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vendredi 2 août 2024

Restauration au Louvre (addendum)

"Au Louvre, oui oui, vous avez un café, en bas, sous la pyramide, vous pouvez boire un verre sans être obligé de visiter, si si, c'est très bien fait."

JM. Gourio - Nouvelles brèves de comptoir



C’était en juillet dernier. Passant par Paris un soir, parmi les fusées, les flammes, les cris et les pétarades, vous vous réjouissiez du retour des trois glorieuses, de la fin du petit monarque et de ses abus de pouvoir. Hélas ça n’était que l’annonce des jeux du cirque. Chaleur, bière, chauvinisme, la France allait cesser de penser, et la planète également, pour quelques semaines.

Profitons donc de cette léthargie pour dire vite fait du mal des grandes illusions humaines : aujourd’hui, la Liberté. 


Si Ce Glob avait encore un lectorat, celui-ci aurait remarqué que notre chronique de juillet sur les incessantes restaurations du Louvre avait omis, dans sa revue des tableaux rénovés, le monumental pensum de Delacroix, "Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple ou La barricade", 10 mètres carrés avec cadre. Il sort en effet du pressing et a rejoint, depuis le printemps, les grandes toiles lugubres de l’histoire de France dans la galerie du romantisme, salle 700 de l’aile Denon.


L’opération a été décrite par le musée dans un communiqué de presse (PDF de 311ko) d’un lyrisme approprié aux grands mots creux de la République.

Il nous raconte que c’est le tableau le plus célèbre du musée après la Joconde, qu’on y retrouve la palette tenue et subtile de Delacroix (il parle même de son génie chromatique, jugez-en sur l’illustration ci-dessous !), que c’est à la fois une peinture d’histoire et une allégorie, agrémentée de scènes de genre, de portraits, de natures mortes (les cadavres ?) et d’un paysage urbain (il oublie le nu), que le résultat est magistral d’équilibre et de maîtrise, et que les bizarres taches de jaune d’or éparpillées sur la robe évoquent le caractère allégorique, quasi divin, de la Liberté.

On ne saurait exprimer plus d’enthousiasme sans paraitre légèrement insincère.



Si vous acceptez le conseil d’un vieux blog déserté, restez-en aux louanges du communiqué de presse, et passez plutôt voir la peinture hollandaise ou française du 17ème siècle. 

Si malgré tout vous tenez à vérifier sur place la palette subtile du génie chromatique, vous reconnaitrez aisément le tableau dans la longue galerie de l’aile Denon, sous son immense verrière à 12 mètres d’altitude, il se distingue essentiellement des autres tartines bitumées, chaotiques et sinistres de l'époque, par son drapeau bleu blanc rouge ; vous ne pouvez pas le rater, "contrairement à l’auteur" aurait persifflé Tristan Bernard*. 


Vous vous exclamerez alors (intérieurement) "Y a-t-il une différence ? Est-il vraiment restauré ?" En effet, et c’est un cas rare parmi les tableaux rénovés : ici, avant ou après, les deux sont aussi moches. L’effet de pouding indigeste demeure**. On sait que les tableaux de Delacroix, peints à la hussarde, devenaient des "bouillies brunes" de son vivant même, témoignait Jacques-Émile Blanche. Et l’aspect crayeux des blancs et des gris donne maintenant à la scène un petit côté inauthentique (d’accord, c’est une remarque inspirée par la mauvaise foi, cependant, alors qu'on pomponne l'effigie de la Liberté, on renforce furtivement un système de surveillance et de répression qui emprisonne petit à petit le peu qu'il reste de ce qu'elle est censée glorifier).


Pourquoi les peintres qui illustrent des évènements historiques, même inspirés par des intentions humanitaires et spontanément - sans commande de l’État*** - en font-ils systématiquement une bouillie grandiloquente et immangeable, gavée de poncifs ?

Gonflement du liquide dans les tissus, hydrocéphalie, macrocéphalie, agueusie peut-être ? Cela reste un mystère que les sciences de la santé, vu les moyens financiers qu’elles drainent aujourd’hui, décrypteront assurément un jour prochain.


***

* On connait le mot de Tristan Bernard, presque trop beau pour être vrai, qui aurait répliqué à un ami arrivant en retard au théâtre et regrettant d’avoir raté le premier acte : "Rassurez-vous, l’auteur également".


** Une mystérieuse source non officielle au Louvre a mis en ligne une photo en haute définition (31Mo, 80Mpixels) dont le contraste et les couleurs semblent très accentuées comparées à la photo officielle du musée (notre illustration). À vérifier sur place par qui en aura le courage.


*** Delacroix ne s’est pas lancé dans une opération de 4 ou 5 mois sur 8,5 mètres carrés sans penser le vendre à l’État, qui l’achetait effectivement l’année suivante pour une somme décevante, 3000F (≈ 10 000€ actuels) quand Delacroix en espérait 10 000F (le catalogue des collections du Louvre retrace en détail l’histoire mouvementée de cette Liberté). 

lundi 26 septembre 2022

Enfin libres !

 

Temps de lecture : 2 minutes (indéterminable si vous lisez les dates, peut-être interminable)

Depuis 16 ans, au moins, Gougueule, développeur, hébergeur, administrateur et censeur du présent blog et de millions d’autres, réduisait automatiquement les dimensions des illustrations publiées par ses administrés à un maximum de 1600 pixels par côté. Les images plus grandes n’étaient pas interdites, mais leur publication demandait des connaissances quasi divines et des manipulations particulières.
Gougueule (Que ses bienfaits ruissellent sur nous comme du miel !) pensait ainsi déjà à l’avenir du climat de la planète en limitant la consommation d’énergie de ses adeptes irresponsables.  

Or depuis quelques semaines, ou quelques mois ou quelques années - qui sait ? Gougueule, n’a pas à informer ses fidèles des miracles qu’il dispense - notre Maitre bien-aimé donc a effacé cette limite à notre liberté et nous laisse aujourd’hui publier des images de plus grande dimension. Nous ne savons pas si cette liberté a encore des limites, car seul notre Prophète peut approcher l’infini. 

Qu’Il en soit néanmoins béni ! 
Profitons-en pour illustrer enfin en haute définition et en deux versions, dans de meilleures conditions qu’au musée même, l’un des deux Vermeer du Louvre, l’Astronome (ou Astrologue).
Signé par l’auteur et daté de MDCLXVIII, au centre derrière la main droite (vous ne déchiffrerez ce nombre ésotérique qu’avec une longue pratique des langues mortes), le tableau, volé par Hitler à une famille milliardaire française en février MCMXLI et retrouvé en mai MCMXLV dans une mine de sel en Autriche, à Altaussee, avec des milliers d’autres objets d’art, a été restitué à la famille puis donné au Louvre en MCMLXXXIII pour payer des droits de succession.

Reproduit ici en deux versions pour s’adapter aux biais courants de colorimétrie des écrans, leur aspect dépendra des qualité et réglage de votre matériel. 
L’œuvre originale mesure 45 par 51 centimètres. Les reproductions sont 3 fois plus grandes (9 fois en surface). C’est dire le cadeau que nous fait Gougueule (Loué soit notre dieu unique !)

N'hésitez pas à faire des remarques, l'auteur ne peut plus protester depuis MDCLXXXVII.

vendredi 28 mai 2021

Mystère de l’Extrême-Orient

De notre correspondant très loin…

La physique du 20ème siècle a découvert qu’on ne peut pas connaitre à la fois la position précise et les paramètres de mouvement d’une particule, parce que la matière se comporte aussi comme une onde, et que plus on connait l’une, moins on en sait sur les autres, et inversement. Or tout être humain est composé d’une quantité innombrable de particules.
Dans ces conditions comment parvenir à compter précisément le nombre d’habitants de la Chine ?

D’un côté, le Financial Times, qui sait tout sur le monde parce que ses ordinateurs sont équipés de Windows 98, déclare qu’aujourd’hui la population chinoise décline, pour la première fois depuis 60 ans, depuis la célèbre politique économique de Mao-Zedong, le « Grand bond », qui avait entrainé, on s’en souvient, une telle famine que le seul grand bond fut pendant quelques années celui de la mortalité.

De l’autre côté, le directeur du bureau des statistiques de Chine, froissé (1), annonce une augmentation de plus de 5% en 10 ans (70 millions), et rétorque que le Parti contrôle encore 18% de la population de la planète, mais admet que l’âge moyen du Chinois augmente un peu et qu’il faudra donc augmenter l’âge du départ à la retraite.

(1) Aucun gouvernement n’est prêt à accepter une baisse de sa population. Ça serait inconvenant. On soupçonnerait l’incompétence. Au lieu de se laisser porter par la spirale étourdissante de la consommation il faudrait se prendre la tête avec des questions rasantes sur la gestion des ressources.
   
Qui croire ? Quelles vérifications pourraient convaincre ?

Des esprits mal préparés aux subtilités de la science ont objecté qu’on ne peut pas comparer des êtres humains, notamment chinois, à des particules élémentaires.
Qu’ils se détrompent. Le citoyen chinois se comporte précisément comme une particule et peut parfaitement, par ses propriétés ondulatoires, se trouver au même instant à plusieurs endroits à la fois. 
On en trouvera la preuve incontestable sur le site de BigPixel, vitrine d’un savoir-faire chinois, qui vante sous une apparence touristique sa science en matière de caméras de surveillance des citoyens (2). Vous y constaterez par exemple qu’à Shangaï, ville la plus peuplée du pays, sur une seule prise de vue dont on imagine qu’elle a été vérifiée par les autorités, on trouve déjà un grand nombre de doublons (en illustration ci-dessous un échantillon de doublons proches, présents sur la photo du site).
 
(2) Ceux qui en vivent insistent pour qu’on remplace l’expression « caméras de surveillance » par « caméras de sécurité ou de protection » tant il est vrai que l’apport essentiel de ces caméras est, d’après eux, une augmentation sensible de la sécurité du citoyen. 
Prenons Atlanta, ville la plus sécurisée des États-Unis, avec près de 10 000 caméras pour 500 000 habitants. Elle vient de vivre le 16 mars 2021 le meurtre de 8 personnes de la communauté asiatique dans 3 attentats consécutifs. « Les caméras indiquent - dit la police - qu’il est hautement probable que le même tireur soit impliqué dans les 3 attentats ». On ne saurait apporter éléments d’information plus décisifs pour la protection des citoyens.
 

 
 
Il conviendra donc d’abord d’identifier tous les doublons, y compris distants l’un de l’autre, et d’en établir le pourcentage parmi la totalité des habitants enregistrés par cette caméra, puis de corriger le biais en soustrayant ce pourcentage du total. 
Il ne restera qu’à multiplier le résultat par le nombre de caméras de surveillance protection du pays pour obtenir une estimation consolidée de sa population. Le B-A-BA de la physique statistique en somme.

Ici, nous serons cependant confrontés à un obstacle substantiel, car personne ne s’accorde non plus sur le nombre de caméras de surveillance protection installées en Chine dans le cadre du projet de gestion du crédit social des citoyens. Elles ne sont pourtant pas dissimulées (sans doute parce que la technique ne le permet pas encore).
Le chiffre le plus courant, mais qui date un peu, parle de 200 millions, certaines sources relativement fiables n’hésitent pas à affirmer 400 millions et bientôt 600, jusqu’à soupçonner un objectif de 2,76 milliards, soit 2 caméras par Chinois.
Mais ce sont des conjectures, personne n’est allé les compter, ce qui serait pourtant la méthode scientifique pertinente.

On parle toutefois d’un artiste chinois, Deng Yufeng, qui, par des repérages méticuleux, a fait un inventaire précis des caméras de certaines rues de Pékin (Béijing), modèles, localisations, orientations, angles de vue, et organisé des itinéraires touristiques narquois (c’est un artiste), où le jeu consistait à effectuer le parcours en évitant le plus grand nombre possible de caméras, et en tournant le dos aux autres, pour ne pas être repéré ni reconnu.
Inutile de préciser qu’à ce jeu nombre de citoyens ont été identifiés - pas toujours les vrais coupables, on ne dira jamais assez les conséquences dramatiques du port du masque sanitaire - et ont perdu, pour comportement incivil, des dizaines de points de crédit et certains droits sociaux.
Il devient illusoire, dans ces conditions, de penser se fier à des recensements de caméras aussi précaires.

On réalisera finalement que le dénombrement d’une population par le moyen des caméras est une opération sans limite, sisyphéenne diraient certains dictionnaires, car le nombre et la puissance des caméras paraissent augmenter plus vite que le nombre d’habitants, sans que l’on ait pour autant les moyens de justifier chacun des chiffres de cette comparaison.

Ainsi la Chine restera un mystère. Et ça n’est pas dû au Chinois. Hors de son pays, on s’aperçoit que c’est un être humain. Mais en Chine, les règles de la biologie et de la sociologie ne sont plus les mêmes.

On balaiera aisément les accusations de xénophobie que ne manqueront pas d’éveiller ces constats. Ces dérèglements sont générés par les relations malsaines qui lient les détenteurs d’un pouvoir et ceux sur lesquels il s’exerce. La chose est banale, elle a été pointée depuis longtemps par Étienne de la Boétie, et si la Chine parait emblématique, c’est que son système est en avance sur les autres nations, dont les gouvernements lui envient les méthodes et l’efficacité.

Par exemple on peut sourire, en France, des désaccords systématiques entre les autorités et les intéressés sur le décompte des participants à une manifestation, ou à une réunion politique. Or les deux chiffres sont à chaque fois exacts.
C’est que les lois de la physique y ont déjà entamé leur lente dérive, et qu’il suffirait d’un rien, pour que les chiffres de la pandémie soient annoncés officiellement en omettant de les relativiser, pour que l’état d’urgence sanitaire soit négocié en échange d’autres mesures liberticides avec la gratitude des soumis, pour qu’une loi répressive sur la « sécurité globale » soit entérinée par des députés en vacance…

dimanche 17 mai 2020

Vive la liberté

Cette vue, mille fois reproduite, représente la maison du gardien du parc ostréicole de l’aber d’Étel, sur l’ilot de Nichtarguér. On raconte que nombre de pays du monde, jusqu’à la Chine, ont pris modèle sur ce système de confinement et de surveillance, pour leur population. Il faut reconnaitre que de mémoire de Breton, de l'ilot de Riec’h à l'ilot de Fandouillec, on n’a jamais vu une huitre s’échapper par ses propres moyens, ni entendu de leur part la moindre plainte ou récrimination.


Après deux mois d’enfermement, il se peut qu’enivrés par cette soudaine bouffée de liberté, vous ayez déjà délaissé la lecture attentive de la presse pour courir humer l’air printanier. Finies les auto-attestations infantilisantes, vous gambadez désormais dans les rues, vous embrassez tous les passants (en respectant, bien entendu, les distances sociales et les gestes barrière), vous redevenez majeurs.

Sachez cependant que la loi du 11 mai 2020 vient de prolonger l’état d’urgence sanitaire de 2 mois, ce qui ne nous étonnera pas, habitués depuis les attentats terroristes aux prolongations répétées des états d’urgence provisoires, qui ne cessent que lorsque leurs mesures (1) sont discrètement intégrées dans une loi permanente, votée en principe au mois d’aout.

Éparpillés dans la nature, vous n’avez pas lu le détail de cette nouvelle loi. Qui vous en blâmerait ? Et puis c’est assez technique. Elle autorise la mise en place par décret d’un « fichier informatique de traçage des contacts des malades (sans leur consentement nécessaire, précise la loi), qui sera exploité par des brigades (2) sanitaires ».

Résumons pour les étourdis le fonctionnement de ce système : on suggère au médecin et au malade « Souhaitez-vous lutter contre le virus et sauver la France et les Français ? ».
Le médecin menacé s’assied alors sur le secret médical, et avec son malade en position de faiblesse, ils remplissent une liste informatisée des lieux et des personnes (appelées contacts) que ce dernier aura côtoyées, avec numéros de téléphone et adresses e-mail si disponibles, le tout dans le plus strict secret du cabinet médical.
Au même moment, des brigades de milliers de fonctionnaires, soumis également aux secrets professionnel et médical (3), épluchent et complètent cette liste informatisée, et commence alors, dans la plus extrême discrétion, la traque administrative des contacts, qui seront suivis avec insistance, jusqu’aux résultats des tests médicaux obligatoires qui leur seront prescrits, par les services d’enquêteurs sanitaires et téléphoniques.
Rappelons que tout refus de collaborer communiqué aux autorités est susceptible d'une amende de 135 euros, puis 1500 au deuxième refus, et enfin 3750 et 6 mois de prison, tout en restant dans le cadre strict et parfaitement contrôlé de l'état d'urgence, bien entendu.

En outre, il faudra s’attendre à ce que cette situation se prolonge un peu, tant qu’il n’existera pas de vaccin (les dernières annonces l’espèrent avant la fin de 2021, s’il en existe un), ou à défaut jusqu’à la contamination des deux tiers de la population, puisqu’il est admis chez les épidémiologistes que c’est la limite au-delà de laquelle une pandémie s’éteint naturellement.

Enfin à propos de cette loi, nous serons exhaustifs en mentionnant un article de deux juristes dans le journal Libération, qui extrapolent des incursions de brigades masquées jusqu'au domicile des contacts récalcitrants, qui seraient à leur tour incités à communiquer leurs propres contacts. Les rédacteurs imaginent en quelques semaines le fichage à grande échelle de toute la population française.
Comme ils y vont ! Ne seraient-ils pas légèrement conspirationnistes ou friands de science-fiction ?

Rappelons-leur que le peuple chinois est traité en permanence comme le décrit cette loi, sans consentement ni respect de la vie privée.
Presque un milliard et demi d’êtres humains ! Est-ce qu’on les entend se plaindre ?

*** 
(1) Une mesure d’urgence est en général une opération algébrique assez simple dont les termes sont immuables. On donne, en proportion, autant de pouvoirs à l’administration qu’on enlève de libertés aux administrés. 
(2) Brigade : mot emprunté à l’italien Briga, qui signifie combat, discorde. 
(3) On ne le répètera jamais assez, toute la chaine de ce système d’information, c’est-à-dire des milliers de personnes de bonne volonté, respecteront toujours la vie privée et la dignité humaine, principes fondateurs de notre civilisation.


lundi 1 janvier 2018

Sale temps sur le domaine public

Évoqué dernièrement, le passage dans sa 2018ème année de l’humanité qui croit au calendrier grégorien marque l’entrée dans le domaine public de l’œuvre des artistes morts en l'an 1947 dudit calendrier.
Bonnard, Marquet, Van Meegeren, Hoschedé-Monet, Eugène de Suède, Reynaldo Hahn, Tristan Bernard, Ramuz, Fargue, Horta, Lubitsch, le physicien Max Planck et un tas d’autres créateurs, sont aujourd'hui à la libre disposition du public (sous réserve de règlementations locales particulières).
N’oublions pas cependant que les règles d’accession au domaine public sont des textes de loi, qui sont parfois interprétés bizarrement par les tribunaux, voire résolument ignorés, comme nous allons le constater.

Vous souvenez-vous de la pantalonnade du ministre italien de la Culture en 2014, aiguillonné par le directeur de la Galerie de l’Académie de Florence, qui s’excitait publiquement contre une entreprise américaine, créatrice d’une affiche incongrue ? Elle montrait le David sculpté par Michel-Ange tenant dans les bras un fusil ultramoderne. Le ministre prétendait que l’utilisation de l'image du David était illégale sans autorisation de l'État italien et exigeait le paiement de droits de reproduction.
L’œuvre étant depuis des siècles dans le domaine public, c’était une galéjade, mais face à l’hostilité agressive des médias et des officiels italiens, l’Américain retirait sagement son affiche. L’effet publicitaire de l’hystérie collective avait déjà largement dépassé ses espérances.

L’idée de faire fructifier toujours plus l’héritage culturel est de tous les temps, mais elle est aujourd'hui avivée par la réduction devenue systématique des budgets consacrés à la culture. En Italie, elle s’est transformée en une obsession au point que le gouvernement ne nomme plus que des « gestionnaires » à la tête des grands musées.

Ainsi la récente directrice de la Galerie de l’Académie de Florence eut l’idée d’attaquer en justice un organisateur de circuits touristiques qui vendait des tickets d’entrée à son musée pour 5 fois le prix normal. Mais la poursuite ne portait pas sur ce motif, qui est une pratique courante. L'audacieuse manageuse réclamait parce que la promotion pour les vendre était centrée sur le monumental David de Michel-Ange.
En résumé, elle réclamait des droits d’auteur sur la reproduction d’une œuvre du domaine public qui se trouve dans son musée, Copyfraude banale et détournement du droit, pratiqués par tout grand musée qui se respecte, sujet abondamment traité ici.
Pour mémoire, la photographie, même touristique, est interdite dans le musée (mais allez empêcher des milliers de touristes étrangers de sortir leur smartphone - rappelons-nous la déroute du Louvre en 2005).

Tout ceci serait anodin, si le tribunal civil de Florence n’avait pas été sensibilisé aux enjeux financiers immédiats du litige. Il a donc docilement conclu, ignorant toutes les lois de protection du domaine public italien, que l’accusé devra retirer de toutes ses campagnes promotionnelles l’image de la statue (sous astreinte de 2000 euros par jour), parce qu’il n’en a pas demandé l’autorisation au musée ni payé les droits de reproduction.
Une bourrasque d'air frais parcourait alors les encéphales embrumés des gestionnaires de la culture de la ville de Florence.
Fière de son succès, la responsable de tout cela déclarait attendre un avis du procureur pour appliquer la décision de justice à toutes les œuvres de « son musée », le gestionnaire de la cathédrale demandait à la rencontrer, celui du musée des Offices, ragaillardi, décidait de se lancer dans de vigoureuses poursuites judiciaires, et le maire exhortait toutes les institutions et les entreprises à se mettre en conformité avec ces nouveaux principes « l’image de Florence ne devrait plus être exploitée sans limites ni règles ».

On admet de plumer ouvertement le public, à condition de bénéficier aussi de la petite extorsion, et au passage on s’assied sur les principes du droit d’auteur. Ce sont des manières de mafieux.


Projet de la municipalité pour rentabiliser un peu plus les merveilles architecturales de Florence. Ici, en test, la façade de la basilique Santa Maria Novella est voilée. Quand un nombre suffisant de touristes payants est atteint sur la Piazza di S.M. Novella attenante, les issues en sont fermées et la façade est dévoilée par un ingénieux système de pompes hydrauliques. La durée de dévoilement est proportionnelle aux recettes de l’opération.  

Et comme toutes les bonnes idées d’abus de pouvoir, elle devrait vite se propager dans toute l’Europe, et il ne serait pas étonnant que le musée du Louvre profite de cette jurisprudence pour essayer d’obtenir le paiement de droits à l’utilisation de l’image de la Joconde, et même à tout article utilisant le mot Joconde.

Pour l’image, le cadre juridique français l’autorisant à le faire est désormais en place. Le décret Chambord en mars 2017, intégré à la loi de 2016 délicieusement nommée « Liberté de création, Architecture et Patrimoine » a créé, dans le but de contredire une récente décision de justice, une obligation de demande d’autorisation (avec redevance) lors de l’utilisation commerciale de l’image de bâtiments du domaine public (*). Il suffira de substituer « œuvres » à « bâtiments ».

Pour les mots, à l’instar de la loi d’exception qui sera votée dans quelques semaines pour attribuer des droits exceptionnels au Comité international olympique pendant 7 ans jusqu’aux jeux de 2024 à Paris, et qui interdira d’utiliser sans payer certaines expressions comme « Jeux Olympiques », ou « Paris 2024 », pourquoi ne pas profiter de cet élan créatif pour instituer un « droit » plus global qui s’appliquerait à l’usage de certains mots choisis annuellement dans la loi de finances ?

Il reste une indéniable marge de progrès pour abuser du domaine public et plumer encore un peu son propriétaire légitime. Cela annonce une bien belle année artistique 2018.

***
(*) Les images de Wikipedia et de Facebook (pour ne parler que des plus gros sites) sont considérées « à usage commercial » dans la mesure où, pour Wikipedia, leur réutilisation libre pour n’importe quel usage est un des principes constitutifs de la Fondation, et pour le second, l’utilisateur qui s’abonne autorise Facebook à faire toute utilisation qui lui conviendra des images téléversées sur le site.

samedi 3 juin 2017

La vie des cimetières (77)



Ici gisent, depuis 1881, les restes de Joseph Vion, abbé libertaire défroqué, devenu militant républicain et maire, parti comme Victor Hugo pour Jersey en 1851, contraint à l’exil par le despotique Louis-Napoléon Bonaparte.

De retour en France, il faisait ériger un ilot artificiel au milieu de son étang de Bouzy-la-Forêt pour y installer le tombeau d’Émilie Gaigné, amour ancillaire morte en 1875. On raconte qu’on y trouve aussi les restes de son chien, et que les deux pesantes statues qui le gardent, la Science (celle de gauche) et la Liberté, sont de la main du célèbre sculpteur orléanais Alfred-Désiré Lanson.




Le touriste funéraire qui tient à admirer cette « ile des morts » miniature, devra faire preuve de témérité. Car les berges de l’étang qui cernent le tombeau sont des propriétés privées protégées de messages dissuasifs orthographiés « défence d’entrer ».

Dès lors le seul endroit public offrant un point de vue sur le mausolée se situe au milieu de la portion de la RD952 qui traverse le sud de l’étang à Saint-Aignan-des-Gués. L’aventurier devra alors s’engager sur une route en pente, sans bas-côté, fréquentée par des centaines de poids lourds en excès de vitesse, et fortement déconseillée au piéton qui n’aurait pas déjà rédigé ses dernières volontés.




samedi 22 octobre 2016

Le musée de Stockholm est fermé (2/2)

… Et on ne trouve pas que des œuvres de peintres suédois ou norvégiens au musée national de Stockholm, mais aussi des chefs d’œuvre d'artistes européens fameux, comme Boucher (il fut le professeur de Roslin), Chardin, Cranach, De La Tour, François de Nomé, Greco, Hammershoi, Rembrandt Van Rijn, Reynolds, Watteau, ou méconnus comme l’allemand Christian Ezdorf.

Ezdorf Christian - La côte islandaise


Hammershoi Vilhelm - Paysage à Lejre


De Nomé François - L'incendie de Troie (détail)

vendredi 21 octobre 2016

Le musée de Stockholm est fermé (1/2)

Depuis 2013 le Musée national suédois de Stockolm (Nationalmuseum) est fermé pour rénovation. Sa réouverture est aujourd’hui prévue en 2018. Les délais sont si longs que le mois n’est plus précisé. N'oublions pas que la réfection de son équivalent hollandais, le Rijksmuseum à Amsterdam, aura duré 10 ans.

Le 6 octobre dernier, peut-être pour tempérer l’impatience des amateurs, le musée a fait don d’une base de données de 3113 reproductions en haute qualité à la fondation Wikimedia Commons, acceptant ainsi que les images soient partagées, diffusées, et même utilisées lucrativement sur toute la planète.

On trouve quelques merveilles dans cette base hyperboréenne. Les lignes claires et gracieuses des magnifiques aquarelles de Carl Larsson, des portraits virtuoses d’Anders Zorn et du magistral Alexander Roslin, des joyaux de peintres méconnus comme Uno Troili, des paysages de L.A. Ring, des œuvres du peintre cité systématiquement en premier dans les encyclopédies grâce aux rigueurs de l’ordre alphabétique, Carl Frederik Aagaard, et beaucoup de portraits laids de rois et de reines - les souverains suédois ont-ils toujours été disgracieux, par consanguinité comme tant de monarques d'Europe, ou les peintres officiels médiocres ?

Avertissement : les fichiers sont au format TIFF, très lourds à télécharger (en moyenne 30 Mo par image et jusqu’à 275 Mo !). En outre les fichiers ne sont pas classés par auteurs mais dans l’ordre alphabétique des titres d’œuvres en anglais, ce qui est absurde, mais propice à une flânerie sans but. Car il faudra de la ténacité pour retrouver, par exemple, la cinquantaine d’aquarelles de Carl Larsson dans la base… 



1  Aagaard C.F. - Jeu de quilles en forêt de Saeby, printemps (détail)
2  Schultzberg A. - Stockholm, démolition de l'orphelinat (détail)
3  Hill C.F. - Paysage en Champagne (détail)



1  Bennet C.S. - Stockholm, le Palais royal (détail)
2  Gude H.F. - Le fjord Sandvik (détail)
3  Eckersberg J.F. - Paysage près de Romsdalen (détail)



1  Müller H.G. - Deux chouettes se disputant un rat (détail)
2  Cederström G. - Épilogue (détail)
3  Pasch J. l'ancien - Les poules (détail)

samedi 19 mars 2016

La vie des cimetières (68)


Le 20 juin 1940, afin de ralentir à peine les divisions blindées nazies qui envahissaient en coup de vent le territoire français, on pria poliment 200 jeunes noirs déracinés de leurs lointaines terres africaines d’empêcher à 1 contre 100 l’invasion de la France, quel qu'en serait le prix et sous les ordres d’un capitaine blanc, énergique, résolu et brave.

Depuis, ils sont soigneusement alignés dans ce lieu sacré pour soldats morts au combat, le Tata sénégalais de Chasselay, au nord de Lyon, dans cette terre républicaine qui respire tant les valeurs de liberté, de partage et d’égalité.

Le lieu-dit s’appelle le Vide-sac. Il est à peine indiqué sur les cartes.



vendredi 5 février 2016

Ne lisez pas cette chronique

Êtes-vous certains que la page que vous êtes en train de lire n'est pas de celles dont la simple lecture est depuis quelques jours passible de deux à cinq ans d'emprisonnement ?
Comment vous êtes-vous assurés qu’elle ne fait pas l’apologie du terrorisme ?
Savez-vous que la définition du terrorisme n’existe pas dans la loi et dépend seulement du bon plaisir d’un fonctionnaire, sans le contrôle d’aucun juge ?

Tout cela ne vous rappelle rien ?

Il est trop tard pour se poser ces questions car la loi Anti-terrorisme est aujourd'hui en cours d’adoption et vogue sans obstacle du Sénat vers l'Assemblée nationale. Elle mélange gaiement dans son article 10 (Art. 421-2-5-2 du code pénal) les actes de terrorisme et les images pornographiques de mineurs.
Car finalement tout peut être du terrorisme et la définition évoluera sans cesse. Aujourd’hui par exemple, grâce à l’état d’urgence, un brave écologiste qui souhaite s’exprimer en défilant dans la rue devient un dangereux extrémiste méritant l'assignation à résidence. C'est pourquoi personne ne vous dira si le site que vous visitez enfreint la loi ou non, il ne sera pas désactivé, ni bloqué, et vous ne le saurez qu’après avoir été pris sur le fait.

Car saviez-vous de surcroit que depuis la loi Renseignement adoptée le 24 juin 2015 un fonctionnaire rudimentaire peut surveiller discrètement et impunément vos communications (courriel, téléphone, textos), le contenu de votre « nuage » et votre navigation sur internet ?

Et comme l'état d'urgence actuel, qui autorise l’intervention non motivée des forces de l’ordre en pleine nuit à votre domicile, est en voie de devenir permanent (jusqu'à la chute de l'État islamique aurait déclaré le Premier pitre du gouvernement), un commando de brutes excessivement armées est peut-être déjà dans votre cage d’escalier sur le point d'exploser votre porte, alors qu’elle n'est pas fermée à clef et qu’il suffirait de tourner la poignée.

Tout cela ne vous rappelle rien ?

Allez, on plaisante, c'est de la fiction. Depuis que vous suivez les conseils de Ce Glob est Plat vos communications électroniques sont protégées par un réseau privé virtuel (VPN), vous êtes anonymes et vous ne laissez plus rien filtrer de vos faits et gestes.


Maison de la banlieue parisienne venant de faire l'objet d'une visite, courtoise car la porte d'entrée est intacte, dans le cadre des lois d'exception.

samedi 8 août 2015

Histoire sans paroles (18)

Ronda, 17 juillet 2012.

À l'adresse des personnes qui approuvent la loi opportuniste adoptée en juillet par l'Assemblée Nationale et qui autorise une surveillance généralisée des échanges entre citoyens (loi Renseignement), rappelons cette pensée d'Edward Snowden « Soutenir que vous êtes indifférents au droit à la vie privée parce que vous n’avez rien à cacher revient à dire que vous vous contrefichez de la liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire. »
 

dimanche 19 juillet 2015

Renseignements

Art rupestre, Regards par Jean Faucheur, fort d’Aubervilliers, juillet 2014

Il y a bien longtemps que les murs ont des oreilles.

Déjà en 1694, le dictionnaire de l’Académie françoise nous mettait en garde. Depuis les murs ont été équipés de tous les organes utiles à la surveillance généralisée.
On sait que nos rues sont envahies d’yeux.
Il parait que tous les sondages, payés par les intéressés, démontrent qu’une confortable majorité de la population, qui n’a rien à se reprocher et qui a très peur du terrorisme tel qu’il est exalté dans la Presse, est favorable à ces mesures d’espionnage généralisé. Il suffit d'appeler cela « protection ».

La Boétie également nous avait prévenus, en 1548 dans son Discours de la servitude volontaire « Quel est ce vice horrible, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés ? »
Jean Faucheur, artiste de rue, aura beau affubler de sourires rassurants tous ces yeux qui nous scrutent, il est trop tard.

Nous sommes les seuls responsables de notre propre servitude.
   

Mise à jour : Le 24 juillet 2015, tout est consommé. Les instances censées contrôler la constitutionnalité de la loi Renseignement promue par un gouvernement socialiste se sont déculottées. La France, pays des libertés, peut donc impunément surveiller massivement le contenu des échanges et le comportement sur Internet de tous ses concitoyens, sans demander d'autorisation à quiconque, sans contre-pouvoir, comme dans les bonnes vieilles démocraties populaires de Chine et de Corée du nord. 
Il est temps pour tous de s'équiper d'un réseau privé virtuel (VPN), à l'étranger, c'est un abonnement de quelques euros par mois.

samedi 19 juillet 2014

Mitraillez !

C'est certain, le chômage redouble, les avions s'écrasent encore et encore, les centrales nucléaires fuient de partout. Mais on s'y fait, par peur de perdre quelque chose, car il faudrait tout détruire et tout reprendre à zéro.

Et pourtant la révolution est en marche. La nouvelle est tombée très discrètement le lundi 7 juillet 2014. Le gouvernement français faisait paraitre sur le site du ministère de la Culture une page frileusement audacieuse intitulée « Tous photographes ! La charte des bonnes pratiques dans les établissements patrimoniaux ». Il s'agit d'une charte de cinq articles applicable dans tous les musées et monuments nationaux.

Article 1. Le photographe doit désactiver le flash de son appareil. Qui ne le fait pas, au moins pour éviter les reflets désagréables ?
Article 2. Il n'abime pas ce qu'il photographie. Sans rire.
Article 3. L'article le plus important et néanmoins le plus sibyllin, ou le moins précis. Le visiteur peut partager ses photos comme il le désire, mais dans le cadre de la législation en vigueur. En bas de page, des liens renvoient vers les textes en vigueur. Rappelons, pour simplifier, que dans ces lieux publics, même la photo des œuvres encore protégées par des droits d'auteur ne peut pas être interdite, c'est leur utilisation en dehors d'un cercle privé qui l'est.
Article 4. Le photographe demande son accord avant de photographier le personnel comme sujet principal. Comme il le ferait pour tout autre personne.
Article 5. Il demande une autorisation spécifique s'il veut utiliser du matériel supplémentaire. L'article vise probablement les pieds photographiques, ou des éclairages complémentaires.

Il n'est écrit nulle part explicitement que le visiteur peut toujours photographier tout ce qu'il veut dans les musées et monuments du patrimoine, mais comme on précise ce qu'il ne doit pas faire, on supposera que tout le reste lui est permis, implicitement.
Et il y aura certainement des établissements récalcitrants qui useront d'arguties juridiques, car c'est par exemple un réel camouflet pour le baron du musée d'Orsay qui avait obtenu récemment le soutien d'un ministre congédié depuis de la Culture pour interdire toute photographie dans l'enceinte du musée.

Finalement elle n'a peut-être l'air de rien, ou d'une gélatine informe, mais si cette charte est appliquée et devient un droit, c'est une part d'arbitraire et d'abus de pouvoir qui échappera aux marchands de cartes postales et aux voleurs de souvenirs.

Alors mitraillez, mitraillez tout ! C'est désormais autorisé.


Si la photographie n'avait pas été permise dans le musée de Rennes, comment aurait-on appris la lâche agression du pape Jean-Paul 2 par une météorite non identifiée, durant sa visite de l'établissement ? (Maurizio Cattelan, La Nona Ora, sculpture 1999).

dimanche 9 juin 2013

Vive Taco Dibbits !


Taco Dibbits est directeur des collections du Rijksmuseum, le musée des arts hollandais à Amsterdam. Bien qu'il ne représente qu'un microcosme restreint à l'art hollandais (à part une collection d'art oriental), et qu'il n'ait pas l'envergure internationale des plus grands temples de l'art, tout le monde pense qu'il est un des plus beaux musées du monde.

Car, comme la National Gallery de Londres ou le Prado de Madrid plus récemment, le Rijksmuseum présente depuis quelques années sur son site Internet une grande partie de ses collections dans de magnifiques reproductions en haute définition et accessibles à tous sans restriction.
Pire encore, dans une entrevue récente citée par le New York Times, Taco Dibbits persiste dans ses idéaux libertaires et encourage le téléchargement et la réutilisation à outrance dans les réseaux sociaux des splendides reproductions qu'il met à disposition gratuitement.

Ses arguments sont des plus simples. Le musée est une institution publique, ce qu'il expose appartient à tous. Et comme il est impossible de contrôler l'utilisation des reproductions qui circulent sur Internet, autant qu'elles soient de la plus haute qualité possible plutôt que les mesquines copies pisseuses qu'on y voit habituellement.
« Même sur du papier-toilette, je préfère voir une reproduction d'un Vermeer du musée en très haute qualité » déclare-t-il.

Il a raison. La renommée d'un musée ne se fait certainement pas en y interdisant toute photographie et en présentant sur son site des reproductions anémiées et affublées de droits d'auteurs illégalement accaparés. Cette méthode, choisie par le musée d'Orsay, avec la bénédiction d'un ministre qu'on dit de la culture, condamne irrémédiablement un musée. Qui peut avoir envie de faire un long voyage pour visiter un musée dont il ne connait que de tristes clichés ?

Le nouveau site du Rijksmuseum, pour marquer la réouverture du musée après dix ans de travaux, présente aujourd'hui des reproductions d'une qualité exceptionnelle et qu'on croirait repeintes pour l'occasion. Signalons aux collectionneurs de liens qu'il sera nécessaire de renouveler ceux qui pointaient auparavant vers les tableaux du musée, car ils conduisent désormais dans le vide.

Pour la plupart des touristes du monde qui n'ont pas les moyens de naviguer autrement que sur Internet et n'iront jamais à Amsterdam, le Rijksmuseum est l'un des plus beaux musées du monde, loin devant les médiocres musées français comme le Louvre et Orsay.
Et ce portrait de jeune fille en robe bleu (détail en illustration ci-dessus) peint par Johannes Cornelisz Verspronck en 1641 est certainement pour eux le plus beau tableau du monde.

Maudits soient les revendeurs de cartes postales.
Béni soit Taco Dibbits.


vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.