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dimanche 24 août 2025

Histoire sans paroles (58)

Grenier du château de Meung-sur-Loire, 2024.


Les pleins, les déliés, les barres de t, ce que j'aime, c'est les jambes des m quand elles sont bien rondes, les l, ça fait une feuille, le v avec la boucle, on avait de la craie partout, comme si on était pleins de sucre, je vous dis, c'est des souvenirs de vieille dame, je pourrais vous dire aussi comment l'instituteur il nous tirait les cheveux ! 

Gourio J.M, Le petit troquet des brèves de comptoir, 2015


mardi 5 août 2025

Histoire sans paroles (57)

   
Histoire sans paroles ? Pas vraiment ; les légendes ne manquent pas sur ce mégalithe inattendu au coin d’une cathédrale.

Voilà 4 ou 5000 ans, quelque part au bord d’un fleuve qu’on appellera la Sarthe - une des trois grandes rivières qui confluent avant de se jeter dans la Loire - près d’une petite industrie lithique d’avant l’homo sapiens, un groupe d’humains assemble et érige quelques mégalithes sur une butte, un dolmen dit-on, et un menhir.  

Du temps passe. Sur la colline, autour du monument, une ville a grandi que les Romains viennent civiliser, puis défendre d’une enceinte qui peu à peu s’effrite, pressée par la ville médiévale. Près des mégalithes est alors bâtie une cathédrale, hétéroclite parce que la construction prendra des siècles. 

Un jour incertain, le menhir d’une dizaine de tonnes est déplacé à l’angle nord-ouest de la cathédrale, et le dolmen disparait. Une légende fait remonter ce jour au temps de Charlemagne et de la première église, une autre à l’époque de la construction de la partie occidentale romane de la cathédrale, au 12ème siècle. 
François Dornic, qui a dirigé l’édition de l’Histoire du Mans et du pays manceau, chez Privat en 1975 et 1988, connait la vérité. Il place ce jour exactement en 1778, dit l’encyclopédie Wikipedia. Peut-être aura-t-il trouvé l’information chez le très érudit André Bouton, dans "Le Maine, Histoire économique et sociale", vers 1962.
Ailleurs on ajoute que l’opération aurait été commandée par le clergé pour faire cesser l'autre superstition, celle des rituels païens, si près de la cathédrale. 

Mais dans le copieux journal de Nepveu de La Manouillère, chanoine à la cathédrale du Mans, l’année 1778, où il décrit avec force détails gastronomiques et plus de 1000 mots les agapes offertes le 20 janvier à l’évêque du Mans (ne manquaient que les truffes), et où il décrit en une ligne le 20 mars la pendaison d’un homme qui s'était servi dans le tronc d’une église, l'année 1778 ne fait pas la moindre allusion à la pierre levée, ni les années autour de 1778.
C'est ce qu’un dessin de l’inépuisable Louis Boudan, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale de France, corrobore en démontrant que le menhir était déjà à l’angle de la cathédrale en 1695 (incidemment, le socle destiné à redresser le menhir et qui semble en agréger des débris n’existait pas en 1829).

Décidément, tout est à réécrire dans cette histoire.



jeudi 27 février 2025

Histoire sans paroles (55)


Dans La connerie, un moteur de l'histoire, extrait du recueil Histoire universelle de la connerie, JF Dortier écrit :

"À Beauvais, l’évêque décide de construire la plus haute tour de toute la chrétienté : "Nous construirons une flèche si haute, qu’une fois terminée, ceux qui la verront penseront que nous étions fous." [en réalité cette citation, répétée par tant de sites qui parlent de Beauvais, est apocryphe. Elle n'existe dans aucune source d'époque et fleure bon la sensiblerie romantique] Terminée en 1569, la flèche de la cathédrale atteignait 153 mètres de haut. Elle n’est restée debout que quatre ans. Le jour de l’Ascension [1573], à la sortie de la messe, on entend un grondement : en quelques secondes, la flèche et le clocher [qu'elle surmontait] s’effondrent. Elle ne fut jamais reconstruite."

Pour mémoire, la voute du chœur de ladite cathédrale, terminée en 1272, encore aujourd'hui la plus haute parmi les cathédrales gothiques, à 48,5 mètres, s'était en partie effondrée en 1284 (voir quelques images de l'intérieur de l'infirme après 750 ans. Âmes sensibles s'abstenir).

Mise à jour le 18.05.2025 : de gros travaux initialisés en 2022 aboutiront, dit-on, à la suppression totale des énormes poutres de soutènement vers 2027.

vendredi 10 janvier 2025

Histoire sans paroles (54)

Sumac vinaigrier, château d'Angers, 19 octobre 2022

Youpi ! Encore un record ! C'est la fête !

D’accord il y a les guerres, les massacres, les virus, les présidents cinglés, les ouragans, les catastrophes, tout se multiplie, mais il y a aussi des performances toujours croissantes, des records continuels, des gros titres dans les journaux ! 
C’est une satisfaction, on restera informés jusqu’à la fin.

 

mardi 19 novembre 2024

Histoire sans paroles (53)


Le petit coin des papotages et chuchotements dans la basilique de Vézelay (800 000 touristes l’an, le double des Hospices de Beaune disait-on fièrement en 2013).
Ici, à l'abri des murs épais, on se croit dans l’isoloir ou le confessionnal, et on raconte le meilleur et surtout le pire ; le pèlerinage vers Compostelle et le commerce de la région dynamisés par l’arrivée providentielle de reliques de sainte Marie-Madeleine en 882, quelques bouts d'os seulement ; les lourdes servitudes d’hébergement des pèlerins imposées aux habitants de la ville par les abbés de Vézelay ; leurs querelles avec les abbés de Cluny et les comtes de Nevers ; la charge intenable de la taxe de financement des perpétuels travaux de reconstruction de l’église ; enfin la révolte de la population et vers 1106 le meurtre du seigneur, prêtre et abbé de Vézelay, l'abbé Artaud, geste libérateur, mais pour peu de temps, comme toujours. Une trentaine d’années moins insupportables.
Sous la voute du transept on perçoit surtout l'écho des consonnes sifflantes, et se susurre ici le nom de l’assassin du saint homme, un certain Simon, serf à l’abbaye. 

lundi 8 juillet 2024

Histoire sans paroles (52)


L’affaire de la crue de la Seine
Fin janvier 1910, en quelques jours, Paris s’est crue Venise. La préfecture de police envoyait alors les inspecteurs de l’identité judiciaire. Ils inspectèrent, prirent des mesures, réfléchirent. Le citoyenmarchant sur l’eauattendait un responsable.
Un siècle plus tard, le suspect court encore et menace toujours. Mais pas d’inquiétude, la science a progressé, elle connait le coupable et le surveille. Et en cas de récidive, elle est préparée, elle a inventé un nouveau mot : la résilience des populations.
 
Ci-dessous, Porte de la Gare, Paris 13ème, le 31 janvier 1910.

dimanche 28 avril 2024

Histoire sans paroles (51)


On reprochera peut-être au photographe de s’être préoccupé d’une plaque d’égout et des traces d’une sortie de garage, alors qu’il avait à 50 mètres un point de vue sur la façade occidentale de la cathédrale Saint-Maurice, à Angers.
C’était peut-être volontaire, elle est à moitié dans les cartons depuis si longtemps - ici en octobre 2022.

Pour résumer la situation - n’oublions pas qu’on est dans une Histoire sans paroles - il y avait dans le temps un porche, une vaste galerie qui prolongeait la nef de la cathédrale, un narthex, un caquetoire, voire une galilée disent les vrais spécialistes en désaccord avec Monsieur Larousse sur le genre de la chose. De style vaguement gothique construite à la Renaissance elle protégeait un épisode de l’Apocalypse de Jean, sculpté autour du tympan du portail et peint de diverses couleurs dont certaines du 12ème siècle. Très dégradée la galerie avait été détruite en 1806, offrant l’Apocalypse aux intempéries. Cependant les sculptures avaient été recouvertes d’un badigeon de chaux protecteur, qui s’encrassait depuis deux siècles.
Un jour quelque décideur s’intéressa au portail. C’était, voilà une quinzaine d’années, le début d’une longue période d’analyses et d’expertises. Il fut décidé de restaurer le portail et ses sculptures et de les protéger temporairement dans un coffre de planches en attendant l’édification d’une solution architecturale moderne, œuvre d’un célèbre architecte japonais choisi par le ministère de la Culture. 
L’ambitieux projet a pris naturellement un retard pour l’instant modeste. L’inauguration de la nouvelle galerie envisagée vers l'été 2024 se ferait plutôt vers la fin 2025. 

Le photographe pourra alors immortaliser cette façade occidentale occultée depuis 15 ans, embellie par un geste architectural contemporain, où l’artiste japonais dit avoir respecté les proportions du nombre d’or, ce qui, comme tout placebo, ne peut pas faire de mal, et où il affirme, contredisant avec bonne humeur un architecte inquiet et un peu trop minutieux assistant à sa conférence, que la lumière du soleil des soirs d’été ne touchera jamais de ses néfastes rayons directs les sculptures aux couleurs ressuscitées.

dimanche 17 mars 2024

Histoire sans paroles (50)

Mark Rothko, sans titre 1969, dernier tableau de la rétrospective chronologique à Paris en mars 2024. 
Dans les années 1930 Rothko peignait des scènes couvertes de formes évoquant des personnages qu’il disait mythologiques, dans les années 40 ces formes devenaient des taches floues aux teintes vives, dans les années 50 les taches se dilataient en grands aplats horizontaux aux couleurs intenses, dans les années 60 les couleurs s’assombrissaient progressivement, pour disparaitre dans une dernière série de rectangles, comme des paysages gris au ciel noir. Le peintre se suicidait en février 1970. On se demandait alors où étaient passées toutes les couleurs.

lundi 30 octobre 2023

Histoire sans paroles (47)

Encore un drame de la mer, dans la plus parfaite indifférence.

jeudi 20 juillet 2023

Histoire sans paroles (45)

Vous ne supportez plus l’azur, l’azur encore, les vacances, les foules à l’état pâteux, les loisirs de masse ?
Alors choisissez L’enfer, c’est à Thiers dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne.
On se croit avertis, on pense que l’Enfer est une abstraction, une chimère, une hantise de simple d'esprit, alors qu’il est là, près de nous, rafraichi par les cascatelles de la rivière Durolle. 
Vous y serez sans doute seul, mais pas pour longtemps. Bientôt nous y serons tous.

samedi 24 juin 2023

samedi 22 octobre 2022

vendredi 26 août 2022

Le marché au détail (2 de 3)

Suite des détails d’œuvres passées sur le marché des ventes publiques ces dernières années. Présentation toujours plus laconique. Ici les détails sont verticaux.



Liste des détails 


01 : Cercle de Gerard David - Vierge et ange - Dorotheum

02 : Anonyme vers 1880 - Nu de dos - Dorotheum 2020 

03 : Gérôme JL - Madeleine Gérôme - Dorotheum 2022 

04 : Schinwald - Hannah 2013 - Doyle 2020

05 : Van Gelder Nicolaes. - Poule - Dorotheum 2022

06 : De Vos, Hulst - Combat de chats - Artcurial 2022

07 : Heem, Cornelis - Nature morte aux fruits - Heim

08 : Fris J. - Vanité au casque - 2022

09 : Vida, Gabor - Chez l'armurier - Dorotheum 2021

10 : Anonyme France - Scène de déluge inachevée - Artcurial 2018

11 : François de Nomé, Desiderio - Enée - Artcurial 2022 

12Benjamino de Francesco - Ferdinand 2 de Sicile catacombes San Gennaro - Dorotheum. 2022 

13 : Vernet (atelier) - Pêcheurs - Bonham's 2022 

14 : Robert Hubert - Lavandières dans un bain romain - Sotheby's 

15 : Fuchs Richard - Porte au Maroc - 2022

16 : Fisher, Ludwig Hans - The Khamsin - 2021

17 : Molenaer Claes - Toilettes - Dorotheum 2021

18 : Dorth - Planches - Artcurial 2019


Fin des détails (3 de 3)...



samedi 20 août 2022

Le marché au détail (1 de 3)

Lorsque parut en 1992 "Le détail, pour une histoire rapprochée de la peinture", livre de Daniel Arasse, médiatique historien de l’art, tout le monde s’exclama en chœur, reprenant le commentaire auto-promotionnel du livre, qu’il ouvrait un nouveau domaine remettant en question les catégories de l’histoire de l’art. Rien que ça !

En fait le brillant Arasse reconnut lors d’un entretien que c’était parce qu’il s’ennuyait tellement dans les musées, devant ces milliers de portraits identiques, ces paysages semblables et ces allégories religieuses vues et revues, qu’il s’était mis à y rechercher l’anecdote originale, le détail inattendu que le peintre ajoute, plus pour agrémenter son travail, pour éviter, lui aussi, l’ennui, que pour insinuer de profondes cogitations intelligibles aux seuls érudits - comme les rêvait monsieur Arasse. Il aurait même trouvé une tache équivoque (sans doute visible seulement de son esprit) sur la robe couverte de fleurs imprimées de madame Moitessier, qu’Ingres mit si longtemps à peindre, tache qui représenterait, d’après l’historien très inspiré par les billevesées freudiennes, le propre désir du peintre.

En réalité Arasse dans son livre n’inventait rien, sinon ses propres fantaisies. Il suffit de fréquenter un peu les musées et d’écouter les remarques du public, pour constater qu’il s’intéresse avant tout au détail, aux riens qui dévoileraient quelque intention de l’artiste. C’est une impulsion humaine et un biais commun que de voir des desseins partout. C’est même le rôle social de l’art que d’échanger ces points de vue hasardeux, comme au comptoir d’un bistro.
Arasse l’intellectuel, curieux comme tout le monde, a écrit ce livre pour justifier sa passion du détail et son penchant excessif pour le particulier et ses significations imaginaires. Il y échafaudait, comme dans ses autres livres, sur Vermeer par exemple, de laborieuses constructions intellectuelles et en déduisait des conclusions souvent discutables, mais si personnelles et érudites qu’il aurait été épuisant et inutile de les discuter. 

Conscient que tout commentaire non informé sur un objet d’art n’est que l’expression des préoccupations rarement palpitantes du commentateur, nous consacrerons trois chroniques à la présentation de détails d’œuvres passées sur le marché des ventes publiques ces dernières années, mais sans donner de lien vers le tableau entier, sans commentaire, sinon le nom de l’artiste, un vague titre de l’œuvre, et la maison ou la date de la vente. Ça reposera l’auteur de ces lignes, et un peu de recherche sur le site des maisons de ventes devrait permettre aux curieux de retrouver les œuvres en question.  

Aujourd’hui les détails seront panoramiques. On jugera peut-être que ce sont presque des vues d’ensemble, mais regardez bien, elles fourmillent de détails.


Liste des détails 


01 : Brandeis, Antonietta - Venise San Marco - Sotheby’s 2021

02 : Van der Heyden, Jan - Jardin Palatif - Sotheby’s 

03 : Robert, Hubert - Lavandières dans un palais - Sotheby’s 

04 : Shikler, Aaron - Wedding preparation - Doyle 2020

05 : Werner C. - Mur des lamentations - Sotheby’s 2021

06 : Barbault, Jean - Caprice romain - Sotheby’s

07 : Falcone, Aniello - Soldats en nocturne - Dorotheum 2021

08 : Coleman M.B. - In the Rockies, Blackfeet - Christie’s 2020

09 : Frère, Théodore - Caravane, La Mecque - Artcurial 2018

10 : Heilmaye, Karl - Venise - Dorotheum 2019

11 : Rieger, Albert - Miramare castle - Dorotheum 2020 

12 : Vida, Gabor - Alchimiste - Dorotheum 2020 

(voir de Vida de belles reproductions dans les commentaires plus bas)

13 : Vernet C.J. - Naufrage - Sotheby’s 2021 

14 : Goetzloff - Baie de Naples - Dorotheum 2021 

15 : Le Royer, Léon - Lecture - Millon

16 : Wyeth, Andrew - Ring road - Christie’s 2021



mercredi 3 août 2022

"Détruire, disent-elles", une variante

Marc Chagall est un peintre très apprécié parce que ses tableaux sont frais et enfantins, que tout le monde s’aime et y vole dans les airs, humains, chevaux, et même les anges, et joue du violon. Les vaches aussi. Et il y a des couleurs, du bleu, du jaune, du rouge et du vert, notamment. C’est en quelque sorte le Peynet de la peinture moderne. Une telle simplicité suscite inévitablement des imitateurs.

Madame X, riche, distinguée et américaine, avait acheté aux enchères chez Sotheby’s en 1994, contre 180 000$ d'aujourd'hui, une aquarelle du maitre dont elle s’était amourachée jusqu’à l’accrocher dans sa chambre à coucher.
Pour la maison de ventes le pédigrée de l’œuvre ne faisait alors aucun doute et elle jugea inutile de le présenter au comité Chagall, organe créé en 1988, après la mort du peintre, par ses petites-filles devenues légalement juges ultimes en matière d’authenticité des œuvres de leur grand-père.

En 2020, par manque de place et par désaffection, madame X, toujours conseillée par Sotheby’s, décidait de se défaire de l’œuvre. Sotheby’s proposait de la soumettre à l’expertise du comité Chagall, simple formalité qui renforcerait grandement sa valeur marchande, et faisait signer à l’ingénue intéressée la clause classique d’irresponsabilité de la maison de ventes quant aux résultats de l’expertise.

Hélas, trop accaparée par une longue vie de réceptions et de bienfaisance, madame X n’avait pas eu le temps de lire notre chronique du 26 avril 2014, où la même maison d'enchères avait vendu en 1992, pour 240 000$ actualisés, un tableau du même peintre à un collectionneur anglais, et où croyant en tirer quelque profit, ledit amateur insulaire l’avait soumis 20 ans plus tard au comité du même nom, et s’était vu en retour prié par la justice de détruire l’œuvre devant huissier en tant que faux, et de payer tous les frais de procédure.

Le respect de la réglementation sur les droits d’auteurs interdit de reproduire ici des œuvres de Marc Chagall avant l'an 2056. C'est regrettable, c'est imbécile, mais c'est la loi. Il faut bien que les héritières du comité Chagall aient les moyens de payer les timbres des centaines de lettres de refus (parfois surtaxées vers l'étranger) et d'entretenir le bucher des œuvres qu'elles excluent du catalogue. En compensation, voici une photo de vacances absolument incongrue qui aurait mieux illustré notre rubrique d’histoires sans paroles stagnante depuis juillet 2021.


Le comité déclara en 2020 que l’aquarelle de madame X présentait effectivement les thèmes récurrents chers à Chagall, les amoureux, le bouquet, le cheval, le coq, le croissant de lune, mais qu’ils "manquaient de réelle présence" et que c’était un faux inspiré d’autres tableaux du maitre. Les mêmes causes ayant, en règle générale, à peu près les mêmes effets, le comité prévoyait, conformément à la loi française, d'en demander à la justice la saisie et la destruction. 

Évidemment fort déçue, madame X poursuit maintenant la société de ventes en justice.
Sotheby’s, qui en a vu d’autres, rétorque que l’action n’a aucun fondement juridique puisque le délai pendant lequel elle garantit l’authenticité des œuvres, qui est de 5 ans, est ici largement dépassé. Cependant magnanime, elle accorde à madame X un avoir de 18 500$, qui représenterait le bénéfice fait sur la vente de 1994.

Nous retiendrons donc de cette mésaventure qu’en matière d’œuvres d’art l’authenticité expire précisément 5 ans après la vente, après quoi elles peuvent bien être attribuées à n'importe qui, mais qu’une certaine part de repentir ou d'excuse du vendeur, représentant environ 20% du montant de la transaction, reste envisageable après ce délai, geste qui permet de réduire d'autant la déception de l’acheteur. 

Retenons également des bévues de la maison Sotheby’s sur Chagall qu’elle n’est pas véritablement experte en la matière. Depuis 9 ans, elle n’a proposé à la vente qu'environ 3200 Chagall dits authentiques, dont seulement 80 à 90 ont dépassé un million de dollars, et c’est un hasard si les 2 Chagall jusqu’à présent les plus chers en vente publique l’ont été le 14 novembre 2017, lors d’une même vente, pour 16 000 000$ et 28 500 000$, exactement à New York chez Sotheby’s.

vendredi 23 juillet 2021

Histoire sans paroles (42)


Voici ce que racontera un jour la légende dorée du peintre Claude Monet, à propos de ce petit édifice au bord de la falaise qu’on a longtemps prétendu abriter une sirène de brume, à Port-Coton sur Belle-Ile-en-Mer. 
 
Quand Monet aborda Belle-Ile en septembre 1886, et qu’il en découvrit la côte atlantique battue par les flots, l’œil de l’artiste sentit immédiatement le potentiel artistique de ces intrépides rivages qui résistaient à la violence de l’océan. 
C'était l’automne, les grandes marées, les tempêtes. Le grand homme se mit comme à son habitude à peindre en plein air, mais très vite les rafales de vent emportaient palettes et toiles l’une après l’autre. Bientôt l’ile n’aurait plus assez de bois pour confectionner les chevalets, cadres et pinceaux du maitre. 
Il demanda alors à Poly Guillaume, son portefaix sur l'ile, de lui consolider un abri sur les restes d’un petit édifice en ruine qui avait certainement servi aux feux tentateurs de naufrageurs. Mais le dévoué serviteur, s'il excellait dans le ravitaillement quotidien en homards (« jusqu’au dégout » écrit Monet), n’était pas suffisamment versé dans l'art délicat de la plomberie et en voulant ajouter au confort du grand homme une évacuation des eaux usées digne de son rang, il foira légèrement l'opération, ce qui fit s’effondrer une partie de la côte dans les flots, laissant seulement et opportunément la petite chambre de Monet au bord d'une nouvelle falaise et d'un chaos de rochers acérés.
L’artiste, avec un sens subtil de l’à-propos, rentabilisa alors ce point de vue inédit, qui devint les fameuses Aiguilles de Port-Coton, sur 39 superbes tableaux réalisés en 70 jours, terminés de retour à Giverny, et qu’on peut admirer maintenant dans les grands musées américains
 
Illustration : l'humble atelier du grand Monet sur la falaise qui surplombe les Aiguilles de Port-Coton. On notera, dans la fissure à droite et à la surface, que l’occupant allemand, 50 ans plus tard lors du deuxième conflit mondial, conscient de l’importance historique des lieux, a creusé ses souterrains dans la roche sans dénaturer le paysage.