dimanche 30 août 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (7)

Un des ours du petit diverticule à l'est de l’entrée de la grotte Chauvet originale, tracé d’un geste assuré à l’ocre rouge.

Le 18 décembre 1994, un certain M. Chauvet et deux amis, spéléologues, découvrent au lieu-dit de la Combe d’Arc sur une falaise qui longe la rivière Ardèche l’entrée obstruée de ce qui s’est révélé être l’une des plus riches grottes ornées de l’art paléolithique européen.

Le style des œuvres y est globalement moins raffiné que dans les grottes d’Altamira ou de Lascaux, mais les techniques et les figures de style en sont étonnamment proches bien qu'éloignées de 10 à 15 000 ans, d’après les datations (encore très discutées) du charbon de bois qui les aurait tracées.

D’éminents scientifiques de divers ministères eurent alors le privilège d’étudier longuement et scrupuleusement la grotte. Ils décidèrent en toute impartialité, pour protéger la caverne, que le public ne devrait jamais avoir le droit de visite, à l’exception des mêmes scientifiques, des découvreurs de la grotte, des « Officiels », et de leurs familles et amis.

Puis s'ensuivirent, comme il est naturel autour des plus grandes réalisations de l’Humanité, vingt années de petitesses administratives et de mesquineries judiciaires à propos de l’exploitation commerciale du nom du site, de la propriété de la terre et des droits de l’image sur les œuvres pariétales.

Et comme le public, indifférent aux questions d’authenticité, est toujours prêt à affluer aveuglément à tout événement qui l’éloigne de son ennui ordinaire, on décida de créer une copie, deux kilomètres au nord de l’original.
Ce fut rondement fait en trois ans, avec de la dynamite et beaucoup de béton (voir le documentaire Les génies de la grotte Chauvet).
Le résultat n’est pas un véritable facsimilé car pour respecter l’enveloppe budgétaire les surfaces artistiquement ou paléontologiquement sans intérêt ont été ignorées et les 8500 mètres carrés au sol de la grotte ont été ainsi concentrés sur 3000 mètres carrés.

Les copistes des œuvres graphiques disent avoir « reproduit les gestes originaux avec les matériaux de l’époque - notamment l’ocre et le charbon de bois - et sacrifié ainsi un peu de l'exactitude au profit de la dynamique et du souffle qui anime les figures ». Ils insistent en se qualifiant de faussaires plutôt que copistes (« Les génies de la grotte Chauvet » à 7’30 et revue Science et avenir 819, mai 2015, p.11).
On le constatera sur le site internet de la réplique. Parcimonieux, il mêle discrètement quelques rares reproductions des parois de la copie, appelée « Caverne du pont d’Arc », à des parois originales furtivement sous-titrées « Grotte Chauvet Pont d’Arc ». On remarquera peut-être sur les copies l’application avec laquelle les faussaires contemporains ont imité le style de leurs lointains confrères de la préhistoire. Cela donne à leurs traits un aspect un peu sec, que le temps se chargera certainement d’user et d’adoucir.

Le public peut visiter la copie depuis le 25 avril 2015.
La presse unanime a poli pour l’occasion l’artillerie des superlatifs, à l’exception d’un journaliste anglais dans The Guardian qui s’exclame « Qui paierait pour aller voir un faux Rembrandt ? »
Question éternelle. Manifestement beaucoup de monde, répondent les premiers chiffres de fréquentation, pour l’instant le double des estimations, environ 60 000 visiteurs par mois (pour mémoire les découvreurs touchent 3% de la recette).

Pourtant la réplique se visite au pas de course, dit-on, en 50 minutes dans la pénombre, l’humidité et le brouhaha, derrière un guide obligatoire, à raison d'un groupe de 28 toutes les 4 minutes. La durée de chaque station est rigoureusement chronométrée après quoi son et lumière sont coupés.
Et pour qu’il n’en reste aucun souvenir toute photographie y est strictement prohibée, ou peut-être pour ne pas permettre la comparaison avec le site original, ou pour accélérer ce flux lucratif et vendre plus de cartes postales, ou pour respecter les droits d’auteur des artistes préhistoriques, qui sait ?

Finalement on a maintenant une grotte Chauvet nommée caverne, certes un peu rétrécie et surpeuplée mais avec tout le confort moderne, parking, toilettes et boutique de souvenirs.
L’amateur exigeant aura peut-être intérêt à visiter le superbe site virtuel officiel de la grotte originale qui lui procurera des heures d’une admiration moins frelatée.
 

dimanche 16 août 2015

La vie des cimetières (64)

Milan cimetière monumental, soldat indisposé vers sect. 9-13, 11.05.2008


À l’occasion des grandes guerres il importe aux nations que leurs représentants en première ligne se sentent soutenus par l’affection conjuguée de leur famille et de leur patrie.

Alors pour faciliter les échanges épistolaires et éviter la déconvenue des lettres censurées qui ne parviendront jamais à leurs destinataires, l’administration des postes a imaginé la carte postale préremplie en franchise militaire.

Carte postale préremplie, 1914-1918


On remarque à la lecture de leur contenu normalisé que l’expression « carte en franchise » est à prendre ici uniquement dans le sens d’une exemption de timbre.

Ainsi peut-on mourir pour son pays en toute sérénité, l’esprit en paix. Une missive prometteuse est en route vers les personnes aimées.


Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

samedi 8 août 2015

Histoire sans paroles (18)

Ronda, 17 juillet 2012.

À l'adresse des personnes qui approuvent la loi opportuniste adoptée en juillet par l'Assemblée Nationale et qui autorise une surveillance généralisée des échanges entre citoyens (loi Renseignement), rappelons cette pensée d'Edward Snowden « Soutenir que vous êtes indifférents au droit à la vie privée parce que vous n’avez rien à cacher revient à dire que vous vous contrefichez de la liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire. »