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dimanche 14 avril 2024

Ce monde est disparu (12)

Francis Silva, Lever de soleil à Tappan Zee (Vente Sotheby's 3.12.2008, résultat : 2 570 000$

Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.


Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886. 

Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.

Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères). 


Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.

C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.

Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.


Cependant sa cote grimpe doucement, et atteint parfois des sommets - voir le commentaire de notre illustration d'entête - mais reste très disparate, comme le montrent les enchères récentes illustrées sans ordre ci-dessous, de gauche à droite et de haut en bas.

1. Octobre sur l'HudsonChristie's 22.05.2014, 941 000$
2. La plage de Long Branch - Christie's 18.01.2024, 78 000$
3. Octobre sur l'Hudson - Sotheby's 3.12.2008, Invendu
4. L'Hudson, au loin les Catskills - Sotheby's 19.04.2023, 254 000$
5. Sur la North River - Sotheby's 19.01.2024, Invendu
6. Cape Ann - Sotheby's 19.01.2024, Invendu

samedi 20 mai 2023

Ce monde est disparu (2)


C’était une plage des Pays-Bas, alors Provinces-Unies, animée par Simon de Vlieger vers 1646.

Le 17ème siècle fut l’époque de la grande prospérité pour les Pays-Bas, et l’âge d’or pour les peintres hollandais, qui étaient les premiers à reproduire fidèlement le monde qui les entourait, tel qu’ils le voyaient, et tel que le réclamait la nouvelle bourgeoisie, plus attirée par les images prosaïques de son quotidien que par les mirages de la peinture religieuse.

Le genre le plus ingrat était le paysage marin : les plages infinies, sans reliefs, les ciels gris, le sable… Pas de quoi retenir l’intérêt du bourgeois. Cependant il s’en vendit des milliers, peut-être parce que dans ce pays sans ressources la fortune venait du grand large, du commerce de la mer Baltique à l’océan indien.
Et puis De Vlieger (suivi par Adriaen van de Velde et Jan van de Cappelle) était un maitre dans l’art d’animer les bords de mer, dans le rendu des atmosphères et des ciels brouillés, plombés, orageux, balayés par le vent, et qui s’étendaient sur les trois-quarts de la toile.

En réalité ce panier de Simon de Viegler qui sèche sur une ancre abandonnée, ces rideaux de pluie, ce carrosse spectral, ne sont pas encore tout à fait disparus. Ils s’évanouiront le 25 mai 2023 vers 11 heures (17h en France), à New York, chez Christie’s, où un Siberechts fut naguère aperçu.

mercredi 20 juillet 2022

Le neveu de Ruysdael

Jacob van Ruisdael - Paysage au crépuscule avec berger et deux chiens, 1648, 68 x 52cm (Vente Christie's 07.07.2022, 4M$), restauration numérique.
 
Les salles de ventes proposent couramment de vieux paysages de campagne, remplis d'arbres, encrassés et illisibles. On y distingue parfois un ou deux personnages qui passent. Les consciencieux commissaires-priseurs trouvent qu’ils ressemblent aux tableaux de Jacob van Ruisdael et s’arrangent pour en glisser le nom dans l’intitulé des tableaux, qui en deviennent hollandais. Mais les véritables Ruisdael, dont chaque centimètre carré respire la liberté du pinceau et la délicatesse de l'inspiration, comme celui qu’on présente ici, sont rares sur le marché. 

Large de 68 centimètres et signé en 1648 (en bas à droite), il représente une simple scène bucolique de crépuscule près de Haarlem. Jacob a alors 20 ans. Son oncle Salomon van Ruysdael (avec un Y) est directeur de la guilde des peintres de Haarlem et vient de l’accueillir parmi ses membres. Il lui a appris, au long des années de formation, cette peinture de paysages nonchalante et sans arrière-pensée qu’il venait d’inventer avec quelques collègues, qui ne durera que trois décennies, et qu’on ne pourrait comparer qu’aux pré-impressionnisme, deux siècles plus tard, quand Corot et ses confrères exploreront la région de Barbizon et la forêt de Fontainebleau, inspirés par le commerce naissant de la peinture en tubes et les joies et surtout désagréments de la pratique en plein air.

Bien que peu vu ce panneau de Ruisdael présente un pédigrée sans histoires. Acheté en 1977 (1M$ d’aujourd’hui), confié à quelques expositions, notamment à Fukushima fin 2015 (!), on pouvait le voir, en prêt, au musée Frans Hals de Haarlem entre 2002 et 2017.

Christie’s vient de le vendre contre l’équivalent de 4 millions de dollars (4M$).
À qui ? un musée, un particulier ? Le prêtera-t-il ?

En attendant la réponse en voici une bonne reproduction, subtilisée sur le site de Christie’s qui a sérieusement régressé en matière de présentation des œuvres et ne permet désormais plus de les télécharger, tout en nous gratifiant d’une interface digne des débuts de l’informatique au siècle dernier.

Deux versions sont disponibles ici, deux fois plus grandes que le panneau original (4 fois en surface). Ci-contre l’état actuel photographié par la maison de ventes, et en haut de page une version numériquement restaurée où la couche uniforme de vernis jaunissant a été atténuée.

lundi 9 avril 2018

Tableaux singuliers (9)


C’était pendant le siècle d’or néerlandais, le 17ème. Le commerce était si florissant que tout le monde s’était mis à aimer les tulipes et la peinture. On dépensait ses bénéfices en accrochant dans son intérieur propret des tableaux de Rembrandt, Hals, Vermeer, Cuyp, Claesz, Ruisdael. Les peintres n’arrêtaient plus. C’était l’âge d’or.

Par souci de rentabilité, ou peut-être sous l’effet d’une inspiration artistique iconoclaste, naissait autour de la prospère Haarlem, près d’Amsterdam, un courant pictural qui abandonnait les scènes spectaculaires et les paysages soigneusement historiés et inventait le paysage naturaliste, l’instantané en peinture.
Les nouvelles règles étaient simples, les couleurs faites le plus souvent de bistre, de jaune et de gris (on l’appelle parfois peinture « tonale, ou monochrome »), en couches liquides et légères. Deux tiers ou trois quarts du tableau étaient consacrés au ciel, gris, animé, et le reste était du sable, de la terre ou de l’eau.
Pas d’histoire, pas d’anecdote, on ne représentait que ce qu’on avait devant les yeux.
Parfois, d’un pinceau cursif, la silhouette d’un arbre traversait l’image, et des petits personnages éloignés passaient, s’affairaient, discutaient, sans se soucier du peintre. D’ailleurs le peintre ne les figurait que parce qu’ils étaient ici, à cette heure précise.

C’était une peinture sans symboles, sans arrière-pensée, alerte et économique. Une sorte de révolution impressionniste avant l’heure.
Sans chercher à savoir qui fut le premier, les plus appréciés et donc les plus productifs et prospères se nommaient Pieter de Molyn, Jan van Goyen et Salomon van Ruysdael. Et les musées aujourd’hui encore en hébergent quantité, car ils ont beaucoup produit.

Dans la banalité des moments représentés, Salomon van Ruysdael était peut-être le plus « original », comme dans ce Marché en bord de mer du Metropolitan museum de New York, ou dans cette merveille en illustration ci-dessus, de la collection du musée Norton Simon près de Los Angeles.
Ruysdael y donne l’impression de s’être débarrassé de toute intention, pour ne laisser que l’accidentel, comme si l’appareil photo s’était déclenché fortuitement en tombant sur le sol.

La vogue de ces petits paysages animés apparemment insignifiants durera trente ans, de 1620 à 1650, après quoi on ne retrouvera plus vraiment une telle nonchalance désabusée dans la peinture figurative (*).
Très vite les lumières de la peinture spectaculaire éclabousseront toute cette grisaille.
Poussin calculera avec exactitude la position de chaque feuille d’arbre dans ses grands paysages classiques, et le propre neveu de Ruysdael, le « grand Jacob van Ruisdael », comme dit le Larousse des grands peintres dans son article sur Salomon pour marquer qu’ils n’étaient pas du même rang, obtiendra une renommée appréciable pour ses paysages impressionnants qui préfigurent déjà les émois pathétiques d’un romantisme encore lointain.

Salomon lui-même, dans ses 20 dernières années, devenu directeur de la guilde des peintres de Haarlem, se rapprochera résolument du style classique et équilibré de son neveu.

 (*) Peut-être, 3 siècles plus tard, en trouvera-t-on un écho dans les temperas méticuleuses d'Andrew Wyeth.

Salomon van Ruysdael, paysage avec du ciel, du sable et des personnages nonchalants, 1628, détail (Norton Simon museum, Pasadena)

lundi 26 février 2018

Galerie nationale d’Écosse (2 de 2)


Dans la galerie virtuelle, ouverte depuis peu, des collections de peinture du musée national d’Écosse à Edimbourg, en déambulant parmi des centaines de superbes paysages écossais nuageux et tourmentés, le flâneur découvre des œuvres qu’il n’aurait aucune chance de voir, voyagerait-il jusqu’en Écosse, parce qu’elles ne sont presque jamais exposées, comme les dessins et les aquarelles, trop fragiles à la lumière.

Et il remarquera ainsi William Hackstoun, un artiste si rare qu’il en ignorait probablement jusqu’au nom.

Né en 1855 près d’Edimbourg, Hackstoun étudiait à Glasgow l’architecture, qui le faisait pratiquer le dessin et l’aquarelle. Il était engagé par Ruskin, à Londres, pour faire des relevés et dessins de cathédrales du nord de la France (Ruskin lui conseilla de changer son nom, de Haxton en Hackstoun).
En parallèle il souhaitait faire une carrière de basse d’opéra, mais il semble qu’il ait finalement choisi, suite à des problèmes de santé (ou de caractère, disent certains commentaires), une vie d’aquarelliste modeste, mais reconnu des critiques et des galeries, à Glasgow et à Londres, jusqu’au 8 juin 1921.

Les trois magnifiques aquarelles qui illustrent cette note sont bien à l’abri de toute notoriété dans les réserves à l’hygrométrie contrôlée du musée d’Edimbourg. Ce sont, dans l’ordre de présentation, Paysage avec laboureur et autres personnages de 1889, Maison sur une colline surplombant une vallée de 1890, et Paysage avec des arbres et une rivière de 1893.



lundi 4 décembre 2017

Tripoter des extraterrestres (2 de 3)

Les météorites remontent, comme l’affirmait régulièrement Vialatte à propos de tout et de rien, à la plus haute antiquité. Depuis ces temps lointains, les humains (ceux qui n’avaient pas l’entendement embrumé par des à priori) ont observé et constaté que des pierres, parfois nettement métalliques, tombaient du ciel.

Le plus antique récit, gravé sur l’argile, l’Épopée de Gilgamesh, décrit ainsi le premier songe du roi, sur la tablette 1 (illustration 1), « Alors que m’entouraient les étoiles célestes, une sorte de bloc venu du ciel est lourdement tombé près de moi, j’ai voulu le soulever, il était trop lourd, j’ai voulu le déplacer, je ne pouvais le bouger  ».

Plus tard, il y a plus de 3000 ans, apparait dans la langue égyptienne le mot « fer venu du ciel », et la lame d’un poignard finement ouvragé découvert auprès de la momie du pharaon Toutankhamon est faite d’un fer météoritique (il ne contient pas les mêmes proportions d’éléments, notamment de nickel, que le fer terrien).

Le philosophe grec Anaxagore, cité par Laërce, affirme que le ciel tout entier est fait de pierres en rotation qui tombent lorsque leur mouvement cesse. Le romain Pline les croit soulevées et emportées par le vent, et les chroniques chinoises les consignent avec minutie, mais il faut attendre le 19ème siècle et les météorites d’Alès, de Chassigny et d’Orgueil, pour que la chose soit prise au sérieux, étudiée scientifiquement, et finalement acceptée par l’opinion comme une phénomène naturel.

Les météorites tombées à Alès (Alais) le 15 mars 1806 (ill.2, un reste de quelques grammes sur 6kg) et à Orgueil le 14 mai 1864 (ill.3, une part des 14kg) sont parmi les très rares reliques connues de la nébuleuse primitive qui a formé le système solaire. Ce sont comme des morceaux de soleil avant qu’il ne se contracte et s’échauffe. Elles contiennent des traces d’hydrocarbures, de Xénon, de diamant, et de temps en temps un savant américain en mal de financement, mollement démenti par la communauté de ses collègues, découvre dans un éclat les marques du passage d’une forme de vie extraterrestre.

Découverte en Patagonie en 1951, la « pierre » d'Esquel (ill.4) est devenue un mythe, la Marilyn Monroe des météorites. Sa beauté vient de son alliage de fer et de nickel constellé de grains d’Olivine qui s'est forgé dans la région frontière d’un astéroïde où les couches de silicates flottaient dans le fer liquide. Ses 750 kilos ont été débités en tranches fines translucides comme le cerveau d’Einstein, et les éclats, de plus en plus petits, se vendent actuellement au prix de l’or au kilogramme (35 euros le gramme).

Le Muséum d'histoire naturelle prétend que la météorite de Tiberrhamine (ill.5) a été découverte au cœur du désert algérien en 1967. Laissons le croire à cette légende. Il est évident que c’est un pavé extrait d’une rue du Quartier latin tout proche du musée, reliquat des soulèvements populaires du printemps 1968 dont le joyeux désordre a certainement perturbé la rigueur de ses travaux de classification et de nomenclature.

À suivre dans un troisième et dernier épisode...

samedi 25 novembre 2017

Tripoter des extraterrestres (1 de 3)

Ce blog ne parlant jamais que des réalités démontrées de notre monde, les monuments, l’orthographe, les cimetières, les musées, les épaves, les cathédrales et les vélos, il fallait bien qu’il aborde un jour le sujet des extraterrestres.
Et l’actualité en donne aujourd’hui l’occasion, car 350 d’entre eux sont réunis à Paris, jusqu’à juin 2018, et exposés au public.
Les lecteurrices se récrieront avec véhémence : comment, à une époque de bouleversement de la grammaire, quand on s’efforce d’établir une identité entre le genre des mots et ce qu’ils désignent, peut-on encore traiter des êtres en les exhibant de la sorte parce qu’ils ne nous ressemblent pas ?
Et on imagine leur indignation quand ils apprendront qu’il est permis de les palper, les caresser, les soupeser.

En fait, ces extraterrestres ne sont pas regroupés à Paris au titre d’une quelconque discrimination, mais au contraire pour leur offrir, dans un milieu scientifique contrôlé, des conditions idéales et des moyens modernes d’exprimer leur particularité, de faire comprendre leur présence parmi nous. N’oublions pas que certains ont fait le trajet depuis la Lune, Mars, et même Vesta ou des planétoïdes plus éloignés encore, voire des comètes.

Et pourtant, ils débarquent sur terre à des vitesses dépassant de 50 à 100 fois les vitesses autorisées par la règlementation aérienne, atterrissent - il faut bien le reconnaitre - un peu n’importe comment, parfois sur une vache comme à Valera, sur un être humain à Sylacauga, généralement en pleine mer, ils se cachent le plus souvent des autorités, en souvenir de l’époque traumatisante où leur existence était niée. Bref, ils se comportent en résistants ou en conquérants.



Un bolide extraterrestre en provenance d’Alkaid, dans la Grande ourse, lors d'un atterrissage démonstratif et tonitruant (installation dans les sous-sols de la grande galerie du Muséum d'histoire naturelle).  

Mais il est loin ce temps où les autorités religieuses, séculières et même scientifiques, leur refusaient jusqu’au droit d’exister, prétendant que rien d’impur ne pouvait venir du ciel et qu’ils n’étaient que les hallucinations ou les affabulations de paysans incultes (surtout parce qu’ils ne se présentaient pas avec une jolie robe blanche, des ailes pleines de plumes et une incandescente auréole au néon).

Aujourd’hui, les mentalités se sont ouvertes à l’altérité, à la marginalité, et presque tous les groupes sociaux admettent que les météorites sont des morceaux extraterrestres détachés d’autres corps du système solaire, que leur errance et les lois de l’attraction ont amenés à croiser l’orbite de la Terre.

Au point que le Muséum d’histoire naturelle de Paris leur consacre pendant 8 mois une riche et réjouissante exposition ludique. L’objectif est nettement pédagogique. Il s’agit de faire ressentir aux plus jeunes que ces morceaux de caillou et de fer, gris anthracite et rouille, d’une apparence si banale, sont en réalité des aventuriers venus du plus lointain des temps, d’une époque où les seuls êtres vivants sur terre étaient des choses informes et flasques, et qu’ils ont traversé des étendues où l’espèce humaine n’ira certainement jamais.

On y apprendra qu’après les avoir un peu éventrées, décortiquées puis irradiées, les météorites nous ont enseigné l’humilité, en nous prouvant que les premières poussières qui se sont formées autour de notre étoile, et de quoi nous sommes tous nés, on commencé à s’agréger voici 4 567 000 000 d’années précisément, à quelques minutes près.

C’est pourquoi les deux prochaines chroniques rendront hommage à quelques-unes de ces valeureuses navigatrices à la triste mine.

jeudi 15 juin 2017

Antoine Chintreuil (1814-1873)

S’il n’est jamais tombé dans l’oubli, le peintre Antoine Chintreuil se tient toujours en équilibre près du bord.

Bien sûr, le musée d’Orsay qui possède beaucoup de ses tableaux, et de très beaux, en expose un ou deux en permanence, mais quel amateur met encore les pieds dans ce musée du 19ème siècle français surpeuplé, avec ce baron féodal à sa direction, ses expositions obsessives, pathologiques, et où la photographie est peut-être encore interdite ?

En fait, on se souvient de Chintreuil parce qu’en visitant un jour un musée de province, peut-être Pont-de-Vaux, Reims, Dijon, Mâcon, Rouen, Arras, Lille, Bourg-en-Bresse ou Montpellier, on a remarqué dans un couloir obscur un petit paysage crépusculaire où les silhouettes des arbres se découpaient en formes fantastiques sur un ciel aux nuances si délicates qu’on pouvait deviner l’heure précise de sa réalisation.
Dans un coin, en minuscules cursives proprement calligraphiées, était écrit « chintreuil ».

Antoine Chintreuil était un solitaire. Avant de partir peindre à la campagne, sur le motif, il avait écouté les conseils de Corot, et à travers lui d’Henri de Valenciennes, mais là où ces derniers figeaient leurs paysages dans une intemporalité minérale, la touche fluide de Chintreuil évitait la monumentalité et s’attachait à représenter l’air, l’atmosphère volatile, fugitive. L’impressionnisme n’existait pas encore, mais il n’était pas loin.

Le musée d’Art et d’Histoire de Meudon consacre aujourd’hui à Chintreuil une petite (mais rare) exposition d’œuvres appartenant pour la plupart à des collections privées, jamais exposées jusqu’à présent.
L’entreprise est modeste, les 40 tableaux et dessins sont réunis dans quatre petites pièces dont l’exposition ne semble pas être la véritable destination. Ajoutée au dénuement de la vente de billet et de catalogues, elle fait penser à la tenue d’une œuvre de bienfaisance par un comité impécunieux.

C’est pourquoi il faut encourager cette initiative, avant le 3 juillet, au moins pour la douceur de boire un sirop de menthe à l’ombre des statues du jardin en fleurs du musée, et pour éviter peut-être à Chintreuil la chute fatale dans l’oubli. 










Légende des illustrations dans l’ordre de présentation : 
1. Chintreuil, Soir d’automne (salon 1853 - collection particulière, expo Meudon 2017) 
2. Chintreuil, Peintre au repos (collection particulière, expo Meudon 2017) 
3. Chintreuil, Rivière dans les près, Igny (c.1854 - collection particulière, expo Meudon 2017) 
4. Chintreuil, Travaux d’aiguille au soleil à Igny (collection particulière, expo Meudon 2017). On remarquera le fauteuil mal proportionné qui semble atterrir délicatement auprès de la couturière, comme dans une histoire de Lewis Carroll.

dimanche 14 juin 2015

Nuages (36)




Bruxelles avant l'orage, Place de l'Albertine et Hôtel de ville, 5 juin 2015.

dimanche 6 avril 2014

Nuages (32)


Tandis que les missions interplanétaires vers Mars n'en finissent pas de s'écraser sur la planète ou au mieux de s'épuiser dans sa poussière ferrugineuse sans qu'un avenir martien pour l'homme ne soit sérieusement envisageable, notre correspondant spécial sur Vénus nous transmet ce cliché qui prouve que la situation météorologique n'y est pas si dramatique que le prétendent certains astronomes défaitistes. (Photo P.B. 22.01.2012-16h)

dimanche 23 mars 2014

Friedrich à Dresde

Friedrich, Caspar David (1774-1840), La grande Réserve près de Dresde.

Après des années d'attente, une reproduction acceptable du sublime tableau de Caspar David Friedrich, « La grande Réserve près de Dresde » est enfin apparue sur Internet. On peut la détailler sur le site Cultural Institute (anciennement Google Art Project).

Le tableau représente la réserve d'Ostra sur la rive sud de l'Elbe à l'ouest de Dresde, en Allemagne. Le site est aujourd'hui occupé par le parc des expositions de Dresde (Messe Dresden).
On peut encore se faire une idée du paysage de l'époque en se plaçant un peu à l'ouest de l'autre côté du fleuve, sur la rive nord et regardant la rive sud vers l'est où Friedrich s'est assis au soleil couchant et à probablement réalisé quelques esquisses préparatoires à la sépia ou à l'aquarelle en 1831 ou 1832.

Sa santé avait commencé à décliner. Le tableau sera un de ses derniers chefs-d’œuvre. Acheté en 1832 par ses amis de l'Association d'Art de Saxe, il est depuis 1909 au musée de Dresde, aujourd'hui sur un mur de la Galerie des nouveaux maitres de l'Albertinum, avec une quinzaine d'autres œuvres de Friedrich. Seuls les musées de Leipzig et de Berlin hébergent une collection de ses tableaux de cette importance.

jeudi 30 janvier 2014

Nuages (31)

Regarde ! Écoute ! Une rose tremble dans la brise. 
Un rossignol lui chante un hymne passionné.
Un nuage s’est arrêté. 
Buvons du vin ! 
Oublions que cette brise effeuillera la rose, 
Emportera le chant du rossignol
Et le nuage qui nous donne une ombre si précieuse.
Omar Khayyam (1048-1131), Quatrain 114 (Robaiyat)

Dinard, 26 mai 2012.

dimanche 15 décembre 2013

Magritte en Bretagne



Y a-t-il frisson plus délicieux que de contempler le spectacle d'une nature dont les lois sont transgressées ?

Le peintre belge René Magritte s'en était fait une spécialité.
Sur ses toiles, d'une figuration sobre et distante, on peut voir la nuit s'étendre sur des villes dont le ciel reste parfaitement diurne, on peut voir des nuages prendre la forme d'instruments sophistiqués, des déchirures dans un paysage champêtre épousant des silhouettes d'hommes à chapeau melon, et toutes sortes de choses pesantes qui flottent sans gravité dans des ciels où moutonnent des cumulus épars, comme dans ce « Château des Pyrénées » peint en 1959.

Ça s'appelle le Surréalisme. La raison fait semblant de perdre le contrôle et c'est la conscience d'un décalage avec la réalité qui procure un vertige. On sait bien que ça n'est pas vrai.
Jusqu'au jour où flânant le long d'un quelconque littoral, le badaud découvre des panneaux énigmatiques mettant en garde contre une menace dont la nature n'est pas précisée « Danger, nombreuses victimes ».
Par exemple à Saint-Guénolé dans le Finistère (illustration ci-dessous), on dit que c'est ici l'endroit exact choisi par Magritte en 1959 pour peindre le Château des Pyrénées (la géographie n'était pas son point fort).

Mais depuis lors, l'influence du courant surréaliste faiblissant, l'énorme rocher a fini par s'effondrer ensevelissant un important groupe de touristes qui piqueniquaient au bord de l'eau.
Les Bigoudens racontent qu'ils entendent encore, quand le vent s'insinue entre les débris du rocher, des hurlements plaintifs.

dimanche 14 avril 2013

Le scandale des météores tueurs

La fin pourrait bien commencer ainsi...

Depuis toujours les sociétés humaines ont géré leurs risques en attendant tranquillement qu'un accident ou un scandale surviennent et effarouchent la population. Alors la presse s'indigne et on exige des informations, le pédigrée détaillé des coupables, et enfin des mesures, voire des sanctions. Et les politiques d'affirmer en pleurnichant « Nous ne savions pas ».

Le 15 février 2013, un météore frappait la Terre. L'onde de choc (essentiellement les bris de vitres) blessait des centaines de terriens. Des voix s'élevèrent alors. Ne fait-on rien contre cette menace ?
C’était l'occasion pour la téméraire revue Ciel et Espace de consacrer dans son numéro d'avril un dossier documenté sur ces monstres venus de l'espace, les astéroïdes géocroiseurs, et sur les moyens de s'en protéger.
Et le constat n'est pas reluisant. Les scientifiques ne font pas de sentiment.

Il y a d'abord les météores de la fin du Monde, ceux qui éradiqueraient quasiment toute vie. Leur dimension dépasse le kilomètre. Ils sont une horde d'un petit millier qui rôdent dans notre système solaire, sans que leurs trajectoires soient une menace, au moins pour le siècle qui vient. Exception faite d'une bonne centaine, perdus de vue et qui pourraient bien se précipiter sur nous quand la Terre a le dos tourné. Les dinosaures leur durent leur funeste destinée, parait-il.

Puis, vers les dimensions plus modestes, il y a ceux qui ne détruiraient qu'un continent mais qui sont plus nombreux (peut-être 5000) et difficiles à repérer et à pister. On n'en connaitrait que 30%. Et ceux qui n'anéantiraient qu'une agglomération urbaine, peut-être 500 000, dont on ne connait que 3%, et ainsi de suite jusqu'au caillou qui tua une vache au Venezuela en 1972 (bien que dans ce dernier cas un voisin irascible ait été soupçonné).
Ainsi les astronomes estiment ignorer 99% des bolides de moins de 50 mètres, comme celui du 15 février.

Et si les moyens de détection ne sont pas très performants, on apprendra que les moyens de protection sont inexistants. Les méthodes préventives qui chercheraient à dérouter l'astéroïde de sa trajectoire (ou à le pulvériser) relèvent de la science-fiction. Elles exigeraient dix à vingt ans de préparation. C'est impensable quand on sait, par exemple, que le 15 février, pendant que tous les télescopes de la Terre étaient pointés vers un astéroïde de 30 mètres qui frôlait la planète (2012-DA14, découvert l'an dernier), c'est un petit morveux inconnu de 15 mètres, caché par l'éclat du Soleil, qui profita de cette distraction pour terroriser les populations de l'Oural.

Au dire des experts, la lutte contre les météores géocroiseurs est donc sans espoir actuellement, d'autant que les nombres cités ne sont que des probabilités. Le caillou fatal peut nous pulvériser dans l'heure. L'humain n'est finalement pas mieux protégé contre cette menace que ne le furent les dinosaures.

Il est bon de le savoir.

dimanche 16 décembre 2012

Nuages (30)

Castello Aragonese à Ischia Ponte, Italie

Monsieur Chalon, qui fréquente assidument aréopages et académies de météorologie, et qui s'y connait absolument en nuages, en a pesé certains. Et il ne fait pas que les peser, il les scrute et explique leur comportement social et atmosphérique dans un livre édité en 2002 et toujours disponible « Combien pèse un nuage (ou pourquoi les nuages ne tombent pas) ? EDP Sciences ».

Il soutient qu'un cumulonimbus d'un beau gabarit pèse plusieurs centaines de millions de tonnes, soit plusieurs dizaines de milliers de tours Eiffel, ou quelques dizaines de millions d'autobus adultes. C'est parce que leur volume est immense, ajoute-t-il.
Et tout cela au-dessus de nos têtes, dans un paysage idéal...

mercredi 28 décembre 2011

Nuages (27)



« Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,

Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»

L'époque du solstice et ses nuits interminables a toujours été propice aux rêveries et aux croyances les plus irréfléchies. Rappelons qu'il ne nous reste maintenant plus qu'un solstice à vivre puisqu'au suivant nous mourrons, le vendredi 21 décembre 2012, à 11 heures 11 minutes et 37 secondes TU, exactement.

Pendant ce temps la Licorne Rose Invisible respecte ce qu'elle n'a jamais promis. Elle n'apparait pas dans les buissons d'aubépines ou au fond des grottes humides, ni sur les noyaux de pêche.

Elle se devine à peine dans la couleur des nuages.



vendredi 5 août 2011

Nuages (26)

D'un geste paresseux, l'ouvrier effleura la toile bleu uni du ciel avec une large brosse gorgée de blanc pur. Personne ne se doutait alors qu'il inventait simultanément la calligraphie arabe, la peinture chinoise à l'encre, et l'abstraction lyrique.

mardi 21 juin 2011

Guide pratique de l'ascension

Église collégiale Saint Liphard, Meung-sur-Loire

On se doutait bien qu'il y avait un truc. On ne monte pas au ciel comme ça, simplement en y pensant très fort.

dimanche 18 avril 2010

Décervelage, friperie et fuite du cosmos

« Comment va le monde ?
- Il s'use Monsieur, à mesure qu'il devient. »
William Shakespeare, Timon d'Athènes, Acte 1, scène 1.

Au nord de l'Europe, le plan machiavélique du Père Ubu vient d'échouer. Afin de prendre le pouvoir en Pologne et y mener force décervelages et manger constamment de l'andouille, on se souvient que le Père Ubu avait, la semaine dernière, envoyé par avion les plus hauts dignitaires de l'État polonais, président, gouvernement, armées et banque, rendre hommage aux milliers de compatriotes massacrés par son copain Staline en 1940. On se souvient en outre qu'ayant instauré un impôt sur le décès (15 francs), le Père Ubu avait saboté l'avion présidentiel, ce qui lui rapporta presque 1500 francs.
Son but était d'organiser de colossales obsèques à Cracovie, d'y attirer les dirigeants éplorés de tous les états du monde et de les supprimer sur place. Malheureusement, l'espace aérien européen est vide, interdit depuis quelques jours, et les chefs d'état, américain, anglais, allemand, espagnol, français ont tous annulé ce déplacement funéraire. Le grand décervelage n'aura pas lieu. Et le Père Ubu ne peut s'en prendre qu'à lui-même, car désireux d'être seul au pouvoir, il avait expédié la Mère Ubu dans l'espace à l'aide d'une catapulte de son invention. Mais l'horrible femme et son énorme postérieur, par gravité, sont retombés précisément dans le cratère ressuscité d'un volcan islandais célèbre depuis, faisant ainsi fondre un glacier millénaire et libérant une vapeur pestilentielle (des années d'alimentation à base d'andouilles) qui couvre maintenant toute l'Europe et paralyse la circulation aérienne.

Les restes calcinés de la Mère Ubu.

Pendant ce temps, entre le 10 avril et le 23 mai, des millions de personnes apparemment saines d'esprit et un Pape se rendront à Turin, et adoreront une pièce de toile, datée d'à peine 6 siècles d'après la méthode du carbone 14, et qui aurait enveloppé le corps de leur dieu crucifié voici 2000 ans. Ils appellent cet événement rare une «ostension extraordinaire du Saint-Suaire».
La croyance est invulnérable ; elle ne fait appel ni à la raison ni au doute. «Heureux ceux qui croient sans avoir vu» dit le Christ à Thomas (Jean 20-29). Ces foules qui s'entassent pour adorer une relique effraient, comme les festivités wagnérienne de Bayreuth, les fêtes de la bière, les matchs au stade de France, les pèlerinages rituels dans les pas des prophètes. On y entend comme le beuglement angoissé de l'espèce humaine.

Et on apprend en couverture du numéro de mai de la revue Ciel & Espace que le cosmos s'enfuit ! Comprenez par là que tout s'éloigne définitivement, et de plus en plus rapidement, ça vient d'être prouvé. C'est à cause de l'énergie du vide. Parce que le vide n'est pas réellement vide, en fait. Alors les galaxies se séparent des galaxies, les étoiles des étoiles, et un jour les atomes s'éloigneront des atomes.
On s'en doutait un peu. Il suffisait de compter les amis qu'il nous reste, de regarder l'état du plafond, de dénombrer la récolte quotidienne de la brosse à cheveux ou de rechercher un nom ou un mot connus sans jamais y parvenir, pour constater que tout s'enfuit, sans avoir à invoquer ces hypothétiques forces de l'univers. La véritable question est combien de temps cela s'éternisera. Et bien la science répond qu'on en aura pour 100 milliards d'années, pas plus. C'est embêtant.

Pour finir, le président de la République vient de nommer, le 15 avril, le nouveau président de l'Agence France Presse (AFP), agence «indépendante» de toute pression et influence, source principale de l'information en France. Dans ces conditions, Ce Glob Est Plat pourra difficilement garantir les informations qu'il diffuse.

Enfin n'oubliez pas de régler vos 25 euros de cotisation à l'AAAV (Association des Amis d'Alexandre Vialatte). Le blog est mourant, mais l'association active. Elle vient de publier son 35ème cahier annuel, une constellation de correspondances, critiques et manuscrits autour des Fruits du Congo, le grand roman mélancolique de Vialatte, hanté par Monsieur Panado, qui est un peu le rejeton du Père Ubu.