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dimanche 7 septembre 2025

Sargent, l’exposition furtive de l’année

Sargent J.S., portrait des 4 filles Boit, Paris 1882. Malheureusement la meilleure reproduction trouvée sur internet, de faible résolution et sans doute remaniée d’après celle encore plus réduite du musée de Boston.


Préambule
Sargent était un peintre pour peintres, de ces peintres admirés et enviés des autres peintres, virtuose comme le furent Hals, Sorolla, Velázquez, Zorn, parce qu’il savait rendre d’un seul geste impulsif, d’un trait définitif du pinceau sur la toile, un effet qu’eux-mêmes, les autres peintres, ne réussissent qu’au prix de dizaines de touches réfléchies et précautionneuses.

***

Une chronique sur l’exposition Georges de La Tour à Paris cet automne se plaignait naguère du peu d’informations données au public sur le contenu précis de ce qu’on l’exhortait à visiter. Par espièglerie nous avions glissé un lien vers le traitement inverse du public, la mise en libre disposition sur internet du contenu détaillé intégral d’une exposition sur Sargent, alors en cours au Metropolitan museum de New York, et qui présentait plus précisément la période parisienne du peintre (sa période de formation - et de quelques chefs-d’œuvre mondains), de 1874 à 1884.

Et comme par hasard, cette exposition débarque à Paris, clefs en main, au musée d’Orsay à partir du 23 septembre 2025 pour 3 mois et demi (9h30-18h, fermé le lundi).   
Et quand on écrit clefs en main, à l’exception du modeste titre "Sargent and Paris" de New York qui devient "John Singer Sargent, Éblouir Paris" en traversant l’Atlantique, Orsay, d’après les descriptions plus que succinctes qu’il en fait, semble n’avoir rien changé à l’exposition originale, ni rien apporté non plus, sinon le prêt d’un tableau.

D’ailleurs Orsay, à deux semaines seulement de l’exposition, s’embarrasse encore moins à nous montrer ce que nous pourrions voir en la visitant que ne l’a fait le musée Jacquemart pour La Tour : dans le chapitre Œuvres de l’exposition dont le pluriel devient inutile, il n’y a qu’une petite reproduction.

Quant au texte de présentation, qui réserve, comme l’exposition, une place de choix au sublime portrait de Madame X, parce qu’il fit à paris en 1884 un microscopique scandale mondain (une bretelle de la robe, rectifiée depuis, était tombée), ce texte pourtant court met en valeur une grossière erreur factuelle, mais "fondée sur un travail de recherche poussé" précise le musée. 
Il affirme que le tableau n’a jamais été exposé à Paris depuis …1884 ! Avec les points de suspension et d’exclamation, car c’est l’évènement de l’exposition. Affirmée par l’expertise d’Orsay, la chose est reprise par les médias, comme la revue Arts in the City (n°94 p.22) qui en fait tonner tambours et sonner buccins : "Et en point d'orgue ? Le retour à Paris de Madame X, prêtée par le Met pour la première fois depuis le jour du scandale. Un face-à-face historique, glaçant et somptueux."

Mensonge délibéré ou banale incompétence ? C’est effarant comme le monde des expositions réécrit systématiquement l’histoire. En vérité ce portrait a été exposé durant plusieurs mois au Grand palais de Paris au printemps 1984, avec deux autres Sargent (voir le catalogue de l’exposition d’alors, "Un nouveau monde" pp.153 & 317, disponible sur eBay).

Ainsi, comme il est hasardeux de se fier au laisser-aller du musée d’Orsay, retournons vers les informations généreuses et abondantes du créateur de l’exposition, le Metropolitan museum (Orsay n’en souffle pas un mot) :

Une vidéo de 22 minutes faite par le Metropolitan (en anglais), superbe par ses beaux détails des principales œuvres, pas pour les commentaires anglais si insignifiants qu'ils pourraient accompagner un documentaire sur un autre peintre, ni pour leur traduction française inexpressive (vidéo néanmoins à déconseiller à qui souhaiterait aller les voir sur place et préserver la fraicheur des découvertes esthétiques, si l’affluence le permet). 

Le texte intégral des commentaires qui accompagnent chaque œuvre (PDF anglais), avec les liens vers la version audio anglaise et sa transcription (aisément traduisible en automatique), le tout illustré !

Enfin l'intégrale de l'exposition en images, avec les liens vers les commentaires de chaque œuvre.

Limitations : Toutes les images de l’exposition n’existent que dans un format très modeste que vous ne pourrez ni agrandir ni télécharger. Sargent est mort il y a exactement 100 ans, et il est partout dans le domaine public, donc reproductible librement sans limitation, même pour le musée américain, qui le reconnait officiellement.
Mais, s’agissant d’un des artistes les plus prisés aux USA, le musée, qui en possède beaucoup, s'est autoproclamé référence sur Sargent, et en profite pour se réserver une exclusivité institutionnelle et commerciale en bridant les reproductions libres de droits, au mépris de ses engagements pour le domaine public. Et il y a fort à parier que le musée d’Orsay, qui a derrière lui un historique de violation du domaine public (rappelez-vous sa tentative pour vendre plus de cartes postales, lire ici et ), en profitera pour prétexter des exigences américaines et interdire la photographie au sein de l’exposition.

Contournements : Les reproductions des chefs-d’œuvre de l’exposition sont souvent disponibles ailleurs en bonne qualité, parfois en très haute résolution, sur les sites des musées prêteurs autres que le Metropolitan. Mais la collecte en est laborieuse, aussi nous vous proposons ci-après quelques belles reproductions des œuvres majeures de l’exposition, au moins celles qui devraient vous encourager à aller les voir sur place. 
N’oubliez pas, comme le sous-entendent les sornettes d’Orsay, que vous ne les reverrez plus avant 2084, quasiment la fin du monde.  

• Fumée d'ambre gris 1880 163cm (Clark Art museum Williamstown)
• Dr Pozzi 1881 202cm (Hammer museum Los Angeles)
• Portraits de M.E.P. et Mlle L.P. 1881 175cm (Des Moines Art Center)
• Louise Lefèvre 1882 130cm (Art Institute Chicago)
• Intérieur vénitien 1882 87cm (Carnegie museum of Art Pittsburg)
• Fin de repas 1884 67cm (San Francisco Fine Arts)
• Anniversaire 1885 74cm (Minneapolis Institute of art)
• Les filles Boit à Paris 1882 222cm (Boston museum of fine arts)
Tableau exceptionnel, très librement inspiré par les Ménines de Velázquez, considéré par beaucoup comme un chef-d’œuvre "définitif", objet de nombreuses vidéos, d’articles détaillés passionnants, des livres lui sont consacrés et pourtant le musée de Boston le reproduit très modestement et aucune très bonne reproduction ne semble exister.  
• Madame X 1884 209cm (Metropolitan museum New York) vignette du musée, reproduction plus détaillée que la vignette
Chef-d’œuvre de jeunesse effectivement, hélas possédé par un musée qui n’en diffuse qu’une vignette, on en trouve quelques reproductions plus détaillées mais jamais fidèles aux couleurs réelles, que le ridicule timbre-poste du Met, lui, respecte.


Ces informations ne sont justes que si toutes ces œuvres traversent l’Atlantique, ce qu’Orsay se garde bien de préciser, puisqu’il ne dévoile pas le contenu de l'exposition. Il écrit cependant qu'elle présente 90 œuvres, ce qui était le cas de celle de New York. Évidemment, comme pour l'exposition De La Tour (dont deux grosses mises à jour pourraient bien modifier votre envie de la visiter), Orsay peut encore se réveiller d’ici l’ouverture et nous faire la charité de quelques informations. En revanche il sait déjà que l'exposition fera l'objet d'une grosse affluence et recommande dès aujourd'hui la réservation d'un horaire de visite. Notons que les amateurs de sculpture sont encore plus mal lotis, le musée, qui organise en parallèle une exposition sur le sculpteur Troubetzkoy en montre encore moins.

mercredi 20 août 2025

De La Tour, la douche de l’automne (2 de 2)

Avertissement : les reproductions des La Tour sur internet (et aussi dans la plupart des éditions sur papier) sont désastreuses, les couleurs sont vulgaires, souvent fausses, les rouges et les jaunes sur-saturés. Celle du musée de Washington ne fait pas exception. Ce détail en illustration, d’un La Tour du Louvre, n’a rien à voir avec l’exposition d’automne mais au moins ses couleurs sont-elles à peu près justes.


Nous sommes donc restés suspendus, depuis quelques jours, à cette question de la plus haute importance : 
Y aura-t-il un motif réellement raisonnable de risquer une dépression nerveuse en se rendant à Paris au 158 boulevard Haussmann à l’heure d’ouverture des musées à partir du 11 septembre prochain ? 

Qu’en disent les médias ?

On ne trouve en réalité aujourd'hui qu’un article susceptible de nous informer un peu plus sérieusement que le site du musée sur le contenu de cette exposition Georges de La Tour, il est sur le site de la revue Connaissance des Arts. 
Et il titre sans hésiter "Le mystère Georges de La Tour, maître du clair-obscur, bientôt dévoilé dans une exposition exceptionnelle". Vous vous en doutez, c’est un cliché du markéting, il n’y aura ni mystère ni révélation particulière, sauf si vous étiez persuadés que La Tour était un cycliste renommé ou un grand vin de Bordeaux.

Puis on y lit "la première rétrospective en France depuis près de 20 ans" ; en réalité la dernière rétrospective de La Tour date de 30 ans, mais surtout, ne vous attendez pas à une véritable rétrospective, en tout cas dans sa définition habituelle de présentation chronologique ou thématique d’une part représentative d’une œuvre. Et l’article d’insister en précisant "Une vingtaine de toiles conservées partout dans le monde […] soit près de la moitié de celles attribuées au peintre Lorrain !". 
Oh la vilaine menterie !
Si 40 à 43 tableaux sont effectivement attribués à la main de La Tour par les spécialistes, la dernière rétrospective en 1997 au Grand palais de Paris en exposait l’intégralité connue alors, parmi 65 œuvres aux degrés divers d’attribution. La prétendue rétrospective du Boulevard Haussmann n’en présentera au mieux que 9, et autant de mauvaises copies (comme on le verra plus bas).
Quant à leur provenance "partout dans le monde", modérons l’expression : 15 parmi les 18 "La Tour" viendront de France, de province.

Enfin, on nous promet, en plus du petit nombre de La Tour, des toiles, sans doute pas plus d’une quinzaine sinon les murs déborderaient, d’autres peintres dont on ne saura rien, mais qui auront un rapport avec le sujet.

Alors quels La Tour sont annoncés ?

Rappelons que nous ne sommes pas à New York, où le Metropolitan museum met en ligne, avant une exposition, son contenu intégral. Ici, à Paris, chez Culturespace, on communique dans le mesquin, et seulement l’information flatteuse. Le but est d’attirer le consommateur, pas de l’instruire. Alors on justifie l’exposition d’un prétexte creux "on privilégie une approche thématique destinée à cerner l’originalité de La Tour, lié par son épure formelle et son naturalisme subtil à la révolution du caravagisme", qu’on accompagne de 5 images qui font l’essentiel de l’opération de markéting, des images déjà connues voire très connues du public, les seules qui seront fournies aux médias. 

On a tout de même procuré au site partenaire Connaissance des Arts (L'ŒIL) une sorte de liste des La Tour exposés (remise ci-dessous dans un ordre chronologique incertain) :

1 à 11 : Un ensemble représentant le Christ et les apôtres provenant de la cathédrale d’Albi.
Il s’agit de la série des portraits conservés au musée d’Albi. Ce sont les débuts de La Tour, pas des œuvres majeures. Les 11 tableaux feront sans doute le voyage ; ils sont peu demandés. Il faut dire que seulement 2 sont jugés authentiques. Les 9 autres sont de (très) mauvaises copies. 

12 : Portrait de Saint Philippe, prêté par le Chrysler Art museum de Norfolk (USA). C’est la version authentique d’une des 9 copies précédentes. Les deux versions seront-elles présentes, et côte à côte ?  

13 : Vielleur au chien, prêté par le musée du Mont-de-Piété à Bergues (Nord). C’est, comme les n°1-12, un tableau des débuts de La Tour. Énormément restauré, il ne reste plus grand chose de la main du peintre, mais le chien, dont on dit qu’il a été relativement préservé, est magnifique.

14 à 16 : On l’a vu, Culturespace a ratissé les provinces françaises. Après Albi et Bergues, Épinal prête Job raillé par sa femme, récemment restauré, et Nancy, fermé pour des années encore, prête toujours sa Femme à la puce à qui le demande poliment.
Le coup de maitre, c’est d’avoir obtenu du musée de Rennes le célébrissime Nouveau-né, un des 3 plus beaux tableaux du monde (oui, oui, 3), devenu une icône dont toute porte de réfrigérateur même peu cultivée se doit d’accueillir les propriétés magnétiques.
À Rennes, les conditions d’exposition du tableau se sont dégradées au fil des années ; il a été recouvert d’une vitre anti-reflets qui l’affuble de mouvantes lueurs verdâtres devenues plus visibles encore depuis qu’il est relégué dans une pièce à l’éclairage déficient et artificiel. Ça ne sera pas pire au musée Jacquemart, mais alors qu’à Rennes jamais personne ne s’y réfléchit, on peut prédire qu’il sera bientôt dénaturé dans les médias jusqu’à la nausée, et inabordable boulevard Haussmann.    

17 : La Madeleine pénitente, venue de la National Gallery of Art de Washington. Encore une merveille. Ne croyez pas les brun-roux et surtout le jaune inqualifiable de la reproduction américaine. Croyez plutôt cette médiocre photo de la version du musée indéfiniment fermé de Nancy, qui aurait pu être empruntée en même temps que la dame qui s’épuce, pour éviter le voyage Washington-Paris ; quoique plus courte elle est aussi belle ; c’est une version dite d’atelier (mais La Tour n’a pas eu d’atelier, seulement un ou deux élèves). 

18 : Enfin les Joueurs de dés prêté par le Preston park museum de Stockton-on-Tees (GB). Sorte de pastiche surchargé de La Tour, qui divise encore les experts aussi bien sur l’époque d’exécution que sur les mains qui l’auraient réalisé, cet étrange collage contient néanmoins quelques beaux détails.

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Et voilà le compte-rendu d’une exposition à venir rondement mené. L’information concédée étant fragmentaire, une ou deux surprises restent évidemment possibles.
Entrevoir 4 chefs-d’œuvres, quelques curiosités, et si l’éclairage le permet, les vraies couleurs des tableaux de la Tour : à vous de voir.

Si vous pensez n’avoir jamais le temps d’aller les admirer séparément en province (vous devez, par exemple, courir sauver la planète des méfaits d'un climat récalcitrant), le musée propose des visites de luxe nettement plus calmes, à un groupe de 15 personnes avec guide, les jours de semaine avant l’ouverture, entre 9h et 10h, pour 42€ (au lieu de 18€50). Dans ce cas n'attendez pas, les places libres s'épuisent déjà. 
Il y aura alors peut-être moyen de s’isoler quelques secondes devant un tableau…


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Mise à jour du 29.08.2025 : Scoupes ! Si l'on croit trois articles récents, le nombre de La Tour de l'exposition serait augmenté de 5 tableaux, mineurs essentiellement, mais modifiant un peu les décomptes puisque le nombre total de La Tour, toujours si on suppose la série d'Albi complète, passerait de 18 à 23, les tableaux de l'étranger passeraient à 6 sur 23, et les La Tour jugés authentiques seraient de 12 sur 23 (au lieu de 9 sur 18). 


Un article promotionnel de Connaissance des Arts sur les expositions de septembre ajoute évasivement un tableau à la liste des La Tour, le Reniement de Pierre, de Nantes. C'est hélas de très loin le moins intéressant des 3 La Tour que conserve le musée de Nantes. Comme le tableau de Stockton, le seul point où s'accordent les spécialistes est qu'il contient très peu de la main du peintre, avec quelques petits détails réussis invisibles sur les mauvais clichés disponibles. 


On lit également dans un copieux article de 10 pages sur La Tour dans la revue Connaissance des Arts "Au sein de l’exposition, seul l’admirable Saint Jérôme du musée de Grenoble ..." Ainsi Grenoble aurait prêté son La Tour. C'est un La Tour des débuts déjà bien maitrisés, des débuts cruels et véristes qu'on peut moins aimer que les formes épurées de la maturité mais qui restent impressionnants de virtuosité.


Un long article sur La Tour dans BeauxArts Magazine de septembre recense, dans un petit encadré sur l'exposition, les La Tour de l'étranger parmi lesquels 3 "nouveaux" :

Les larmes de saint Pierre, du musée de Cleveland, un des rares La Tour datés (1645), un des rares peints avec du bleu sombre et du bleu-vert, un peu démonstratif pour un La Tour mais attrayant. 

- Un couple de vieillards en deux grands portraits, du MFA de San Francisco. Ils dateraient des débuts du peintre, comme le vielleur au chien de Bergues. Certains spécialistes doutent de leur attribution.  


Tout cela reste à vérifier, au moins en librairie dans le catalogue de l'exposition.


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Mise à jour du 07.09.2025 : Deux nouveaux articles viennent d'ajouter 9 tableaux à la liste des La Tour de l’exposition ! Et pas uniquement des tableaux mineurs, au point qu’on se demande comment peuvent être exposés les 32 La Tour et quelques autres (comme Adam de Coster, parait-il) dans les quatre petites pièces du musée. Les chiffres passent ainsi, sous réserve d’inventaire, de 23 à 32 La Tour, les étrangers de 6 à 12, et les La Tour certainement authentiques de 12 à 16.


Est-ce que cela peut modifier votre décision ? Non, évidemment si vous aviez décidé d’y renoncer à cause des conditions de visite, qui ne peuvent qu’empirer, mais oui, éventuellement, si vous pensiez vous abstenir en raison de la proportion importante de tableaux mineurs et de copies (mais vous ne verrez pas plus des grands chefs-d’œuvre nocturnes)


Les 2 nouveaux articles : ilgiornaledellarte, Connaissance des Arts.
Les 9 nouveaux tableaux :
- Les deux versions de Jérôme pénitent (Stockholm et Grenoble). Excellente chose que de pouvoir les comparer
- Les deux versions des Tricheurs (Louvre et Fort Worth). Même remarque que ci-dessus. Les couleurs de la version américaine, qu'on connait peu, sont rares et d'une remarquable délicatesse. 
- Sébastien soigné par Irène, du musée d’Orléans, assez triste copie.
- Fillette au braisier, du Louvre d'Abu Dabi, très peu sinon rien de la main de La Tour.
- L'argent versé (Lvov ou Lviv, Ukraine), les tout débuts de La Tour.
- Souffleur à la pipe (Tokyo, musée Fuji), plutôt joli mais de gros défauts de dessin (la bouche notamment), certainement de la main d'Étienne, fils de La Tour.
- Saint Grégoire (Lisbonne ???), trois points d'interrogation suffiront.
- Saint Jacques découvert très récemment, on invoque encore les mains d'un atelier hypothétique. 

Décidément, on n’en finira jamais avec cette exposition, on racle les fonds de tiroir, à quelques jours de l’ouverture, comme si les musées étrangers ou de province pas vraiment sûrs de leur La Tour se précipitaient pour leur ajouter un peu d’authenticité dans une grande "rétrospective".
Allez, ajoutons pour faire un mauvais jeu de mots et arriver aux "33 La Tour" le douteux Vielleur de Remiremont

mercredi 13 août 2025

De La Tour, la douche de l’automne (1 de 2)

Georges de La Tour, La bonne aventure (New York Metropolitan museum),
ce qui nous attend le 11 septembre prochain (détail).

Fidèle à une habitude ancienne - parler des expositions après qu’elles ont fermé leurs portes - Ce Blog innovera aujourd'hui dans l’inactuel, en jugeant une exposition qui n’a pas encore eu lieu. 
Elle ouvrira dans un mois, le 11 septembre 2025, et pour 4 mois et demi, au musée Jacquemart-André, au cœur de Paris. Et il faut dire que des fées - hélas pas totalement dégrisées - se sont penchées sur son berceau.

La première fée, celle qui, depuis que l’Institut de France lui a confié les clefs du musée Jacquemart en 1996, organise ses expositions, c’est la fameuse Culturespace, cette entreprise qui vulgarise les œuvres déjà populaires des musées, en en projetant des reproductions mouvantes sur les murs de lieux divers et inappropriés, inondées des musiques et des commentaires appropriés. 
Filiale d’Engie, anciennement Gaz de France, on imagine sa science de la peinture. Qu’on se rappelle sa catastrophique exposition Caravage sans Caravage en 2018, et en 2025 dans le même musée, cet éloge de la médiocre fille du peintre Orazio Gentileschi. Sa spécialité est le markéting et le montage de faux évènements culturels. Avec ses déboires auprès de la justice (entre autre pour parasitisme) et ses pratiques douteuses, c’est un peu le retour de la Pinacothèque de Paris de triste mémoire. 

La seconde fée, soutien financier de l’exposition, c’est la fameuse banque Natixis, experte également, mais plutôt spécialisée dans les erreurs de gestion, de management, et de placements dit l’encyclopédie, sauvée de la crise financière de 2008 par les "finances publiques".

Dans les locaux exigus du musée Jacquemart illuminés par ces deux insignes magiciennes, on se prépare à vivre une "rétrospective inédite", dit la presse passe-plat ; trois ou quatre tableaux illustres parmi une vingtaine d’œuvres mineures d’un peintre inestimable et rare, saucissonnées avec d'autres toiles secondaires dans 4 petites pièces (environ 200 mètres carrés au total). Imaginez, ou revivez peut-être, ce que cela représente de faire entrer au chaussepied 30 ou 40 personnes dans une pièce de 50 mètres carrés.

Alors vous vous interrogez : comment pensent-ils nous attirer dans pareil traquenard, quel baume y apaiserait un tel calvaire ?
C’est là qu’interviennent la méthode de Culturespace, et les médias, même spécialisés, qui diffusent les yeux fermés sa publicité prémâchée, additionnant erreurs, mensonges et omissions. 

Et c’est la question que nous examinerons dans la prochaine chronique :
Y a-t-il une bonne raison d’aller se détruire l'humeur au musée Jacquemart-André cet automne ?



Georges de La Tour, La bonne aventure (autre détail).

lundi 16 juin 2025

Et le triptyque de Moulins, dans tout ça ?

La sacristie, sur le flanc nord de la cathédrale de Moulins, point de départ et destination finale du périple du triptyque.
Comme on le lira plus loin, il faudra encore quelques mois de patience avant d’espérer voir des reproductions correctes du tableau de Jean Hey, et comprendre peut-être enfin pourquoi Ce Blog parle tant de ces trois malheureux bouts de bois. En attendant remémorons-nous la manière du peintre avec cette belle reproduction d'une Annonciation conservée à Chicago par l’Art Institute.
 
 

On ne lit pas assez le journalisme de préfecture, les quotidiens régionaux. On soupçonne qu’il ne s’y passe que des débuts d’incendie, des refus de priorité, parfois un ministre qui inaugure une charcuterie. C’est vrai, mais c’est aussi dans La Montagne de Clermont-Ferrand qu’ont été publiées, chaque mardi pendant plus de 18 ans, près de 900 chroniques du plus savoureux des écrivains du siècle dernier, Alexandre Vialatte.

Et c’est justement ce même quotidien régional, dans l’édition de Moulins, qui rappelle régulièrement à ses abonnés qu’il n’a pas oublié ce jour glacial, sans doute, de novembre 2022, quand les plus hautes autorités culturelles du pays emportèrent, vers la capitale et vers un futur hasardeux, la merveille de la ville, les trois fragiles panneaux peints du triptyque du Maitre de Moulins, dans un fourgon blindé.  


Les amateurs de drame historique peuvent reconstituer cette épopée en lisant dans l’ordre les chroniques de Ce Blog consacrées au tableau (2300 mots, 15 minutes de lecture) :

2015, octobre : une lamentation (Le maitre de Moulins) 

2021, janvier : des inquiétudes (Inactualité du triptyque de Moulins)

2022, juin : l’enlèvement (Moulins encore)

2025, juin : les atermoiements (la présente chronique)


Sans oublier les articles du quotidien La Montagne (édition de Moulins), parfois en accès libre, qui veille sur son patrimoine en marquant le triptyque à la culotte :  

2022, 3 novembre : départ de Moulins et agenda de restauration du tableau (réservé aux abonnés)

2023, 20 février : arrivée à Paris, la radiographie (réservé aux abonnés)

2024, 9 juin : un article bien illustré en accès libre, rappelle aux auvergnats inquiets pourquoi le tableau est aujourd'hui au Louvre et remplacé à Moulins par un facsimilé.

2024, 12 juin : en complément, un copieux diaporama en accès libre d’une visite à l’atelier de restauration du Louvre. Un vrai travail de touriste amateur, 76 photos, en réalité toujours à peu près la même, mais au moins un témoignage probant pris sur le vif.

2025, 18 mars : la restauration est bientôt terminée. Reste le halo qui entoure la Vierge qu'on hésite à décaper. L’agenda du triptyque se précise (réservé aux abonnés)


Notons que le 21 mars 2025, la direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes (DRAC), ne voulant pas être en reste, mettait en ligne un dossier sur la restauration, en 8 parties décousues (voir le sommaire à gauche) et finalement assez creuses. 


L’agenda des prochaines années


Wikipedia croit La Croix, quotidien catholique, et relaie que le triptyque sera exposé cet été au Louvre ; l’été sera là dans quelques jours ; rien n’est annoncé au Louvre. Le propre de la croyance est de ne surtout pas vouloir vérifier ce qu’on vous affirme.


De son côté La Montagne, fidèle gardienne du triptyque, annonce qu’avant son retour dans le futur écrin sécurisé de la sacristie en hiver 2027-2028 (!), la merveille sera exposée au Louvre en hiver 2025-2026, puis à Bourg-en-Bresse et enfin au musée de Moulins. Cette dernière exposition, durant un an à 100 mètres seulement de la cathédrale où elle devrait reposer pour l’éternité prochaine, étonne.


Tout s’éclaircit avec la révélation de RCF (Radio Chrétienne Francophone), plus affirmative, dans un article du 20 décembre 2024 (oui, 3 mois avant l’article de La Montagne, mais Ce Blog va rarement chercher des informations concrètes dans ces sphères qu’illumine plutôt l’esprit saint réservé aux abonnés). Elle y affirme, sans nommer la source de sa révélation, que la suite vient d’être dévoilée, et que le triptyque sera exposé :


fin 2025 jusqu'au printemps 2026, au Louvre de Paris

de l'automne 2026 à début 2027, au monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse

 de début 2027 à début 2028, au musée des beaux-arts Anne de Beaujeu de Moulins (début 2028 est l'estimation de fin des travaux de réalisation de l’écrin d’exposition dans la sacristie et des aménagements techniques dans la cathédrale, qui devraient commencer en 2026).


Ainsi, il reste encore des étapes, sensibles aux aléas économiques et politiques, avant le retour de la merveille. Mais on peut se fier aux Auvergnats, La Montagne ne lâchera pas l’affaire. 

Rappelons toutefois, pour prévenir toute désillusion, que la cathédrale de Moulins est l’une des 87 dont l’État est propriétaire, mobilier et trésor compris, qu’il en finance les travaux, et qu’à ce titre il peut faire ce qu’il veut du triptyque et pourrait même ne laisser à Moulins qu’une photocopie couleur. 


***

Mise à jour du 27.08.2025 : Un discret entrefilet dans le magazine BeauxArts fait état sans plus de précision d'une exposition Hey au Louvre du 26.11.2025 au 04.03.2026