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vendredi 4 juillet 2025

Vomir au Louvre avec LVMH

Cette chronique ne faisant que conseiller de lire l’article d’un autre auteur, il lui fallait une illustration évocatrice. L'image ci-dessus a peu à voir avec le sujet, mais son commentaire contient le mot "vomi", en deux langues.
En 1799, Francisco Goya publiait une série de 80 gravures raillant le comportement des humains en société : les Caprices. 2000 à 3000 exemplaires de la série ont été imprimés depuis. La suite complète, dans les premières éditions, se vend aujourd'hui de 50 à 250 000$ (2023), les impressions du 19ème siècle autour de 30 000$, et celles du 20ème siècle, réalisées à partir des plaques fatiguées, ne se vendent sans doute que quelques milliers de dollars. C’est probablement une de ces dernières, que les frères provocateurs Jake et Dino Chapman, en 2005, se sont amusés à colorier, détourner et modifier à la gouache directement sur les originaux. La série, ainsi retravaillée et améliorée dit le commentaire de la collection Pinault, est intitulée "Like a dog returns to its vomit twice (
Comme un chien revient deux fois à son vomi)". 
N’ayant pas trouvé de reproductions correctes, nous proposons ce montage de 25 des 80 gravures, chacune en regard de la gravure originale de Goya.


Cela fait, revenons à notre chronique d’aujourd’hui.

Le site LouvrePourTous, plutôt militant dans les années 2006-2014, dénonçait les malversations et autres opérations malhonnêtes pratiquées dans l’administration du musée du Louvre par le pouvoir politique. L’auteur du site, M. Hasquenoph, signalait régulièrement les détournements du musée au profit des marques de luxe, LVMH y était omniprésent (voir Publi-expositions, ou dégueulis de luxe au Louvre). L'auteur avait notamment été vers 2014 un enquêteur actif dans l’affaire Ahae, une histoire de prévarication par la direction du Louvre et d’autres grands établissements publics.

Édulcoré depuis, le site s’appelle aujourd'hui Louvre pour Tou·te·s et publie quelquefois des dossiers encore militants. Il vient de mettre en ligne, inspiré par le mémoire d’Eliette Reisacher Les défilés de mode au musée du Louvre 1982 – 2019, un dossier en 2 parties intitulées Comment la mode s’est imposée au Louvre et LVMH au Louvre, le dévoiement du mécénat de Vuitton à Dior.

Il y raconte l’histoire, depuis les années 1980, des relations entre la présidence du musée et le pouvoir politique, les présidents et ministres de la République successifs, les entreprises du luxe et les milliardaires de la mode. On y piétine dans les froufrous les règles de protection du patrimoine, on y détourne joyeusement les principes du mécénat, on vend la soupe des grandes marques et on privatise les lieux publics durant des mois, dans une farandole d’abus de pouvoir et de corruptions variées. 

Vous objecterez que cette privatisation du bien public pour enrichir les grandes fortunes n’est pas un procédé nouveau. C’est exact, on n’est plus étonné de voir un service public se dégradant lentement par manque de soutien de l’État, être finalement abandonné à des entreprises privées, c’est même le mode normal de gestion dans des domaines bien plus essentiels que la culture et le divertissement. 
Mais lisez tout de même le dossier de M. Hasquenoph. En 50 000 caractères et 30 minutes de lecture, luxe, anecdotes politiques, sacs à main et panier de fraises, on en sort avec une envie roborative de révolution. 
Emporté par l’urgence du sentiment, on se précipite plutôt vers les toilettes.


dimanche 26 janvier 2025

Louvre : fausse alerte

La fournaise assourdissante de l’entrée du musée du Louvre sous la pyramide de verre, telle que l’envisage la présidente du musée dans les prochaines années de dérive climatique. (Henri Met de Bles, l’Enfer, 190 x 136cm, vers 1530-1550, Venise Palais des doges)  


Alerte générale ! Le musée du Louvre agonise.

L’information était dans tous les journaux de France et de Belgique des 23 ou 24 janvier (ici, , , , et même là). Le drame a été révélé par une note confidentielle - mais généreusement diffusée - de la présidente du Louvre à la ministre de la Culture, publiée par le journal Le Parisien à la une sur trois pleines pages cauchemardesques agrémentées d’un éditorial de la directrice adjointe de la rédaction, qui suggère pour améliorer les conditions de visite - il n’est pas essentiel de réfléchir pour rédiger un journal - la dépose obligatoire des téléphones portables dans une consigne.

Mais pas d’affolement ! Depuis qu’elle a été nommée à son poste par le roi de la République en 2021, et après une année bien naturelle d’observation, la prudente présidente du Louvre ouvre régulièrement un grand parapluie médiatique et claironne que l’état de son établissement est déplorable et indigne du premier musée du monde.
En Janvier 2023 dans la presse, comme en mai 2023 dans une note confidentielle à l’ami du bon gout de la République, note qui a glissé par inadvertance dans la boite aux lettres de la rédaction du Figaro, comme en avril 2024 devant une dizaine de députés de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, et comme aujourd’hui dans cette note confidentielle à grande diffusion, les constats de la patronne du Louvre sont invariables, et ne sont d’ailleurs qu’une compilation en mieux informée des constats amers accumulés depuis belle lurette par les visiteurs mêmes.

On y retrouve l’obsolescence des équipements techniques (ascenseurs, climatisation, canalisations) accompagnée des avaries traditionnelles, comme en novembre 2023 cette fuite d’eau qui entrainait l’annulation ou l’amputation de deux expositions en cours.
Elle évoque aussi les conditions pénibles de visite et de travail, notamment sous la pyramide de verre, le manque, parfois l’absence, d’espaces de repos, de restauration et de sanitaires dans le bâtiment, et l’épreuve physique digne des jeux olympiques que constitue toute visite ("il faut 25 minutes une fois dans le musée pour atteindre un tableau de Poussin ou de De La Tour"). En effet, il y avait jadis plusieurs sorties intermédiaires disséminées qui permettaient de faire beaucoup moins de kilomètres dans le musée. Elles ont toutes été supprimées pour canaliser le client vers la zone des commerces.

La présidente propose que la Joconde, seule destination de 90% des visites, soit localisée dans un circuit isolé pour ne plus perturber la visite du reste du musée (est-ce réaliste ?), et elle réitère son grand projet de réhabilitation du bâtiment. Le nouveau Louvre et sa pyramide ayant été conçus il y a 40 ans pour accueillir 4 millions de visites l’an, il est devenu vital dit-elle d’ouvrir une autre grande entrée à l’est du bâtiment, face à la Place du Louvre, pour absorber les 5 à 6 millions de nouveaux arrivants.

Les solutions proposées, qui ne sont que surenchères, sont sans doute discutables - le vrai problème est de prétendre être le premier musée de l’univers - mais les constats ont au moins le mérite d’avoir été reconnus de l’intérieur de l’Établissement par sa présidente même.
Ils sont néanmoins bien tardifs. Les ressources du musée en fonds publics de la Culture ont fondu à la vitesse des glaciers des Pyrénées, le musée en est réduit à louer son nom à un émirat et ses espaces à des séries télévisées et des défilés de marchands de froufrous et de sacs à main. Et la période n’est pas propice aux longs investissements culturels mais plutôt aux économies inconséquentes.

Il reste les ressources inépuisables de la vanité humaine. La plupart des présidents de la République précédents ont marqué leur territoire en épinglant leur nom à un grand projet culturel, qui à un centre d’art moderne, qui à un musée des arts premiers, qui à une grande bibliothèque nationale. Il n’est pas improbable que le dernier président choisisse d’accrocher le sien à la refonte du plus grand musée du monde, au moins de son réseau d’ascenseurs et de toilettes. Ce serait bien mérité. 
On raconte, depuis 2023, qu’il est sur le point de se saisir du dossier.


Mise à jour du 27.01.2025 : M. Rykner qui, dans sa Tribune de l'Art, caresse régulièrement les gestionnaires du Louvre avec du papier de verre, et qui a une très bonne mémoire des chiffres du musée, a publié aujourd'hui en accès libre un rapide contrôle budgétaire des ambitions de la présidente. Et ça semble particulièrement pertinent. 
Mise à jour du 28.01.2025 : M. Rykner fait le compte-rendu de l'intervention du roi des Français qui vient d'annoncer devant la Joconde son petit projet de réparation et aménagement des sanitaires du Louvre. 
Et pour en finir, probablement avant des années, avec cette farce, Étienne Dumont nous donne, des hauteurs de sa Romandie, le point de vue de Sirius, et c'est très amusant. 
Mise à jour du 03.02.2025 : B. Hasquenoph, comme toujours parfaitement renseigné, s'insurge le 2 février sur son site "Louvre pour tou·te·s" contre les prétendues incuries des précédentes présidences du musée du Louvre insinuées par la présidente actuelle, et oppose au projet sommaire "Le Louvre Nouvelle renaissance" du président de la République quelques arguments, notamment le fait que l'emplacement envisagé  pour la Joconde serait en réalité situé en zone inondable.  
Mise à jour du 14.02.2025 : Vincent Noce, mieux renseigné encore que M. Hasquenoph, détaille avec une précision de comptable les dépenses d'entretien et de réfection engagées par l'administration précédente du musée, dans une chronique de la Gazette Drouot du 14 février intitulée "Tour de magie au Louvre". Peut-être a-t-il été assez malin et surtout stoïque pour : savoir où trouver les bilans annuels d'activité du musée dans le dédale du site ; conserver les bilans d'activité antérieurs à 2018 qui en ont disparu ; trouver et comparer les données comptables dans leurs présentations hétéroclites, quand elles sont disponibles...  

vendredi 11 août 2023

De la conservation des fruits dans l’art

C’est un phénomène inattendu, mais dans l’art les fruits se conservent d’autant mieux que l’œuvre est plus ancienne. La banane de 2019 de Cattelan doit être renouvelée toutes les semaines d’exposition. Les fruits de Caravage (détail ci-dessus) exposés à la pinacothèque Ambrosienne de Milan n’ont jamais été remplacés depuis plus de 400 ans.

"Art" est un de ces mots bien pratiques qui n’ont aucun sens précis, comme "beau", et qui permettent aux humains de croire qu’ils se comprennent, chacun en ayant une définition personnelle. En fait l’art n’existe pas vraiment, ou alors disons, pour être constructif, qu’on trouve peut-être de l’art quand plusieurs personnes croient détecter une idée, une intention, dans l’activité d’une ou plusieurs autres, et qu’elles se mettent à pérorer sur cette idée.

Maurizio Cattelan, artiste italien, produit au moins une idée tous les matins, quand il s'ennuie sur ses toilettes. Pour montrer ses idées à ses admirateurs, et en vivre, il les matérialise en les faisant fabriquer, par des artisans compétents, par exemple Daniel Druet, réalisateur de nombreux "autoportraits" sculptés de Cattelan et d’autres personnalités, comme le Pape ou Hitler. Druet a d’ailleurs été débouté par la justice après avoir réclamé, assez maladroitement, la reconnaissance de son rôle majeur dans la création des œuvres de Cattelan (parce que l’art est dans les palabres sur les idées, pas dans la chose qui en résulte, on l’a dit plus haut, il faut suivre ! Et que ceux qui se demandent comment on peut trouver une intention en l’absence d'un résultat qui la concrétise n’ont qu’à s’adresser à la justice).

Cattelan produit aussi parfois des idées qui ne demandent pas de compétence particulière, mais qu’il ne réalise pas non plus. Ainsi, en décembre 2019, la foire d’art contemporain "Art Basel Miami Beach" exposait son œuvre appelée "Comedian", une banane scotchée sur un mur à 1,75 mètre du sol au moyen d’un ruban adhésif gris. 

Encore une fois, ne vous méprenez pas, l’œuvre d’art n’est pas la banane mais dans les 14 pages d’instructions illustrées détaillant la méthode pour la fixer et l’exposer, ce qui est très futé. La banane peut bien se dégrader, la procédure prévoit son remplacement hebdomadaire. La banane peut bien être furtivement consommée par un autre artiste à idées en mal de publicité qui passe par là, comme c’est arrivé à Miami ou Hong Kong, car dès le lendemain, si les commerces sont ouverts, une banane neuve reprend la même place, prête à être achetée 120 000$, contre un reçu pompeusement nommé "Certificat d’authenticité". 

Le galeriste de Cattelan aurait vendu trois "Comedian" durant la semaine de la foire, et offert une au musée Guggenheim de New York. La conservatrice en chef du musée en était toute bouleversée. Elle le dit dans un article du New York Times (voir également Artdaily), où s’enthousiasment aussi deux autres heureux propriétaires. 
Le Guggenheim n’a toujours pas exposé la banane, ni intégré cette acquisition majeure sur son site.
La propriétaire d’un exemplaire, qui attend toujours le mode d’emploi, déclare sereinement qu’il n’y a aucune urgence à l’exposer puisque c’est un concept, une idée qui survivra quoi qu'il arrive ; elle peut toujours exposer son reçu.

En réalité personne n’a exposé l'œuvre parce que c’est une idée empoisonnée, et c’est peut-être là la bonne plaisanterie de Cattelan, copiée - et même franchement décalquée - sur des collègues moins célèbres qui ont exposé bien avant lui des sculptures en matériaux périssables, savon, chocolat, couscous, lasagnes, fenouil (l’article du Times en évoque les questions de conservation muséale).
Non seulement les acquéreurs se moquent stupidement d’eux-mêmes en affirmant avoir acheté la banane comme "un symbole ironique de cette société absurde où une banane peut être vendue comme de l’Art", mais par surcroit ils ne peuvent pas matériellement l’exposer, il faudrait la renouveler perpétuellement.
D’ailleurs un des acquéreurs, réalisant un peu tard le piège où il s'est englué, prévoit dignement d’en faire don à une grande institution (moyennant donc déduction fiscale).

Quant à la conservatrice du Guggenheim, toujours ravie, elle représente les bénéfices d'une telle conception de l’art, un art qu’on n’a plus à conserver ruineusement dans des conditions contrôlées, un art ludique qu’on recrée d’après un mode d’emploi (voire au jugé quand la procédure n’existe pas), un art qui peut être dérobé, ingurgité, détruit sans inquiétude ni prime d’assurance exorbitante, enfin un art qu’on peut se procurer au dernier moment chez l’épicier du coin.

mercredi 19 février 2020

Dans les coulisses de Machu Picchu

Emanuel de Witte, intérieur de la vieille église (Oude kerk) de Delft vers 1650, détail (Metropolitan museum of art, New York).


Par son incongruité, la question aura peut-être retenu un instant votre attention dans le flux quotidien des informations délébiles : que s’est-il réellement passé ce 11 janvier 2020 sur le site sacré de Machu Picchu ?

Tentons de reconstituer les faits éparpillés dans les médias, mais balayons d’abord un point topologique et grammatical.
On a pu lire en effet, que des touristes désobligeants auraient « déféqué sur le Machu Picchu », ou « déféqué sur le Temple du soleil ». L’information, de l’Agence France Presse, a été reproduite par nombre de journaux sérieux, ici, ou . Et il ne s’agissait pas d’effets de style, ni de métaphores.

Alors précisons qu’une telle action n’est techniquement et grammaticalement réalisable que si on parle de la montagne, le Machu Picchu, qui a donné son nom à la ville en ruine, et qu’on ne voit jamais sur la plupart des photos du site archéologique puisqu’elles sont précisément prises du Machu Picchu même (le pic si pittoresque et systématiquement reproduit derrière les ruines est le Huayna Picchu).
On ne peut donc pas vraiment, dans l’enceinte de la ville, « faire » sur le Machu Picchu, encore moins sur le Temple du soleil, sans d’impensables acrobaties.

Le Temple du soleil est un bâtiment flanqué d’une tour dont le dernier étage était peut-être un observatoire astronomique, et au pied de laquelle une grotte naturelle est aménagée et sculptée en lieu de culte, mausolée où étaient peut-être entreposés les restes des officiels incas, avec éclairement astucieux par le soleil levant autour du solstice d’été, comme il se doit désormais sur tout monument antique.
Pour le protéger, l’accès en est interdit, par une simple ficelle.
Comme illustration de son article, LCI affiche une photo fournie par l’AFP qu’elle sous-titre « Le Temple du soleil… », et qui n’a rien à voir avec ce temple, mais qui est très belle tout de même.

Tout cela est bien approximatif.
On lit aussi que les contrevenants risquent jusqu’à 4 ans de prison, ou au moins 4 ans, selon les sources. Il est vrai que montrer seulement un postérieur déculotté sur le site du Machu Picchu est déjà un blasphème, et l’anecdote est fréquente comme en 2015, ou en 2018, de plaisantins expulsés par la police. « C’est un lieu sacré comme l’église de Lima » disent les autorités. N’en rions pas, on a en France des simagrées plus indignées encore à propos d’un bout de chiffon tricolore.

Alors en croisant les multiples paraphrases du communiqué de l’AFP, et les détails lus sur certains médias étrangers plus rigoureux, on pourrait résumer ainsi ce qu’il s’est passé le soir du 11 janvier 2020 au Machu Picchu : 5 jeunes touristes venant de divers pays d’Amérique du sud, et une de France, ont été surpris peu après la fermeture du site, vers 18h, dans la partie interdite du Temple du soleil. Des traces de souillures ont alors été constatées sur place. Une pierre tombée de 6 mètres était ébréchée sur le sol. L’un des touristes a reconnu l’avoir fait tomber et attend son procès pour atteinte au patrimoine culturel. Les 5 autres ont été expulsés et bannis du pays.

Au Pérou, Machu Picchu, site inca oublié plus de 3 siècles et redécouvert en 1911, est sacré surtout depuis qu’il a été consacré patrimoine mondial par l’UNESCO, en 1983, et qu’il fait l’objet d’efforts remarquables et constants pour augmenter le nombre de visites, mais pas nécessairement le bien-être des visiteurs.

Car ce qu’oublient de dire ces articles psittacistes, c’est qu’on aborde le site en montant déjà un dénivelé de 400 mètres, à pied, ou dans un bus surchargé, qu’arrivé à 2500 mètres d’altitude entre les deux sommets, la visite s’étend sur une surface accidentée et couverte d’escaliers de plus de 100 000 mètres carrés (10 hectares) d’un terrain habituellement humide et glissant, qu’une visite dure en moyenne 4 ou 5 heures, et qu’il est donc conseillé de s’hydrater généreusement (sans parler des désordres dans les habitudes alimentaires et digestives qu’occasionnent souvent ces transhumances de touristes avides de cultiver leur esprit).

Or il n’y a pas de toilettes sur le site de Machu Picchu. Il faut sortir de l’enceinte pour en trouver, et toute sortie est définitive (l’entrée se réserve des mois à l’avance).

On comprend, dans ces conditions, qu’un petit mausolée ombragé au cœur des ruines, à l’abri des regards, protégé par une interdiction d’entrer et garni de sièges accueillants sculptés et polis dans la pierre, a dû attirer plus d’une fois la convoitise de touristes pris d’un émoi impérieux.

Alors avant de punir le sacrilège, peut-être conviendrait-il de s’interroger sur les commodités minimales à mettre en place quand on espère accueillir bientôt 5000 visiteurs par jour et devenir la première des 7 merveilles du monde.
On éludera les balivernes sur les canalisations qu’il faudrait nécessairement installer et qui endommageraient les fondations du site ; les toilettes sèches ou à litière bio-maitrisée fonctionnent sans eau et sans odeur.
Il serait d’ailleurs temps d’installer cette variété de cabinet de soulagement dans tous les sites sacrés, en particulier dans les églises, traditionnels lieux d’asile où ont longtemps divagué même les chiens errants, s’il faut croire les peintres hollandais.

samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.


mardi 19 janvier 2010

Guide de la Venise secrète

Pourquoi ce guide ?
Souvent Ce Glob Est Plat s'est plaint (ici ou ) des gardiens français de la culture qui s'approprient des droits sur le bien public, en interdisent les photographies et parfois s'en réservent l'accès. Ces déboires ne sont rien face à ceux du malheureux qui visite Venise, car si les musées français respectent moyennement le quidam, les vénitiens s'en moquent comme de leur premier Carpaccio. Tous leurs musées interdisent la photographie, et on trouve toujours un surveillant zélé pour vous le rappeler en aboyant dans une langue indéchiffrable. Dans ces conditions, il était impensable, sans une image, de réaliser le rêve de tout blog qui se veut cultivé, faire une chronique sur la peinture vénitienne.
Aussi avons-nous demandé à notre reporter, afin de rentabiliser malgré tout les frais engagés, de confectionner le seul guide illustré que les musées vénitiens permettent au blog impécunieux, le guide de leurs toilettes, de leurs lieux d'aisances.
L'amateur averti d'art moderne, le spécialiste de Marcel Duchamp et son urinoir, ou de Piero Manzoni et ses conserves, y trouvera son avantage, et sans conteste un côté pratique. Il y constatera également que le musée le plus désuet n'a pas nécessairement les commodités les moins accueillantes.

Cliquez sur le plan de Venise pour en découvrir tous les détails.


LISTE DES PRINCIPALES CURIOSITÉS
(classées dans l'ordre d'intérêt décroissant)


VAUT LE VOYAGE : Ca' Rezzonico, musée du 18ème siècle vénitien (œuvres (1) de Longhi, Tiepolo, Guardi, Canaletto).
Chaque cabine, spacieuse, propose à l'usager tous les outils nécessaires aux ablutions les plus complètes, et la vétusté relative de l'ensemble ne nuit pas à l'indéniable convivialité des lieux. Enfin, c'est le seul établissement à fournir de l'eau chaude.



VAUT LE DÉTOUR : Collection Pinault, Palais Grassi et bâtiment de la Douane de mer (œuvres de Jake & Dinos Chapman, Fucking Hell, 80 caprices de Goya rectifiés, Murakami, personnages de mangas hypertrophiés, Maurizio Cattelan, trophée de cheval).

D'une propreté engageante mais d'une hygiène qui n'est pas à la hauteur d'une fondation qui se dit moderne (toutes les commandes sont à contact manuel). Notez toutefois la conception bien venue de la balayette brosse, «à la Morandi». Enfin, opportunité dont il convient de profiter sans retenue, c'est le seul service dont l'usage est gratuit dans la visite de cette collection où il faut presque payer pour respirer (2).


INTÉRESSANT : Accademia, Peinture vénitienne du 14 au 18ème (œuvres de Bellini, Giorgione, Carpaccio, Tintoret, Tiepolo, Previtali). L'hygiène générale du lieu et l'ascétisme de l'outillage sont assez peu encourageants, mais certains apprécieront l'atmosphère distante et sans passion, digne des tableaux de Vittore Carpaccio ou de Benedetto Diana.


INTÉRESSANT : Palais des doges, demeure historique des gouvernements de Venise. Spartiates, minimalistes, et désagréables à cause du manque de confort et d'une agressive et persistante odeur d'eau de Javel, les lieux bénéficient cependant d'un cadre unique couvert d'histoire et de toiles du Tintoret (1) et méritent une courte halte.


INTÉRESSANT : Ca' Pesaro, Musée d'art moderne et d'art oriental (œuvres (1) de Morbelli, Khnopff, Medardo Rosso, Caffi, Sorola, Bonnard, Hokusai).
Ensemble d'un abord un peu froid, qui ne manque pas de style mais commence malheureusement à afficher les stigmates du temps.


À ÉVITER : Collection Peggy Guggenheim (œuvres de Magritte, Ernst, Dali, Giacometti, Miro, Duchamp, Kandinsky) et Musée Correr (sorte de musée napoléonien, œuvres (1) de Canova, Antonello, Carpaccio, Bellini, Bissolo).
De ces deux établissements, nous resterons discrets sur les toilettes qu'il sera prudent d'ignorer.


Enfin, le véritable amateur de sanitaires couronnera son voyage dans les toilettes hospitalières de l'Aéroport Marco Polo de Venise où tout est démesuré, le rouleau de papier d'une dimension déconcertante, et où les opérations se font avec un salubre minimum de contacts manuels. Seul l'environnement culturel y est un peu déficient, quoique les plus grandes marques de vêtements, de cosmétiques et d'objets de luxe y rivalisent d'élégance et de chic.
Nous n'illustrerons pas cette étape dans ce guide, afin de préserver, pour le pèlerin blasé, un peu du plaisir de la découverte et la fraicheur de la première impression.

Notez : 7 somptueuses sérigraphies numérotées, imprimées sur papier spécial de luxe double épaisseur molletonnée, représentant le plan de Venise et les plus belles vues de ce guide, sont en vente dans les principaux kiosques et musées de la ville ou auprès de Ce Glob Est Plat (à partir de 699 euros l'unité).


***
(1) Sélectionnez le bouton «cerca» pour obtenir la liste complète en italien des œuvres du musée.
(2) À titre de comparaison, les prix d'entrée dans les musées vénitiens se situent entre 6 et 12 euros. Pour visiter cette collection astucieusement partagée dans deux lieux, il faudra débourser 20 euros, sans compter deux fois 3 euros pour les vestiaires (les seuls payants de tout Venise) quasi obligatoires (on vous impose sinon, pour de mystérieux motifs, de tenir votre sac à dos à bout de bras...), sans oublier le prix du transport par vaporetto entre les deux lieux.