magritte en furetant dans la base de données mise au point par une équipe de chercheurs canadiens, qui, s’ils n’ont pas trouvé l’autorisation de reproduire les vignettes des œuvres, en ont décrit en détail le contenu en constituant la liste de tout ce qui y était figuré.
Et ils en déduisent des statistiques étourdissantes et de peu d’intérêt qui peuvent composer de jolis tableaux que le facétieux Magritte n’aurait sans doute pas reniés.  


Ceci n’est pas un Magritte, mais quand même…
À la quantité de cailloux, de chapeaux et de tubas, on voit nettement se dessiner une personnalité.

samedi 7 octobre 2017

La vie des cimetières (78)


Cimetière américain de Suresnes, Mont Valérien

On sait l’opposition des pissefroids contre les amateurs qui photographient les œuvres dans les musées ou les monuments dans les rues. On ne reviendra pas sur leurs arguments élitaires, ou mercantiles, le sujet a été abondamment traité.
Mais sait-on que la photographie est également interdite dans la majorité des cimetières, et que le contexte juridique de cette prohibition est aussi confus que pour les musées ou les monuments publics ? Probablement pas. Qui lit le règlement d’un cimetière au moment de le visiter ?

On en trouve pourtant des milliers sur internet. Des milliers, car chaque mairie, aidée du conseil municipal, est responsable de sa rédaction. Il existe donc potentiellement en France entre 36 000 (nombre de communes) et 43 000 (nombre de cimetières) règlements spécifiques.
En réalité, étant donné que le règlement des cimetières doit respecter le Code général des collectivités territoriales, qui s’étale sur plusieurs milliers de pages alambiquées, les communes pompent joyeusement dans quelques modèles préexistants.

Or un jour, un rédacteur à l’esprit confus mais désireux de montrer à ses supérieurs qu’il connaissait le droit, a ajouté dans l’article sur la police des cimetières une interdiction de photographier les tombes, en mélangeant de vagues souvenirs du droit à l’image des personnes, du droit de la propriété et du droit d’auteur.
Et depuis, son modèle a été copié des centaines de fois, parfois avec des erreurs d’interprétation, reprises elles-mêmes par des centaines de copistes, donnant lieu à quelques variantes.

Ainsi, alors que la loi (le Code des collectivités) ne parle jamais d’interdiction de photographier les sépultures, l’inspiration arriérée d’une poignée de rédacteurs qui croyaient que photographier une tombe peut porter préjudice au mort et à sa famille, et constituer une atteinte au respect que l’on devrait aux morts, est devenue une ritournelle dans près des deux tiers des règlements de cimetière.

Dans un cimetière, on ne rigole pas tous les jours
(Cimetière américain du Mont Valérien)

Les variantes de l’interdiction :

À Cherbourg, l’art.5 interdit […] de chanter sauf les chants liturgiques, de prendre des photographies des sépultures […]

À Saint-Pryvé, l’art.76 interdit à peu près tout, […] de marcher ou de s’asseoir sur les pelouses entourant les tombes, les conversations bruyantes, les disputes, […] d’y jouer, boire, manger, fumer ; de photographier ou filmer à l’intérieur du cimetière sans une autorisation du maire et éventuellement des concessionnaires, s’il s’agit de reproduire l’aspect d’un monument.

À Caen, l’art.19 dit la même chose, mais autorise les photographies aux concessionnaires ou leurs ayants droit qui désirent faire reproduire l’aspect des monuments qu’ils possèdent.

À Rennes, l’art.2-3 interdit expressément […] de se livrer à des activités de loisirs ; de photographier ou filmer sans autorisation écrite délivrée par le maire ; de mendier ou d'effectuer des quêtes sauf autorisation expresse de l'autorité municipale ; de faire des offres de service aux visiteurs […]

À Brunoy l’art.5 interdit uniquement les films publicitaires ou commerciaux, comme Paris dans son art.7 qui soumet […] l’activité des photographes et cinéastes à autorisation lorsqu’elle s’exerce dans un cadre professionnel ou commercial.

À Saint-Brieuc on ratisse large, l’art.8 interdit […] de se livrer à des opérations photographiques, cinématographiques, sans une autorisation de l'administration et des concessionnaires.

À Ligny-le-Ribault, l’art.7 fait preuve d’une amusante originalité, il interdit […] de photographier ou filmer les monuments sans autorisation des ayants droits (mais pas de la mairie), d’inhumer des cadavres ou disperser des cendres d’animaux domestiques, d’éviter l’utilisation du téléphone portable dans l’enceinte du cimetière […] Oui, vous avez bien lu, il interdit d’éviter l’usage du téléphone. C’est dire le sérieux avec lequel tout cela est rédigé.

En résumé le motif profond semble bien être le respect dû au repos des morts. Il s’agit de ne pas les irriter, ni de les réveiller, afin de ne pas voir des hordes de zombies piétiner les pots de géranium et envahir nos charmantes municipalités.

Statue de chat sur une sépulture par Niki de Saint Phalle
(Cimetière du Montparnasse, Paris)

Précisons que l’article L2213-8 du Code attribue au maire la police des funérailles et le maintien de l'ordre et de la décence dans les cimetières, et que cela peut être interprété de manière très large. Ainsi, dans les règlements, fumer dans l’enceinte des cimetières est généralement considéré comme inconvenant.
Rappelons que les employés municipaux peuvent vous faire expulser poliment d’un cimetière (en faisant intervenir la police municipale) au prétexte que vous portez atteinte à la décence du lieu, mais personne n’a le droit de vous confisquer ni appareil photo, ni films, ni cartes mémoire dans ces conditions.

Notons enfin que depuis 10 ans, au long de 78 chroniques sur la vie des cimetières, Ce Glob est Plat a probablement profané des milliers de fois, sinon les cimetières visités et leurs sépultures, au moins des quantités de règlements municipaux, et se promet de persévérer.

vendredi 24 février 2017

Les 12 Vermeer que nous ne verrons pas

Les 12 Vermeer (voir le détail en fin de chronique)

En juillet 2015 le Louvre, par le moyen du concept de « billet unique », maquillait une augmentation de 25% du prix de l’entrée au musée. Ce nouveau billet donnait désormais droit à la visite, le même jour, des collections permanentes et de toutes les expositions ouvertes.

Depuis, le Louvre n’avait pas encore organisé d’exposition « qui cartonne », de ces expositions où le visiteur ne peut acheter son billet qu’en le réservant à l’avance et en précisant l’heure de sa venue, afin de réguler le déferlement prévu des foules de visiteurs.
Or c’est ce qui arrive depuis le 22 février et jusqu'au 22 mai avec l’exposition « Vermeer et les maitres de la peinture de genre », exhibition promise à tous les records de fréquentation qui regroupe presque un tiers des tableaux de Vermeer (ce qui n’en fait cependant que 12, dont certains plutôt douteux).
Et on réalise soudain, avec les responsables du  musée certainement, que le système de réservation horaire n’a plus aucun sens lors de l’achat d’un billet unique puisque le visiteur peut décider une fois sur place d’aller voir ou non l’exposition, et à n’importe quelle heure. Toute anticipation des flux est devenue impossible.

Alors le Louvre, qui doit respecter les règles de sécurité qui imposent un nombre maximum d’humains (500 dit-on) en même temps dans une exposition, a mis en place une stratégie géniale en 3 étapes simples :

1. Le client réserve sur internet son entrée dans l’enceinte du musée. Il précise la demi-heure de son arrivée, durant laquelle il stationnera alors dans la première file d’attente, sans abri. Au-delà de cette demi-heure, en cas de retard, le client redeviendrait du bétail qui n’a pas réservé et retournerait dans la file d’attente des infortunés, qui peut durer plusieurs heures. Notons que le billet acheté en ligne accuse une hausse de 42%, à 17 euros. Les privilèges se payent.

2. Une fois dans l’enceinte du musée, clients ou bétail se plantent derrière une nouvelle file d’attente, cette fois pour réserver un créneau horaire de visite de l’exposition. On peut supposer qu’elle sera un peu moins longue que l’attente passée sous la pluie puisque les visiteurs venus voir les collections permanentes auront été écrémés.

3. Enfin, à l’expiration de cette deuxième attente, c’est face à la personne préposée à la distribution des horaires de disponibilité de l’exposition que le visiteur connaitra enfin son sort en apprenant à quelle heure il pourra espérer voir ses Vermeer. Et là, aucune prévision n’étant possible, cette troisième attente sera plus ou moins longue, c’est selon... Faisons confiance à la puissance organisatrice des gestionnaires de l’établissement public administratif du Louvre.

Et ne parlons pas du touriste un peu connaisseur qui était venu pour l’exposition simultanée consacrée au peu connu et caravagesque Valentin de Boulogne, qui n’a pourtant rien d’une exposition qui cartonne. Au milieu de ce cataclysme, il y a longtemps qu'il se sera immolé.

Quelques heures ont passé…

Allons bon, au moment de mettre sous presse, un article de Monsieur Rykner signale que dès le jour d’ouverture des deux expositions les réservations pour l’entrée dans l'enceinte du musée sont déjà complètes jusqu’au jour de leur fermeture, et que du bétail qui a déjà réservé et réussi à entrer dans le musée peut se voir refuser l’entrée à l’exposition pour laquelle il avait payé. D'ailleurs le service de billetterie officielle en ligne est indisponible aujourd'hui « en raison d'un problème technique », ce qui n'est pas grave puisqu'il ne sert à rien.

Finalement, pour une des rares fois que Ce Glob est Plat décide de parler d’une exposition qui est encore visible, elle ne l’est plus.

Alors pour nous consoler, voici donc sur l'illustration plus haut les 12 Vermeer exceptionnellement réunis à Paris et que nous ne verrons pas, sauf à poireauter dans une file d’attente sans abri pendant des heures sans garantie de pouvoir finalement entrer.
Vous y trouverez, dans le sens occidental de lecture, deux femmes et une lettre, la peseuse, la yaourtière, la dentelière, la lettre interrompue, le collier, un géographe, un astronome, un luth, une allégorie, une viole de gambe, un virginal, auxquels il faudrait ajouter deux Ter Borch d’Amsterdam (Femme au miroir et la célèbre Conversation galante), un Ter Borch de La Haye (Femme écrivant une lettre), deux Metsu de Dublin (Homme écrivant une lettre et Femme lisant une lettre), des Gérard Dou et une cinquantaine d’autres choses palpitantes.

Et réservons une pensée attristée pour le pauvre Valentin de Boulogne, dommage collatéral qu’on ne pourra sans doute pas visiter non plus.


Mises à jour : Le chaos dû à l'incurie du Louvre prenant de l'ampleur, vous trouverez ici régulièrement mis à jour des liens vers les articles et témoignages significatifs sur le sujet : 
25.02. Les mésaventures d'un visiteur pourtant privilégié où l'on apprend que la 3ème attente peut durer 5 heures !
25.02. Une description du désastre dans un journal sérieux (attention, pour excuser la négligence du musée on commence à rendre le public responsable, qui viendrait en trop grand nombre). 
27.02. Pour qu'il ne reste aucun souvenir de ce fiasco le Louvre interdit (parfois violemment) aux veinards qui visitent de photographier les œuvres des deux expositions. Calimaq en profite pour rappeler en détail et avec force arguments juridiques que cela constitue un abus de pouvoir administratif et que le Louvre agit dans la plus parfaite illégalité.   
27.02. Dans un communiqué farci de contrevérités le Louvre reconnait (implicitement) ses erreurs et déclare travailler maintenant à la mise en place des réservations obligatoires en ligne avec créneaux horaires, ce qui aurait dû être fait depuis des mois. Il reste à savoir combien de temps leur sera nécessaire pour développer cette simple fonction. 
28.02. Sur le site de Libération, un article synthétique mais complet et détaillé sur l'autorisation de photographier dans les expositions temporaires reprend l'essentiel de l'argumentaire de Pierre Noual sur S.I.Lex le blog de Calimaq.
28.02. Sur le site du Parisien, organe beaucoup lu, un petit article désagréable et raffiné (à propos de la Laitière, « le Louvre patine dans la semoule ») le journal rapporte que la réservation des billets en ligne devrait reprendre aujourd'hui...  
01.03. Dans le nouveau numéro 39 de Grande Galerie, le journal du Louvre, le président du musée claironne dans son éditorial sur la révolution de l'accueil des visiteurs opérée au Louvre en 2016. Prémonitoire !
02.03. Le Figaro du 28.02 a obtenu des informations sur les nouvelles modalités de billetterie. Et elles ne sont pas vraiment claires. Le site de réservation en ligne rouvrirait le lundi 6 mars. On pourra cette fois réserver un créneau horaire d’entrée dans l’exposition (mais laquelle, Vermeer ou Valentin, ça n’est pas précisé. Espérons pour les amateurs de Valentin que la distinction sera faite à ce moment). Cependant cette réservation n’empêcherait pas, d'abord la file d’attente à l’extérieur du musée, puis la deuxième file dans le hall du musée, mais qui serait limitée à 45 minutes, promesse du Louvre. On ne voit pas du tout comment cela peut s’agencer si la réservation n’est pas un coupe-file d’entrée dans l’enceinte du musée !
05.03. Hier samedi Monsieur Hasquenoph (LouvrePourTous) faisait paraitre un sidérant récapitulatif du fiasco du Louvre. On y lisait les mots incompétence, illégalité, chaos total, effarement, pagaille, pratique commerciale trompeuse, scandaleux, plaintes, remboursement, et enfin préavis de grève. Car il dévoilait, pour ajouter au désastre, qu'un préavis de grève reconductible du personnel du musée, qui se sent dans l'insécurité et subit des agressions de la clientèle en raison du manque d'organisation, a été déposé pour le 10 mars (et peut-être les 7 et 8 mars). 
Néanmoins le Louvre a mis en ligne hier le nouveau mode de réservation (présenté plus haut le 2 mars et prévu pour le 6) mais le site était submergé et inaccessible quasiment toute la journée. Aujourd'hui l'achat de billets est possible et confirme que la solution est encore défectueuse, notamment parce que la méthode des files d'attente consécutives n'a pas beaucoup changé, parce que la réduction des délais n'est qu'une promesse, et parce que l'exposition Valentin est toujours solidaire de Vermeer et que les amateurs qui auraient envie de la voir seront probablement découragés par la longue attente et les difficultés d'accès. Et les salles Valentin resteront certainement presque vides.     
09.03. La Tribune de l'art relatait hier un fait sidérant : un étudiant était évacué par la police dans la plus parfaite illégalité parce qu'il photographiait dans l'enceinte de l'exposition Vermeer !
 
On ne regrettera pas trop d'avoir manqué ce tableau, récemment reconnu du bout des lèvres par les experts comme un Vermeer. Alors un Vermeer inachevé, qu’on aurait sorti de sa poubelle et retapé grossièrement pour lui donner une apparence convenable.

lundi 16 janvier 2017

La vie des cimetières (73)

Chapelle dédiée à l'archange saint Michel sur le rocher d'Aiguilhe.

Au sommet du rocher d’Aiguilhe, au milieu du dixième siècle, fut édifiée une chapelle dédiée à l’archange saint Michel.
On raconte qu’une jeune vierge sous la bienveillance de l’archange, sa pureté mise en doute, voulut prouver sa chasteté en se précipitant du haut du pic. L’archange amortit sa chute.
Revigorée par l’expérience elle fit une deuxième tentative qui suscita le même miracle.
La troisième fois, elle fit la promotion du spectacle et comptait bien en recueillir quelque prestige. Le peuple afflua. Le miracle ne se répéta pas.

Mystérieux pictogramme au sommet du rocher d'Aiguilhe.

Depuis sur le mur de la coursive qui encercle la chapelle, un panneau au mystérieux pictogramme stigmatise tout excès de vanité en interdisant de se jeter plus d’une fois du haut du roc.

Cimetière nord du Puy-en-Velay aux pieds du rocher d'Aiguilhe.

En contrebas pourtant, prêt à loger les désespérés, s’étale sur le coteau parmi les sapins les mélèzes et les épicéas le grand cimetière nord du Puy-en-Velay avec son point de vue pittoresque sur le rocher.

mardi 20 septembre 2016

La vie des cimetières (72)


Par un beau jour de l'été 20.., l’auteur de ce blog se faisait expulser par le gardien du cimetière de Puteaux au motif que la photographie des sépultures y était interdite.
N’écoutant que son courage l’auteur s’était alors retiré dignement, non sans un imperceptible rictus de mépris.
Rappelons que Puteaux n’est pas un village perdu sur un plateau désolé du Massif central mais une ville dynamique de la banlieue parisienne au cimetière imposant de 4,3 hectares et qui jouxte le quartier d’affaires de La Défense.

Quelle circonstance a pu embrouiller ainsi l'entendement de l’employé municipal ?
On ne dira jamais assez les troubles nerveux occasionnés par la sensation de pouvoir que procurent certaines responsabilités sur des esprits fragiles, comme de régner en petit maitre sur un peuple sans nombre, fut-il trépassé. Le brave fonctionnaire tentait-il d’exercer une autorité contrariée par l’absence de réaction sensible de ses administrés habituels ?

Quelques années plus tard, l’auteur, armé d’un appareil photo astucieusement camouflé dans un téléphone de poche, déambulait discrètement dans les allées convoitées.

Et finalement il y a trouvé les tombes décevantes, pas de monuments vraiment monumentaux, pas de statuaire kitsch ni de mausolée présomptueux, peu de sculptures au gout douteux, et peu d’ombre.
En revanche le cimetière et ses occupants jouissent d’une localisation qu’envieraient tous les promoteurs immobiliers de la planète. Une déclivité générale du plan du cimetière offre à tous une vue dégagée sur Paris et sur son centre de gravité, ce clou de métal géant planté par Gustave Eiffel.

Ce jour-là le cerbère du cimetière ne s’est pas manifesté. Il aura peut-être déjà rejoint ses ouailles.


dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)

samedi 10 octobre 2015

Le Maitre de Moulins

Jean Hey ou Hay (alias le Maitre de Moulins) : trois anges du panneau central du triptyque de la Vierge de l'apocalypse, vers 1500. On ne trouve pas de bonne reproduction du triptyque sur internet.


Il ne fait pas de doute que si le triptyque de Jean Hey, la Vierge de l'Apocalypse, était exposé au Louvre de Paris, sur un mur normalement fréquenté et sous une honnête lumière zénithale, il éclipserait rapidement les plus grands chefs-d'œuvre du musée.
On viendrait des antipodes admirer ses fines nuances colorées, la suavité de ses volumes, la grâce naturelle des visages, notamment des douze anges du panneau central, douze fois le même modèle, qui mime avec application les poses et les sentiments demandés par le peintre sans parvenir à vraiment masquer, à l'égard de la scène qu'il simule, son orgueilleuse indifférence.

Mais en réalité le triptyque est conservé depuis cinq cents ans dans la cathédrale de Moulins-sur-Allier, en Auvergne, aujourd'hui rassemblé dans la Chapelle des évêques, sur le flanc nord.

Un guide obligatoire muni d'antiques clefs vous conduit dans la salle d'exposition, derrière une vieille porte sonore.
Sur le mur de gauche, deux répliques en grandeur réelle reproduisent le revers des deux panneaux latéraux du triptyque, peints en grisaille, et que des précautions de conservation empêchent de manipuler. Ce sont des photographies fantomatiques délavées par les années.
Et à droite, sur une estrade élevée de quelques marches trône le triptyque, le trésor de la ville de Moulins, cinq mètres au-delà d’un cordon infranchissable.

N'imaginez pas que vous pouvez alors contempler sereinement le joyau de Jean Hey. Car une malédiction poursuit les plus beaux chefs-d'œuvre de la peinture conservés dans les édifices religieux, l'ignorance (et peut-être l'économie). On croit qu'il est plus convenable de les exposer dans la pénombre, alors qu'en vérité la peinture à l'huile jaunit dans l'obscurité et revit à la lumière indirecte du jour.
L'amateur qui a visité dans la cathédrale Saint Bavon de Gand le polyptyque de l'Agneau mystique de Van Eyck, avant qu'il soit démembré et lessivé dans la longue phase de restauration actuelle, se rappellera la déception d'avoir peiné à distinguer quelques vagues formes dans l'ombre, alors que le peintre s'est ingénié à couvrir chaque centimètre carré de son immense œuvre de détails d'une merveilleuse perfection naturaliste, peints pour être admirés.

Le triptyque de Moulins subit la même punition. L'éclairage est déficient, la distance trop respectueuse, la récitation du guide sans répit et l'exhibition minutée.
On devra donc le vénérer plutôt que le contempler.
Le photographier est également interdit. L'ordre en viendrait de Paris. On peut excuser le mensonge, parce que les conditions de prise de vue seraient de toute manière trop difficiles, et qu'il faut bien additionner quelques ventes de cartes postales aux maigres recettes des billets d'entrée, pour payer la femme de ménage qui l'époussète de temps en temps.

Le sort du triptyque ne serait d'ailleurs pas meilleur s'il était hébergé à quelques pas de la cathédrale, dans le Musée des beaux-arts Anne de Beaujeu, car la collection de peintures, exclusivement du 19ème siècle, y est entassée comme dans un cabinet des siècles passés, en couches successives jusqu'au plafond, et dans une obscurité presque complète.

Cependant la renommée de l'œuvre est maintenant planétaire et il ne serait pas étonnant que quelque édile en quête de visibilité électorale fomente un jour un plan machiavélique pour soustraire le joyau aux griffes du clergé moulinois.
Le rêve d'un triptyque baigné de lumière sur les cimaises d'un grand musée régional, voire du Louvre, se réaliserait alors.

Et puis, après quelques années, sa trop grande notoriété obligerait les conservateurs à le confiner, comme la Joconde, dans une cage de verre blindé à l'abri des touristes fanatisés, cinq mètres au-delà d'un cordon infranchissable.
 

Charles Guilloux, lever de lune sur un canal, détail, vers 1900 
Moulins, musée Anne de Beaujeu.

lundi 23 mars 2015

Ubu président d'établissement public

Il n’y a que le théâtre d’Alfred Jarry et ses frasques ubuesques pour illustrer la bouffonnerie qui vient d’agiter un peu la vase de la culture officielle en France.

Acte 1

L’histoire commence en l’an 2010 dans une petite baronnie près de la Pologne, quand le morbide baron C. qui dirige le musée d’Or-C, constatant que la pompe à Phynance ne suffit plus à la satisfaction de ses besoins démesurés, ordonne l’interdiction absolue de toute photographie dans l’enceinte de son domaine (qui est aussi le Domaine public), histoire de vendre plus de catalogues et de cartes postales.
Insensible aux protestations scandalisées, il est soutenu par le vicomte F. de M.... alors Baudruche de la Culture.

Acte 2

Le brave baron se pavane depuis 4 ans dans son hall de gare, important parmi les touristes soumis, quand tombe l’information scélérate : la nouvelle Fantoche de la Culture vient de publier une directive « Tous photographes » demandant gentiment aux nobles dirigeants des établissements publics culturels de laisser la multitude s’amuser un peu avec ses petits appareils photo médiocres, dans tous ces lieux chargés d’histoire et de dignité.
Mais le baron C. qui s’est accoutumé aux plaisirs et aux douceurs de la domination refuse tout bonnement d’appliquer la directive dans son fief.

Acte 3

Un an plus tard.

La scène 1 se passe le 16 mars 2015 au musée d’Or-C où la gentille Potiche de la Culture inaugure une petite exposition consacrée au peintre Bonnard (1867-1947).
À 22h52 elle arrose les réseaux sociaux de quelques photos de tableaux prises sur place.

Dans la scène 2, la plus intense du mélodrame, le 17 mars à 9h30, Bernard Hasquenoph, pourfendeur des abus muséaux, s’offusque sur le même réseau social « France des privilèges @fleurpellerin fait une photo au @MuseeDOrsay où on l'interdit au peuple. »
Le coup est vilain. La Victime de la Culture s’en relèvera-t-elle ?
Après 18 minutes d’une insoutenable tension, la réponse arrive cinglante, inattendue, « Aucun privilège ! Je ne fais qu'appliquer la charte Tous photographes du @MinistereCC ».
Quelle réplique ! Rappelez-vous l’acte 2, l’instruction aux établissements publics.

Scène 3, la tension s'apaise. L’acte se termine par la procession plaintive des réclamants sur le réseau « Qu’attendez-vous alors pour faire respecter la charte dans ce musée ? »

Épilogue

Le rideau tombe.

Un récitant entre en scène et annonce, comme un faire-part funèbre « le lendemain, 18 mars, au musée d’Or-C, une note interne déclarait tristement qu’à la demande de la Figurante de la Culture, le baron C. avait pris la décision de lever l’interdiction de photographier dans le musée, applicable immédiatement. »
Le récitant est acclamé par une explosion d’applaudissements, de sifflets, de cris de joie, de larmes.

Note du metteur en scène : on remarquera que l’acte 3, par ses péripéties invraisemblables, détonne dans l’harmonie d’ensemble du récit. On accusera l’auteur de prendre beaucoup de libertés avec la réalité. Il est par exemple impensable qu’une Marionnette de la Culture en exercice diffuse vers plus de 200 000 suiveurs des images de tableaux dont la reproduction est interdite par la loi sans autorisation des ayants droit (le peintre Bonnard en effet n’entrera dans le Domaine public qu’en 2018).

Mais enfin, on est au théâtre, alors profitons sans arrière-pensée de ces courts moments de fantaisie.


Verrière de la grande galerie dans le musée du baron C. Le populaire décervelé peut désormais en emporter l'image, pour agrémenter son souvenir.

dimanche 28 septembre 2014

Orsay, une visite dans le passé

Carpeaux, La danse 1865-1869 (détail), Paris musée d’Orsay 2014.

Le gigantisme du panneau-réclame sur la façade de la gare d’Orsay promettait une exposition grandiose. La publicité sur le site du musée disait « Première rétrospective depuis 1975 consacrée à Carpeaux ».

Alléché, l’amateur qui hantait déjà les musées parisiens riches en Carpeaux, s’attendait à la découverte de bustes rares dénichés dans des musées ou des collections des antipodes.
Mais il n’en fut rien. D’ailleurs l’amateur aurait dû se douter, puisqu’il n’y avait pas de billet d’entrée spécifique à l’exposition, qu’il n’y trouverait que du déjà vu. Car une fois sur deux désormais, à Paris comme à Londres, les musées vendent comme des évènements incontournables et avec force publicités le simple dépoussiérage de quelques dessins, esquisses ou ébauches exhumés de leur réserve, qu’ils saupoudrent autour des œuvres exposées habituellement.
Ici pour étoffer le contenu le musée d’Orsay avait demandé au Petit Palais (situé à 1300 mètres) de lui prêter ses plus beaux Carpeaux, au Louvre également (situé à 900 mètres) ainsi qu’au musée de Valenciennes (situé il est vrai un peu plus loin).
Les dictionnaires définissent « rétrospective » comme la présentation récapitulative et chronologique de l’œuvre d’un artiste. Faut-il en déduire que tous les Carpeaux importants sur Terre se trouvent réunis dans ces quatre musées voisins ?
Admettons.

La visite de Carpeaux expédiée en dix minutes (la foule grouillant autour des sculptures n’autorisant pas vraiment l'indolence contemplative), l’amateur crispé pouvait alors aller se détendre dans la visite de salles qu’il avait un peu oubliées.
Car depuis quatre ans qu’il s’était promis de ne plus mettre les pieds et le reste dans ce musée tant que ne serait pas levée la brutale interdiction d’y prendre des photos, la débauche de cartes postales et de catalogues supplémentaires vendus grâce à cet oukase avait certainement permis l’enrichissement des collections.
Et la promesse pouvait être enfin effacée, la charte « Tous photographes ! » autorisant depuis le 7 juillet dernier la photographie dans tous les musées de France (suivie peu après par la National Gallery à Londres).

Hélas encore, un directeur désigné par le pouvoir ne renonce pas sans résister à ses privilèges féodaux, et le musée interdit donc toujours la photographie et réprimande promptement les contrevenants.
La première raison opposée au visiteur protestataire est l’argument d’autorité « malgré la charte la décision reste à la discrétion du directeur de l’établissement », ce qui est un mensonge.
En insistant un peu vient l’argument sentimental « je risque de perdre mon emploi si je laisse faire les coupables sans rien dire ».

Enfin le calme relatif de la fin d’après-midi inclinant le gardien déprimé à la conversation, on apprend que la photo est maintenant tolérée dans certaines salles non précisées (néanmoins les panneaux d’interdiction fleurissent partout sans exception dans le musée). Et si elle reste prohibée par endroits c’est au sempiternel et hypocrite motif de la fluidité du visiteur.
Car s’arrêter plus de dix secondes devant un tableau, c’est se poser en obstacle au milieu du torrent des visiteurs qui doit les emporter continument et sans heurt de l’achat du ticket d’entrée jusqu'au magasin de souvenirs.
Bien entendu, n’est pas condamnable le brave touriste qui s’arrête plusieurs minutes devant une œuvre pour en écouter la description prête à penser délivrée par un appareil fourni contre supplément par le musée. Mais il y a quelque chose d’immoral à prendre une poignée de secondes pour ne pas regarder docilement l’objet mais le photographier et en emporter l’image avec soi.
Ce comportement asocial ne mérite que l’opprobre. C’est en tout cas le point de vue absolument désintéressé imposé dans tout l’établissement, au mépris des consignes ministérielles, par le baron d’Orsay.


Carpeaux, Buste d’Amélie de Montfort (Madame Carpeaux), 1869, Paris Petit palais. À Orsay le buste exposé dans un cube de verre émergeait à peine des reflets de l’éclairage. Que la photo soit interdite importait peu puisqu’elle était irréalisable. La présente photo a été prise dans le calme du musée du Petit palais en 2005.

samedi 19 juillet 2014

Mitraillez !

C'est certain, le chômage redouble, les avions s'écrasent encore et encore, les centrales nucléaires fuient de partout. Mais on s'y fait, par peur de perdre quelque chose, car il faudrait tout détruire et tout reprendre à zéro.

Et pourtant la révolution est en marche. La nouvelle est tombée très discrètement le lundi 7 juillet 2014. Le gouvernement français faisait paraitre sur le site du ministère de la Culture une page frileusement audacieuse intitulée « Tous photographes ! La charte des bonnes pratiques dans les établissements patrimoniaux ». Il s'agit d'une charte de cinq articles applicable dans tous les musées et monuments nationaux.

Article 1. Le photographe doit désactiver le flash de son appareil. Qui ne le fait pas, au moins pour éviter les reflets désagréables ?
Article 2. Il n'abime pas ce qu'il photographie. Sans rire.
Article 3. L'article le plus important et néanmoins le plus sibyllin, ou le moins précis. Le visiteur peut partager ses photos comme il le désire, mais dans le cadre de la législation en vigueur. En bas de page, des liens renvoient vers les textes en vigueur. Rappelons, pour simplifier, que dans ces lieux publics, même la photo des œuvres encore protégées par des droits d'auteur ne peut pas être interdite, c'est leur utilisation en dehors d'un cercle privé qui l'est.
Article 4. Le photographe demande son accord avant de photographier le personnel comme sujet principal. Comme il le ferait pour tout autre personne.
Article 5. Il demande une autorisation spécifique s'il veut utiliser du matériel supplémentaire. L'article vise probablement les pieds photographiques, ou des éclairages complémentaires.

Il n'est écrit nulle part explicitement que le visiteur peut toujours photographier tout ce qu'il veut dans les musées et monuments du patrimoine, mais comme on précise ce qu'il ne doit pas faire, on supposera que tout le reste lui est permis, implicitement.
Et il y aura certainement des établissements récalcitrants qui useront d'arguties juridiques, car c'est par exemple un réel camouflet pour le baron du musée d'Orsay qui avait obtenu récemment le soutien d'un ministre congédié depuis de la Culture pour interdire toute photographie dans l'enceinte du musée.

Finalement elle n'a peut-être l'air de rien, ou d'une gélatine informe, mais si cette charte est appliquée et devient un droit, c'est une part d'arbitraire et d'abus de pouvoir qui échappera aux marchands de cartes postales et aux voleurs de souvenirs.

Alors mitraillez, mitraillez tout ! C'est désormais autorisé.


Si la photographie n'avait pas été permise dans le musée de Rennes, comment aurait-on appris la lâche agression du pape Jean-Paul 2 par une météorite non identifiée, durant sa visite de l'établissement ? (Maurizio Cattelan, La Nona Ora, sculpture 1999).

samedi 10 novembre 2012

L'exception

Un témoin inconscient ayant bravé l'absence d'intérêt de l'exposition Bohèmes au Grand Palais de Paris en rapporte une information incroyable. La plupart des œuvres exposées peuvent être photographiées par le quidam. Le phénomène est rarissime.
Ultime raffinement, les œuvres qu'il est interdit de photographier car soumises à droits d'auteur (1) sont flanquées d'un petit pictogramme noir en bas de la notice qui les accompagne. Il figure un appareil photo barré.

Ainsi, peut-être une des premières fois en France, ce que réclament les défenseurs du domaine public est respecté par un établissement public. Même si ce n'est qu'une éphémère étincelle d'intégrité, et si on ne mesure pas totalement le niveau d'une civilisation à ce genre de détail, le fait mérite d'être cité.

Bien sûr, la mise en place d'un dispositif aussi complexe (ne pas interdire de photographier) est nécessairement chaotique et des erreurs sont commises. Car pour simplifier le casse-tête et éviter de se renseigner sur les droits des tableaux prêtés par des villes étrangères, le musée semble les avoir tous interdits, par défaut.
Ce qui aboutit à des situations déraisonnables ; ainsi le célèbre tableau de Georges De La Tour « La diseuse de bonne aventure » ne peut pas être photographié aujourd'hui à Paris alors qu'il peut être mitraillé sans retenue à New York, au Metropolitan Museum qui l'héberge habituellement. C'est stupide.

(1) On ne rappellera pas ici l'illégalité et l'abus de pouvoir que constitue l'interdiction de photographier même des œuvres encore soumises à des droits d'auteur (c'est la reproduction hors d'un cadre privé qui est interdite par la loi), on en a longuement parlé ici et


Georges De La Tour, La diseuse de bonne aventure, vers 1630
Détail photographié à l'exposition Bohèmes au Grand Palais
au Metropolitan Museum de New York (© 2011 JFP)


samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.