vendredi 25 août 2017

Nuages (41)

Photo C.C. 10.08.2017 (coordonnées : 49.337362, -0.456652)

Le nuage blanc devint sombre ; 
La mort, comme un brouillard, pleuvait sur eux.
Contre Humbaba, le dieu Soleil fit lever de grandes bourrasques
Vent du sud, aquilon, vent d'est, d'ouest, 
Tornade, tourmente, rafales, ouragan, 
Sirocco et typhon, et blizzard, et tempête et cyclone ;
Treize vents se ruent sur lui, Humbaba, son visage s'assombrit ; 
Il ne peut plus avancer, il ne peut plus reculer,
À la portée des armes de Gilgamesh… 

Extrait du combat cosmique de Gilgamesh contre Humbaba, gardien de la forêt des dieux (Épopée de Gilgamesh, légende mésopotamienne, entre 2500 et 1500 avant notre ère, tablette 5)

samedi 19 août 2017

Les collections d’été - Les experts

S’il y eut un expert, un spécialiste des collections, ce fut Henri Cueco, dont on a hélas beaucoup parlé, récemment.
Cueco aura tout collectionné, les crayons usagés, les pommes de terre, les cailloux ne présentant aucun signe distinctif, les ficelles, les silences, les noyaux sucés, les queues de cerises, les Angélus de Millet...

Peintre, il représentait parfois sur toile des extraits de ses collections. Et il avoua qu’un jour, invité avec sa femme chez des amis, alors qu'ils découvraient une impressionnante collection de reliques et d’objets religieux, « nous eûmes, stimulés par notre mesquinerie jalouse, l’idée de collectionner des collections ».
Il en écrivit un court livre à la fois léger et profond, débordant d’ironie et d’autodérision, évidemment titré «  Le collectionneur de collections », dont voici un florilège de citations.

Les cailloux : Prévenu des difficultés qui attendent le collectionneur de pierres, j’ai néanmoins décidé de les collectionner. Pas toutes ni n’importe lesquelles. Seulement les pierres ordinaires. […] La pierre banale, le caillou des ponts et chaussées, le gravillon de ballast renvoient à la question fondamentale de leur existence de pierre, de toute existence. Comme il n’y a, de la part du caillou, aucune réponse claire ou énonçable, le collectionneur en vient à se poser la question pour lui-même. Il se pétrifie la cervelle à tenter de comprendre ce qu’il fait ici à contempler un caillou. C’est ainsi qu’il en devient intelligent ou stupide, ou, plus généralement, indifférent. 

Les patates : Le face-à-face quotidien avec des pommes de terre n’a pas éclairci les problèmes fondamentaux que se pose tout être humain depuis les origines. Pourtant, à force de regarder les pommes de terre vivre, j’en viens à me poser des questions très intimes dont la moindre n’est pas : « Que fais-je ici à regarder vivre et mourir une pomme de terre ? »

Les éponges : Le collectionneur d’éponges s’ennuie dans sa solitude amoureuse. Nul ne convoite ses caisses pleines de figures ratatinées et polymorphes. Il les regarde et, les dimanches, les tristes dimanches, il les imprègne d’eau et s’émerveille de leur épanouissement à la moindre onction. Le reste de la semaine, il s’attriste de leur progressif dessèchement. 

Les crayons : Aucun crayon, grand ou petit, ne sait d’avance ce qu’il contient de richesse ou de médiocrité : l’indolence des crayons tient à cette ignorance qu’ils cultivent jusqu’à l’effacement. 

Les acouphènes et les jours : ...et ce silence qui fait pièce aux cris d’oiseaux du jardin, alors que sonne le grelot incessant de mes acouphènes. À l’instant même où leur collection, qui est innombrable et unique, se fera silence, cessera la collection de mes jours.

Henri Cueco - Le collectionneur de collections



Alexandre Vialatte, expert également, spécialiste du catalogue d’objets de la Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Étienne (abrégé en « catalogue Manufrance »), affirmait dans une chronique de La montagne du 16 avril 1967 sur les collectionneurs, que nombreux collectionnaient également les malheurs.

« L'époque a été tellement pleine de guerres et de camps de concentration, de prisons, de polices, de terrorismes et de catastrophes qu'il y a ainsi beaucoup de personnes qui ont collectionné les malheurs, les maladies et les jambes de bois. Malgré les records impressionnants, elles ne deviennent jamais célèbres. Ce sont des petits vieux ratatinés. […] Ils se traînent jusqu'à un banc, ils regardent la mer, ils fument la pipe et disparaissent au crépuscule. On ne sait trop où. […] On voit par là qu'il est des collections de toute sorte. »




Ainsi s’achèvent les chroniques des collections d’été.
Finalement, collectionner n’est pas vraiment une activité joyeuse.


Petite annonce : recherche photo du Vélib’ 31416. Récompense garantie. Écrire au blog qui transmettra.

mardi 15 août 2017

Les collections d’été - Le sacrilège

Tout le monde connait Sigmund Freud, grand médecin viennois du début du 20ème siècle, dont on sait, depuis qu’ont filtré au compte-goutte certaines archives tenues au secret par le milieu des psychanalystes, qu’il a inventé la plupart de ses malades, et aggravé l’état des rares qui l’ont réellement croisé.

Mais on peut lui accorder d’avoir réussi l’exploit de faire consommer à des générations d’intellectuels désorientés (en voie d’extinction) un salmigondis de croyances régurgitées des mythologies antiques, une psychologie pour revues de salles d’attente, enrobée dans une théorie non réfutable, et d’en avoir fait un culte, avec sa pensée unique, son jargon ésotérique, ses excommunications et ses rituels lucratifs pour les officiants.
Et créer une secte, une quasi-religion, même Hahnemann, inventeur de l’homéopathie et charlatan par étroitesse d’esprit, n’avait pas réussi à le faire, lui qui n’a converti que les pharmaciens et leurs fidèles publicitaires.

Sigmund Freud, qui avait donc fait fortune en somnolant à l’écoute de ses riches malades, s’était entouré d’une énorme collection hétéroclite de tout ce qui avait un air antique et pouvait évoquer les mythes et usages primitifs des civilisations, vases, statuettes, amulettes, scarabées, amphores, outils.
Il n’a curieusement jamais écrit sur sa collection mais il en était très fier. Elle s’entassait dans des vitrines et sur son bureau à Vienne puis à Londres. On comparait parfois son cabinet à un temple.

Ces 2000 objets ont été répertoriés à la fin des années 1980 et sont maintenant exposés dans le musée Freud de Londres, à l’exception d’une urne grecque de plus de 2200 ans, offerte par la princesse Marie Bonaparte, et que Freud avait réservée pour qu’y soient déposées ses cendres.




Ce qui fut fait en 1939. Sigmund Freud bouclait ainsi sa mise en abyme névrotique en se faisant enfermer dans sa propre collection.

Mais l’histoire ne finit pas là, car le bel objet funéraire, exposé en évidence depuis 1939 dans le crématorium de Golders Green à Londres, non loin de la collection du musée Freud, a fini par tenter quelque démuni inculte et aventureux.

Et le 15 janvier 2014, l’urne était retrouvée au pied de sa stèle, brisée, parmi les cendres répandues de Freud et de sa femme.
Les reliques furent vite ramassées et transférées dans une boite temporaire en attendant de rejoindre l’urne une fois recollée. Le voleur bredouille, qui n’avait eu qu’à tendre les bras à travers la fenêtre, l’avait laissée échapper, probablement surpris par son poids.


Au crématorium de Golders Green, aujourd’hui dans une grande cage de verre sécurisée, sur le piédestal de marbre, dans l’urne rapiécée et vernissée, reposent les cendres de 1939 de Sigmund Freud, mélangées à celles de 1951 de sa femme et à un peu de poussière recueillie en 2014.

Ne manquez pas notre prochaine et dernière chronique des collections d’été dans laquelle nous lirons bientôt les opinions d'un expert, un collectionneur de collections.

samedi 12 août 2017

Les collections d’été - L’idéale

Comme promis, voici un exemple de collection ludique et économique qui, même exercée de manière pathologique n’entrainera pas son adepte dans les tourments de la perdition. Elle s’intéresse à un objet précis, mais elle est aisément transposable à toute une gamme d’objets du même type, en fonction de l’environnement du collectionneur.
Sachez, avant de vous lancer, que l’aveu d’une collection excentrique, même matérielle, emportera toujours en société des sourires dubitatifs, voire dédaigneux. Passez outre, il y va de votre équilibre mental.

Examinons donc la collection des « numéros de vélos en libre service dans Paris de 2007 à 2017 (Vélib’) ».

L’objet est de scruter au hasard des déambulations le numéro inscrit sur la plaque de protection de la roue arrière des vélos, de photographier les plus remarquables, et de classer les photos dans un répertoire dédié, par ordre numérique, chronologique, géographique, ou autre. La chose se pratique donc équipé d'un smartphone de bas de gamme, de préférence quand le vélo est à l’arrêt, essentiellement dans les stations de Vélib’ qui sont la mine d’or du collectionneur.

L’opérateur actuel déclare un parc de 20 000 vélos roulants dans Paris et la proche banlieue, mais les contraintes de maintenance font qu’il en a numéroté près de 100 000 pendant les 11 années de fonctionnement.
Collectionner tous les numéros sans distinction relèverait de l’obsession monomaniaque et serait une frustration continue, puisque 4 numéros sur 5 font désormais défaut. Gardons-nous en, et raffinons la collection en ne recherchant que les nombres remarquables. Pas remarquables au sens mathématique, ni au sens de leur rareté puisque, chaque numéro n’étant représenté qu’une fois, ils ont tous la même valeur sur ce critère.
Mais recherchons les nombres singuliers sur le plan « esthétique », en restant flous dans la définition, ce qui autorisera toutes les fantaisies.

On sait en effet que le cerveau humain est configuré de telle sorte qu’il cherche toujours à simplifier sa représentation du monde. Ainsi, dans la liste des entiers naturels qui dénombrent un parc d’objets, le nombre 666 devrait avoir la même valeur que 327, ou 591, pourtant il est plus facile à mémoriser, à représenter, à répertorier, en bref il est plus satisfaisant pour un encéphale moyen et obtiendra donc une place particulière dans la collection (on dit même que les esprits les plus faibles lui attribuent des propriétés magiques et religieuses).

Et, à l’instar des jeux de mots faits avec les lettres de l’alphabet, on recherchera les nombres symétriques, les palindromes, les ambigrammes, les répétitions et les suites de chiffres.

En illustration, quelques beaux exemplaires appartenant à une riche collection privée dont l’administrateur a préféré rester anonyme (d’autres agrémenteront encore les prochaines chroniques de ces collections d’été).


Bien sûr tout le monde n’habite pas Paris ou sa banlieue, et la série actuelle de vélos est en train de disparaitre, vouant cette collection à un terme proche (les vélos du nouvel opérateur pour 2018, Smoovengo, ne semblent pas comporter de numéro imprimé).
Mais on dit que le perdant recyclerait ses vélos en province, ou à l’étranger.  

Ce Glob est Plat soutiendra sans réserve toute renaissance de cette collection incomparable.

Et à défaut, nombre de numéros de la vie courante pourront la remplacer, l’exemple le plus évident étant celui des plaques minéralogiques, qui avec l’apport des lettres, offrent une grande richesse combinatoire dont les critères esthétiques restent à imaginer.
La barre est d’ores et déjà haute, un collectionneur anonyme ayant déclaré pouvoir apporter la preuve de la plaque « DD - 111 - DD ».

 
Ne manquez pas notre prochaine chronique sur les collections d’été. Elle relatera les mésaventures édifiantes de ce personnage unique, phare de l’humanité qui, ayant dévoilé aux hommes les plus profonds cachots de leur âme douloureuse, et affirmant pouvoir les en délivrer, s’est fait enterrer dans sa propre collection.

mardi 8 août 2017

Les collections d’été - Préambule

Très tôt l’enfant humain apprend à distinguer les choses qui l’entourent, à les comparer, les compter et les classer. Et il en éprouve un tel soulagement, l’impression de connaitre, sinon de domestiquer ce monde qui l’inquiète, que certains ne s’en remettent jamais et passeront leur vie à rechercher cette félicité.
Alors ils ont inventé la collection. La collection de n’importe quoi, car la chose collectionnée est accessoire, elle dépend de souvenirs fortuits, d’émotions particulières, d’un contexte familial.
Le véritable objet d’une collection est le même pour tous, c’est le fait de collectionner, et ainsi de maitriser un petit coin de l’Univers.

On entend généralement que le moteur d’une collection est la possession physique des objets qui la constituent. Ainsi une collection ne pourrait pas être immatérielle.
Il existe pourtant des collectionneurs d’éclipses totales de soleil, qui cherchent à se trouver sur le chemin de l’ombre de la lune toutes les rares fois qu’elle touche la terre (Fred Espenak verra bientôt sa 17ème éclipse totale), ou des collectionneurs de sommets qui n’escaladent que ceux qui dépassent 8000 mètres. Le nombre « d’objets » est certes limité et connu, mais il n’est pas interdit de les gravir plusieurs fois.
Ces collections immatérielles n’ont pas d’entrée dans la nomenclature alphabétique des collections.

On entend également que c’est la pièce (ou la série) unique, celle que les autres n’ont pas, qui valorise la collection et son possesseur. Peut-être, mais ça n’est alors qu’une perversion narcissique de l’activité de collectionner, de même que l’accumulateur désordonné, celui qui ne classe pas mais entasse sans fin, vit une autre perversion, addictive, puisqu’il ne maitrisera jamais sa collection.
On trouvera en fait autant de types de collectionneurs qu’il y a de faiblesses ou de travers humains, jusqu’à la névrose, voire le crime ou la mort.

Fort de ces constatations de fin de repas bien arrosé, nous proposerons, à qui éprouverait un besoin impératif de collectionner mais en chercherait encore l’objet, de débuter par une collection immatérielle, facile, économique, partageable qui peut être exercée à plusieurs (elle devient alors un jeu), et qui serait peut-être négociable sur le marché de l’art (quand on voit les « concepts » qui s’y vendent), en bref le summum de la collection.

Elle fera l’objet du prochain épisode de nos chroniques sur les collections d’été…


Qui a décidé de collectionner les arbres remarquables ne peut pas les héberger sur son balcon ni dans son jardin de banlieue. Il se voit contraint d’aller les admirer sur place et de collectionner les traces de ses visites. Ici le faux cyprès de Lawson dans le parc du château de Combourg, en Ille-et-Vilaine, labellisé en 2012, âgé de 250 ans et derrière lequel le petit François-René de Chateaubriand courait s’isoler dans les cas d’urgence. Il a surement écrit sur le sujet des lignes exaltées au lyrisme enflammé dans ses inoubliables Mémoires d’outre-tombe.