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dimanche 7 septembre 2025

Sargent, l’exposition furtive de l’année

Sargent J.S., portrait des 4 filles Boit, Paris 1882. Malheureusement la meilleure reproduction trouvée sur internet, de faible résolution et sans doute remaniée d’après celle encore plus réduite du musée de Boston.


Préambule
Sargent était un peintre pour peintres, de ces peintres admirés et enviés des autres peintres, virtuose comme le furent Hals, Sorolla, Velázquez, Zorn, parce qu’il savait rendre d’un seul geste impulsif, d’un trait définitif du pinceau sur la toile, un effet qu’eux-mêmes, les autres peintres, ne réussissent qu’au prix de dizaines de touches réfléchies et précautionneuses.

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Une chronique sur l’exposition Georges de La Tour à Paris cet automne se plaignait naguère du peu d’informations données au public sur le contenu précis de ce qu’on l’exhortait à visiter. Par espièglerie nous avions glissé un lien vers le traitement inverse du public, la mise en libre disposition sur internet du contenu détaillé intégral d’une exposition sur Sargent, alors en cours au Metropolitan museum de New York, et qui présentait plus précisément la période parisienne du peintre (sa période de formation - et de quelques chefs-d’œuvre mondains), de 1874 à 1884.

Et comme par hasard, cette exposition débarque à Paris, clefs en main, au musée d’Orsay à partir du 23 septembre 2025 pour 3 mois et demi (9h30-18h, fermé le lundi).   
Et quand on écrit clefs en main, à l’exception du modeste titre "Sargent and Paris" de New York qui devient "John Singer Sargent, Éblouir Paris" en traversant l’Atlantique, Orsay, d’après les descriptions plus que succinctes qu’il en fait, semble n’avoir rien changé à l’exposition originale, ni rien apporté non plus, sinon le prêt d’un tableau.

D’ailleurs Orsay, à deux semaines seulement de l’exposition, s’embarrasse encore moins à nous montrer ce que nous pourrions voir en la visitant que ne l’a fait le musée Jacquemart pour La Tour : dans le chapitre Œuvres de l’exposition dont le pluriel devient inutile, il n’y a qu’une petite reproduction.

Quant au texte de présentation, qui réserve, comme l’exposition, une place de choix au sublime portrait de Madame X, parce qu’il fit à paris en 1884 un microscopique scandale mondain (une bretelle de la robe, rectifiée depuis, était tombée), ce texte pourtant court met en valeur une grossière erreur factuelle, mais "fondée sur un travail de recherche poussé" précise le musée. 
Il affirme que le tableau n’a jamais été exposé à Paris depuis …1884 ! Avec les points de suspension et d’exclamation, car c’est l’évènement de l’exposition. Affirmée par l’expertise d’Orsay, la chose est reprise par les médias, comme la revue Arts in the City (n°94 p.22) qui en fait tonner tambours et sonner buccins : "Et en point d'orgue ? Le retour à Paris de Madame X, prêtée par le Met pour la première fois depuis le jour du scandale. Un face-à-face historique, glaçant et somptueux."

Mensonge délibéré ou banale incompétence ? C’est effarant comme le monde des expositions réécrit systématiquement l’histoire. En vérité ce portrait a été exposé durant plusieurs mois au Grand palais de Paris au printemps 1984, avec deux autres Sargent (voir le catalogue de l’exposition d’alors, "Un nouveau monde" pp.153 & 317, disponible sur eBay).

Ainsi, comme il est hasardeux de se fier au laisser-aller du musée d’Orsay, retournons vers les informations généreuses et abondantes du créateur de l’exposition, le Metropolitan museum (Orsay n’en souffle pas un mot) :

Une vidéo de 22 minutes faite par le Metropolitan (en anglais), superbe par ses beaux détails des principales œuvres, pas pour les commentaires anglais si insignifiants qu'ils pourraient accompagner un documentaire sur un autre peintre, ni pour leur traduction française inexpressive (vidéo néanmoins à déconseiller à qui souhaiterait aller les voir sur place et préserver la fraicheur des découvertes esthétiques, si l’affluence le permet). 

Le texte intégral des commentaires qui accompagnent chaque œuvre (PDF anglais), avec les liens vers la version audio anglaise et sa transcription (aisément traduisible en automatique), le tout illustré !

Enfin l'intégrale de l'exposition en images, avec les liens vers les commentaires de chaque œuvre.

Limitations : Toutes les images de l’exposition n’existent que dans un format très modeste que vous ne pourrez ni agrandir ni télécharger. Sargent est mort il y a exactement 100 ans, et il est partout dans le domaine public, donc reproductible librement sans limitation, même pour le musée américain, qui le reconnait officiellement.
Mais, s’agissant d’un des artistes les plus prisés aux USA, le musée, qui en possède beaucoup, s'est autoproclamé référence sur Sargent, et en profite pour se réserver une exclusivité institutionnelle et commerciale en bridant les reproductions libres de droits, au mépris de ses engagements pour le domaine public. Et il y a fort à parier que le musée d’Orsay, qui a derrière lui un historique de violation du domaine public (rappelez-vous sa tentative pour vendre plus de cartes postales, lire ici et ), en profitera pour prétexter des exigences américaines et interdire la photographie au sein de l’exposition.

Contournements : Les reproductions des chefs-d’œuvre de l’exposition sont souvent disponibles ailleurs en bonne qualité, parfois en très haute résolution, sur les sites des musées prêteurs autres que le Metropolitan. Mais la collecte en est laborieuse, aussi nous vous proposons ci-après quelques belles reproductions des œuvres majeures de l’exposition, au moins celles qui devraient vous encourager à aller les voir sur place. 
N’oubliez pas, comme le sous-entendent les sornettes d’Orsay, que vous ne les reverrez plus avant 2084, quasiment la fin du monde.  

• Fumée d'ambre gris 1880 163cm (Clark Art museum Williamstown)
• Dr Pozzi 1881 202cm (Hammer museum Los Angeles)
• Portraits de M.E.P. et Mlle L.P. 1881 175cm (Des Moines Art Center)
• Louise Lefèvre 1882 130cm (Art Institute Chicago)
• Intérieur vénitien 1882 87cm (Carnegie museum of Art Pittsburg)
• Fin de repas 1884 67cm (San Francisco Fine Arts)
• Anniversaire 1885 74cm (Minneapolis Institute of art)
• Les filles Boit à Paris 1882 222cm (Boston museum of fine arts)
Tableau exceptionnel, très librement inspiré par les Ménines de Velázquez, considéré par beaucoup comme un chef-d’œuvre "définitif", objet de nombreuses vidéos, d’articles détaillés passionnants, des livres lui sont consacrés et pourtant le musée de Boston le reproduit très modestement et aucune très bonne reproduction ne semble exister.  
• Madame X 1884 209cm (Metropolitan museum New York) vignette du musée, reproduction plus détaillée que la vignette
Chef-d’œuvre de jeunesse effectivement, hélas possédé par un musée qui n’en diffuse qu’une vignette, on en trouve quelques reproductions plus détaillées mais jamais fidèles aux couleurs réelles, que le ridicule timbre-poste du Met, lui, respecte.


Ces informations ne sont justes que si toutes ces œuvres traversent l’Atlantique, ce qu’Orsay se garde bien de préciser, puisqu’il ne dévoile pas le contenu de l'exposition. Il écrit cependant qu'elle présente 90 œuvres, ce qui était le cas de celle de New York. Évidemment, comme pour l'exposition De La Tour (dont deux grosses mises à jour pourraient bien modifier votre envie de la visiter), Orsay peut encore se réveiller d’ici l’ouverture et nous faire la charité de quelques informations. En revanche il sait déjà que l'exposition fera l'objet d'une grosse affluence et recommande dès aujourd'hui la réservation d'un horaire de visite. Notons que les amateurs de sculpture sont encore plus mal lotis, le musée, qui organise en parallèle une exposition sur le sculpteur Troubetzkoy en montre encore moins.

samedi 8 mars 2025

Et où en est l'IA ?


"Five mins to opening", œuvre d’art créée par l’intelligence artificielle, sous la forme de courtes séquences - l'état actuel de l'art - raboutées par un humain qui lui en a fourni les scripts, tout en restant vigilant sur les profondes questions sociétales du vieillissement et du consumérisme, précise la description du lot soumis aux enchères chez Christie's le 5 mars 2025.
S'estimant dans le principe lésés par cette IA qui pille leurs œuvres sur internet sans les rémunérer et les concurrence en vendant ses imitations, 3000 artistes ont demandé par pétition à Christie's, sans succès, d'annuler cette première vente d'œuvres exclusivement créées par l'IA.
L’IA trouvant effectivement ses sources dans l’immense univers de l’internet, donc chez tous les artistes qui y sont visibles, et dans l'autre sens, les États-Unis ne reconnaissant pas pour l’instant de droits d’auteur sur les réalisations de l’IA, on ne sait pas clairement qui doit être crédité ici. Sans doute Niceaunties, l’humain cité plus haut qui a ficelé l’ensemble et touchera en bitcoins les mirobolants 11 340$ de l'enchère.
Profitons de ce brouillard juridique pour vous exaspérer avec cette œuvre qui enchantera les enfants (pensez à la visionner une bonne douzaine de fois après avoir monté le volume sonore).

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Depuis quelque temps les médias ne cessent de nous seriner que l’intelligence artificielle (IA) est capable de faire 1000 fois plus vite et mieux tout ce que notre cerveau fainéant répugne à faire, et qu’il n’existe plus un problème qu’elle ne saurait résoudre. Hier, elle a authentifié une œuvre d’art, le célèbre et controversé "Cavalier polonais" de Rembrandt, de la collection Frick à New York. Et on se souvient qu’elle avait en 2021 jugé sévèrement le "Samson et Dalila" de Rubens, fierté de la National Gallery de Londres. 


Certaines personnes - par ailleurs tout à fait équilibrées dans la vie courante - pensent que ces deux tableaux sont des chefs-d’œuvre :

Le premier, malgré des erreurs de proportion - par exemple la jambe ridiculement courte et plate du cavalier - et malgré son aspect boueux et manifestement inachevé. Son attribution à Rembrandt a été contestée dans les années 1980, comme la moitié de son catalogue d’alors, mais presque rétablie depuis, faisant bien entendu varier sa valeur marchande d’un facteur 1000 à chaque revirement.  

Le second parce qu’acheté contre une fortune il y a 40 ans, chez Christie’s et les yeux fermés, sans expertise sérieuse, par la National Gallery. Elle le considère depuis comme un de ses joyaux, et ignore avec dédain les arguments sérieux des quelques experts qui en contestent l’authenticité.


Pour le premier, l’IA de la société Art Recognition a considéré en 2024, une fois exclues certaines retouches admises par tous comme datant du 19e siècle, que le reste était de la main de Rembrandt avec 69% à 83% de probabilité selon les zones analysées, très proche en cela des expertises humaines du tableau.

Pour le second, la même IA, inflexible, avait jugé le tableau indigne de la main de Rubens, et même des pieds du maitre, avec une probabilité de 91% !


Nous n'alimenterons pas la vaine polémique des attributions. Un tableau plait ou ne plait pas, c’est tout. D’autant qu’on sait bien depuis les confidences du directeur du Metropolitan museum que près de la moitié des œuvres du marché et des musées sont de fausses attributions, des restaurations trompeuses ou de véritables contrefaçons, et que l’illusion se perpétue parce qu’elle satisfait finalement tout le monde.    


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Examinons cependant la fiabilité et la légitimité de l’expertise par IA.


Quand les médias parlent d’IA, ils parlent de ce que les informaticiens appellent L.L.M., ou Grands Modèles de Langage, ou IA génératives, ou agents conversationnels, car l’intelligence artificielle existe en réalité depuis 50 ans, depuis que les machines décident automatiquement à la place des humains, par le moyen de l’informatique, des logiciels et des algorithmes.

Ce que les médias appellent IA (et qu’on appellera ici aussi IA) est seulement l’évolution, certes spectaculaire, des traditionnels moteurs de recherche sur internet (Google, pour 82,5% de la planète). L’évolution est impressionnante à la mesure des moyens financiers considérables mis à la disposition de ces nouveaux moteurs de recherche, améliorant d’autant leurs capacités d’analyse des données et de dialogue avec l’humain.  


Prenons un exemple concret : depuis 25 ans et avant l’IA, on planifiait un voyage en demandant au navigateur sur internet des renseignements sur la région envisagée, ses villes, ses spécialités, ses attractions. Le moteur de recherche nous retournait un grand nombre de liens vers des sites dont on étudiait laborieusement la pertinence, filtrant les suggestions obsolètes ou manifestement rémunérées, vérifiant sur les sites de cartographie... Des heures de recherche et de réflexion.

Désormais les IA font tout cela automatiquement, organisent notre itinéraire et répondent en direct à des questions toujours plus précises ou épineuses, comme on aurait une conversation dans une agence de voyage avec une personne prodigieusement savante, et qui pourrait pareillement bavarder sur l’anthropologie ou les recettes de cuisine locale.  


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Le principe de fonctionnement de ces machines miraculeuses peut être expliqué simplement. On verra qu’il souffre d’écueils et de biais fondamentaux évidents. Les concepteurs les découvrent et tentent de les corriger à postériori.


On fait d’abord ingurgiter à une énorme machine une gigantesque base de données qui contient si possible tous les textes de l’Internet (ou les images ou les sons : la codification et le traitement de ces données diffèrent mais les modèles les combinent de plus en plus dans leur interface).

Comme on regorge de données à traiter on sélectionne en priorité les sources jugées fiables, encyclopédies, travaux universitaires, livres sérieux, médias et réseaux sociaux qui vendent leurs données. 

Premier biais, la base ne contient que les données numérisées sur internet, provenant donc presque exclusivement de la victorieuse et impériale culture anglophone, y compris ses jugements sur les autres cultures, et les données fournies par des entreprises commerciales, pas nécessairement irréprochables. 


Puis la machine triture ces données et calcule les statistiques d’occurrence des différents mots en fonction du contexte (en fait, elle décompose les texte en cellules de lettres, appelées tokens, les images en patches et les sons en frames). On lit parfois qu’une IA n'est qu'une machine à calculer le mot suivant dans une phrase.

Deuxième biais, la machine ne comprend pas ce qu’elle fait, elle répète ce que ses calculs statistiques complexes lui suggèrent comme réponse la plus probable, et si la réponse est erronée, absurde, incohérente, voire inconvenante, la machine ne le sait pas. Ces choses arrivent couramment, les concepteurs les appellent des hallucinations. 


Par exemple, si vous avez un peu de temps, demandez à l'IA de Google [il suffit, dans le navigateur Chrome, de taper "@" dans la barre d'adresse et de choisir Gemini] : "Combien y a-t-il de samedis et de dimanches entre le 29 mars 2025 (inclus) et le 28 mars 2026 (inclus) ?". Encore récemment l'IA répondait 54 samedis et 52 dimanches. Ne riez pas, seules 2 IA sur les 5 consultées ont donné la bonne réponse.

On interrogera donc toujours un nombre impair d’IA si une décision vitale en dépend. 


Ces biais sont connus et les correctifs sont progressivement mis en place : on greffe des fonctions de calcul, on accumule des filtres de conformité ou des règles de modération du contenu qui contrôlent les réponses. Ainsi, sur une IA chinoise, l’histoire du Tibet, du Népal ou de la Mongolie sera réécrite et une armée d'invasion deviendra une armée de libération, comme bientôt, sur les IA étasuniennes, disparaitront le golfe du Mexique et le dérèglement climatique. Anecdote récente, Grok, l’IA de la société xAI, vient d’être modifiée (puis rétablie) pour ne plus dire de mal de son propriétaire, E. Musk. 

Évidemment ces couches de correction qui édulcorent et orientent les réponses entrainent d’autres biais parfois surprenants : sur un sujet où l’IA n’a pas de réponse définitive, si vous affirmez avec insistance une stupidité, volontaire ou non, il arrivera parfois qu’elle finisse, conciliante et pour éviter le conflit, par vous donner raison et surenchérir dans l’absurdité (les verbatims sont à la disposition du lectorat sceptique)

On interrogera donc l’IA dans des domaines qu’on maitrise suffisamment. 


Enfin, quand la planète entière utilisera les réponses et les productions de l’IA pour ses propres décisions et réalisations, se profilera le risque majeur, la dégradation rapide du contenu de la base de données, puisque la machine coprophage ne se nourrira plus que de ses propres productions, qui auront alors perdu tout lien avec la réalité perçue, comme des photocopies de photocopies à l’infini.

Le monde de l’IA a récemment pris conscience qu’elle finirait ainsi par ne plus créer que des monstres, mais elle n’a pas encore trouvé le moyen de reconnaitre ses propres rejetons pour les exclure de ce qu’elle ingurgite.


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Passons brièvement sur quelques dommages collatéraux de l’utilisation de l’IA.


Utiliser l’IA sera certes multiplier par 1000 les performances du porridge crânien qui nous sert à avoir un avis sur le monde et piloter nos décisions, mais au prix d’une consommation d’énergie multipliée également par 1000, comme le résume l'IA elle-même : "Une recherche par Google consomme 1000 fois moins d’énergie qu’une requête à OpenAI GPT-4" (GPT-4, février 2025). 


Utiliser l’IA sans vérifier soigneusement ses réponses sera renoncer à une grande part de ce qu’on estimait être notre liberté de choix, de jugement - mais on y avait déjà sérieusement renoncé en faisant confiance aux moteurs de recherche de l’ancien modèle - et il n'est plus temps de se demander si le besoin existait réellement : Google qui craint à raison de perdre sa suprématie a commencé à transformer son moteur de recherche pour y intégrer progressivement les fonctions de l’IA.  


Enfin il est probable qu’utiliser l’IA fera progressivement disparaitre les métiers qui consistent à regrouper, trier, classer et récapituler des données. Cependant pour satisfaire la formidable voracité de l'IA en électricité, les vieilles centrales nucléaires et à charbon commencent à renaitre, avec leurs besoins en main-d'œuvre. La nature est bien faite.


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Concluons : en complément de l'examen de la littérature sur le sujet, Art Recognition dit avoir décomposé et analysé des reproductions en haute résolution des tableaux de chaque peintre, et des peintres proches ou contemporains, et en avoir déduit leur style, leur manière, leur technique ; déduction dit-elle exempte des travers et de la subjectivité de toute expertise humaine. 

Admettons, mais la base de données parait tout de même un peu mince pour des statistiques raisonnables et le résultat n’aura jamais la force probante d’une analyse physico-chimique des couches et des pigments. Par ailleurs est-on certain que les biais qui faussent habituellement tout jugement humain s’évaporent par miracle quand on les décompose en éléments minuscules dans une base de données ? Les filtres et règles de conformité empilés pour que les IA restent bienpensantes semblent démontrer le contraire.  

Finalement les réponses de l'IA sur l’authenticité des tableaux n'ont fait que confirmer pour Rembrandt, le jugement tiède des expertises à son endroit, et pour Rubens, la virulence des argumentations contestataires et la légèreté des réfutations officielles. La National Gallery dit qu'elle attend depuis 2021, pour répliquer, le rapport définitif et détaillé d’Art Recognition.


Un peu de bruit pour rien, mais qui nous aura donné l'occasion d'étudier de plus près le nouveau mirage que s'est inventé notre civilisation pour ne pas voir le chaos où elle se précipite.


Et si on nous fait remarquer, à la lecture de ce tableau des bienfaits de l’IA, qu’elle promet toutefois des avancées scientifiques notables, on rétorquera que ça serait bien la moindre des choses quand on réalise les pluies de milliards qui arrosent ces domaines bénis de nos dieux où l’IA n’est après tout qu'une nouvelle méthode d’analyse des données, d'autant plus fragile qu'elle sera performante. 



Mise à jour du 10.03.2025 : décidément les surprises pleuvent comme les milliards dans ce monde merveilleux de l'intelligence artificielle. Quand une voiture autonome devra décider entre percuter un mur et finir à la casse ou percuter un être humain et s'en sortir avec un passage dans une laverie automatique, quel sera son choix, à votre avis ? Cet article du 9 mars de Courrier international contient peut-être la réponse. 


samedi 17 août 2024

La vie des cimetières (113)



Les funérailles, les rites des hommes, c’est fait pour les vivants. Le mort ça lui est bien égal qu’on le promène dans le corbillard, qu’on l’incinère ou qu’on l’enterre, c’est des soucis pour les vivants, des sottises pour occuper les vivants, justement, comme on ne sait pas quoi penser, quoi faire. Quand vous êtes devant une tombe vous ne savez pas quoi faire, il y a rien dans cette tombe, absolument rien, elle est vide, le mort n’est pas là, il est dans le souvenir qu’il vous a laissé. Dans le cimetière il y a rien.

Jankélévitch Vladimir, entretien sur la radio France Culture, autour de 1980.



Il est des cimetières où l'humain laisse la végétation s’occuper des sépultures, sans s’en mêler. Négligence, oubli, ou peut-être embarras, indécision, comme le disait Jankélévitch, on ne sait pas quoi faire devant la mort.

La coutume anglaise a longtemps été de laisser les herbes, parfois les arbres, pousser entre les tombes. Le cimetière se transforme alors en parc, en bois où on se réfugie pour fuir l’agitation de la ville. 

Sur le continent on préfère nettoyer les mauvaises herbes entre les tombes. Chacun chez soi. Imaginez la mauvaise humeur des défunts, empêtrés dans les racines et le chiendent au moment de la résurrection. 


Abney Park cemetery, au nord de Londres, est l’un des 7 cimetières créés autour de la ville pour des raisons sanitaires pendant la décennie 1830. Comme Highgate, Nunhead ou Tower Hamlets, il est abandonné à la flore et couvert d'arbres. Le persil des bois (ou cigüe blanche) et le muguet bleu s’y sentent bien. Au centre, la chapelle vient d’être, dit-on, parfaitement restaurée. On y entendait naguère, parmi les gravats, une chanteuse inspirée par la complainte du Didon et Énée de Purcell*. 

Bientôt le parc sera plus animé, il y aura des concerts de jazz progressistes, des stands écologistes, peut-être des cours de yoga ou de menuiserie.

Les promenades nocturnes pour adultes à la rencontre des chauvesouris seront reconduites cette année. La prochaine est dans une semaine exactement.

* Sur tablette ou téléphone la vidéo fait n'importe quoi. Sur le navigateur d'un ordinateur, elle débutera au plus beau moment de la mort de Didon, et le déplacement de la souris sur l'image déplacera le regard autour de soi dans la chapelle pendant l'audition.



Toutes les illustrations de cette page : Abney Park, 16 mai 2013



samedi 22 juin 2024

Médias : l’utopie approche


Tous les médias, jusqu’aux plus sérieux, puisent depuis des années dans les réseaux sociaux où ils trouvent une grande part de leurs informations. Et cependant qu’ils les pillent en les citant abondamment, ils les dénigrent et leur reprochent une absence de rigueur, de déontologie, et la propagation de fausses nouvelles ; tous travers dont ils ne souffriraient pas eux-mêmes, médias établis dirigés par des propriétaires désintéressés.

En effet quelle information sérieuse et à jour peuvent fournir un grand journal ou une agence de presse, qui emploient au mieux quelques centaines de journalistes pour informer quelques millions d’abonnés, face à plusieurs centaines de millions d’individus connectés en permanence et en temps réel, voire presque 3 milliards pour ce fameux réseau au nom de Trombinoscope créé il y a 20 ans pour partager des avis sur la tronche des étudiantes de la classe ? L’Union internationale des télécommunications déclare aujourd’hui plus d’abonnements téléphoniques mobiles que d’habitants sur la planète. 

Et les médias n’ont pas encore tout vu. Qu’ils ne s’impatientent pas, le paradis de l’information se déploie à marche forcée en France aujourd’hui, au motif de la sécurité des jeux olympiques. On a déjà commenté cette fascination des pouvoirs pour le système automatisé du crédit social chinois, basé sur l’omniprésence des caméras de surveillance et l’espionnage des téléphones mobiles, le tout orchestré par les estimations de deux ou trois algorithmes incontrôlables. Si aucun de ces systèmes n’a jamais prévenu le moindre attentat ni apporté la preuve de son utilité, au moins fourniront-ils bientôt aux médias la source de toute information digne de ce nom. 
Sur notre illustration, une caméra de surveillance dans une rue de Langfang au sud de Pékin surprend la pratique du surf sur la voie publique en dehors des heures de loisir, aggravée par la dégradation d’équipements collectifs (l'infraction est d’autant plus évidente sur le document sonore original). À défaut de données plus précises, on peut supposer un retrait important de points au crédit social du contrevenant par le système automatisé.  

Assurément les médias, alimentés en continu, n’auront plus le temps d'enquêter sur les questions de fond, qui ne regardent finalement que la justice et la confidentialité de la vie privée des individus, mais ils auront la liberté d'en commenter les aspects esthétiques, car il faut bien reconnaitre en l’espèce que là où Buster keaton ou Jacques Tati dépensaient des fortunes en mise en scène et ingéniosité technique, une simple caméra automatique fournira désormais une inépuisable source d’évènements parmi lesquels une part mathématiquement non négligeable dépassera inévitablement l’imagination.   

Note : Les chiffres les plus récents, aussi peu fiables que les propos de notre chronique, font état actuellement en Chine d’une caméra de surveillance pour deux habitants, en moyenne.