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mardi 15 août 2017

Les collections d’été - Le sacrilège

Tout le monde connait Sigmund Freud, grand médecin viennois du début du 20ème siècle, dont on sait, depuis qu’ont filtré au compte-goutte certaines archives tenues au secret par le milieu des psychanalystes, qu’il a inventé la plupart de ses malades, et aggravé l’état des rares qui l’ont réellement croisé.

Mais on peut lui accorder d’avoir réussi l’exploit de faire consommer à des générations d’intellectuels désorientés (en voie d’extinction) un salmigondis de croyances régurgitées des mythologies antiques, une psychologie pour revues de salles d’attente, enrobée dans une théorie non réfutable, et d’en avoir fait un culte, avec sa pensée unique, son jargon ésotérique, ses excommunications et ses rituels lucratifs pour les officiants.
Et créer une secte, une quasi-religion, même Hahnemann, inventeur de l’homéopathie et charlatan par étroitesse d’esprit, n’avait pas réussi à le faire, lui qui n’a converti que les pharmaciens et leurs fidèles publicitaires.

Sigmund Freud, qui avait donc fait fortune en somnolant à l’écoute de ses riches malades, s’était entouré d’une énorme collection hétéroclite de tout ce qui avait un air antique et pouvait évoquer les mythes et usages primitifs des civilisations, vases, statuettes, amulettes, scarabées, amphores, outils.
Il n’a curieusement jamais écrit sur sa collection mais il en était très fier. Elle s’entassait dans des vitrines et sur son bureau à Vienne puis à Londres. On comparait parfois son cabinet à un temple.

Ces 2000 objets ont été répertoriés à la fin des années 1980 et sont maintenant exposés dans le musée Freud de Londres, à l’exception d’une urne grecque de plus de 2200 ans, offerte par la princesse Marie Bonaparte, et que Freud avait réservée pour qu’y soient déposées ses cendres.




Ce qui fut fait en 1939. Sigmund Freud bouclait ainsi sa mise en abyme névrotique en se faisant enfermer dans sa propre collection.

Mais l’histoire ne finit pas là, car le bel objet funéraire, exposé en évidence depuis 1939 dans le crématorium de Golders Green à Londres, non loin de la collection du musée Freud, a fini par tenter quelque démuni inculte et aventureux.

Et le 15 janvier 2014, l’urne était retrouvée au pied de sa stèle, brisée, parmi les cendres répandues de Freud et de sa femme.
Les reliques furent vite ramassées et transférées dans une boite temporaire en attendant de rejoindre l’urne une fois recollée. Le voleur bredouille, qui n’avait eu qu’à tendre les bras à travers la fenêtre, l’avait laissée échapper, probablement surpris par son poids.


Au crématorium de Golders Green, aujourd’hui dans une grande cage de verre sécurisée, sur le piédestal de marbre, dans l’urne rapiécée et vernissée, reposent les cendres de 1939 de Sigmund Freud, mélangées à celles de 1951 de sa femme et à un peu de poussière recueillie en 2014.

Ne manquez pas notre prochaine et dernière chronique des collections d’été dans laquelle nous lirons bientôt les opinions d'un expert, un collectionneur de collections.

mardi 8 août 2017

Les collections d’été - Préambule

Très tôt l’enfant humain apprend à distinguer les choses qui l’entourent, à les comparer, les compter et les classer. Et il en éprouve un tel soulagement, l’impression de connaitre, sinon de domestiquer ce monde qui l’inquiète, que certains ne s’en remettent jamais et passeront leur vie à rechercher cette félicité.
Alors ils ont inventé la collection. La collection de n’importe quoi, car la chose collectionnée est accessoire, elle dépend de souvenirs fortuits, d’émotions particulières, d’un contexte familial.
Le véritable objet d’une collection est le même pour tous, c’est le fait de collectionner, et ainsi de maitriser un petit coin de l’Univers.

On entend généralement que le moteur d’une collection est la possession physique des objets qui la constituent. Ainsi une collection ne pourrait pas être immatérielle.
Il existe pourtant des collectionneurs d’éclipses totales de soleil, qui cherchent à se trouver sur le chemin de l’ombre de la lune toutes les rares fois qu’elle touche la terre (Fred Espenak verra bientôt sa 17ème éclipse totale), ou des collectionneurs de sommets qui n’escaladent que ceux qui dépassent 8000 mètres. Le nombre « d’objets » est certes limité et connu, mais il n’est pas interdit de les gravir plusieurs fois.
Ces collections immatérielles n’ont pas d’entrée dans la nomenclature alphabétique des collections.

On entend également que c’est la pièce (ou la série) unique, celle que les autres n’ont pas, qui valorise la collection et son possesseur. Peut-être, mais ça n’est alors qu’une perversion narcissique de l’activité de collectionner, de même que l’accumulateur désordonné, celui qui ne classe pas mais entasse sans fin, vit une autre perversion, addictive, puisqu’il ne maitrisera jamais sa collection.
On trouvera en fait autant de types de collectionneurs qu’il y a de faiblesses ou de travers humains, jusqu’à la névrose, voire le crime ou la mort.

Fort de ces constatations de fin de repas bien arrosé, nous proposerons, à qui éprouverait un besoin impératif de collectionner mais en chercherait encore l’objet, de débuter par une collection immatérielle, facile, économique, partageable qui peut être exercée à plusieurs (elle devient alors un jeu), et qui serait peut-être négociable sur le marché de l’art (quand on voit les « concepts » qui s’y vendent), en bref le summum de la collection.

Elle fera l’objet du prochain épisode de nos chroniques sur les collections d’été…


Qui a décidé de collectionner les arbres remarquables ne peut pas les héberger sur son balcon ni dans son jardin de banlieue. Il se voit contraint d’aller les admirer sur place et de collectionner les traces de ses visites. Ici le faux cyprès de Lawson dans le parc du château de Combourg, en Ille-et-Vilaine, labellisé en 2012, âgé de 250 ans et derrière lequel le petit François-René de Chateaubriand courait s’isoler dans les cas d’urgence. Il a surement écrit sur le sujet des lignes exaltées au lyrisme enflammé dans ses inoubliables Mémoires d’outre-tombe.

vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.

jeudi 28 février 2013

J'écris ton nom...

« Les Pères Pélerins (colons anglais partis en Amérique sur le Mayflower) croyaient à la liberté de pensée, pour eux-mêmes, et pour tous les gens qui pensaient exactement comme eux. »
Will Cuppy, Grandeur et décadence d'un peu tout le monde (Éditions Wombat 2011 p.241)

La Liberté guidant le Peuple sur les barricades est une toile de plus de 8 mètres carrés, allégorique et informe, d'un certain Ferdinand Delacroix, ou Eugène. Dans ce tableau énormément inspiré, Delacroix qui aimait tant la Liberté l'a personnifiée dans une femme dépoitraillée dont le visage de profil évoque une odalisque de harem.
Le musée du Louvre lui accordait si peu d'intérêt touristique qu'il l'avait relégué sur un mur d'une filiale de province fraichement inaugurée à Lens, et à grand bruit.

Par malheur, le 7 février, une jeune femme illuminée prenait à la lettre l'illustre poème incantatoire de Paul Éluard, dans lequel l'auteur cochonne tout ce qui se trouve à sa portée en y gribouillant le mot « Liberté ». Plus modestement elle a écrit dans un petit coin (1) de l'immense tartine, au feutre noir, le mystérieux code AE911.
Savait-elle qu'en France on ne s'en prend pas impunément à la Liberté ? Par bonheur, un visiteur également épris de liberté l'a dénoncée à un gardien de la liberté. Imaginez l'escalade, la surenchère de libertés que tout cela occasionna.
Ça n'est pas parce qu'un tableau est laid, grand, et plein d'endroits qui ne servent à rien, qu'on peut autoriser tout le monde à s'en servir comme pense-bête. Seuls le peintre et les restaurateurs du Louvre ont ce droit. La loi est ainsi faite.

Par chance une experte lilloise libre ce soir-là accourut, somnolente encore, avec chiffons et décapant. Elle fut alors envahie par l'horreur devant le spectacle de la dégradation du chef d'œuvre.
Il faut ici en aparté faire un constat. Aucune image du délit n'est jamais parue dans la presse, qui respecte certainement par-là un code de déontologie. Le public ne supporterait pas ces images insoutenables.
Très vite néanmoins, les réflexes professionnels de l'experte dominaient son émotion. Elle inspectait le lieu du crime et déclarait finalement qu'elle aurait bien nettoyé ça vite fait, mais que la décision ne pouvait être prise que par le conservateur en chef des peintures du Louvre de Paris.
L'affaire est sérieuse.

Le lendemain, le musée est exceptionnellement fermé. Débarqué de Paris, le grand Vincent Pomarède, directeur des peintures, prend à peine le temps de déjeuner, brioches, croissants, tartines beurrées, confiture, et après d'animés conciliabules avec 37 experts locaux et internationaux, prend la responsabilité de risquer l'opération de sauvetage.
Dehors la presse est aux abois. La tension est palpable.

Moins d'une heure plus tard l'experte lilloise sort du musée avec ses chiffons sales. L'épais vernis jaunâtre qui recouvre le symbole de la République l'aura bien protégé. Comme l’annonçait finement la veille le site de la première chaine de télévision française « L'inscription au feutre indélébile... devrait pouvoir être facilement effacée ».
On a quand même eu très peur pour la Liberté.

Pendant ce temps, la Justice avançait à grandes enjambées. Le magistrat de Béthune a trouvé la jeune déséquilibrée tout de même bien fatiguée et incohérente, après seulement 24 heures de privation de liberté. L'expert psychiatre l'a jugée pénalement irresponsable (rappelons qu'il n'y a quasiment pas de préjudice matériel).
Devant le danger cependant, il est décidé de prolonger la garde à vue de 24 heures (2) car un arrêté d'hospitalisation psychiatrique d'office doit être signé le lendemain, samedi 9 février, par le Maire de Lens, ou le Préfet, qui sont en France les gardiens de l'ordre public et certainement experts en matière d'atteinte aux libertés.
Vous étiez prévenues, âmes sensibles, c'est la fête de la liberté !

Mais depuis lors, plus rien. Toute la presse a encensé le sang-froid et la virtuosité des autorités, et immédiatement oublié la jeune folle présumée, certainement enfermée aujourd'hui dans un asile d'aliénés. Personne n'a vu le délit. Personne ne saura le sort de son auteure.
Pauvre jeune femme qui s'en est prise à une valeur vénérée (3) comme les trois couleurs du drapeau. Pauvre jeune femme qui ignorait qu'on pratique en France la loi du talion. Liberté pour liberté.

Un périmètre de sécurité d'un mètre et demi a été mis en place autour du tableau, et un gardien dédié le veille désormais.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

Mise à jour du 14 mars 2014 : la jeune femme vient d'être jugée. Après deux mois d'internement psychiatrique, elle écope aujourd'hui de 8 mois de prison avec sursis, 6000 euros d'indemnisation, une obligation de suivi psychiatrique, une interdiction de retourner dans les musées et l'opprobre général de tous les commentateurs grégaires et stupides qui jugent ce verdict bien clément.

***
(1) Un 563ème de la surface du tableau. La plupart des témoins disent que c'était sur la chemise blanchâtre du cadavre en bas à gauche, mais certains prétendent que c'était aux pieds du garçon qui inspira à Victor Hugo son Gavroche.
(2) C'est autorisé par la loi si la peine encourue dépasse un an de prison.
(3) On se souviendra peut-être de l'épisode très similaire de la tasse volante en 2008 au Louvre.


Pauvre nature humaine qui se croit libre parce qu'elle ignore les causes qui la déterminent, disait Baruch Spinoza.