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mardi 5 août 2025

Histoire sans paroles (57)

   
Histoire sans paroles ? Pas vraiment ; les légendes ne manquent pas sur ce mégalithe inattendu au coin d’une cathédrale.

Voilà 4 ou 5000 ans, quelque part au bord d’un fleuve qu’on appellera la Sarthe - une des trois grandes rivières qui confluent avant de se jeter dans la Loire - près d’une petite industrie lithique d’avant l’homo sapiens, un groupe d’humains assemble et érige quelques mégalithes sur une butte, un dolmen dit-on, et un menhir.  

Du temps passe. Sur la colline, autour du monument, une ville a grandi que les Romains viennent civiliser, puis défendre d’une enceinte qui peu à peu s’effrite, pressée par la ville médiévale. Près des mégalithes est alors bâtie une cathédrale, hétéroclite parce que la construction prendra des siècles. 

Un jour incertain, le menhir d’une dizaine de tonnes est déplacé à l’angle nord-ouest de la cathédrale, et le dolmen disparait. Une légende fait remonter ce jour au temps de Charlemagne et de la première église, une autre à l’époque de la construction de la partie occidentale romane de la cathédrale, au 12ème siècle. 
François Dornic, qui a dirigé l’édition de l’Histoire du Mans et du pays manceau, chez Privat en 1975 et 1988, connait la vérité. Il place ce jour exactement en 1778, dit l’encyclopédie Wikipedia. Peut-être aura-t-il trouvé l’information chez le très érudit André Bouton, dans "Le Maine, Histoire économique et sociale", vers 1962.
Ailleurs on ajoute que l’opération aurait été commandée par le clergé pour faire cesser l'autre superstition, celle des rituels païens, si près de la cathédrale. 

Mais dans le copieux journal de Nepveu de La Manouillère, chanoine à la cathédrale du Mans, l’année 1778, où il décrit avec force détails gastronomiques et plus de 1000 mots les agapes offertes le 20 janvier à l’évêque du Mans (ne manquaient que les truffes), et où il décrit en une ligne le 20 mars la pendaison d’un homme qui s'était servi dans le tronc d’une église, l'année 1778 ne fait pas la moindre allusion à la pierre levée, ni les années autour de 1778.
C'est ce qu’un dessin de l’inépuisable Louis Boudan, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale de France, corrobore en démontrant que le menhir était déjà à l’angle de la cathédrale en 1695 (incidemment, le socle destiné à redresser le menhir et qui semble en agréger des débris n’existait pas en 1829).

Décidément, tout est à réécrire dans cette histoire.



jeudi 20 février 2025

Vaut le détour en 2025



Les musées où vous n’irez pas en 2025


Il y a bien longtemps que l’amateur de musées provinciaux*, devenu par force philosophe - ou peut-être l’était-il déjà, pour préférer les musées paisibles et inactuels - ne se formalise plus des déconvenues qu’il essuie régulièrement dans l’exercice de sa passion. 


* On aura regroupé dans cette expression de musées provinciaux ceux dont la vente des billets d’entrée ne produit qu’un revenu marginal, anecdotique, compte tenu du nombre modeste de visiteurs payants. On pourra ainsi trouver quelques musées provinciaux dans Paris même. Ce sont des musées dont la fréquentation est décente et la visite détendue, décontractée, pour tout dire, provinciale.


Soulagés de la pression des performances de fréquentation, ces musées peuvent administrer leur existence sans trop se soucier du visiteur, et c’est peut-être pour cela qu’on a toujours l’impression qu’ils ferment leurs portes pour de longues années de travaux précisément au moment où on espérait passer quelques jours dans leur région.

C’est évidemment un jugement biaisé. Tous les musées s’usent, et les plus fréquentés s’usent certainement le plus vite ; à Paris le musée d’Art Moderne de Beaubourg, qui enregistre plus de 3 millions de visites l’an, fermera cette année pour 6 ans, pour la deuxième fois en moins de 50 ans d’existence (et on sait que ces longs projets sont systématiquement sous-évalués, pour être approuvés plus facilement par les décideurs) ; On se rappellera également que le plus grand musée hollandais, le Rijksmuseum à Amsterdam, qui n’est pas un musée provincial, fut presque totalement fermé de 2003 à 2013. 


Les motifs de fermeture, évidemment légitimes, sont toujours les mêmes. Citons, pour résumer, les explications du musée de Toulouse, poncifs réutilisables partout sans copyright "De nouveaux travaux se sont avérés absolument nécessaires ces dernières années afin de résoudre des problèmes structurels, d'améliorer l'accessibilité du musée et de répondre aux normes récentes de sécurité et de protection incendie*. Ces chantiers successifs intègreront aussi des travaux pour répondre plus spécifiquement aux nouvelles attentes des publics en termes de confort, de parcours de visite, d'accès et de mise en valeur des collections."


* Un lectorat espiègle verra de l’ironie dans le motif répondre […] aux normes de protection incendie, qui sait que la plupart des incendies dans les monuments historiques surviennent justement pendant des travaux de réfection, comme en 2019, quand une défaillance électrique faillit être fatale à la cathédrale de Paris.  


Aussi, pour éviter en 2025 ces déceptions qui nuisent tant à l’égalité de l'humeur, il conviendra, si vous êtes avides d’art, d’histoire et de sciences naturelles, de préparer avec soin vos pérégrinations muséales. 


Voici quelques exemples de villes françaises à éviter, hélas, en 2025 :


Bayonne : le Musée des beaux-arts, musée Bonnat-Helleu, célèbre naguère pour ses collections de peintures et de dessins, est fermé depuis 2011 ! Et sa réouverture est prévue pour l’été 2025 ! Ne vous y précipitez pas, prenez des garanties avant de faire le voyage.


Beauvais : le Musée de l’Oise, MudO est ouvert. Mais depuis 2020 le beau palais Renaissance est fermé pour travaux sans date claire de réouverture, à l’exception d’une petite aile presque vide dont l’entrée est gratuite.


La Rochelle : le Musée des beaux-arts est fermé depuis 2018 - et rouvrira un jour "La rénovation du bâtiment devient alors un projet majeur avec de multiples enjeux, et sa réouverture dans les prochaines années n’en sera que plus spectaculaire. L’une des particularités du musée est son importante collection d’œuvres qui ne pouvaient être exposées qu’à 10%, faute de place. Gagner des mètres carrés est un des enjeux parmi d’autres de la future rénovation." Ne pas citer de date pour la réouverture est prudent. On lit parfois 2026…


Le Mans : le musée de Tessé, d’art et d’archéologie, est fermé depuis 2016 (à vérifier) ; des article du Journal des Arts et d’un journal local détaillaient en 2022 les bouleversements muséologiques planifiés par la mairie jusqu’en 2026 ; réorganisation inintelligible, articles incompréhensibles ; trouver des informations fiables sur les musées manceaux est une aventure en soi. Il est pourtant possible que le musée soit actuellement ouvert (peut-être même depuis 2024, quand on apprend qu'il ferme accidentellement) ; on est cependant rassurés d’apprendre sur le site que le musée ouvre presque tous les jours aux horaires habituels, mais l’année n’est pas précisée.


Nancy : le Musée lorrain, parmi les plus importants musées d’art et d’histoire en France, se proclame-t-il,  n’expose plus ses 5 exceptionnels tableaux de Georges de La Tour depuis le lancement de la rénovation du Palais des ducs de Lorraine, en 2018. Les polémiques patrimoniales et divers obstacles juridiques semblent dissipés depuis 2024 seulement, mais la date de réouverture en 2029, annoncée dès 2018, est maintenue malgré le temps perdu.


Sens : le Musée de Sens est fermé en 2025 et rouvre en 2026, dit un laconique message de vœux. Vous ne verrez donc pas avant 2026, au mieux, cette superbe vue, par Adolphe Guillon, de la colline de Vézelay en contrejour coiffée de sa célèbre basilique vers 1880 (illustration ci-dessus).


Valenciennes : la très belle et riche collection du Musée des beaux-arts était invisible en 2014 et 2015 pour des travaux de rénovation, puis à nouveau depuis 2021 (à quelques interruptions près) pour des travaux de rénovation encore plus nouveaux et monumentaux, en application de grandes méditations qu’on découvre dans le verbiage creux d’une jolie brochure diffusée par la mairie (lire le résumé page 17 suffit). L’objectif est d’accompagner l’entrée du musée - qui ne sera alors plus un musée mais un lieu de vie - dans le 21e siècle. Quelqu’un pourrait prévenir la municipalité que ce siècle est déjà bien entamé et qu’il s’agirait d’accélérer un peu le mouvement si on ne veut pas devoir en changer le numéro dans les publications.   


Toulouse : le Musée des Augustins, le grand musée des beaux-arts de Toulouse et de la région, est fermé pour travaux depuis 2018-2019. On constate, en lisant le programme des travaux de rénovation, qu’ils s’apparentent à la refonte conceptuelle du musée de Valenciennes, quand on rencontre au détour d’une phrase l’expression "Nouveau projet scientifique et culturel", qui est le titre mot pour mot de la brochure de Valenciennes. Formalisme imposé par le ministère de la Culture qui permet aux municipalités qui font semblant d’y croire d’obtenir des aides financières ? Peut-être. Là encore la réouverture annoncée fin 2025 n’est pas crédible. 


***


N’oubliez pas que cette liste n’est qu’un échantillon, et pensez en organisant vos flâneries, qu’une pratique courante des musées est de réorganiser des étages complets en oubliant de prévenir le client, qui a royalement droit une fois sur place à la visite d’un demi-château de Châteaudun, d’un tiers des peintures du musée de Dijon, d’une moitié moins intéressante du musée de l’Œuvre à Strasbourg et d’un demi-musée de Pau (expériences vécues ces dernières années).


Ça s’appelle la stratégie des tranches de travaux. Ce fut la méthode, de 2016 à 2021 et plus, du musée des beaux-arts d’Orléans qui a ainsi réorganisé les cimaises, refait les peintures (des murs), et ajouté de longs cartels bavards en petits caractères mal éclairés, au sol au pied des tableaux, le tout sans fermer ni faire baisser la fréquentation du musée (en l’occurrence d’un demi-musée), qui s’est maintenue autour des 200 visites par jour, dont 50 payantes, moyenne stable depuis 20 ans. 


Aussi, après avoir conseillé de vous détourner des villes dont le musée est fermé en 2025, cette chronique finira sur une note positive, un conseil de visite. Car cet agréable musée provincial des beaux-arts d’Orléans, dont la faible fréquentation est injuste*, expose quelques merveilles par Reni, Le Nain, Santerre, Van Loo et une incomparable série d’esquisses par Cogniet (comme cette Salle de billard du château de Boursault vers 1860, en illustration ci-dessous). 

Et surtout, allez-y exactement en 2025 : une refonte totale a été annoncée par sa directrice pour 2026 ou au pire 2027, avec la traditionnelle fermeture totale pendant 5 ans, environ.


Rappelons aux connaisseurs que c'est le seul musée à avoir jamais réuni dans la même pièce 
pendant plusieurs mois, en 2002, les 4 natures mortes de Lubin Baugin. 

 

Mise à jour le 25.03.2025 : Mauvaise nouvelle pour une grande ville bretonne, le musée de Brest qu'on pensait fermé pour quelques semaine en début d'année 2025 ne rouvrira finalement pas avant 2029 ou 2030, au mieux, pour se débarrasser des moisissures apparues déjà sur une vingtaine de tableaux et pour des travaux d'importance en cours d'estimation sur le bâtiment même. On accuse le changement climatique. 


Mise à jour le 10.04.2025 : pour compléter notre état des lieux, Étienne Dumont dans bilan.ch fait aujourd'hui sa synthèse d'un article très détaillé du Journal des Arts, paru le 18.03.2025, sur 41 musées français en travaux actuellement. 


Mise à jour le 22.06.2025 : Nancy, le maire vient d’annoncer que le projet d’extension du musée est finalement abandonné. Un nouveau plan, centré sur la restructuration du palais ducal actuel, bien moins ambitieux, devrait être défini d’ici la fin de l’année. La facture qui était devenue exorbitante serait révisée à la baisse, et le musée ne rouvrirait pas avant 2033



 

dimanche 11 juin 2023

Ce monde est disparu (4)


Le solstice d’été, le jour le plus long de l’année, approche, pas en Tasmanie bien sûr, où ce sera le plus court, mais dans les salles de ventes parisiennes, notamment. 
Cette année c’est le 21 juin, et les experts du cabinet Turquin et la maison Tajan en profiteront pour mettre en lumière une étonnante découverte ; il fera encore jour, entre 20h et 21h, quand ils présenteront aux enchères un nouveau tableau nocturne de Georges de La Tour ! Les experts, à quelques détails subtils, affirment qu'il représenterait un certain Jacques, saint de son état.

C’est entendu, il n’est sans doute pas de la main de Georges, c’est peut-être une copie du fils, il présente des détails un peu faibles, le bougeoir caché, la transparence du livre, un léger maniérisme, une préciosité qu’on attribue, comme pour les toiles de Nancy, Le Mans ou Nantes (*), à un hypothétique atelier dont on ne sait absolument rien - on n’ose pas imaginer une baisse de qualité de la main du maitre - mais on y trouve des traits superbes, le dessin des plis de la robe éclairés par la bougie, les mains... Et puis c’est un thème nouveau à ajouter à la courte iconographie de La Tour, et une couleur inattendue, ce rose soutenu, ou rose crevette vaguement corail, saumon peut-être, voire Pantone+ CMYK P37-xxU à P41-xxU, bref, disons rose orangé. 

(*La médiocrité de ces 3 reproductions est désolante, mais il semble qu’en la matière la félicité, en France, soit inaccessible : les photos des La Tour exilés dans les musées américains sont admirables mais les modèles sont très rarement visibles, quand les images fournies par les musées français sont lamentables mais on peut plus facilement visiter les originaux (quoique le nouvel éclairage artificiel rosâtre avec lequel le musée de Nantes irradie ses peintures du 17ème siècle depuis peu, donc ses trois La Tour - alors que la pesante peinture académique du 19ème y bénéficie des grandes baies de lumière naturelle - rend désormais cette visite déplaisante).

Dans l’histoire du peintre cette découverte n’est certes pas un séisme comme le fut celle de l’incontestable Jean-Baptiste en 1993 (au musée de Vic-sur-Seille), et malgré l’exclamation promotionnelle de M. Turquin "[ce tableau] modifie la compréhension que nous avions du grand peintre lorrain", il ne fera sans doute pas l’objet d’une préemption de l’État, alors que l’estimation autour de 135 000$, modeste, le permettrait. 

C’est tout de même une chose rare et de grande qualité qui rappelle que des retrouvailles sont encore possibles. Depuis 100 ans, après un oubli total de trois siècles, presque 80 œuvres ont été retrouvées, dont une bonne moitié attribuable à La Tour avec certitude.
Et le bon monsieur Cuzin, anciennement conservateur des peintures du Louvre, qui vient de publier en 2021 sur La Tour une somme que la publicité dit superbe mais qu’on ne peut pas même voir dans les librairies de province tant il est cher, devra encore revoir ses calculs.

L’évènement astronomique sera visible pendant 5 jours à l’Espace Tajan, 37 rue des Mathurins, Paris 8, du 16.06 au 20.06 (sauf dimanche), de 10h à 18h, et de 10h à 15h le jour du solstice et de la re-disparition du tableau, on ne sait vers où. 
Venez nombreux.

Mise à jour le 22.06.2023 : Pas de grande bataille mais toutefois une enchère de 427 000$, 3 fois les estimations, soit 561 000$ avec commission et taxes. Est-il disparu définitivement ?